La réforme institutionnelle présente une différence de nature avec les réformes précédentes. Elle porte en partie sur des matières qui relèvent aujourd’hui de la sécurité sociale. Par son financement, par l’association à sa gestion des interlocuteurs sociaux et surtout par une relation particulière aux citoyens, fondée en partie sur l’assurance, la sécurité sociale est un dispositif spécifique dans l’action des pouvoirs publics. La défédéralisation de tels dispositifs entraîne une modification en profondeur de leur logique de fonctionnement. Le choix entre communautarisation et régionalisation, qui peut aussi être dicté par une logique institutionnelle, a des implications directes de politique sociale.

 

Débutons notre analyse par les politiques de l’emploi. Après avoir réaffirmé que le droit du travail et la sécurité sociale restent en principe de compétence fédérale, l’accord prévoit la régionalisation ou la communautarisation de certains dispositifs qui aujourd’hui relèvent de la sécurité sociale ou du droit du travail. On se limitera aux deux plus importants (les « gros poissons », pour reprendre l’expression qui a fleuri lors des négociations), qui concernent les « politiques axées sur les groupes cibles » et le subventionnement des « emplois de proximité ».

Les « politiques axées sur les groupes cibles » sont les réductions de cotisations patronales à l’ONSS, éventuellement combinées à des « activations » d’allocations sociales, en faveur des jeunes, des travailleurs âgés, des chômeurs de longue durée (« plan Activa »), de certains secteurs d’activité… Cela représenterait un montant de l’ordre de 2,3 milliards.
Bien que ces dispositifs dépendent formellement de la réglementation de sécurité sociale, ils ne relèvent pas du principe même de ce qu’on appelle habituellement « sécurité sociale ». Libre à la réglementation d’assimiler à une allocation de chômage l’allocation payée dans le cadre du programme « Activa ». Il reste que cette « allocation », d’ailleurs appelée « de travail », est payée à quelqu’un qui travaille à temps plein, et vient en déduction de la charge salariale incombant à l’employeur. C’est donc bien un subside salarial et une mesure d’emploi, et non une allocation de remplacement de revenu. Il en va de même des réductions de cotisations patronales, à partir du moment où elles sont ciblées sur l’engagement de certains travailleurs, ou sur certains secteurs : elles représentent alors des subsides à l’emploi.

Quant aux « emplois de proximité », il s’agit des Agences locales pour l’emploi (ALE), et des titres-services. Ce secteur est administré par l’ONEm, institution publique de sécurité sociale en charge de l’indemnisation du chômage, et la subvention de l’ONEm aux entreprises concernées figure dans les comptes de la sécurité sociale. Mais ni l’agrément d’entreprises ni la distribution de subventions ne relèvent de ce qu’on appelle une allocation de chômage.

Le transfert aux Régions de ces dispositifs, ou plutôt des masses financières concernées, avec liberté de les affecter comme on le souhaite, est dans la logique des réformes antérieures. Il faut admettre aussi qu’elle contribue à une lisibilité du paysage institutionnel.

Bien entendu, l’accueil de ces nouvelles compétences n’ira pas de soi. Un système comme le plan « Activa », qui associe une allocation payée au travailleur et une réduction de charge consentie à l’employeur, a sa cohérence lorsqu’il est déterminé par un cadre fédéral. À partir du moment où il est régionalisé, comment se fera l’articulation lorsque le domicile du travailleur bénéficiaire se situe dans une autre région que le siège de l’entreprise ?

À terme, il est probable que les régions devront modifier en profondeur la logique des programmes actuels. En soi, il n’y a pas vraiment lieu de s’en plaindre. Aussi bien la technique des allocations activées que celle des réductions de cotisations appellent plusieurs questions quant à leur effet réel sur l’emploi, tenant compte des effets d’aubaine ou de substitution. La régionalisation (on peut toujours être optimiste) permettra peut-être de rétablir une certaine cohérence. C’est également le cas dans le secteur des emplois de proximité, qui gagnerait à une politique de subvention moins rudimentaire et socialement plus cohérente que les « titres-services ».

Le contrôle des chômeurs
Le cadre normatif de l’indemnisation du chômage reste fédéral, mais les Régions « reçoivent la pleine compétence de décision et d’exécution en matière de contrôle de la disponibilité active et passive et d’imposition de sanctions y relatives ».
Ce volet de l’accord concerne bien la sécurité sociale, et même une pierre angulaire de l’indemnisation du chômage. Celle-ci postule que le chômage soit involontaire, ce qui suppose que le travailleur soit disposé à accepter tout emploi convenable qui lui serait offert (disponibilité « passive ») ; depuis 2004, on attend en outre de lui qu’il adopte un « comportement actif de recherche d’emploi » (disponibilité « active »).

Il est vrai que l’articulation entre les services (régionaux) de l’emploi, qui ont mission d’aider le demandeur d’emploi dans ses démarches, et l’ONEm, chargé de vérifier que le chômeur remplit les conditions d’octroi des allocations de chômage, n’est pas simple. On échappe en effet difficilement à un dilemme. Si le service de placement joue un rôle de contrôleur des obligations des chômeurs, il sacrifie son rôle de service de placement. D’une part parce qu’il empêche les demandeurs d’emploi d’avouer des difficultés ou des préférences qui peuvent être interprétées comme une indisponibilité pour le marché de l’emploi. D’autre part parce qu’il encombre les employeurs d’une foule de candidats non réellement aptes et intéressés à la fonction, dans le seul but de tester leur volonté de travail. C’est la situation qui a prévalu jusqu’en 1979, où l’on a scindé, au sein de l’ONEm, les bureaux régionaux du chômage et les services subrégionaux de l’emploi. Cette scission, prélude à la régionalisation des services de l’emploi, avait été saluée comme un rétablissement de la cohérence, en permettant à chaque service de se concentrer sur ses missions.

Mais à partir du moment où le service de placement joue réellement son rôle, dans un contexte de chômage élevé, il est conduit à limiter son action à une certaine frange de la population en chômage, a priori la plus apte et la plus motivée à l’emploi, et à laisser les autres tout simplement de côté. C’est la situation qui a prévalu après la scission des services, et surtout après la régionalisation des services de placement et la création d’organismes régionaux séparés.
En dépit des accords de coopération qui se sont succédé, le système est resté orphelin d’une procédure systématique de contrôle du chômage involontaire. C’est cette lacune qui a été comblée par le dispositif dit « d’activation », mis en place en 2004. Ce dispositif lui-même n’est pas sans poser des problèmes de fond. Par exemple, on peut se poser la question de savoir s’il ne faut pas introduire, dans la réglementation du chômage, un concept analogue aux « raisons de santé et d’équité » qui, dans le régime supplétif du Revenu d’intégration sociale (RIS), permet de moduler la notion que le demandeur doit être « disposé à travailler », voire de mettre cette notion entre parenthèses, provisoirement ou définitivement.

En replaçant dans l’orbite des services de placement tout ce dispositif, de même que la sanction traditionnelle pour indisponibilité dite passive, on revient sur l’orientation tracée en 1979, et on accorde à ce choix une valeur quasi constitutionnelle.

Cette réforme n’est finalement qu’un compromis en réponse à la revendication de régionalisation de l’assurance chômage elle-même, qui avait été formulée en son temps par le SPA, avant d’être reprise par l’ensemble des partis flamands. On peut se demander si le compromis tiendra longtemps la route. On peut penser que ce ne sera qu’une étape vers une défédéralisation plus poussée du régime du chômage.

Financement
Si les principes décrits ci-dessus ont, assez tôt, rencontré un certain consensus chez les négociateurs, il n’en va pas de même de leurs conséquences sur la loi de financement.
La plupart des compétences en matière d’emploi sont dévolues aux Régions, dans la logique des réformes antérieures. Pour les matières régionalisées, le principe de l’accord n’est pas de partir de la situation existante, mais d’une clé de répartition basée sur l’impôt des personnes physiques : cette clé de répartition n’est pas en faveur de la Wallonie, ni de Bruxelles. Mais partir de la situation existante aurait sans doute été encore plus défavorable. Le système des « titres services » est actuellement plus utilisé en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles, d’où s’élèvent la plupart des objections à un mode aussi « exubérant » de subvention publique. Il en va de même des réductions de cotisations, en raison de la répartition respective du secteur industriel et commercial, principal bénéficiaire de ces mesures.

Soins de santé et aide aux personnes

L’accord prévoit le transfert de divers dispositifs en matière de santé, actuellement gérés au niveau fédéral. Les plus importants concernent les personnes âgées : les remboursements de l’assurance maladie dans les maisons de repos et dans les maisons de repos et de soins (MRS) et l’allocation d’aide aux personnes âgées (APA), qui est une des prestations du système des allocations pour handicapés. D’autres transferts touchent une partie du financement des hôpitaux, certains secteurs de la rééducation fonctionnelle et de la santé mentale et certains soins de première ligne. Hormis certains points mineurs, il s’agit bel et bien sur l’essentiel de prestations de l’assurance maladie. Ce qui pose plusieurs questions de fond.

Communautarisation ou régionalisation ?
Le texte prévoit que les politiques transférées en matière de santé seront communautarisées. Toutefois, « dans la mesure où les compétences impliquent, pour les personnes, des obligations ou des droits à une intervention ou une allocation, ou lorsqu’il s’agit d’institutions bicommunautaires, l’autorité compétente en Région de Bruxelles capitale sera la Commission Communautaire Commune. De plus, l’Accord de la Saint-Quentin pourra être appliqué ».
La revendication d’une communautarisation plus poussée de la politique de santé et d’aide aux personnes repose sur la logique des réformes antérieures, qui situe ces politiques parmi les matières « personnalisables ». Celles-ci sont de la compétence des Communautés. Mais à Bruxelles, les Communautés française et flamande sont concurremment compétentes dans les matières qui les concernent.

Ceci limite dans les faits leur compétence : on ne voit pas comment en pratique répartir les habitants de Bruxelles en « sous-nationalités » et le principe même d’une telle distinction se heurterait à des objections eu égard au principe de non-discrimination. La solution prévue par la Constitution est que, à Bruxelles, les Communautés française et flamande sont compétentes pour les « institutions » qui les concernent. Lorsqu’il s’agit de prestations aux personnes, entraînant dans le chef de celles-ci des droits, mais aussi des obligations (par exemple celle de cotiser), il faut en revenir à une notion habituelle d’entité politique, liée à un territoire.

Certains points concernés par l’accord restent dans la logique de communautariser des organismes ou des institutions, ce qui ne pose pas en soi de problème conceptuel. Mais la majorité des points concerne des dispositifs qui constituent des allocations sociales ou des remboursements de l’assurance maladie, autrement dit des prestations aux personnes. À moins de modifier leur nature, leur communautarisation est donc conceptuellement impossible.

En définitive, le compromis consiste donc, à Bruxelles, à attribuer la plupart des matières transférées à la Commission communautaire commune. L’existence des Commissions communautaires française (Cocof), flamande (VGC) et commune (Cocom) est prévue par la Constitution pour exercer des compétences communautaires sur le territoire de la Région bruxelloise. Leur assemblée est composée des membres du Conseil (Parlement) régional bruxellois du groupe linguistique concerné. L’assemblée de la Cocom (« assemblée réunie ») correspond au Parlement bruxellois lui-même. Et les membres des exécutifs de ces Commissions sont issus du gouvernement régional bruxellois. On peut donc soutenir que pour la plupart des matières visées, l’accord équivaut à une «régionalisation à quatre».

Et la référence à l’Accord de la Saint-Quentin (qui avait en 1992 attribué les matières personnalisables de la Communauté française à la Région wallonne et à la Cocof) laisse penser que les institutions de la Région bruxelloise et leurs élus géreront seuls les nouvelles matières, à l’exception des institutions relevant de la seule communauté flamande, comme son assurance soins. Il reste que la concurrence de réglementations régionales et d’initiatives propres à la Communauté flamande ne facilitera pas la lisibilité du paysage institutionnel bruxellois, pourtant souhaitée par ailleurs. Une autre hypothèse, conforme à la notion de « Fédération Wallonie-Bruxelles», serait une entente en vue de rapprocher autant que possible les réglementations wallonnes et bruxelloises. Mais cela ne manquera pas de susciter des tensions au sein de la Cocom, surtout si la réglementation ainsi définie s’écarte sensiblement de la réglementation flamande.

Le financement
L’accord pose en principe que les matières transférées aux « Communautés » seront financées par des dotations basées sur les besoins. Pour les personnes âgées, le budget actuel sera réparti sur la base de la résidence des personnes de plus de 80 ans. Il évoluera en fonction de l’évolution de ce groupe, de l’inflation et de 82,5 % de la croissance du PIB par habitant. Pour les autres matières, le budget actuel sera réparti en fonction de la « clé population ». Il évoluera en fonction de l’inflation et de 82,5% de l’évolution du PIB/habitant.

En fonction des chiffres actuels, ce paramètre semble refléter assez correctement la répartition des dépenses entre les entités concernées. Mais s’il sert à définir aussi l’enveloppe globale, il postule en quelque sorte un coût moyen par bénéficiaire qui serait constant, ou dont la croissance serait limitée à l’inflation et à 82,5 % de celle du PIB.
Or les dépenses de l’assurance maladie dans la rubrique des MR et MRS ont connu, au cours des dernières années, une croissance beaucoup plus rapide que les paramètres retenus dans l’accord. Rien qu’en fonction des données démographiques, il n’y a aucune raison qu’elle s’arrête dans les prochaines années. Les dotations fédérales définies dans l’accord ne suffiront donc pas, à terme, à financer ce secteur. Les entités fédérées devront soit puiser dans d’autres budgets, soit mettre sur pied des recettes supplémentaires.

A fortiori, il n’y a pas de marges pour des améliorations sociales substantielles, par exemple faire sortir l’Alloction d’aide aux personnes âgées de la notion d’assistance, améliorer l’encadrement dans les MR-MRS ou financer certaines revendications du personnel, par exemple la création de régimes complémentaires de pensions.
La nature du transfert

L’accord n’apporte pas de réponse à la nature même du transfert, lorsqu’il s’agit de dispositifs qui relèvent actuellement de l’assurance maladie.

S’agit-il de sortir un domaine d’action d’un régime de protection sociale vers la politique sociale générale des pouvoirs publics ? Ou s’agit-il de scinder en quatre une partie du régime de protection sociale ? La réponse a des conséquences très importantes, aussi bien du point de vue du citoyen que du financement et du rôle des interlocuteurs sociaux et les mutualités.

Du point de vue du citoyen, comment s’organisera le recours, par un citoyen résidant dans une région, aux services d’une autre région ? Si, par exemple, un habitant néerlandophone de Bruxelles veut se faire admettre dans une maison de repos de la périphérie flamande de Bruxelles, bénéficiera-t-il d’emblée du mécanisme de subventionnement de la Communauté flamande, ou « exportera »-t-il en Flandre des droits acquis dans la Région bruxelloise ?
L’accord laisse entendre que le dispositif veillera à ce que « le patient paiera le même prix pour un même produit ou une même prestation, quel que soit l’endroit en Belgique où ce soin lui est prodigué ». Mais on voit mal comment ce principe peut être assuré sans restreindre l’autonomie des régions. Le plus probable est que s’installeront bel et bien des différences dans le prix des services, dans la part d’intervention des pouvoirs publics, et donc dans la part d’intervention personnelle du patient.

Sur le plan institutionnel, si la réforme a des conséquences pour le financement de la sécurité sociale, les interlocuteurs sociaux revendiqueront sans doute d’y être associés. S’il s’agit de transférer une assurance, les mutualités pourraient faire valoir leur expertise en vue du maintien des procédures actuelles, où les remboursements sont basés sur des conventions entre les mutualités et les prestataires concernés. Bref, quelles seront les conséquences de la réforme sur la participation des actuels « corps intermédiaires » ? La politique à cet égard sera-t-elle identique dans les trois régions ?
En Flandre, la revendication de communautarisation de la sécurité sociale s’inscrit dans une idéologie plutôt « jacobine », qui réduit les « corps intermédiaires » à un rôle purement consultatif. Aussi bien le Vlaams Belang que la NVA voient dans le rôle attribué à ces corps intermédiaires un élément du « système belge » dont ils veulent la disparition. Et bien qu’il ne s’agisse pas de la position officielle des partis flamands dits « traditionnels », cette vision traverse ces partis aussi. Il est fort possible, en fonction des actuels rapports de force, que cette idéologie prévaudra dans cette région. En ira-t-il de même dans les trois autres entités ? Autant de questions auxquelles l’accord n’apporte pas actuellement de réponse.

Allocations familiales

Principes
Exception au principe affirmé en exergue de l’accord, le secteur des allocations familiales est transféré « aux Communautés », étant entendu qu’à Bruxelles cette compétence sera exercée par la Cocom. L’accord précise que « préalablement au transfert, la différence entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants sera gommée ». Par ailleurs, « le droit aux allocations familiales sera consacré dans la Constitution ».

Cette dernière précision ne signifie pas que les Communautés perdent la compétence de modifier les taux et les conditions d’octroi des allocations familiales. L’inscription dans la Constitution interdirait aux entités fédérées de supprimer la branche des allocations familiales, par exemple en la remplaçant par des aides fiscales (ce qui avait été naguère la position du VLD), des dispositifs d’aide aux familles, comme ceux qui sont actuellement financés par le FESC, ou encore des bourses d’études. En soi, selon la jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle, elle leur interdirait également d’instaurer des « régressions significatives » dans les montants ou les conditions d’octroi. Mais, sur ce point, le principe doit être confronté aux modalités de financement.

Financement
La répartition des moyens en matière d’allocations familiales se fera sur la base de la clé «population de 0 à 18 ans» de chacune des trois Communautés et de la Cocom (clé forfaitaire). Les enveloppes évolueront ensuite sur [la] base de l’indice des prix à la consommation et de la croissance de la population de 0 à 18 ans compris de chaque entité (…). Le gouvernement peut, sur proposition des partenaires sociaux, affecter une partie de l’enveloppe bien-être à la majoration de l’enveloppe globale « allocations familiales » attribuées aux Communautés, si ceux-ci constatent que le taux de scolarisation des jeunes dans l’enseignement supérieur a augmenté significativement entre 2012 et l’année en cours.
Le budget global transféré est donc le budget des allocations familiales tel qu’il existera à ce moment dans les trois secteurs concernés (salariés, indépendants, fonctionnaires). La répartition de l’enveloppe sur une base purement démographique, en tenant compte uniquement des habitants jusque 18 ans, ignore les différences qui peuvent exister entre entités fédérées dans le montant moyen ou la durée d’attribution des allocations familiales.

Étant acquis que les différences qui existent entre salariés et indépendants seront supprimées avant le transfert, les différences qui peuvent subsister dans le montant de l’allocation sont liées soit à la situation d’allocataire social de l’attributaire, soit à la situation de « parent isolé » de l’allocataire, soit encore au rang, à l’âge ou à la situation de handicap de l’enfant bénéficiaire. Sur la plupart de ces critères, la Wallonie, et plus encore Bruxelles, sont défavorisés par rapport à la Flandre. Selon certaines informations, ce facteur défavorable serait compensé, du moins à Bruxelles, par la prise en compte dans la clé de répartition des enfants qui ne sont pas bénéficiaires d’allocations familiales, notamment les enfants de diplomates ou de fonctionnaires internationaux. Nous n’avons pas pu vérifier le bien-fondé de ce calcul.

En ce qui concerne la durée d’attribution des allocations familiales, on rappellera que l’octroi d’allocations familiales au-delà de 16 ans (dans les régimes des salariés et des indépendants) ou 18 ans (dans le régime des fonctionnaires) suppose des conditions dans le chef de l’enfant : soit un handicap, soit la poursuite d’études ou d’une formation. Une distorsion entre Communautés s’est créée du fait que dans l’implémentation de la réforme des études supérieures la Communauté française a fixé à cinq ans la durée d’études pour l’obtention du titre de « master », alors que la Communauté flamande a conservé les durées des anciennes licences, généralement quatre ans.

Hormis la question de la répartition, l’évolution de l’enveloppe elle-même est déterminée exclusivement par le nombre d’enfants et par l’inflation. La notion d’adaptation au bien-être, qui fait l’objet, selon la législation actuelle, de conciliabules bisannuels entre partenaires sociaux, est détournée de son sens pour offrir un financement complémentaire, à charge de la sécurité sociale, en cas de modification de la durée des études.

Le mécanisme de financement ne permet pas aux Communautés de mener une politique d’amélioration structurelle, même ciblée, des allocations familiales, sauf à puiser dans des moyens dont elles disposent par ailleurs ou à compenser ces améliorations par des économies.

Plusieurs partis flamands ont déjà annoncé leur intention d’améliorer les allocations familiales dans leur communauté, voire de créer un régime d’allocations familiales flamandes. Cette politique ne serait pas ciblée en fonction des besoins, mais représenterait un cadeau à la « classe moyenne travailleuse », chérie de la classe politique flamande... Il faudra voir si cette politique s’inscrira dans les nouvelles compétences, ou dans les compétences actuelles des Communautés. Dans la première hypothèse, cette politique flamande ne s’appliquera pas à Bruxelles, et il faudra voir si l’existence d’un régime social plus avantageux en Flandre sur un secteur aussi emblématique que les allocations familiales ne contribuera pas à l’exode de la classe moyenne vers la périphérie, et à un appauvrissement de la Région capitale. Dans la seconde hypothèse, on risque de voir ce que les négociateurs francophones croyaient avoir évité, à savoir l’application d’un régime à deux vitesses à Bruxelles, basé par exemple sur le choix de l’école.

Dans ce cas, il faudra voir si cette situation résistera à un examen de sa conformité par rapport au principe de non-discrimination, affirmé tant par la Constitution belge que par les normes internationales de protection sociale.

Nature du transfert
Dans la situation actuelle, le droit aux allocations familiales est déterminé par le statut social de l’attributaire. La logique de l’accord est que le droit soit déterminé par la résidence de l’enfant. Ceci ne manquera pas de susciter des problèmes dans des situations particulières, par exemple en cas de garde alternée et les solutions imaginables pour y remédier susciteront elles-mêmes des problèmes, notamment des phénomènes de « law shopping ».

Hormis ces problèmes, l’accord laisse irrésolues plusieurs questions fondamentales.

La logique d’attribution et le financement ne sont pas sans conséquence sur l’organisation administrative du secteur. Si on en arrive à un régime réellement universalisé basé sur la résidence de l’enfant, il n’est plus justifié d’avoir des caisses choisies par l’employeur, comme pour les travailleurs du secteur privé, ou un paiement direct par l’employeur, comme dans la fonction publique. Mais cette conséquence paraît assumée, sinon voulue, par la plus grande partie de la classe politique flamande. Du côté « francophone », les positions semblent moins affirmées.

Conclusions

Pour sa plus grande partie, le volet « emploi » de l’accord obéit à une certaine logique institutionnelle. On réservera une tout autre appréciation sur ce que certains négociateurs avaient appelé « les gros poissons », à savoir le transfert des allocations familiales, d’une partie des soins de santé et du contrôle de la disponibilité des chômeurs, autrement dit des dispositifs qui font incontestablement partie de la sécurité sociale.

Certes, le contrôle des chômeurs est déjà source de difficultés et d’incompréhensions. Mais on peut se demander si le choix opéré, qui rétablit dans le chef des services régionaux la confusion de rôles qui avait été dénoncée dans le chef de l’ONEm et attribue à cette option une valeur quasi constitutionnelle, est le meilleur choix de politique sociale. En tout cas, il s’agit d’un choix de politique sociale qui va plus loin qu’une réforme institutionnelle.

En ce qui concerne les soins de santé et les allocations familiales, l’accord démontre l’inopérance de la notion de Communauté lorsqu’il s’agit de droits individuels... et le sophisme de l’argument de « cohérence des politiques » invoqué pour justifier la réforme. L’accord n’améliorera pas la cohérence, spécialement à Bruxelles, où elle était déjà problématique. Il laisse sans réponse des questions quant à sa mise en œuvre et laisse entrevoir que les masses financières transférées ne correspondront pas, à terme, à l’évolution des dépenses, spécialement dans le domaine des soins aux personnes âgées. Pour améliorer le niveau de protection, voire pour maintenir ce qui existe, les entités devront créer des recettes nouvelles ou arbitrer avec d’autres dépenses. Et comme l’idée de recettes nouvelles n’est pas dans l’air du temps, on peut douter de la capacité des entités fédérées à respecter l’obligation de « stand still » imposée par la Constitution, et le principe de l’accord au sujet des soins de santé, que les citoyens bénéficieront des mêmes conditions de prix, quel que soit l’endroit où est localisé le prestataire auquel ils s’adressent.


1. Cet article est le résumé d’un prochain Courrier Hebdomadaire du CRISP.

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