Tony Dhanis, qui a été longtemps aumônier général du MOC, est décédé le 4 septembre dernier. La disparition de cette figure historique fait réfléchir sur ce qu’il a représenté dans l’histoire du mouvement ouvrier et de l’Église.


Né au Congo belge en 1929, Tony Dhanis est rapidement revenu en Belgique où il a tout aussi rapidement bouclé ses études : les humanités gréco-latines au collège Saint-Joseph de Chimay, la philosophie à Bonne-Espérance, la théologie au séminaire de Tournai et un doctorat à la faculté de théologie de Louvain, terminé en 1954. Dès la fin de ses études, il est nommé aumônier des mouvements ouvriers dans la région de Thuin jusqu’en 1971. Il devient alors aumônier général du MOC et le restera jusqu’en 1985. En plus du MOC, il joue un rôle important pour les mouvements constitutifs, notamment la JOC à Thuin et Vie féminine à Bruxelles. Il combine sa fonction d’aumônier du MOC avec celle de l’UCP qu’il quittera en 2001.
En 1985, il devient président du Séminaire Cardinal Cardijn de Jumet (SCC), puis du Centre de formation Cardijn (Cefoc) quand celui-ci remplace le SCC lors de sa fermeture. En 1994, il prend sa retraite, pour garder de ses tâches celles qu’il fait avec le plus de plaisir. C’est alors qu’il découvre le rôle d’un prêtre de paroisse, à Saint-Josse puis au Saint-Curé d’Ars, tâches qu’il assumera jusqu’à son décès. En même temps que ces responsabilités principales, Tony Dhanis s’est beaucoup investi dans l’Église et dans divers mouvements. Par exemple, dans le domaine de la paix, il a été membre de la Concertation Paix et Développement et de Justice et Paix. Dans la façon dont il a porté ces responsabilités, Tony a incarné un type de préoccupations et de rôle qui méritent d’être rappelés et explicités.

Le terrain et les responsables
Il y avait chez Tony un côté humain vulnérable, proche des gens, à l’écoute des situations humaines les plus concrètes. Il pouvait raconter tant et tant de fois les mêmes épisodes qu’il avait vécus, les mêmes récits sur la façon dont des femmes et des hommes avaient pris conscience de leur réalité, s’étaient éveillés à l’action et avaient choisi de s’organiser. La solidarité prenait chez lui la forme de l’admiration. Il était conscient d’être « à l’école de la vie » auprès des militants qui, à leur place et à leur taille, changent le monde. En même temps, il croyait dur comme fer à l’importance de l’engagement organisé. Il ne cessait de sensibiliser aux enjeux plus globaux et appuyait l’action des responsables des organisations. Il appelait les gens de terrain à la patience devant les lenteurs institutionnelles, tentait de faire comprendre les liens entre des prises de position apparemment opposées, se faisait porte-parole de l’un chez l’autre. Aux moments les plus chauds des actions, ce rôle pouvait exiger des qualités d’équilibriste. Il ne renonçait pas à tenir ensemble ce qui, à certains moments, pouvait passer pour inconciliable.

L’Église et le mouvement ouvrier organisé
Plusieurs de ses proches l’ont rappelé lors de son décès : Tony associait son ministère de prêtre à une fidélité sans faille, on peut dire une foi dans l’Église, envers et contre tout. Aux moments de la contestation des années septante, il s’est investi dans les débats des Conseils presbytéraux d’Europe et a joué un rôle d’intermédiaire entre ces lieux « contestataires » et la hiérarchie de l’Église. Toute sa vie, il a été une des personnes ressources les plus sollicitées pour des conférences, des sessions ou des retraites, restant en permanence attentif aux évolutions de la vie de l’Église sous tous ses aspects.
En même temps, son rôle d’aumônier général du MOC le liait aux enjeux de la lutte ouvrière. Il était partie prenante des grands événements et, soucieux d’éducation permanente, ne se lassait pas d’observer et d’expliquer l’importance de l’action. Vie de l’Église et action ouvrière ne marchent pas du même pas. Tony a toujours cherché l’intersection entre les deux. Au plan intellectuel, il a réfléchi la façon dont la doctrine sociale de l’Église légitime un souci constant de l’Église pour ce qu’elle avait appelé la « question sociale ». Lors du centenaire de Rerum Novarum, en 1991, il a parcouru la Belgique francophone pour proposer une relecture de l’histoire de la réflexion chrétienne sur le domaine social. Plus encore que l’étude des textes, c’est la mémoire de l’action des militants qu’il tenait à rappeler : ce sont eux qui, par leurs actions, donnent la véritable interprétation de l’histoire sociale. Si les moments où l’Église semblait mal évaluer l’importance des enjeux ouvriers le peinaient, il retrouvait espoir au moindre signe positif.

Intellectuel de terrain
L’appétit intellectuel de Tony le portait à suivre toutes les informations et tous les débats sur la vie politique, sociale et ecclésiale, tant aux plans international et européen que belge et wallon. Ce n’est pourtant que très occasionnellement qu’il a joué un rôle à l’université. Il a donné cours à l’école sociale de Charleroi, à l’Isco et dans quelques autres lieux. Surtout, il a alimenté la réflexion par des notes qui rendaient plus largement accessibles des débats pointus. Il expliquait longuement et brillamment des idées nouvelles, les reliait aux réflexions déjà acquises et synthétisait de façon brillante – et parfois surprenante – les débats les plus difficiles. Je pense que le mouvement ouvrier continue d’avoir besoin d’hommes et de femmes qui fassent des ponts entre des mondes différents. Les dossiers actuels obligent plus peut-être qu’autrefois de les suivre avec compétence et rigueur : en économie, en soins de santé, dans tout le champ social. Des personnes-ponts sont d’autant plus nécessaires pour veiller à construire une cohérence, une intelligence commune de la réalité et une action convergente.

Jean-Claude Brau

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