Le 20 décembre dernier, Ernest Michel nous quittait. Sa famille et ses amis ont perdu un proche. D'autres gardent de lui l'image d'un homme qui, dans un temps précis, a mis en œuvre des formes originales de liens entre l'Eglise d'un côté, et de l'autre les mouvements ouvriers, les associations "alternatives" et les milieux populaires. Son intuition principale reste le lancement du Séminaire Cardinal Cardijn, dont il a été président de 1967 à 1985.


1967 : le Concile Vatican II vient de se clôturer. De 1962 à 1965, il a réuni les évêques du monde entier. L'événement et ses résultats marquent les esprits parmi les chrétiens et ceux qui s'intéressent à l'Église. Cette assemblée que l'on aurait pu croire docile, a refusé les propositions de travail de la Curie. Elle a défini l'Église, non plus comme une simple structure hiérarchique, mais d'abord comme "peuple de Dieu", au service duquel la hiérarchie trouve sa raison d'être. Pour la première fois à ce niveau, la liberté religieuse est reconnue. Et l'Église se met à l'écoute des mouvements qui traversent la société. Elle voit les phénomènes sociaux de façon positive et reconnaît tout ce qu'elle peut en recevoir. Dans un esprit de confiance et de dialogue, elle risque une parole positive sur l'économie, la politique, la paix. Les penseurs de l'Église qui avaient été suspectés ou condamnés dans les décennies précédentes sont réhabilités et deviennent les experts de référence. Les évêques belges sont sur tous les fronts. On finirait par croire que c'est eux qui font le Concile !
Les ouvertures vers le monde moderne sont radicales, comme quand un grand retard doit être rattrapé. La foi et l'Église sont pensées dans un cadre neuf. Les acteurs de l'époque croient que l'évolution est irréversible. Ils ne prévoient pas qu'à partir de 1975, quand le contexte social changera avec la crise économique, l'optimisme euphorique des golden sixties s'atténuera, y compris dans l'Église. Et les groupes minorisés durant les années 60 reviendront au centre du jeu, y compris dans l'Église.

Des prêtres "in situ"
Le Concile s'était ouvert aux enjeux du monde du travail et la JOC, la Jeunesse ouvrière chrétienne, avait exercé une influence non négligeable dans certains débats. Bien des ouvertures devaient encore être concrétisées, notamment le souci des pauvretés et une vision plus structurelle des changements sociaux.

C'est dans ce contexte que se pose la question des prêtres issus de la classe ouvrière, en particulier de la JOC. Soit ils étaient formés dans les séminaires habituels, avec bien des difficultés dues au fossé culturel qui les séparait du monde ecclésiastique, soit ils entraient dans des filières spécifiques, qui étaient plutôt des formules de rattrapage. Plusieurs aumôniers de la JOC, dont Ernest Michel et Théo Dhanis, tentent un pari. Et si ces candidats au sacerdoce se formaient dans leur culture ouvrière ? Et si – comme on disait à l'époque – on pouvait devenir prêtre sans quitter sa culture propre ? Avec l'appui de Mgr Himmer, évêque de Tournai, l'expérience est lancée en un lieu symbolique : des hommes se préparent au sacerdoce dans la banlieue de Charleroi. D'emblée, le mouvement ouvrier est impliqué, notamment dans la réflexion pédagogique menée avec l'aide de l'ISCO (1) et d'Émile Creutz. Les méthodes s'appuient sur l'expérience des mouvements d'éducation permanente.
Rapidement, l'intuition développe sa dynamique propre. Ces "séminaristes" d'un type particulier étaient invités à se former "à partir de la vie"… mais devaient entrer en internat. Cohérents avec les intuitions de départ, ils veulent retourner au travail et dans leur milieu, en raison même des exigences de leur formation. Ils retrouvent leur emploi et leur entourage. Au lieu de les regrouper à Jumet, ce sont les formateurs qui se déplacent aux quatre coins de la Belgique francophone. La formule est d'abord acceptée pour le début de la formation, puis elle s'applique à l'ensemble du parcours. L'équipe responsable écoute et propose ces changements, les évêques acquiescent, prudemment.

Quand l’Église belge innovait…
Les séminaristes retrouvent leurs compagnons de travail et leurs terrains de lutte. Ils sont nombreux à s'impliquer dans les combats ouvriers d'alors, souvent radicaux. Leur formation doit leur permettre de devenir prêtres à partir de leur expérience de travailleurs et de militants. Le lien est permanent entre l'expérience professionnelle, la maturation humaine, l'engagement dans des mouvements et des luttes de terrain, et d'autre part la foi chrétienne, la vie spirituelle, et le lien avec l'Église. Alors, ils ne comprennent pas : pourquoi cette formation n'est-elle pas ouverte aux autres chrétiens, hommes et femmes qui ne souhaitent pas devenir prêtres ? De nouveau, les responsables écoutent et les évêques acceptent l'évolution. Des groupes de formation se créent là où des demandes surgissent. Une méthode de formation s'affine, sensible aux réalités concrètes, aux dimensions collective et personnelle de l'existence. Selon un responsable de l'époque, le Séminaire C. Cardijn est ce qui s'est créé de plus original dans l'Église de Belgique depuis le Concile. Avant 1990, 87 séminaristes se sont présentés et 31 sont devenus prêtres.

De Cardijn au Cefoc
Au cours des années 80, l'ambiance change dans la société et donc dans les mouvements ouvriers, dans l'Église aussi. Des questions déjà présentes auparavant font remettre en cause la formule. Ceux qui ont un engagement ouvrier et veulent devenir prêtre sur cette base se font rares. La culture, les temps n'ont-ils pas changé, exigeant un champ de connaissances plus vastes que ce que permet une formation suivie en restant au travail ? Ce qui différencie ces prêtres des laïcs formés avec eux est jugé trop ténu.
Ernest Michel quitte la présidence du Séminaire C. Cardijn en 1985. Cinq ans plus tard, les évêques décident de mettre fin à l'expérience de formation de prêtres suivant cette formule. Le nom change, le Séminaire C. Cardijn devient le Cefoc (Centre de formation Cardijn). La formation continue, sans séminaristes, avec les femmes et les hommes qui en font la demande.
On peut dire d'Ernest Michel qu'il a joué un rôle-clé à un moment spécifique : Église et mouvement ouvrier – et d'autres associations populaires aussi – se sentaient portés par une dynamique forte. En raison de leurs projets propres, les deux voyaient l'intérêt et la possibilité de créer des collaborations qui les rapprochaient. Leur convergence a porté ses fruits, non seulement dans la formation, mais sur d'autres terrains également. Les évolutions sociales et culturelles, les choix du sommet de l'Église depuis la venue de Jean-Paul II, les évolutions internes aux organisations ouvrières ont changé la donne. Il reste pourtant dans ce domaine des synergies possibles. Et des formules d'avenir à inventer.
Jean-Claude Brau

1 ISCO : Institut supérieur de culture ouvrière.

Un homme de terrain

Ernest Michel est né à Gilly le 8 juillet 1925. Après des études à Bonne-Espérance, à Tournai et à Rome, il est ordonné prêtre en 1950. D'abord professeur à Bonne-Espérance, il est rapidement nommé professeur de théologie au Centre de formation d'Alost, pour les séminaristes au service militaire. En 1957, il devient aumônier national de la JOC, jusqu'en 1967. C'est alors qu'il devient fondateur et président du Séminaire Cardinal Cardijn (SCC), dont le siège est à Jumet. Déjà inséré dans la communauté de base de Jumet Heigne, il est nommé, à son départ du SCC, animateur des Communautés de base en monde ouvrier (CEMO) pour le diocèse de Tournai. C'est dans cette fonction qu'il construit des liens entre les divers types de Communautés ecclésiales de base en Belgique et qu'avec d'autres, il met sur pied leur réseau européen. Plus largement, il nourrit des contacts ailleurs, notamment avec les communautés latino-américaines, surtout brésiliennes. Pendant ces années, il se lie aussi avec d'autres initiatives, qu'il porte ou soutient. Avec d'autres, il fonde la CEPO (Commission d'étude et de pastorale ouvrière). Il s'investit dans les groupes Amitié entre personnes handicapées et valides, soucieux notamment des logements de personnes handicapées. Il est un fidèle des sessions œcuméniques de Blankenberge. Il anime, entre autres, le groupe Kairos et les Marches européennes contre la pauvreté et les exclusions. On ne peut oublier son goût des fêtes et le plaisir qu'il avait dans des rassemblements populaires, notamment avec les Marcheurs de la Madeleine à Jumet. Et ceux qui l'ont vu danser et chanter Lolotte ne peuvent l'oublier.

J-Cl. Brau

 

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