La directive Bolkestein, aujourd’hui appelée directive « services », fait désormais l’objet d’un consensus entre Commission, Conseil et grands groupes politiques du Parlement européen (conservateurs, démocrates-chrétiens, libéraux et la majorité des socialistes). Formellement adoptée ce mois de décembre, elle devrait entrer en vigueur d’ici 2010.
Ce « consensus » marque l’aboutissement de près de trois ans de discussions et, surtout, de polémiques entre tenants d’une Europe respectant les modèles sociaux nationaux et partisans de la dérégulation libérale. Mais pourquoi une « directive services », et en quoi pourrait-elle représenter un danger pour les modèles sociaux ? L’un des objectifs premiers de la construction européenne est de réaliser un marché où circulent librement les personnes, les marchandises, les capitaux et les services. Or, 50 ans après la création de la CEE, la libre circulation des services continue de poser problème. Les guides touristiques, les entreprises actives dans les domaines de l’entretien et de la sécurité des bureaux, ou de la vente au détail, etc. se plaignent de devoir affronter, dès qu’ils quittent leur pays d’origine, des réglementations nationales comportant parfois des dispositions discriminatoires. Les juges de la Cour de justice des Communautés européennes ont ainsi régulièrement à se prononcer sur de telles dispositions, quelquefois assimilées à des « barrières protectionnistes ».
Au début des années 2000, la Commission européenne décide de préparer un projet de libéralisation des services, visant à la fois à remédier aux causes de ces conflits et à accroître la concurrence dans ce secteur. Le raisonnement de la Commission se fonde également sur ce constat : les services représentent environ 70 % de la richesse et des emplois dans une Union européenne où l’industrie est plutôt en déclin. La libéralisation de la prestation des services pourrait donc, selon elle, stimuler l’activité économique et créer des emplois. Le raisonnement est assez « classique » à la Commission. En revanche, l’approche proposée initialement est extrêmement agressive.
Dès le printemps 2004, les organisations syndicales de l’Union perçoivent tous les dangers de ce projet. Les deux principaux sujets de préoccupation sont le champ d’application de la directive, qui inclut les services publics et les services d’intérêt général (éducation, santé, électricité, eau, téléphone, logement social, etc.), et la menace qu’elle fait peser sur le droit du travail. Les syndicats européens réclament depuis longtemps – en vain – une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui clarifierait la place des services publics et leur spécificité dans la politique européenne de concurrence. En l’absence d’une telle clarification, les syndicats craignent en effet que la directive Bolkestein applique brutalement les règles de la concurrence à l’ensemble de ces services.
En ce qui concerne le principe du pays d’origine et son impact sur le droit du travail, la crainte est évidente : comme le souligne la Confédération européenne des syndicats (CES) dès mai 2004, « cette proposition qui ne soumet les fournisseurs qu’aux règlements de leur pays respectif donne carte blanche aux sociétés pour qu’elles déplacent leur base opérationnelle vers des États membres ayant des normes sociales et environnementales moins exigeantes. Cela entraînerait une spirale de déréglementations vers le bas qui verrait les États membres se concurrencer l’un l’autre » 1. En l’absence d’une harmonisation préalable des normes sociales vers le haut (lire l’encadré ci-dessus), le principe du pays d’origine menace en effet de nuire aux conventions collectives et aux codes de travail nationaux. Or, les États membres ne sont pas prêts à entreprendre cette harmonisation préalable. La directive Bolkestein risque donc de créer une concurrence non seulement entre entreprises, mais également entre États membres, ce qui n’est pas l’esprit de la construction européenne.
Alors que les syndicats, en particulier belges, mettent au jour les dangers de l’approche proposée, le climat s’envenime. Le 3 juin 2004, lors d’une intervention à la RTBF, le porte-parole du Commissaire Bolkestein assimile les syndicats belges, traités de menteurs, à des mouvements fascisants engagés dans une propagande de désinformation. Ambiance… Le projet de directive cristallise progressivement tensions et conflits entre partisans d’un ultralibéralisme, ceux qui acceptent l’objectif de la libéralisation mais refusent l’approche choisie, et ceux qui se battront jusqu’au bout pour le retrait pur et simple du projet. L’adoption de ce texte est prévue en « codécision », ce qui signifie que, pour pouvoir entrer en vigueur, il doit être signé conjointement par le Parlement européen et par le Conseil des ministres. Au Parlement, la bataille fait rage entre conservateurs, démocrates-chrétiens et libéraux, d’une part, et socialistes, Verts, et gauche radicale, de l’autre. Au Conseil, une ligne de fracture se dessine entre certains nouveaux États membres, en faveur de la libéralisation, et certains anciens, qui craignent un processus de déréglementation outrancier.
Du côté syndical, la CES formule ses « lignes rouges » : non au principe du pays d’origine, renforcement des protections des travailleurs détachés (dans le cadre de la directive Détachement des travailleurs de 1997) 2, exclusion des services publics de l’application des règles de concurrence. Début 2005, la France, l’Allemagne, le Parlement européen font pression pour « modifier » ou « remettre à plat » le projet de directive. Le 19 mars 2005, une manifestation mobilise à Bruxelles près de 80 000 personnes, juste avant une réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union. À l’issue de leur réunion, ceux-ci soulignent que la directive sur les services doit répondre à deux impératifs : ouverture du marché et respect du modèle social. La Commission est officiellement appelée à revoir sa copie.
Pendant ce temps, les parlementaires européens sont à la recherche d’un compromis. Celui-ci se dessine début 2006. Après la seconde mobilisation du 14 février à Strasbourg (près de 50 000 personnes), ce compromis est entériné en « première lecture » au Parlement le 16 février. Il vise à supprimer le principe du pays d’origine pour les prestations de services temporaires, et à exclure les soins de santé, les services sociaux, l’audiovisuel, les jeux, le notariat et l’intérim. En revanche, les services d’intérêt économique général, comme la distribution de l’eau, resteraient inclus.
Pour « rassurer » la gauche, la Commission déclare que la directive n’aura « aucune incidence sur les droits nationaux du travail, les pratiques collectives » ; qu’elle est « neutre concernant les rôles des partenaires sociaux » ; et qu’elle n’a « aucune incidence sur les règles de droit pénal des États membres ». La Commission s’engage par ailleurs à ne pas s’arroger de nouveaux pouvoirs concernant les restrictions nationales mises en place pour limiter la prestation transfrontalière de services.
Quant au contenu du texte final, sont notamment exclus de son champ d’application les services d’intérêt général non économiques, certains services sociaux et les agences d’intérim (voir ci-dessous). Le principe du pays d’origine est supprimé, et remplacé par le principe de libre prestation de services. Les États membres doivent respecter le droit d’un prestataire à fournir un service dans un autre État membre que celui où celui-ci est établi. L’État membre de destination doit assurer le libre accès et le libre exercice d’un service. Sont désormais interdites, les exigences telles que l’obligation d’avoir un établissement sur le territoire, l’autorisation des autorités compétentes, l’inscription dans un registre ou auprès d’un ordre professionnel, etc. Si un pays applique des restrictions, il doit prouver que celles-ci sont justifiées pour des raisons liées à l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique et la protection de l’environnement, et qu’elles sont conformes aux principes de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité.
Côté PS, les eurodéputés ont voté contre cette directive « ultralibérale et dangereuse », y compris Philippe Busquin qui, lorsqu’il était membre de la Commission Prodi, avait soutenu le texte initial. Le CDh, qui avait conditionné l’adoption de la directive à une « véritable protection des services publics au niveau européen » et, par conséquent, « à l’exclusion des services économiques d’intérêt général et des services d’intérêt général du champ d’application », a voté pour, renonçant à la dernière bataille.
Du côté syndical, même si l’on estime que le pire a été évité, il reste un goût amer. Certes, les revendications les plus importantes ont été prises en compte. La CES a même jugé – avec beaucoup d’optimisme – que ce résultat était un « succès pour le mouvement syndical européen ». Les mobilisations et le travail politique ont, en effet, en partie payé. Mais il y a des échecs (refus surprenant de faire référence à la Charte européenne des droits fondamentaux) et un sentiment de lâchage par la démocratie-chrétienne dans la dernière ligne droite. En conséquence, il reste ces ambiguïtés concernant les services sociaux et, plus largement, les services publics. Ambiguïtés que la Commission ou la Cour européenne de justice seront appelées à trancher lors de l’application concrète de ce texte. Les syndicats continuent donc de revendiquer l’adoption d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui clarifierait une fois pour toutes la situation de ces services par rapport à la politique de concurrence 3. Pour eux, la bataille n’est pas finie : le monde syndical s’engage à examiner la transposition de la directive dans le droit national, à surveiller sa mise en œuvre, et à continuer de lutter en faveur d’une meilleure réglementation des services publics.
Quant à la leçon politique de la saga « Bolkestein », elle tient en une phrase : si la construction européenne peut se fonder sur la concurrence entre entreprises, elle ne peut se fonder sur la concurrence entre États membres sans anéantir le projet européen. Bolkestein a montré que nombreux sont les acteurs politiques qui l’ont oublié ou négligé.
Christophe Degryse
Il y a plusieurs manières de construire le marché unique européen. Ainsi, au début des années 1960, se met progressivement en place une politique commune des transports entre les Six. Son objectif est d’éliminer les obstacles aux frontières intérieures et de contribuer à la libre circulation des transporteurs routiers. Un « Bolkestein routier », en quelque sorte. Sauf qu’à l’époque, se pose la question de l’harmonisation des conditions sociales des travailleurs de ce secteur, car les disparités entre pays dans ce domaine sont de nature à « fausser substantiellement les conditions de concurrence », estiment les dirigeants d’alors. C’est ainsi qu’une décision est adoptée le 13 mai 1965 visant à l’harmonisation de certaines dispositions sociales ayant une incidence sur la concurrence. Cette décision prévoit que : « à partir du 1er janvier 1966, il sera procédé, à l’intérieur de chaque mode de transport, compte tenu de la compétence éventuelle des partenaires sociaux quant à la conclusion de conventions collectives de travail, au rapprochement dans le progrès des dispositions législatives, réglementaires et administratives spécifiques relatives aux conditions de travail applicables dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable ». C’était il y a 40 ans. On estimait alors que la libre circulation et le marché commun nécessitaient l’harmonisation des conditions sociales vers le haut avec la participation des partenaires sociaux. C’était au siècle dernier...
Services couverts par la directive :
– services aux entreprises : conseil en management et gestion, certification et essai, gestion des locaux, entretien des bureaux, services de publicité ou liés au recrutement, agents commerciaux
– services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs : conseil juridique ou fiscal, agences immobilières, services liés à la construction comme ceux des architectes, distribution, organisation des foires commerciales, location de voitures, agences de voyages
– services aux consommateurs : guides touristiques, services de loisir, centres sportifs, parcs d’attractions, etc.
Services partiellement couverts par la directive :
– services d’intérêt économique général : approvisionnement en eau, en gaz, en électricité (couverts par les dispositions relatives à la liberté d’établissement, mais non par l’article établissant la libre prestation des services de manière temporaire).
Services exclus :
– services d’intérêt général non économique : services sociaux, éducation, soins de santé, etc.
– certains services sociaux : logement social, aide aux personnes en besoin, aide à l’enfance (lorsqu’ils sont assurés par l’état ou des prestataires mandatés par l’état).
1 Communiqué de presse du 23 mai 2004.
2 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, JO L 18 du 21.1.1997.
3 Voir : http://petition.etuc.org/PETITION-POUR-DES-SERVICES-PUBLICS
Ce « consensus » marque l’aboutissement de près de trois ans de discussions et, surtout, de polémiques entre tenants d’une Europe respectant les modèles sociaux nationaux et partisans de la dérégulation libérale. Mais pourquoi une « directive services », et en quoi pourrait-elle représenter un danger pour les modèles sociaux ? L’un des objectifs premiers de la construction européenne est de réaliser un marché où circulent librement les personnes, les marchandises, les capitaux et les services. Or, 50 ans après la création de la CEE, la libre circulation des services continue de poser problème. Les guides touristiques, les entreprises actives dans les domaines de l’entretien et de la sécurité des bureaux, ou de la vente au détail, etc. se plaignent de devoir affronter, dès qu’ils quittent leur pays d’origine, des réglementations nationales comportant parfois des dispositions discriminatoires. Les juges de la Cour de justice des Communautés européennes ont ainsi régulièrement à se prononcer sur de telles dispositions, quelquefois assimilées à des « barrières protectionnistes ».
Au début des années 2000, la Commission européenne décide de préparer un projet de libéralisation des services, visant à la fois à remédier aux causes de ces conflits et à accroître la concurrence dans ce secteur. Le raisonnement de la Commission se fonde également sur ce constat : les services représentent environ 70 % de la richesse et des emplois dans une Union européenne où l’industrie est plutôt en déclin. La libéralisation de la prestation des services pourrait donc, selon elle, stimuler l’activité économique et créer des emplois. Le raisonnement est assez « classique » à la Commission. En revanche, l’approche proposée initialement est extrêmement agressive.
Directive « Bolkestein »
Le 13 janvier 2004, la Commission adopte sa proposition de directive Bolkestein, du nom du commissaire néerlandais à l’origine du projet. D’inspiration très libérale, ce texte se fonde sur une approche « horizontale », c’est-à-dire basée sur des principes applicables à l’ensemble des secteurs des services : des soins de santé aux conseils en management, en passant par les services de placement ou les loisirs. Le projet prévoit une simplification des réglementations nationales et une règle d’or : le principe du pays d’origine. Selon ce principe, le prestataire de service qui opère temporairement dans un autre État membre que le sien reste soumis à la réglementation de son propre pays, et non celle du pays de prestation.Dès le printemps 2004, les organisations syndicales de l’Union perçoivent tous les dangers de ce projet. Les deux principaux sujets de préoccupation sont le champ d’application de la directive, qui inclut les services publics et les services d’intérêt général (éducation, santé, électricité, eau, téléphone, logement social, etc.), et la menace qu’elle fait peser sur le droit du travail. Les syndicats européens réclament depuis longtemps – en vain – une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui clarifierait la place des services publics et leur spécificité dans la politique européenne de concurrence. En l’absence d’une telle clarification, les syndicats craignent en effet que la directive Bolkestein applique brutalement les règles de la concurrence à l’ensemble de ces services.
En ce qui concerne le principe du pays d’origine et son impact sur le droit du travail, la crainte est évidente : comme le souligne la Confédération européenne des syndicats (CES) dès mai 2004, « cette proposition qui ne soumet les fournisseurs qu’aux règlements de leur pays respectif donne carte blanche aux sociétés pour qu’elles déplacent leur base opérationnelle vers des États membres ayant des normes sociales et environnementales moins exigeantes. Cela entraînerait une spirale de déréglementations vers le bas qui verrait les États membres se concurrencer l’un l’autre » 1. En l’absence d’une harmonisation préalable des normes sociales vers le haut (lire l’encadré ci-dessus), le principe du pays d’origine menace en effet de nuire aux conventions collectives et aux codes de travail nationaux. Or, les États membres ne sont pas prêts à entreprendre cette harmonisation préalable. La directive Bolkestein risque donc de créer une concurrence non seulement entre entreprises, mais également entre États membres, ce qui n’est pas l’esprit de la construction européenne.
Alors que les syndicats, en particulier belges, mettent au jour les dangers de l’approche proposée, le climat s’envenime. Le 3 juin 2004, lors d’une intervention à la RTBF, le porte-parole du Commissaire Bolkestein assimile les syndicats belges, traités de menteurs, à des mouvements fascisants engagés dans une propagande de désinformation. Ambiance… Le projet de directive cristallise progressivement tensions et conflits entre partisans d’un ultralibéralisme, ceux qui acceptent l’objectif de la libéralisation mais refusent l’approche choisie, et ceux qui se battront jusqu’au bout pour le retrait pur et simple du projet. L’adoption de ce texte est prévue en « codécision », ce qui signifie que, pour pouvoir entrer en vigueur, il doit être signé conjointement par le Parlement européen et par le Conseil des ministres. Au Parlement, la bataille fait rage entre conservateurs, démocrates-chrétiens et libéraux, d’une part, et socialistes, Verts, et gauche radicale, de l’autre. Au Conseil, une ligne de fracture se dessine entre certains nouveaux États membres, en faveur de la libéralisation, et certains anciens, qui craignent un processus de déréglementation outrancier.
Du côté syndical, la CES formule ses « lignes rouges » : non au principe du pays d’origine, renforcement des protections des travailleurs détachés (dans le cadre de la directive Détachement des travailleurs de 1997) 2, exclusion des services publics de l’application des règles de concurrence. Début 2005, la France, l’Allemagne, le Parlement européen font pression pour « modifier » ou « remettre à plat » le projet de directive. Le 19 mars 2005, une manifestation mobilise à Bruxelles près de 80 000 personnes, juste avant une réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union. À l’issue de leur réunion, ceux-ci soulignent que la directive sur les services doit répondre à deux impératifs : ouverture du marché et respect du modèle social. La Commission est officiellement appelée à revoir sa copie.
Pendant ce temps, les parlementaires européens sont à la recherche d’un compromis. Celui-ci se dessine début 2006. Après la seconde mobilisation du 14 février à Strasbourg (près de 50 000 personnes), ce compromis est entériné en « première lecture » au Parlement le 16 février. Il vise à supprimer le principe du pays d’origine pour les prestations de services temporaires, et à exclure les soins de santé, les services sociaux, l’audiovisuel, les jeux, le notariat et l’intérim. En revanche, les services d’intérêt économique général, comme la distribution de l’eau, resteraient inclus.
Nouvelle mouture
À la suite de ce vote, la Commission présente en avril 2006 une proposition modifiée de directive. En mai, le Conseil des ministres parvient à un accord (avec abstention de la Belgique et de la Lituanie) qui reprend, dit-on, 90 % des amendements du Parlement. Mais de nombreuses ambiguïtés subsistent. C’est pourquoi, en septembre, la gauche du Parlement européen tente une nouvelle fois de faire passer ses amendements restants, mais sans succès : la droite européenne, le Conseil et la Commission refusent de toucher au compromis. Le seul engagement de la Commission est de faire une déclaration – non juridiquement contraignante – clarifiant les relations entre la directive « services » et le droit du travail. La majorité du Parlement européen s’en satisfait et, le 15 novembre, celui-ci adopte en « deuxième lecture » sa position finale sur la directive, mettant un terme aux débats. Votent en faveur du texte : les conservateurs et démocrates chrétiens, les libéraux et la majorité des socialistes. Votent contre : les Verts, la Gauche unitaire et certains socialistes.Pour « rassurer » la gauche, la Commission déclare que la directive n’aura « aucune incidence sur les droits nationaux du travail, les pratiques collectives » ; qu’elle est « neutre concernant les rôles des partenaires sociaux » ; et qu’elle n’a « aucune incidence sur les règles de droit pénal des États membres ». La Commission s’engage par ailleurs à ne pas s’arroger de nouveaux pouvoirs concernant les restrictions nationales mises en place pour limiter la prestation transfrontalière de services.
Quant au contenu du texte final, sont notamment exclus de son champ d’application les services d’intérêt général non économiques, certains services sociaux et les agences d’intérim (voir ci-dessous). Le principe du pays d’origine est supprimé, et remplacé par le principe de libre prestation de services. Les États membres doivent respecter le droit d’un prestataire à fournir un service dans un autre État membre que celui où celui-ci est établi. L’État membre de destination doit assurer le libre accès et le libre exercice d’un service. Sont désormais interdites, les exigences telles que l’obligation d’avoir un établissement sur le territoire, l’autorisation des autorités compétentes, l’inscription dans un registre ou auprès d’un ordre professionnel, etc. Si un pays applique des restrictions, il doit prouver que celles-ci sont justifiées pour des raisons liées à l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique et la protection de l’environnement, et qu’elles sont conformes aux principes de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité.
Réactions
Pour le communiste français Francis Wurtz, et derrière lui la gauche radicale, ce compromis reflète la « capitulation » des grands groupes parlementaires et une « gigantesque entreprise de dérégulation ». Pour Écolo, la directive « met en danger les services publics ».Côté PS, les eurodéputés ont voté contre cette directive « ultralibérale et dangereuse », y compris Philippe Busquin qui, lorsqu’il était membre de la Commission Prodi, avait soutenu le texte initial. Le CDh, qui avait conditionné l’adoption de la directive à une « véritable protection des services publics au niveau européen » et, par conséquent, « à l’exclusion des services économiques d’intérêt général et des services d’intérêt général du champ d’application », a voté pour, renonçant à la dernière bataille.
Du côté syndical, même si l’on estime que le pire a été évité, il reste un goût amer. Certes, les revendications les plus importantes ont été prises en compte. La CES a même jugé – avec beaucoup d’optimisme – que ce résultat était un « succès pour le mouvement syndical européen ». Les mobilisations et le travail politique ont, en effet, en partie payé. Mais il y a des échecs (refus surprenant de faire référence à la Charte européenne des droits fondamentaux) et un sentiment de lâchage par la démocratie-chrétienne dans la dernière ligne droite. En conséquence, il reste ces ambiguïtés concernant les services sociaux et, plus largement, les services publics. Ambiguïtés que la Commission ou la Cour européenne de justice seront appelées à trancher lors de l’application concrète de ce texte. Les syndicats continuent donc de revendiquer l’adoption d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, qui clarifierait une fois pour toutes la situation de ces services par rapport à la politique de concurrence 3. Pour eux, la bataille n’est pas finie : le monde syndical s’engage à examiner la transposition de la directive dans le droit national, à surveiller sa mise en œuvre, et à continuer de lutter en faveur d’une meilleure réglementation des services publics.
Quant à la leçon politique de la saga « Bolkestein », elle tient en une phrase : si la construction européenne peut se fonder sur la concurrence entre entreprises, elle ne peut se fonder sur la concurrence entre États membres sans anéantir le projet européen. Bolkestein a montré que nombreux sont les acteurs politiques qui l’ont oublié ou négligé.
Christophe Degryse
1965, ou quand la libre circulation impliquait un « rapprochement dans le progrès »
Il y a plusieurs manières de construire le marché unique européen. Ainsi, au début des années 1960, se met progressivement en place une politique commune des transports entre les Six. Son objectif est d’éliminer les obstacles aux frontières intérieures et de contribuer à la libre circulation des transporteurs routiers. Un « Bolkestein routier », en quelque sorte. Sauf qu’à l’époque, se pose la question de l’harmonisation des conditions sociales des travailleurs de ce secteur, car les disparités entre pays dans ce domaine sont de nature à « fausser substantiellement les conditions de concurrence », estiment les dirigeants d’alors. C’est ainsi qu’une décision est adoptée le 13 mai 1965 visant à l’harmonisation de certaines dispositions sociales ayant une incidence sur la concurrence. Cette décision prévoit que : « à partir du 1er janvier 1966, il sera procédé, à l’intérieur de chaque mode de transport, compte tenu de la compétence éventuelle des partenaires sociaux quant à la conclusion de conventions collectives de travail, au rapprochement dans le progrès des dispositions législatives, réglementaires et administratives spécifiques relatives aux conditions de travail applicables dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable ». C’était il y a 40 ans. On estimait alors que la libre circulation et le marché commun nécessitaient l’harmonisation des conditions sociales vers le haut avec la participation des partenaires sociaux. C’était au siècle dernier...
Services couverts par la directive :
– services aux entreprises : conseil en management et gestion, certification et essai, gestion des locaux, entretien des bureaux, services de publicité ou liés au recrutement, agents commerciaux
– services fournis à la fois aux entreprises et aux consommateurs : conseil juridique ou fiscal, agences immobilières, services liés à la construction comme ceux des architectes, distribution, organisation des foires commerciales, location de voitures, agences de voyages
– services aux consommateurs : guides touristiques, services de loisir, centres sportifs, parcs d’attractions, etc.
Services partiellement couverts par la directive :
– services d’intérêt économique général : approvisionnement en eau, en gaz, en électricité (couverts par les dispositions relatives à la liberté d’établissement, mais non par l’article établissant la libre prestation des services de manière temporaire).
Services exclus :
– services d’intérêt général non économique : services sociaux, éducation, soins de santé, etc.
– certains services sociaux : logement social, aide aux personnes en besoin, aide à l’enfance (lorsqu’ils sont assurés par l’état ou des prestataires mandatés par l’état).
1 Communiqué de presse du 23 mai 2004.
2 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, JO L 18 du 21.1.1997.
3 Voir : http://petition.etuc.org/PETITION-POUR-DES-SERVICES-PUBLICS