Pas facile de s’y retrouver dans l’imbroglio de l’insertion socioprofessionnelle. Nombre d’observateurs et parfois même d’opérateurs sont déboussolés par la multiciplicité des intervenants. Nous n’en pointerons ici qu’un seul, l’EFT, l’Entreprise de formation par le travail. Elle ne couvre pas, loin de là, l’intégralité des situations mais est exemplative des évolutions de la politique d’insertion socioprofessionnelle en Communauté française.


Les EFT ont une histoire. Elle est étroitement liée à la situation sociale de notre pays depuis les années 80. La crise économique s’installait, le chômage conjoncturel devenait plus structurel. Le fait social qui a probablement motivé la recherche de pratiques sociales nouvelles réside dans la montée progressive du chômage de longue durée et, chez les jeunes, le non-emploi croissant des moins de 25 ans. Bien qu’il y ait eu des précurseurs (Emmaüs, Terre,…), le gros du peloton s’est constitué à partir de 1981. Il trouve son origine dans trois orientations majeures relevées dans une étude publiée par la Fondation Roi Baudouin1.
“D’une part, il y a dix ou quinze ans, se posait dans le secteur ‘hébergement’ de la Protection de la Jeunesse le problème de ‘l’occupation” et de l’ ‘orientation professionnelle’ de ses publics. Ces derniers ne trouvaient ni dans l’école ni dans l’entreprise une formation ou un emploi adéquats. Spontanément sont alors nés périphériquement à ces projets, des pôles de “formation travail”. Peu à peu, ces structures sont devenues autonomes.
D’autre part, il existe un autre courant, moins “institutionnel” issu d’initiatives “privées de type associatif” qui, partant, de la nécessité d’insérer certains jeunes déstabilisés par des échecs successifs, ont créé des actions d’insertion spécifiques. C’est notamment, l’action qu’a menée, Roger Vanthournout prêtre ouvrier, véritable symbole de ce courant.
Enfin, dans les milieux de l’éducation permanente liés au mouvement ouvrier chrétien, naît un troisième courant (les actions intégrées de développement, les AID). C’était une réponse aux problèmes des jeunes issus des milieux populaires dans les années 80.”1
Avec le temps, les initiatives associatives ont acquis une bonne légitimité. Il s’en est suivi une législation (régionale) spécifique. Il y a aujourd’hui, tant en Région wallonne qu’en Région bruxelloise, un décret qui chapeaute l’ensemble des formations associatives d’insertion. Sous ce chapeau général (“ASBL d’insertion”), on distingue les initiatives qui utilisent l’activité productive commercialisée comme outil pédagogique2: ce sont les entreprises de formation par le travail (EFT) en Wallonie, et les ateliers de formation par le travail (AFT) à Bruxelles. Ces initiatives font l’objet d’une législation spécifique qui permet de garantir le statut des stagiaires en production ainsi que d’éviter les risques de concurrence déloyale. L’ensemble des autres initiatives associatives (alphabétisation, mises à niveau, formation de personnes incarcérées, téléformation, etc.) est labellisée “organismes d’insertion socioprofessionnelle” (OISP).

L’organisation du secteur
Très vite, ces EFT-AFT ont ressenti le besoin de se structurer, d’échanger. Elles se sont regroupées en cinq fédérations3 où chacune peut conserver ses options philosophiques, pédagogiques et économiques. Elles se sont données un organe commun de concertation et d’action: une interfédération qui a été élargie par la suite aux OISP et à “Lire et Écrire Wallonie”. Dans ses attributions: la coordination politique, la diffusion d’un outil d’information et l’organisation des formations de formateurs.
Mais les EFT aujourd’hui ne travaillent pas en vase clos. Elles développent des collaborations avec les entreprises, les Comités subrégionaux pour l’Emploi et la Formation, les Centres publics d’aide sociale, les missions locales, l’enseignement de promotion sociale, le CEFA, les missions régionales et bien sûr le Forem (ou l’Orbem pour Bruxelles).
Le secteur de l’insertion socioprofessionnelle est un secteur en pleine croissance mais une croissance très anarchique. Il n’est pas rare que certaines formations fassent “doublon” d’où la nécessité de partenariats, de construction de réseaux entre les différents opérateurs d’insertion. Le partenariat évoqué doit avoir pour objectif de faire progresser les stagiaires vers l’emploi et d’éviter de les faire “tourner en rond” dans la formation. Cet aspect s’est vu intégré comme l’un des axes prioritaires du Parcours d’insertion (cf. encadré) développé par la Région wallonne, mais cette mise en place de lieux de concertation ne va pas sans mal…

Statut des stagiaires
Dans la ligne de mire: l’ONEM. Parmi ses aberrations, l’invention de critères d’accès aux formations qui sont en contradiction avec les critères décidés par les instances qui gèrent légalement la compétence en matière de formation professionnelle pour les Wallons et les Bruxellois francophones: la Région wallonne, d’une part, la COCOF d’autre part. Quand le chômeur décide de suivre une formation, il n’est pas rare qu’il soit victime d’une série de désagréments qu’il n’aurait pas subis s’il n’avait eu aucune initiative. Ainsi, par exemple; s’il a le malheur de s’inscrire dans les dix derniers jours d’un mois, il verra son paiement d’allocation de chômage en cours reporté de quinze jours à un mois plus tard que la normale.
Dans un souci d’objectivité, il est à noter que, tout récemment (arrêté royal du 10 janvier 1999), à l’initiative de Miet Smet, un chômeur peut désormais être inscrit pendant un maximum de dix-huit mois dans une EFT (antérieurement neuf mois) et obtenir plusieurs fois la dispense de pointage (par exemple à cause d’une réinscription après abandon, ou après passage temporaire par une autre EFT), à condition que la durée totale en EFT ne dépasse pas les dix-huit mois (antérieurement une et une seule inscription possible). Et à l’initiative de la Sénatrice Andrée Delcourt, cette fois, le système de couverture sociale spécifique aux EFT n’est plus uniquement pour les non-chômeurs indemnisés mais est désormais étendu aux chômeurs indemnisés.
Mais si certaines améliorations ont été apportées, ils subsistent encore de gros problèmes au niveau des rémunérations. Ainsi un stagiaire non-demandeur d’emploi recevra entre 40 et 200FB/l’heure. Un chômeur ne recevra qu’une indemnité de 40FB bruts/heure, bien sûr ajoutée à son allocation mais le montant de cette dernière est parfois minime. La rétribution étant aussi un élément de motivation pour le stagiaire, il est regrettable qu’elle soit liée à son statut et non à une production, à une reconnaissance d’une progression. L’effort de formation des stagiaires n’est pas non plus reconnu par une certification. Le “non droit” actuel met en péril les possibilités réelles pour les stagiaires de poursuivre une formation qualifiante, tel que le Parcours d’insertion le prévoit.

Statut du personnel

Une partie très importante du personnel dans les centres de formation relève d’un des statuts des Programmes de Résorption du Chômage (PRIME, ACS, TCT, FBI). Depuis vingt ans, de nombreuses modifications sont intervenues, qui contribuent à rendre le système opaque aux non-initiés, et qui ont comme particularité de ne pas répondre à la question soulevée par l’Interfédération des EFT et OISP dans un memorandum récent4: “Pourquoi, alors qu’il est désormais avéré que ces emplois permettent de rencontrer des besoins sociaux non couverts autrement, n’est-il pas possible de transformer la subvention publique à l’emploi en une aide structurelle plutôt que ce bric-à-brac de statuts insécurisants?”. Une raison institutionnelle préside à cet état de fait: les Régions décident de l’octroi des postes, mais leur financement est partiellement assumé par l’État fédéral. Bouger aux PRC nécessite donc un accord de coopération difficile à trouver entre le fédéral et les régions. Il n’empêche: sur une série d’autres domaines, un tel accord a pu être dégagé. Pourquoi ne pas se mettre autour de la table?
Ceci dit des avancées objectives ont pu être entregistrées, au fil du temps, les PRC se sont élargis des chômeurs indemnisés à l’ensemble des demandeurs d’emploi (minimexés, aide sociale financière). En Région wallonne, une grosse avancée s’est produite début 1999: une série de décrets ont permis d’uniformiser les conditions d’accès à l’ensemble des PRC. Ils permettent notamment des passages d’emplois de statut à statut sans jour de chômage.

"Charmes" Institutionnels...
Si ces dernières années, des efforts importants ont été faits quant à l’objectivation des conditions d’agrément des EFT/AFT, il reste des anomalies dans la répartition des subventions entre les opérateurs. Le poids de l’administration du système pèse extrêmement lourdement sur les associations: les dossiers se suivent, chacun avec ses exigences spécifiques, et parfois en contradiction avec ce qui est demandé par une autre administration. Dans les deux Régions, on évoque, pour soulager les procédures, l’hypothèse d’un dossier “unique”, c’est-à-dire un dossier qui pourrait à lui seul répondre aux exigences de toutes les administrations. Hors l’évocation, rien n’a bougé. La cohérence du dispositif d'insertion socioprofessionnelle souffre également des "charmes" de la complexité institutionnelle belge. Ainsi, la formation professionnelle est-elle de la compétence de la Communauté française. Mais, depuis le ler janvier 1994, celle-ci en a délégué l'exercice d'une part à la Région wallonne, d'autre part à la Commission communautaire française (Cocof) de la Région de Bruxelles-Capitale.
Depuis lors, même s'il reste une base conceptuelle commune, et une série de choses qui continuent à dépendre de l'État fédéral (essentiellement les questions liées au statut des stagiaires) et de la Communauté française (principalement la validation des compétences acquises par les stagiaires), des politiques partiellement différentes se développent en Wallonie et à Bruxelles.
À l'heure de la mobilité des travailleurs à l'échelle européenne, la Belgique, en l'occurrence ses Régions, n'offre à ses chômeurs que l'autorisation d'accès aux emplois de résorption du chômage (PRIME,ACS, TCT, ... ) de sa Région, ou alors il faut déménager. Il arrive que, pour accéder à un emploi, des chômeurs se domicilient fictivement dans une autre Région. Une situation malheureusement plus scandaleuse que ridicule…
Si l'on veut, on peut encore continuer longtemps la liste des incohérences à résoudre et des "peut mieux faire" adressés à la classe politique, il faut pourtant rendre à César ce qui est à César et reconnaître qu'à la lecture des différents bilans, la législature écoulée a été créative et a permis d'avancer significativement sur plusieurs dossiers, Mais ce n'est pas une raison pour s'endormir et ronronner dans son panier, il reste du pain sur la planche, autant le faire savoir...

 

  1. Entre exclusion et intégration. L’intervalle formateur. Étude des entreprises de formation par le travail, Fondation Roi Baudouin, octobre 1996.
  2. Les jeunes travaillent sur de vrais chantiers et sont encadrés par des moniteurs professionnels du métier (+/- pour 2 à 3 stagiaires) qui sont garants de la qualité pour le client.
  3. AID, ALEAP, CAIPS, FIAS-FISSAAJ
  4. Mémorandum 1999 des associations de formation-insertion en Wallonie et à Bruxelles, conjoint à l’Interfédération EFT-OISP Wallonie-Bruxelles et la Fédération bruxelloise de l’Insertion socioprofessionnelle francophone.


EFT, mode d’emploi

En Communauté française, les EFT ont pour objet la formation et l’insertion socio-professionnelle de jeunes sans emploi, de faible niveau de formation initiale et exclus des circuits traditionnels de la formation professionnelle. La formation en EFT est articulée sur un travail réel et rétribué, sur le mode du compagnonnage, qui peut avoir lieu dans l’EFT elle-même ou dans une entreprise extérieure. La formation pratique est assortie d’une formation théorique (notamment connaissances de base en français, mathématiques et éléments techniques relatifs au métier choisi), d’un accompagnement social et d’une aide à la recherche d’emploi au terme de la formation. La durée de celle-ci ne peut dépasser dix-huit mois et est en moyenne de six mois. L’activité d’EFT donne souvent lieu à la production, généralement commercialisée, de biens et/ou de services. Elles sont actives dans les secteurs du bâtiment, de la couture, de l’Horeca, les parcs et jardins…
Globalement, les EFT touchent environ 10% des personnes à qui elles se destinent (1). Au 28 février 1999, 63 EFT étaient reconnues par la commission d’agrément (y compris les autorisations de fonctionnement provisoire). En Communauté germanophone, il existe cinq organismes similaires et une cinquantaine en Flandre, appelés leerwerkbedrijven. Ces structures ne bénéficient pas encore de cadre légal spécifique. Elles doivent leur survie à l’autofinancement, aux dons et aux subsides indirects.

(1) Benoît Drèze, Tous au chômage? Pour en découdre avec l’exclusion sociale, Éd. Luc Pire, Bruxelles, 1995.


Le Parcours d’insertion…

En sa séance du 6 février 1997, le Gouvernement wallon a approuvé le dispositif du Parcours d’insertion. Ce dispositif répond à la fois à un besoin d’intégrer et de coordonner les multiples actions de formation et d’insertion destinées aux personnes à la recherche d’un emploi et à l’introduction par la Commission européenne de la notion de “Parcours d’insertion” dans les conditions d’éligibilité des projets au Fonds social européen. Il vise également à améliorer la qualité des services offerts aux demandeurs d’emploi, à assurer une plus grande clarté pour les utilisateurs et à les impliquer davantage dans la conception et la gestion de leur parcours.

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