Le 8 juin prochain, sera signé aux îles Fidji un nouvel accord de partenariat entre l’Union européenne et les 71 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Cet accord, d’une durée de vingt ans, inaugure de nouvelles formes de coopération au développement qui succèdent aux précédents "accords de Lomé" et de Yaoundé. Il prévoit notamment la création progressive de zones de libre-échange entre pays ACP. Le point sur cette question avec André Odeurs.
Mis à part les "spécialistes du développement", la politique de coopération de l’Union européenne ne suscite guère d’intérêt auprès des citoyens européens, Or, à bien des points de vue, il s’agit d’un aspect important, qui accompagne les différents volets de la "politique extérieure" de l’Union. Si on considère l’aspect budgétaire de la politique de coopération, il faut reconnaître qu’il est loin d’être négligeable puisque, bon an mal an, les déboursements, les engagements extérieurs se sont développés de près de 3 milliards d’euros en 1989 à près de 8 milliards en 1999.
Le projet de budget de l’UE pour l’an 2000 s’élèverait à 89.663 millions d’euros auxquels il faudrait ajouter pour la période de cinq ans à partir du 1er mars 2000 13.500 millions d’euros provenant du Fonds européen de développement (FED), ressource supplémentaire non budgétisée, et 1.700 millions d’euros provenant des ressources propres de la Banque européenne d’investissement. Sommairement agrégés, ces montants signifieraient des engagement financiers extérieurs de 11% du total des engagements de l’UE, ce qui en fait l’acteur institutionnel le plus significatif parmi les contributeurs du Comité d’aide au développement (CAD).
Une longue histoire
La politique de coopération de l’Europe institutionnelle a débuté dès 1957 avec les négociations pour la signature du traité de Rome. Dès cette époque, certains des pays membres, en particulier la France, entendaient maintenir avec leurs anciennes colonies devenues récemment indépendantes des relations préférentielles. Le premier volet de cette politique de coopération concerne le groupement des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qui participent et sont associés à une convention avec l’UE. Cette convention a évolué dans sa forme, son contenu et ses participants durant ces 40 années. Le nombre des pays ACP associés à l’UE est passé de 18 lors de la Convention de Yaoundé en 1964 à 71 actuellement (le dernier venu étant l’Afrique du Sud). Ce premier volet de la coopération au développement qui s’est déployé au cours de ces presque 40 ans (caractérisés par l’accroissement du nombre des pays bénéficiaires et des ressources qui y sont consacrées) est certes le plus important mais d’autres secteurs se sont développés et, dès 1975, l’UE a été amenée à élargir sa coopération à l’ensemble du monde.
La politique de coopération s’est développée au cours des différentes conventions de Yaoundé et de Lomé mais les principes et le cadre sont restés semblables. Des changements sont cependant intervenus afin de s’adapter aux transformations et aux conditions nouvelles de l’environnement politique, économique, culturel et social. Mais les changements, parfois même profonds, n’ont pas gommé un certain vieillissement et surtout un manque de souplesse. L’an 2000 approchant et la conclusion de Lomé 4 en février 2000 ont amené la Commission européenne à lancer, en 1997, un programme de réflexion et à susciter un débat entre les pays de l’UE et des ACP afin de préparer les négociations pour un nouveau partenariat. Cette phase a débuté par la soumission d’un "Livre vert sur les relations entre l’UE et les pays ACP à l’aube du XXIe siècle – Défis et options pour un nouveau partenariat" qui a été débattu dans une série de forums nationaux dans les pays membres et ACP. Le débat lancé par la Commission européenne était axé sur des thèmes prédominants : différenciation, privatisation, compétitivité, bonne gestion des affaires publiques, société civile et efficacité. Le débat a été large, peut-être plus approfondi dans les pays membres de l’UE que dans les pays ACP, et il a conduit à la prise en compte des principes majeurs qui guideront la négociation de la nouvelle convention qui constituera une évolution définitive et profonde du modèle de Lomé. Le Livre vert ne veut pas proposer un modèle de développement comme on a parfois interprété les orientations des Accords de Lomé, mais veut privilégier une approche à la fois méthodique et surtout pragmatique. Mais il reste à trouver des réponses, sinon des arbitrages aux grandes questions.
Les instances européennes, et plus particulièrement le Parlement européen, ont également étudié divers sujets susceptibles de préciser la politique de l’UE : l’aide humanitaire de l’UE et le rôle d’ECHO (European Community Humanitarian Office) et les liens entre l’aide d’urgence, la réhabilitation et le développement; mais aussi la complémentarité entre la politique de coopération au développement de l’UE et celle des États membres, la mise en œuvre de l’article 366 bis de la Convention de Lomé concernant la suspension de l’aide au développement en fonction du respect des droits humains et des principes démocratiques, et le suivi des travaux de l’Assemblée paritaire ACP - UE.
C’est ainsi qu’à la suite de plus de deux ans de débats approfondis les négociations se sont conclues le 3 février dernier par un "Lomé nouveau" tenant compte des points de vue de tous les participants. C’est cet accord qui sera signé fin mai. Il s’articule autour de grands axes qui constituent les principes directeurs de la nouvelle Convention :
– reconnaissance de la nécessité de renforcer la dimension politique de la relation UE-ACP afin, d’une part, d’assurer la cohérence des politiques extérieures et, d’autre part, de concentrer le dialogue sur les politiques de consolidation de la paix, de prévention et de résolution des conflits. Reconnaissance aussi de la bonne gestion publique, le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques comme éléments essentiels du partenariat ;
– promotion d’une croissance économique durable centrée sur un objectif de réduction de la pauvreté conformément aux engagements internationaux et aux déclarations et programmes d’action des Nations unies ;
– mise en place et intégration dans un cadre plus favorable au développement du commerce et de l’investissement. Il s’agit de s’engager dans une nouvelle dynamique des échanges commerciaux et d’investissement qui suppose un abandon progressif du système de préférences non réciproques (stabex et sysmin), et la transition vers un régime compatible avec les dispositions de l’OMC. L’évolution de ce régime commercial devra se baser sur un processus d’intégration régionale au sein des zones ACP. Le système actuel pose en effet des problèmes évidents d’efficacité et de cohérence dans la gestion des aides communautaires, sans oublier la complexité des différentes approches "projets" et/ou "programmes". Une évolution vers des appuis directs au budget devra être prévue.
Il est difficile, et ce n’était pas notre objectif, de mesurer de façon impartiale l’efficacité et l’incidence de l’aide de l’UE et des pays membres, mais on peut d’ores et déjà faire un certain nombre de remarques qui constitueront une sorte de "droit d’inventaire" en ce qui concerne les futures actions de l’UE et des pays membres dans le domaine de la politique du développement et de la coopération. Les changements et la qualité du "nouveau partenariat" se mesurent à ses réalisations.
On doit constater qu’à la fin des années 90 on est très loin de l’objectif que l’on s’était fixé il y a bien longtemps déjà : l’APD (Aide publique au développement) devrait atteindre 0,60% du PIB (parmi les 15 pays membres, seuls 3 atteignent ou dépassent ce taux). De plus, on doit constater que pour les 15 dernières années ce taux est allé en diminuant pour 10 pays. Pour l’ensemble des pays du CAD (Comité d’aide au développement de l’OCDE), ce taux était de 0,33% en 1986/87 et il n’était plus que de 0,24% en 1998. On se trouve donc en face d’une érosion, d’une baisse relative généralisée des ressources de la politique d’aide au développement et à la coopération. Même si à ce sujet on doit reconnaître que la part de ces ressources transitant par les institutions de l’UE s’est quelque peu accrue.
Mais le contexte mondial et européen a changé et la politique de l’UE s’est élargie à l’ensemble du monde : le monde méditerranéen du Sud, l’Amérique du Sud, l’Asie avec bien sûr des modalités différentes. Enfin, le thème prédominant de l’élargissement de l’UE a certainement modifié le centre d’intérêt de la politique extérieure de l’UE. L’aide aux pays ACP reste le volet emblématique de la politique de l’UE mais la préoccupation centrale de la politique extérieure devient l’élargissement. Les orientations qui dominent "le nouveau partenariat" font parfois naître le soupçon de la recherche d’un alibi pour un changement de politique, notoirement l’abandon même à terme des régimes préférentiels et des programmes de stabilisation qui ont cependant permis l’amorce de solutions intéressantes pour le développement : accroissement et diversification des productions.
La partie trois de la nouvelle Convention traite des stratégies de la coopération dont un des chapitres retient particulièrement l’attention : la coopération en matière économique et commerciale. Dans ce domaine l’appui de l’UE doit viser à promouvoir l’insertion des pays ACP dans l’économie mondiale : bien évidemment les échanges ne sont pas en eux-mêmes suffisants, mais ils restent vitaux pour le développement. Dès avant Seattle et après l’échec qui y a été constaté, les pays ACP avaient manifesté leurs réticences. Elles subsistent et, dans la poursuite de la négociation, l’UE et l’OMC devront s’employer à accorder une place plus importante aux pays en développement et à se doter de procédures qui favoriseront le consensus, la transparence et l’efficacité. C’est ainsi que les pays ACP ont obtenu un ferme soutien de l’UE au maintien d’une période de transition pour la mise en œuvre et la compatibilité avec les futures nouvelles règles de l’OMC (la nouvelle Convention fait même spécifiquement référence au protocole sucrier). Par contre, les réserves s’avèrent plus déterminées quand la Convention insiste sur le rôle clé de l’intégration régionale. Sans mettre en doute la nécessité d’initiatives d’intégration régionale, ils craignent un affaiblissement dans la position des pays en développement avec une certaine "atomisation" pour la défense et le traitement de conditions spéciales et particulières que requièrent certains pays ou biens.
Depuis les années 80, une part importante de l’aide européenne (jusqu’à 10 à 12%) a été consacrée aux ajustements structurels, et cela en suivant les orientations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Dans de très nombreux pays, des adaptations et corrections des politiques et pratiques économiques s’avèrent indispensables, mais on a parfois l’impression que les ajustements imposés sont trop rapides, les rythmes trop accélérés et qu’ils ignorent les situations économiques, sociales et culturelles des pays. Sans oublier qu’on minimise les effets pervers des ajustements imposés. Dans cet important volet de la contribution des pays donateurs au développement des pays receveurs, il y a un risque certain de simplification dans le dessin des contours de la politique budgétaire et fiscale. Bien sûr, on peut citer quelques (rares) exemples de succès, mais avec des coûts sociaux élevés et souvent insupportables. On peut dès lors regretter que l’UE s’aligne de fait et assez strictement sur les positions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international.
Dans un domaine assez proche des ajustements structurels, celui de la réduction ou de la suppression de la dette extérieure, l’UE, tout en participant au programme global élaboré par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international destiné à réduire les problèmes d’endettement, n’a pas pris d’initiative décisive. La Commission s’est contentée, à partir de principes généreux, mais très généraux, de proposer une aide exceptionnelle en faveur des pays ACP lourdement endettés. Dans ce domaine de la dette, il est vrai que l’UE est assez peu engagée en tant que créancière, mais il est évident qu’elle pourrait jouer un rôle plus dynamique. On ne pourra en effet vraiment amorcer la solution de ce problème qu’à l’aide d’une intervention massive et en abandonnant la politique des petits pas. Il serait également indispensable de combiner la suppression de la dette à la poursuite ou au développement de l’aide financière en vue de l’atteinte des objectifs du CAD plus particulièrement dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’hygiène.
Enfin, l’accent mis durant les négociations sur les conditionnalités démocratiques, déjà officialisées dans la Convention Lomé 4 (mais appliquées avec beaucoup de lenteur et soupçonnées parfois d’être discriminatoires), constitue un domaine critique où il y a encore de nombreuses zones d’ombre. L’objectif de la bonne gouvernance couvre à la fois un domaine plus large et plus complexe. Tout en réaffirmant leur attachement à cet objectif, les pays ACP considèrent que ce concept reste mal défini et qu’il y a des risques de mise en pratique de décisions arbitraires.
André Odeurs