Pouvoir voter ou être élu ne va pas nécessairement de soi. L’histoire montre que des hommes et des femmes se sont battus pour obtenir ces droits. Réservé pendant près d’un siècle à quelques privilégiés, le droit de vote et d’éligibilité fut accordé à tous les Belges de sexe masculin en 1919. Les femmes, elles, ont dû attendre 1948 pour voir reconnus leurs droits politiques à tous les niveaux de pouvoir. En 1998, un pas supplémentaire fut franchi avec l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux ressortissants des pays de l’Union européenne aux élections communales et européennes. Février 2004 constitue une nouvelle étape avec l’octroi du droit de vote aux élections communales aux résidents non communautaires.


En 1830, la Belgique connaît deux catégories d’électeurs, exclusivement masculins : les électeurs censitaires et les électeurs capacitaires. Les premiers tirent leur droit de vote du paiement d’impôts atteignant un montant déterminé (le cens), tandis que les seconds bénéficient de ce droit du fait de leurs fonctions ou diplômes. Il s’agit des magistrats, avocats, notaires, officiers ou autres universitaires… Ils sont alors 46 099 électeurs (38 429 censitaires et 7 670 capacitaires), soit 1 % de la population. Paradoxalement, les conditions d’éligibilité sont considérablement moins strictes dans la mesure où, outre l’exigence de la nationalité belge, il est exclusivement requis d’avoir atteint l’âge de 25 ans. Ce régime électoral au double fondement censitaire et capacitaire est abandonné dans la Constitution de 1831. Celle-ci ne retient que le critère financier, approuvant ainsi l’opinion du membre du Congrès national, Forgeur, selon qui « la meilleure des garanties à demander aux électeurs, c’est le paiement d’un cens qui représente une fortune, une position sociale, afin qu’ils soient intéressés au bien-être et à la prospérité de la société ».
Une modification intervient également au niveau des conditions d’éligibilité. Alors que la fortune demeure sans influence quant à l’accès à la Chambre des Représentants, l’acquittement d’un cens est requis pour être éligible au Sénat. Ce système censitaire débouche sur une situation asymétrique en acceptant des candidats et des élus qui ne jouissent pourtant pas du statut d’électeurs.
En 1848, alors que le cens variait selon les régions, ce dernier est uniformisé et plafonné dans l’ensemble du pays au minimum constitutionnel. Cet abaissement entraîne la première extension du droit de suffrage, permettant à 79 000 électeurs de se prononcer aux législatives de juin 1848. Une deuxième baisse intervient en 1871 et ce, uniquement pour les élections provinciales et communales.

Suffrage universel : les balbutiements
Avec le suffrage censitaire, le pouvoir demeure aux mains des plus nantis. La très grande majorité de la population est exclue de la participation politique. Mais une brèche est ouverte dans la mesure où le droit d’éligibilité à la Chambre est exempt de condition financière. Exploitant cette voie, une Société électorale des ouvriers de Bruxelles est créée en 1857. Elle présente aux législatives une liste de candidats où se côtoient ouvriers, artisans et figures politiques. Mais cette liste récolte un faible nombre de voix. Une évidence s’impose alors : le combat pour obtenir des élus est tributaire de la lutte pour obtenir des électeurs.

Regroupant le Parti ouvrier socialiste flamand, le Parti ouvrier socialiste brabançon, la Chambre du Travail et des groupes ouvriers wallons, le Parti ouvrier socialiste belge (POSB) publie en décembre 1879 un manifeste au peuple belge mettant en exergue leur revendication du suffrage universel. C’est un vaste appel à tous les citoyens et politiques à soutenir le combat du mouvement ouvrier pour que « le bulletin de vote remplace le fusil » en devenant le moyen légal et pacifique d’amener les réformes nécessaires. Malheureusement, l’action du POSB n’atteint pas les résultats escomptés.
En 1885, le Parti ouvrier belge (POB) est fondé et se donne comme priorité l'obtention du suffrage universel : « un homme, une voix, sans distinction de sexe ». Dans les années qui suivent, la propagande en faveur du suffrage universel (S.U.) circulera, des manifestations seront organisées et des grèves éclateront. En août 1890, la campagne pour l’extension universelle du droit de vote atteint un premier sommet avec la manifestation de masse connue sous le nom de Serment de Saint-Gilles. Les participants s’engagent à « n’avoir ni paix, ni trêve avant que par l’instauration du suffrage universel, les prolétaires de Belgique n’aient conquis une patrie ».
Du côté du parti libéral, la question de l’extension du suffrage engendre des tensions entre, d’une part, les doctrinaires, hostiles à une évolution et représentés par Frère-Orban, et d’autre part, les progressistes, favorables à une véritable réforme électorale et conduits par Paul Janson. C’est à eux que nous devons les premières initiatives parlementaires, avec la proposition de Demeur en 1870 de réviser la Constitution en son article 47, disposition relative au droit de vote.

Vers le suffrage universel pur et simple
Le principe de révision de l’article 47 de la Constitution est acquis en 1892 suite à plusieurs tentatives infructueuses, toujours présentées par Paul Janson. Mais le débat en Commission sur les diverses propositions s’enlise. Le 13 avril 1893, le Conseil général du POB lance alors un appel à la grève générale immédiate en faveur du S.U. Cette grève provoque des morts et des blessés. Finalement, sous la pression de la rue, le Parlement vote, dans la précipitation, le principe du suffrage universel tempéré par le vote plural.

Le suffrage est dit universel car tous les hommes de nationalité belge, âgés de 25 ans et domiciliés depuis un an au moins dans une même commune sont titulaires du droit de vote. Le suffrage est plural dans le sens où est accordée une voix supplémentaire a) aux pères de famille, âgés de 35 ans et occupant une habitation représentant 5 francs d’impôt personnel au moins ; b) aux propriétaires d’un immeuble d’une valeur de 2 000 francs ou d’une rente de 1 000 francs. Se voient accorder deux voix supplémentaires les capacitaires, porteurs d’un diplôme d’enseignement supérieur ou de fin d’humanités. Cette première révision de la Constitution permet ainsi de compter 1 370 687 titulaires du droit de vote contre 136 775 électeurs sous le régime censitaire. Elle introduit également l’obligation de vote.
Des tentatives parlementaires favorables au suffrage « universel » masculin pur et simple naissent dès 1901. Sans résultat. Se succèdent alors des grèves et des manifestations lancées par le POB et marquées par des incidents mortels. Le bras de fer entre les grévistes et le politique connaît son paroxysme avec la grève de 1913, qui réunit 300 000 à 450 000 grévistes. Ceux-ci interprètent alors les déclarations et les votes qui interviennent à la Chambre comme les étapes initiales d’une révision du régime électoral. La grève s’achève sans incidents graves. Mais à la veille de la Première Guerre mondiale, la question du suffrage universel n’a toujours pas trouvé d’issue favorable.
Au lendemain de la guerre, les positions politiques sur la question du droit de vote ont évolué. Avec des nuances cependant. Les socialistes prônent le suffrage universel sans restriction à 21 ans. Chez les catholiques, une frange conservatrice s’oppose à une majorité favorable à une réforme. Les libéraux se rallient au suffrage universel mais uniquement pour les hommes. C’est cette option qu’adopte le gouvernement Delacroix. La révision de la Constitution initiée par les Chambres élues en novembre 1919 concerne notamment la représentation proportionnelle et le suffrage universel masculin pur et simple à 21 ans. Le suffrage universel n’est donc pas acquis.
La question du suffrage féminin reste épineuse. Si, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’unanimité règne pour octroyer le droit de vote aux mères et veuves de soldats morts à la guerre, des réticences tenaces empêchent d’accorder purement et simplement le suffrage aux femmes. Les arguments alors invoqués par les opposants au droit de vote sont : « Elles ne demandent pas le droit de vote. Elles ne sont pas préparées pour l’exercer. Elles n’ont aucune formation politique. » Un compromis est cependant trouvé. Il consiste à inscrire dans la Constitution la possibilité d’étendre le suffrage universel aux femmes par une loi devant recueillir une majorité qualifiée, c’est-à-dire une majorité des deux tiers. On laisse de côté la moitié des Belges. C’est une défaite pour les féministes qui se sont mobilisées pour acquérir l’universalité du suffrage.
Une première étape est cependant franchie en 1920 lorsque la loi autorise l’éligibilité des femmes au Sénat et à la Chambre. Comme autre lot de consolation, une modification en 1921 de la loi électorale communale octroie le droit de vote aux femmes à l’exception des prostituées. Elles sont 196 à être élues. Quant à l’accès aux fonctions de bourgmestre ou d’échevin, il ne leur sera accordé que plus tard, par une loi spéciale qui requiert toutefois l’autorisation des époux des candidates. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que soit enfin adoptée la loi de 1948 accordant le suffrage universel féminin. On peut dès à présent véritablement parler de suffrage universel pour les Belges.

Droits politiques des résidents étrangers
Rompant avec la tradition en vigueur, qui veut qu’est citoyen d’un État celui qui en possède la nationalité, le Traité de Maastricht de 1992 contraint les États membres de l’Union européenne à accorder aux citoyens européens, c’est-à-dire à tout ressortissant de l’Union européenne résidant sur son territoire, le droit de vote et d’éligibilité aux élections communales et européennes et ce, dans les mêmes conditions que leurs nationaux.

La Belgique tardera à se conformer aux dispositions communautaires et se fera même condamner par la Cour de justice européenne. En 1998, elle finit par adapter sa Constitution et au mois de janvier 1999, le Parlement vote une loi accordant ces droits politiques. Le nouvel article 8 de la Constitution rend possible l'octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires, également par voie législative.
En février 2004, les étrangers non-européens se voient reconnaître le droit de suffrage au niveau local. Mais les conditions d’exercice sont particulièrement restrictives : pas d’éligibilité, inscription sur des listes électorales, engagement à respecter la Constitution et les lois belges ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il semble évident que ces contraintes constitueront un frein important à l’extension de l’électorat communal aux résidents non-européens.


Pour en savoir plus :
Xavier Mabille, Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, Ed. CRISP, Bruxelles, 2000.
Malette pédagogique CNAPD, « Pour une citoyenneté de résidence ». Cette mallette contient une vidéo et un très intéressant dossier pédagogique contenant des fiches thématiques sur, entre autres, l’histoire des droits politiques en Belgique, la citoyenneté et son cadre juridique, les étrangers concernés par l’extension du droit de vote (en chiffres), etc.
Renseignements : CNAPD, rue du Vivier 90 à 1050 Bruxelles (tél. : 02 640 52 62, fax : 02 640 42 12 – e-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).

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