Il y aurait entre 15 000 et 30 000 logements vides en Région bruxelloise (dont 5 000 habitables immédiatement) et 40 000 en Wallonie, pratiquement le même nombre de personnes dans les deux Régions sont sur les listes d’attente pour un logement. Facile donc, direz-vous, donnons leur les logements vides.


Il existe effectivement une loi qui le permet, il s’agit de la loi Onkelinx sur la réquisition d’immeubles à l’abandon. Depuis 1993, elle permet aux pouvoirs publics de réquisitionner un immeuble privé à l’abandon pour y aménager du logement à destination des sans-abri. « Trop lourde à mettre en œuvre » selon les uns, « manque de volonté politique » selon les autres, sauf deux fois à Philippeville, la loi n’a jamais été appliquée. Les raisons évoquées sont multiples : pas assez de personnel dans les communes pour établir un registre des logements vides, démarches parfois longues pour retrouver le propriétaire, procédure pour la réquisition assez complexe, liste de conditions préalables à satisfaire comme l’obligation pour la commune qui veut réquisitionner de ne pas posséder elle-même de logements communaux salubres laissés à l’abandon, etc. Pour José Garcia, président du Syndicat des locataires, ces obstacles sont facilement contournables : « je veux bien aller trouver n’importe quel bourgmestre avec la loi sous le bras et lui démontrer qu’elle est parfaitement applicable. Ce qu’il y a, c’est qu’ils rechignent, parce que, pour l’heure, cette législation ne peut être mise en œuvre que pour les SDF. Faire venir des sans-abri dans sa commune, ce n’est pas très rentable électoralement ou… pour les recettes communales. C’est là que ça bloque ! »
Pour les autres moyens mis à disposition des pouvoirs publics, le bilan ne semble guère plus brillant : « l’accord sur le droit de préemption des pouvoirs publics (1), conclu entre PS et MR, dans la majorité régionale bruxelloise, donne l’impression que, vu leur différend à ce sujet, ils se sont arrangés pour le rendre impraticable, dénonçaient encore récemment le CDh et Ecolo dans l’opposition à Bruxelles. « L’arrêté régional qui offre 80 % de subsides aux communes expropriant et rénovant des immeubles à l’abandon est tellement peu utilisé que le budget prévu a été réduit. Le produit de la taxe sur les bureaux devait servir, à concurrence de 80 %, à la production de logements et ce n’est quasiment pas le cas. Les taxes locales sur les immeubles vides ont un rendement qui laisse sceptique… Il y a donc bien des tentatives pour trouver des solutions, mais les choses n’avancent pas assez. Même s’il faut saluer le dynamisme de certaines communes, surtout Bruxelles-Ville qui utilise notamment la menace d’expropriation pour faire réagir les propriétaires. »

Occuper le terrain
Certains, devant l’inertie des pouvoirs publics ont décidé de ne plus attendre et prennent possession de ces logements vides, la plupart du temps en toute illégalité, pour y habiter en communauté ou collectivité plus ou moins organisées. Il y a probablement des milliers de squats clandestins à Bruxelles et ailleurs. Parmi eux, certains cas célèbres ont permis de faire avancer la cause du droit à l’habitat pour tous : l’îlot Stévin dans le quartier européen, les squatteurs de la porte de Hal ou ceux de l’îlot Central, en face de la Bourse, Jonruelle à Liège, Grand-Rue à Charleroi, les actions du Dak à Anvers et on se souviendra des Compagnons du Partage dans les rues de Bruxelles et au Château de la Solitude. Parallèlement à ces squats, on a vu se multiplier dans la capitale des cas d’occupations « à titre précaire » d’immeubles à l’abandon (les Drapiers dans le cadre du projet Heron à Ixelles, l’ancienne usine Philips à Anderlecht ou l’hôtel Tagawa, avenue Louise). Formes légales d’occupation, elles se négocient entre le propriétaire du bien et les personnes qui souhaitent l’occuper, moyennant un loyer symbolique et une assurance spécifique. Et ce, en attendant que le bien retrouve une nouvelle affectation. On parle aussi de bail symbolique ou transitoire. « Depuis quelques années, explique Jean Peeters qui représente le front des SDF et a une longue histoire de lutte pour le droit au logement derrière lui, la réquisition d’immeubles abandonnés paraît moins difficile qu’autrefois. Les actions menées dans le temps y ont certainement contribué. Dans plusieurs villes de Belgique, des maisons ont été réquisitionnées (avant on parlait de squat) par des personnes en difficulté de logement. Ça avance un peu… C’est l’impression que nous avons lorsque nous entendons ce qui se passe à certains endroits : Keistraat Antwerpen, Monceau-sur-Sambre, le 111 à Louvain-la-Neuve, plus les anciens squats ‘qui tiennent’ : Jonruelle à Liège et de Schelde Apen à Anvers. Malheureusement, ce n’est pas partout pareil. Dans bien d’autres endroits, les portes se ferment, certains sont expulsés manu militari, d’autres subissent des pressions intolérables, bref la lutte pour le droit au logement n’est pas finie et il est intéressant de suivre les expériences en cours. » Les expériences ne manquent effectivement pas comme celle de la Fédération d’entraide coopérative (Fée coopérative) (2). Elle milite pour l’aide à l’acquisition (via le Fonds du logement), la location (à la manière d’une agence immobilière sociale) ou l’occupation (par bail précaire). À Bruxelles, lorsqu’une occupation se contractualise, c’est la coopérative à finalité sociale Buls (Bruxellois unis pour les solidarités) qui prend le relais de la Fédération. Constituée de parts (250 euros), cette dernière joue les interfaces entre le propriétaire, les bailleurs voire, les pouvoirs publics.

Une pression réelle
La réussite des organisations militantes, outre le relogement effectif de familles et de personnes isolées, est surtout d’avoir fait accéder à l’agenda politique la formulation des problèmes d’exclusion du logement. Des associations, comme le DAL (Droit au logement) en France, ou le RBDH (Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat) à Bruxelles, se rapprochent des organisations professionnelles du mouvement social, dont une des caractéristiques est d’agir pour, et le cas échéant avec – mais ce n’est pas nécessaire – leurs publics de référence au nom desquels on se mobilise. Dans le cas du Front des SDF, c’est le public lui-même qui se mobilise.
Les raisons qui conduisent à recourir au squat sont multiples et les squatters sont loin de former un groupe homogène. Familles africaines primo-arrivantes, jeunes en rupture familiale, mineurs clandestins du Maghreb ou des pays de l’Est, mères célibataires désargentées, chômeurs de longue durée en quête d’un mode de vie communautaire, artistes minimexés, routards… peuplent le monde des squats. Le squat prend à son tour, et en écho, des formes bien différentes : envisagé comme un logement permanent pour certains, il est pour des migrants un point de chute ponctuel au sein d’une trajectoire migratoire ; lieu d’activités ou artistiques et/ou simple logement, il peut être collectif, familial ou individuel, être ouvert sur l’extérieur ou pas, être en quête de visibilité ou au contraire de discrétion, insalubre ou confortable, situé en centre-ville ou en périphérie, payant ou gratuit, violent ou pacifique…

Phénomène urbain
Squatter s’inscrit dans un parcours individuel au cours duquel la personne acquiert ou met en œuvre de l’expérience, des ressources et des compétences. Tous les squatters savent a minima ouvrir ou occuper un squat, ce qui n’est pas vrai de la totalité des personnes en grande difficulté, dont plusieurs disent ne pas savoir comment procéder, ou redouter des représailles judiciaires. Il n’est pas rare de trouver des universitaires chez les squatters.
Squatter requiert également la mobilisation de qualités relationnelles et urbaines, implique de faire un usage spécifique de la ville, en créant du logement et de l’espace urbain là où il y avait préalablement du vide. Phénomène essentiellement urbain qui concerne certaines villes moyennes mais surtout les grandes villes, le squat soulève des questions complexes dans le domaine du droit de propriété et de l’ordre public, en matière de politiques du logement et d’action sociale. En effet, la fourniture de logements sociaux, ne constitue qu’une partie de la réponse des pouvoirs publics au mouvement des squats qui fait émerger des aspirations à d’autres formes d’habitat et de «vivre ensemble» parfois en décalage avec l’action publique en direction des sans-abri, ce qui invite à l’invention de nouvelles formes d’action.

Catherine Morenville

1 Droit de préemption : Les communes et le secteur du logement social ont un droit prioritaire d’achat de tout bien avant la finalisation de la transaction entre particuliers devant le notaire.
2 Contacts : Fédération d’entraide coopérative, Giel Jacques, tél.: 02 230 36 14 ou www.feecoop.be

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