Divers acteurs sociaux et politiques ont plaidé ces dernières semaines pour réduire de 21 à 6 % la TVA sur le gaz et l’électricité. Heureux hasard, mais ici je ne crois pas au hasard, la CREG (Commission de régulation du gaz et de l’électricité) a rendu publique en janvier 2008 une étude qui donne à penser que ce serait une bonne idée.
Pourquoi est-ce une fausse bonne idée ? Les arguments ne manquent pas. La TVA est un impôt régressif, c’est-à-dire que, toutes proportions gardées, les riches paient moins de TVA que les petits revenus. C’est vrai, mais alors pourquoi évoquer ce problème seulement pour les seuls produits énergétiques ? Et puis, de toute manière, la TVA reste régressive même si le taux est réduit !
L’électricité et le gaz sont des produits de première nécessité. C’est à la fois vrai (par exemple, l’éclairage de la cuisine) et faux (par exemple, le chauffage d’une véranda en hiver). Des usages de l’électricité et du gaz relèvent effectivement de consommations essentielles, tout comme une partie importante de la consommation de carburants routiers est expliquée par des déplacements professionnels pour lesquels il n’existe pas – à court terme en tout cas – d’alternative à la voiture. Alors, pourquoi ne pas baisser aussi la TVA sur les carburants routiers ?
Cette mesure pose aussi une question de cohérence par rapport au Fonds Mazout. Il y a ici une double incohérence. Premièrement : le Fonds Mazout, même dans sa nouvelle version, est limité aux ménages en bas de l’échelle des revenus (environ, à mon estime, 20 % des ménages sont désormais concernés). Pourquoi alors faudrait-il – pour le gaz et l’électricité – baisser la facture de tous les consommateurs, même des plus aisés ? Par ailleurs, le Fonds Mazout a été mis sur pied parce que les utilisateurs de mazout étaient défavorisés par rapport aux utilisateurs d’autres modes de chauffage. Si l’on baisse le prix du gaz et de l’électricité, l’écart entre les ménages utilisateurs de mazout et les autres se creuse à nouveau. Rappelons à cet égard les évolutions des prix des principaux produits énergétiques depuis 2004 (voir graphique ci-dessous).
– pour les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles, la baisse de la TVA sur l’électricité représenterait environ 70 euros par an, ou 6 euros par mois ;
– la réduction dont bénéficierait le 10e décile serait environ le double de celle accordée aux petits revenus.
Tenant compte du nombre de ménages privés, le coût de cette mesure serait d’environ 445 millions d’euros par an.
On manque de données pour construire un tableau semblable pour les consommations de gaz. Mais on peut penser que le rapport entre les riches et les pauvres est ici aussi d’environ 1 à 2. On peut estimer que la baisse des recettes serait d’environ 345 millions si la TVA sur le gaz devait passer de 21 à 6 %. Pour les ménages à petits revenus, on peut estimer que la baisse de la facture serait d’environ 10 euros par mois.
Au total, baisser la TVA sur les consommations de gaz et d’électricité des ménages privés coûterait, à comportements inchangés, environ 800 millions d’euros au Trésor. Mais il s’agit d’un minimum. Car il faut en effet tenir compte des consommations des écoles, collectivités (telles que les maisons de repos), locaux associatifs, bâtiments publics, etc. dépendant de personnes morales non assujetties à la TVA. Au total, une diminution de recettes d’environ 1 milliard d’euros paraît une estimation raisonnable.
– garder une cohérence globale en matière de ménages visés par des mesures de soutien du pouvoir d’achat ;
– ne pas aider tous les ménages : au vu des contraintes budgétaires, il faut en effet limiter le nombre de ménages aidés.
La proposition qui me semble plus équitable et moins gaspilleuse de moyens collectifs rares est d’augmenter d’un montant forfaitaire les revenus des personnes ayant le plus souffert des récentes pertes de pouvoir d’achat. Augmenter, par exemple (j’insiste bien sur le fait qu’il s’agit d’un exemple, d’autres pistes étant possibles), de 250 euros par an les revenus des 20 % des ménages les moins aisés – soit plus que ce que leur rapporterait la baisse de la TVA – coûterait au budget de l’État fédéral environ 225 millions par an, soit à peine le quart de ce que coûterait une baisse de la TVA de 21 à 6 %.
Cette proposition pourrait être mise en œuvre en appliquant la loi sur la liaison au bien-être et en augmentant quelque peu le salaire minimum garanti. Certes, d’autres scénarios plus « généreux » sont possibles. Par exemple, accorder plus que 250 euros par an et/ou étendre le nombre de ménages bénéficiaires. Mais il faudrait déjà viser haut pour qu’une telle mesure coûte plus que la baisse du taux de TVA sur les produits énergétiques.
Ceci dit, les gouvernements régionaux disposent d’une autre possibilité, combinable avec des mesures nationales, mais sans devoir les attendre : instaurer une tarification progressive des prix de l’électricité. Une formule simple serait ici de diminuer d’un montant forfaitaire – donc identique pour tous les consommateurs, éventuellement modulé en fonction de la taille du ménage – les factures, à charge pour les fournisseurs de répercuter le coût de ces réductions sur le coût moyen du kWh. Par exemple : une réduction moyenne de 100 euros par ménage et par an représenterait l’équivalent d’environ 500 kWh fournis gratuitement. Des règles devraient être instaurées, et effectivement appliquées, pour que les fournisseurs ne contournent pas cette logique à la fois redistributive (le coût du kWh des petits consommateurs s’en trouve allégé), et environnementale (le kWh marginal est rendu plus cher). Qu’attend-on pour déjà mettre en œuvre cette réforme simple, lisible, pertinente ?
(*) Philippe Defeyt est économiste, Président du CPAS de Namur – janvier 2008.
Pourquoi est-ce une fausse bonne idée ? Les arguments ne manquent pas. La TVA est un impôt régressif, c’est-à-dire que, toutes proportions gardées, les riches paient moins de TVA que les petits revenus. C’est vrai, mais alors pourquoi évoquer ce problème seulement pour les seuls produits énergétiques ? Et puis, de toute manière, la TVA reste régressive même si le taux est réduit !
L’électricité et le gaz sont des produits de première nécessité. C’est à la fois vrai (par exemple, l’éclairage de la cuisine) et faux (par exemple, le chauffage d’une véranda en hiver). Des usages de l’électricité et du gaz relèvent effectivement de consommations essentielles, tout comme une partie importante de la consommation de carburants routiers est expliquée par des déplacements professionnels pour lesquels il n’existe pas – à court terme en tout cas – d’alternative à la voiture. Alors, pourquoi ne pas baisser aussi la TVA sur les carburants routiers ?
Cette mesure pose aussi une question de cohérence par rapport au Fonds Mazout. Il y a ici une double incohérence. Premièrement : le Fonds Mazout, même dans sa nouvelle version, est limité aux ménages en bas de l’échelle des revenus (environ, à mon estime, 20 % des ménages sont désormais concernés). Pourquoi alors faudrait-il – pour le gaz et l’électricité – baisser la facture de tous les consommateurs, même des plus aisés ? Par ailleurs, le Fonds Mazout a été mis sur pied parce que les utilisateurs de mazout étaient défavorisés par rapport aux utilisateurs d’autres modes de chauffage. Si l’on baisse le prix du gaz et de l’électricité, l’écart entre les ménages utilisateurs de mazout et les autres se creuse à nouveau. Rappelons à cet égard les évolutions des prix des principaux produits énergétiques depuis 2004 (voir graphique ci-dessous).
Coûts
Mais la principale critique de cette proposition se trouve ailleurs. Commençons par donner – voir tableau ci-contre – une estimation des factures électriques en 2008 par niveau de revenus. Les ménages sont regroupés en 10 catégories, le premier décile étant constitué des 10 % des ménages les plus pauvres, le 10e décile des 10 % des ménages les plus riches. Deux observations :– pour les 20 % des ménages aux revenus les plus faibles, la baisse de la TVA sur l’électricité représenterait environ 70 euros par an, ou 6 euros par mois ;
– la réduction dont bénéficierait le 10e décile serait environ le double de celle accordée aux petits revenus.
Tenant compte du nombre de ménages privés, le coût de cette mesure serait d’environ 445 millions d’euros par an.
On manque de données pour construire un tableau semblable pour les consommations de gaz. Mais on peut penser que le rapport entre les riches et les pauvres est ici aussi d’environ 1 à 2. On peut estimer que la baisse des recettes serait d’environ 345 millions si la TVA sur le gaz devait passer de 21 à 6 %. Pour les ménages à petits revenus, on peut estimer que la baisse de la facture serait d’environ 10 euros par mois.
Au total, baisser la TVA sur les consommations de gaz et d’électricité des ménages privés coûterait, à comportements inchangés, environ 800 millions d’euros au Trésor. Mais il s’agit d’un minimum. Car il faut en effet tenir compte des consommations des écoles, collectivités (telles que les maisons de repos), locaux associatifs, bâtiments publics, etc. dépendant de personnes morales non assujetties à la TVA. Au total, une diminution de recettes d’environ 1 milliard d’euros paraît une estimation raisonnable.
Deux objectifs
Devant l’ampleur des pertes de pouvoir d’achat subies par les ménages à petits revenus, la hausse des produits énergétiques n’étant qu’un élément du problème, n’y a-t-il pas mieux à faire que de baisser de manière générale et indiscriminée la TVA sur le gaz et l’électricité ? La réponse est positive si l’on accepte les deux objectifs suivants :– garder une cohérence globale en matière de ménages visés par des mesures de soutien du pouvoir d’achat ;
– ne pas aider tous les ménages : au vu des contraintes budgétaires, il faut en effet limiter le nombre de ménages aidés.
La proposition qui me semble plus équitable et moins gaspilleuse de moyens collectifs rares est d’augmenter d’un montant forfaitaire les revenus des personnes ayant le plus souffert des récentes pertes de pouvoir d’achat. Augmenter, par exemple (j’insiste bien sur le fait qu’il s’agit d’un exemple, d’autres pistes étant possibles), de 250 euros par an les revenus des 20 % des ménages les moins aisés – soit plus que ce que leur rapporterait la baisse de la TVA – coûterait au budget de l’État fédéral environ 225 millions par an, soit à peine le quart de ce que coûterait une baisse de la TVA de 21 à 6 %.
Cette proposition pourrait être mise en œuvre en appliquant la loi sur la liaison au bien-être et en augmentant quelque peu le salaire minimum garanti. Certes, d’autres scénarios plus « généreux » sont possibles. Par exemple, accorder plus que 250 euros par an et/ou étendre le nombre de ménages bénéficiaires. Mais il faudrait déjà viser haut pour qu’une telle mesure coûte plus que la baisse du taux de TVA sur les produits énergétiques.
Ceci dit, les gouvernements régionaux disposent d’une autre possibilité, combinable avec des mesures nationales, mais sans devoir les attendre : instaurer une tarification progressive des prix de l’électricité. Une formule simple serait ici de diminuer d’un montant forfaitaire – donc identique pour tous les consommateurs, éventuellement modulé en fonction de la taille du ménage – les factures, à charge pour les fournisseurs de répercuter le coût de ces réductions sur le coût moyen du kWh. Par exemple : une réduction moyenne de 100 euros par ménage et par an représenterait l’équivalent d’environ 500 kWh fournis gratuitement. Des règles devraient être instaurées, et effectivement appliquées, pour que les fournisseurs ne contournent pas cette logique à la fois redistributive (le coût du kWh des petits consommateurs s’en trouve allégé), et environnementale (le kWh marginal est rendu plus cher). Qu’attend-on pour déjà mettre en œuvre cette réforme simple, lisible, pertinente ?
(*) Philippe Defeyt est économiste, Président du CPAS de Namur – janvier 2008.