Une démocratie sans les femmes est-elle une démocratie?", Telle est la question que l'on peut se poser lorsque l'on constate que, 50 ans après leur accès aux urnes, les femmes n'occupent pas plus de 155K des fonctions politiques. Deux courants d'idées s'opposent aujourd'hui pour dénoncer cette sous-représentation des femmes dans de nombreuses sphères du pouvoir: les "paritaristes" d'une part, et les " égalitaristes" d'autre part.

 

Ainsi, sur la scène politique, le débat sur l'égalité entre les sexes a pris une nouvelle tournure: s'il n'y a plus de problème d'inégalité entre les femmes et les hommes quant à l'exercice du droit de vote, les femmes restent les parents pauvres de l'éligibilité. C'est dans ce contexte que de nombreuses féministes veulent repenser l'égalité en termes de parité car la représentation politique n'est pas neutre, elle est l'expression des valeurs de force de notre société. Sous-représentation des femmes qui, par ailleurs, est loin d'être inéluctable, comme en témoignent les résultats impressionnants dans les pays nordiques... En Suède, par exemple, les femmes forment, depuis septembre 1994, 40% du Parlement, la moitié du gouvernement et 48% des élus dans les assemblées régionales.

PARITARISTES
Les paritaristes se fondent généralement sur le constat philosophique suivant: "L'humanité a deux genres, deux sexes dotés de spécificités, de sorte qu'il y a dualité de l'espèce humaine. La parité ne s'inscrit pas dans une optique d'assimilation d'un sexe à un autre, du sexe féminin au sexe masculin. Elle reconnaît la double nature du genre humain, l'une féminine, l'autre masculine. Les femmes ne sont pas tout simplement le revers des hommes. Elles sont l'une des deux composantes de l'humanité. " (1) La parité reconnaît cette dualité du genre humain et fait le pari d'inscrire cette réalité dans la société entière: sphère sociale, économique, culturelle, politique, etc. La traduction de la parité étant, dans la sphère politique, le partage équilibré entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la participation aux mécanismes de décision (autant de femmes que d'hommes).

Les arguments avancés en faveur de la parité varient chez les féministes. Ainsi, les paritaristes sont divisés en deux tendances: les points de vue divergeant quant aux fondements naturalistes ou sociaux de la différenciation sexuelle. Selon la vision i(essentialiste)~ ou "différentialiste", il y aurait une "parité naturelle", biologique de l'espèce. Et seule la reconnaissance de la différence des sexes pourrait fonder l'égalité entre hommes et femmes.

Ceux et celles qui se démarquent de la position essentialiste insistent sur la construction sociale et historique de la différence de se xe. Ce sont les héritages historiques et culturels, l'éducation, qui sont responsables de la construction d'une différence et de l'enfermement des femmes dans une spécificité qui leur serait propre. Ces pseudo-spécificités féminines doWent être i(déconstruites), car elles sont le produit de la domination masculine dans l'histoire. En concevant l'universel comme dual, la parité met fin à l'antagonisme entre similitude et différence puisqu'elle englobe ces deux caractéristiques. Le concept d'égalité devient alors le suivant: "L'égalité n'impliquepas le réjet de la différence sexuelle, mais sa totale acceptation débouchant sur le droit à la parité".(2) En d'autres termes, la parité donne du sens à l'égalité, principe fondamental de la démocratie.

ÉGALITARISTES
Sur le plan philosophique, les égalitaristes prônent l'unicité de la personne humaine au-delà des catégories composant l'humanité, telles que la religion, le sexe, la nationalité. Car ces catégories sont secondaires par rapport à l'individu. Pour elles, l'égalité a une portée universelle. Elles refusent le concept de "citoyenneté sexuée" car la citoyenneté est une et indivisible.

Les égalitaristes n'ignorent pas les discriminations. Mais elles refusent de mener la bataille pour l'égalité sur le terrain juridique. Car si l'égalité n'est pas réelle dans les faits, il leur importe, sur le plan juridique, de préserver le fait que la loi n'est pas discriminatoire. C'est pourquoi elles défendent les valeurs d'universalité, d'égalité et de l'indifférenciation en droit, telles qu'énoncées dans la Constitution belge ou la Déclaration universelle des droits de l'homme, où l'individu est "asexué". Par contre, les égalitaristes prônent la mobilisation des énergies sur le terrain, puisque c'est à ce niveau que l'égalité entre hommes et femmes n'évolue pas. Il convient alors d'utiliser l'arsenal juridique national et international existant, afin que les lois ne restent plus lettre morte...

DIFIFÉRENDS SUR L'ÉGALITÉ

Parité. solution à la démocratie inachevée?
Dans la sphère politique notamment, les paritaristes défendent la parité pour, d'une part, dénoncer, l'exclusion politique des femmes, et d'autre part, légitimer l'inclusion politique de celles-ci. La revendication de la parité aurait dès lors le mérite de donner corps à une démocratie qui se veut représentative et participative.

Par contre, pour refuser la parité, certains soulignent que celle-ci serait contraire à la Constitution car contraire à l'égalité et à la souveraineté de l'électeur. Le droit démocratique de tout citoyen de choisir un candidat en fonction de ses compétences, indépendamment de tout autre critère, serait érodé. Ainsi, la traduction juridique d'une citoyenneté sexuée, par le biais de la revendication d'une démocratie paritaire, consacrerait une régression en matière de démocratie.

Parité. menace des valeurs d'égalité et d'universalisme?
En ce que la parité consacre la prééminence du genre sur la notion d'individu, ses détracteurs estiment qu'elle porte atteinte aux valeurs d'égalité et d'universalité des individus, telles que défendues dans notre régime démocratique. Les paritaristes s'en défendent et estiment que la démocratie est prise au piège de l'universalisme. En effet, l'individu, conçu dans une optique universaliste, asexué et neutre en théorie, est bel et bien sexué et masculin en pratique. Dès lors, l'universalisme, tel qu'inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, perd de sa "consistance", puisqu'il s'agit, en pratique, d'un faux universalisme excluant les femmes de la citoyenneté. Pour les paritaristes, c'est la dualité sexuelle du genre humain qui a un caractère universel.

Parité. "communautarisation" de la vie politique?
Il n'est pas rare d'entendre que si l'accès des femmes aux instances de pouvoir n'entraîne pas une prise en charge accentuée des intérêts de celles-ci, la revendication perd de son intérêt pour le s électrices. De même, si la parité se justifie pour dénoncer l'exclusion des femmes de la démocratie, certains signalent qu'elles ne sont pas les seules exclues des sphères de pouvoir. Le rééquilibrage devrait donc se faire au bénéfice de toutes les minorités exclues de la démocratie représentative: chômeurs, handicapés, immigrés... Dans la sphère politique, le danger serait alors d'en arriver à une dérive communautariste ou corporatiste où les élus de la nation ne représentent plus l'intérêt général mais l'intérêt particulier: il ne s'agirait plus de participer en tant que libre individu à la vie politique mais d'y être représenté en tant que femme ou en tant qu'homme (3). Dans ce cas de figure, la parité menacerait les valeurs d'universalité et d'égalité. Or, c'est oublier que la division sexuelle traverse tous les groupes sociaux. Les femmes ne peuvent donc pas être considérées comme une minorité mais comme une majorité minorisée dans les lieux de pouvoir. De plus, les femmes ne représentent pas que les femmes: elles représentent, au même titre que les hommes, l'ensemble des citoyens et citoyennes!
De même, la question n'est pas de savoir si les femmes vont améliorer ou non la politique. En effet, les femmes ne sont pas plus démocrates par nature que les hommes. En outre, présumer que les femmes assumeraient différemment le pouvoir que les hommes n'est pas sans risque. Si les femmes sont "naturellement" différentes des hommes, il devient dès lors "naturel" de leur léguer, dans l'espace publie, des postes dans lesquels elles peuvent exercer les savoir-faire acquis dans l'espace privé. La parité ne peut donc pas être défendue selon le principe que les femmes changeraient les moeurs politiques. Elle est alors simplement une question d'équité.

Comment traduire concrètement la parité?
Si l'on revendique la parité en arguant du fait que les femmes sont la moitié de la planète, il faut tenir la position "numérique" 50-50%. Ou plus concrètement autant de femmes que d'hommes dans les lieux de pouvoir, autant d'hommes que de femmes dans les sphères "féminisées" (institutrices, infirmières, assistantes sociales). Mais la parité relève d'une logique tout à fait différente de celle des quotas. Pour " remédier " à la sous représentation des femmes dans la sphère politique, la loi sur les quotas a été votée, en Belgique, en mars 1994. Pour les élections de 1999, une liste de candidats ne pourra comporter que deux tiers de candidats d'un même sexe: il s'agit de la règle " 1/32/3". Mais pour les élections communales et provinciales d'octobre 1994, une mesure transitoire avait été prévue, stipulant que maximum trois quarts des candidats de la liste pouvaient être du même sexe. C'est-à-dire qu'une représentation d'un minimum de 25% de femmes devait être assurée.

Les quotas sont une discrimination positive visant à rattraper le décalage entre les hommes et les femmes quant à l'occupation de l'espace politique. Le système des quotas a pour enjeu, en ce qui concerne l'égalité, l'acceptation ou le rejet de la discrimination positive: de l'égalité devant la loi, la notion d'égalité a évolué vers l'égalité des résultats. "Mais au cœur de cette logique est l'idée que les femmes doivent rattraper les hommes. Les discriminations positives peuvent être identifiées comme instrument de rattrapage, qui implicitement vise à l'assimilation des femmes aux hommes. " (4)

La parité s'oppose à la logique des quotas parce que les femmes ne peuvent être perçues comme une catégorie pour laquelle il convient de mener des politiques spécifiques. En accordant un pourcentage minimal de représentation des femmes sur les listes électorales, la politique de quotas induit à considérer les femmes comme une minorité à protéger, comme un groupe cible vulnérable et non comme une partie autonome, distincte et universelle de l'humanité. La parité permet de contourner l'idée de "quotas", qui fait des femmes une "catégorie", un "groupe vulnérable", un groupe " cible " ou un "groupe d'intérêt". Car en renvoyant à une différence de "genre", à une dualité du genre humain dans l'égalité, elles ne revendiquent ni protection ni bénéfice. Plutôt que de mener une politique de quotas envers les femmes, il faut au contraire, revoir l'organisation de la vie en société, la division sexuelle des sphères publique, privée, économique et sociale qui induisent les mécanismes de leur ségrégation.

La concrétisation de ces mesures pourra-t-elle avoir lieu en faisant l'économie d'une politique de quotas? Ou celle-ci restera-t-elle indispensable, pour autant qu'elle soit accompagnée d'autres mesures? Le débat est loin d'être clos. Les moyens pour instaurer l'égalité entre les sexes peuvent ne pas encore faire l'objet d'un consensus. Mais que le monde politique, à l'aube du XXie siècle, constitue un des derniers bastions masculins, où s'exerce le machisme à l'encontre des femmes, est inacceptable. Que l'on soit en faveur ou en désaccord avec les thèses paritaristes, il semble indéniable qu'elles posent les jalons d'une démocratie où s'opère l'égalité entre les sexes. À plus forte raison que l'histoire est là pour nous démontrer que les hommes ne vont pas spontanément abandonner leurs privilèges.

Inès Trépant
Vie féminine - Service d'études

li>Eliane Vogel-PoIsky, ,,Eégalité à travers la parité", in La Revue nouvelle, tome C, décembre 1994.

  1. Ibidem.

  2. Rose-Marie Lagrave, L'exercice de la citoyenneté pour les femmes: parité ou égalité, Actes de la recherche en sciences sociales, décembre 1997.

  3. Eliane Vogel-Polsky, "Uégalité à travers la parité", dans la Revue nouvelle, tome C, décembre 1994, p. 44.

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