À cause de la crise alimentaire actuelle, ce sont pas moins de 4,5 millions d’Éthiopiens qui souffrent d’une famine aigüe, avec menace directe sur leur santé et leur vie.
- Comment la communauté internationale doit-elle et peut-elle agir face à cette catastrophe ?
- Patrick Van Durme : La communauté internationale réagit avec peu de moyens, et bien trop tard. Le plus frappant est le fait qu’Oxfam International donnait déjà l’alerte il y a près d’un an. Les autorités des pays concernés ont également réagi trop tardivement, mais elles sont en même temps une partie nécessaire de la solution.
La réponse adéquate à un tel problème régional n’est pas uniquement l’aide alimentaire, mais aussi l’aide humanitaire. Celle-ci demande une approche intégrée : il s’agit d’aide sanitaire, d’aide agricole et d’aide sur le plan de l’enseignement. Cette aide humanitaire est nécessaire afin de pouvoir redresser la situation après le pire de la crise. Après l’aide d’urgence, il s’agit de reconstruire le cheptel, de rétablir l’approvisionnement en eau… Ceci doit se faire en collaboration avec la population et les ONG locales.
- La crise actuelle est-elle une conséquence du réchauffement climatique ?
- P.V.D. : Oui, il n’y a pas de doute. Contrairement aux crises alimentaires précédentes, le problème actuel ne touche pas qu’un seul pays, mais va au-delà et affecte toute la région. La Somalie et l’Éthiopie, et de plus en plus aussi le Kenya et Djibouti. Les pluies ne sont pas attendues avant octobre. Ce qui engendre aussi des flots de réfugiés.
- Solidarité Mondiale travaille en Éthiopie en collaboration avec ses organisations partenaires Osra, Hundee et AFD. Quel message envoient-elles?
- P.V.D. : Elles nous disent que la situation est grave et qu’elle le reste. Elles sont impuissantes face à l’échelle et à la gravité de la crise. 50 millions d’agriculteurs éthiopiens vivent dans une économie de survie. Ils ne peuvent produire que ce dont ils ont besoin pour survivre. Solidarité Mondiale est surtout active dans la région du peuple Oromo, autour de la capitale Addis Abeba. Là vivent ces petits agriculteurs, ainsi que des familles qui ne disposent pas du tout de terres agricoles et qui sont donc vulnérables. Le plus grand problème réside dans ces groupes vulnérables. Ils sont sujets aux prix de marché fluctuants, aux sécheresses et aux inondations.
- Que peut-on faire pour diminuer cette dépendance de l’économie et répondre aux catastrophes naturelles ?
- P.V.D. : Solidarité Mondiale vise entre autres à augmenter les revenus des agriculteurs pour qu’ils soient moins vulnérables en temps de pénurie. Nous aidons par exemple à la constitution de coopératives pour constituer des banques céréalières. Les agriculteurs s’assemblent dans ces coopératives et mettent conjointement leurs grains en vente. Grâce à l’offre plus grande, ils acquièrent une meilleure position sur le marché pour négocier les prix et peuvent ainsi gagner plus. La coopérative partage ensuite les bénéfices entre les agriculteurs membres.
Une autre initiative que nous soutenons en Éthiopie est dans le domaine de l’approvisionnement d’eau. Les personnes vivant en dehors des villes ont très peu accès à l’eau potable. Nous aidons les agriculteurs à creuser des puits. Ceux-ci sont également gérés par la population locale. Elle vend l’eau potable à petit prix. Les bénéfices servent aux entretiens et à la protection du puits, à des plantations sur place ou à la construction d’abreuvoirs pour le cheptel.
Beaucoup de petits agriculteurs n’obtiennent pas d’emprunt auprès des grandes banques, c’est pourquoi Solidarité Mondiale apporte aussi son soutien à Busa Gonofaa et Wasasa. Il s’agit de deux institutions de microfinance. Elles octroient des petits prêts (microcrédits) à 60.000 emprunteurs en Éthiopie. Ceux-ci peuvent ainsi prendre des initiatives pour obtenir des revenus propres et durables : démarrer un petit commerce, acheter une chèvre ou une vache pour construire un cheptel, rafraîchir une chambre dans la maison afin de pouvoir la louer… Ce sont souvent des femmes qui prennent, en groupe, l’initiative.
- Les projets de développement ne rendent-ils pas les gens dépendants de l’aide occidentale ?
- P.V.D. : Nous tentons de renforcer la solidarité mutuelle afin que les Oromos soient moins dépendants de l’aide extérieure. Ils peuvent eux-mêmes trouver des solutions en temps de crise via des systèmes de solidarité mutuelle qui existent parfois déjà depuis des siècles au sein de la communauté. Les Oromos ont un système informel de solidarité mutuelle, les Idirs. C’est leur filet de sécurité sociale. Ils cèdent une partie de leurs revenus au système. En cas de besoin, par exemple après un incendie ou un décès, ils peuvent y faire appel.
Nous constatons que les agriculteurs utilisent les revenus supplémentaires issus de ces projets locaux pour répondre aux obligations sociales de leur communauté. Une augmentation du revenu des agriculteurs équivaut donc également à une solidarité mutuelle renforcée.
- Ces systèmes informels résistent-ils en temps de famine ?
- P.V.D. : Un tel système de solidarité est résistant aux risques normaux, individuels. Mais pas à une crise alimentaire collective, quand tout le monde est atteint par la sécheresse. En cas de difficultés, les agriculteurs recourent d’abord à leurs petites économies, puis ils vendent un surplus éventuel de leurs produits, ensuite leur cheptel et finalement l’aide d’urgence devient nécessaire. C’est ce qui se passe en ce moment, entre autres, au sud de l’Éthiopie.
- Des voix critiques se font entendre quant à la destination des dons financiers à l’Afrique de l’Est. Comment être sûrs que l’argent versé arrive vraiment auprès des populations locales ?
- P.V.D.: Nous sommes de plus en plus confrontés à des crises sur le plan international. Pour la plupart des gens qui veulent faire un don, il est difficile de se représenter où va l’argent. « 1212 », le consortium de 5 organisations d’aide humanitaire, souligne clairement que l’argent sert à la collaboration avec des partenaires locaux. Il est pratiquement impossible de ne pas faire de don, quand on peut se le permettre, bien entendu. L’aide humanitaire est absolument nécessaire actuellement en Afrique de l’Est, personne ne peut y rester insensible.
Les causes multiples de la crise – par Olivier LambertLa crise alimentaire, qui à ce stade n’est qualifiée de « famine » qu’en Somalie, menace pourtant de mort 12 millions de personnes dans cinq pays de la Corne de l’Afrique: la Somalie, le Kenya, l’Éthiopie, l’Ouganda et Djibouti. On s’accorde à considérer que des facteurs consécutifs au réchauffement climatique sont à l’origine de cette crise: les deux dernières saisons des pluies se sont caractérisées par des précipitations nettement inférieures à la normale et les nappes phréatiques n’ont pas été suffisamment réalimentées. Mais le climat n’explique pas tout, loin de là... Sur le plan international, la spéculation sur les produits alimentaires entraîne une double conséquence. D’une part, la production agricole des pays africains est de plus en plus orientée vers l’exportation. D’autre part, les denrées toujours plus massivement importées pour la consommation locale sont de plus en plus chères... la spirale. Sur le plan régional, les leçons n’ont pas été tirées de la crise alimentaire de 2008. Les pays de l’Union africaine s’étaient certes engagés à augmenter la part de leur budget consacré à l’agriculture (pour atteindre 10%) et à encourager une culture vivrière pour diminuer la dépendance aux produits d’importation. Force est de constater que peu de pays ont respecté leurs engagements. Plus localement, la Somalie, désormais contrôlée par des milices islamistes proches d’Al-Qaïda, est en proie à de violents combats depuis les années ‘90. L’insécurité affecte la circulation des marchandises comme l’acheminement de l’aide humanitaire, souvent détournée. Elle pousse aussi sur les routes des milliers de personnes menacées par la faim et par les exactions. On estime à près de 1,4 million de Somaliens déplacés à l’intérieur du pays et 680.000 autres qui ont cherché refuge dans les pays voisins. A titre d’exemple, le camp de Dadaab, au Kenya, accueille désormais plus de 400.000 réfugiés. Il n’était prévu que pour en recevoir 90.000 ! À causes multiples, responsabilités multiples ? Certes. Mais la communauté internationale en porte une lourde part. Elle pourrait intervenir à bien des niveaux, sans même parler de lutte contre le réchauffement climatique. En matière d’aide urgente, bien entendu. Par une régulation de la spéculation sur les denrées alimentaires, aussi. Et dans la résolution du conflit somalien. Mais, contrairement à d’autres, cette région du continent africain est dépourvue de pétrole ou d’autres richesses naturelles qui (seules?) pourraient motiver un réel sursaut... humanitaire. |