Aux petites heures de la nuit du vendredi au samedi du 12 décembre 2010, des cris de joie et des applaudissements ont salué l’issue positive de la 16e Conférence des Parties (COP-16) à Cancún. L’espace d’un moment, on pouvait croire que la lutte contre le réchauffement climatique était engagée de manière décisive. L’enthousiasme est trompeur. Et l’issue positive concerne bien moins le climat que le système de négociations des Nations unies. L’accord ne donne pas l’impulsion pour faire des efforts de réduction des émissions de CO2 et limiter ainsi la hausse de la température à 2 degrés centigrades. La société civile ne doit dès lors pas abandonner la partie, mais elle ne peut attendre Durban pour agir.

 
Les négociations de la seizième Conférence des Parties sur les changements climatiques de Cancún au Mexique ne suscitaient qu’un enthousiasme mesuré pour tous les acteurs de la négociation. Dès le début des travaux, on renvoyait la possibilité d’un accord à la COP-17 en 2011 à Durban en Afrique du Sud.

L’échec de Copenhague Cette relative modestie trouve son origine dans l’issue de la COP-15 à Copenhague au Danemark. Les négociations de 2009 avaient alors abouti à un échec.
Alors que la conférence de Copenhague devait déterminer l’architecture de la lutte contre les changements climatiques à partir de 2013, la conférence a débouché sur un accord établi en dehors du cadre des Nations unies, par quelques pays (et non par l’assemblée des Nations unies), dont le contenu ne reprenait qu’une liste de bonnes intentions et ne comportait aucune mention contraignante vis-à-vis des pays. Cet accord, réalisé par une poignée de pays (Afrique du Sud, Brésil, Chine, États-Unis, Inde et Mexique), avait détruit toute confiance entre les nations et plongé le monde dans une grande perplexité: les négociations au niveau des Nations unies sont-elles impossibles et seuls quelques pays vont-ils décider de l’avenir de la planète? Qu’en est-il du protocole de Kyoto, cadre contraignant de réductions des émissions de gaz à effet de serre et que faisons-nous à partir de 2013, date à laquelle le protocole de Kyoto prend fin ? Quels objectifs de réductions des émissions pour les pays industrialisés et pour les pays émergents ? Quid du financement des pays les plus vulnérables aux changements climatiques ? Cet échec des négociations avait par ailleurs plongé la société civile dans un état de doute et généré le sentiment que les intérêts économiques de court terme prévalent sur tout le reste et qu’il sera impossible d’arrêter le processus de dégradation environnementale.
La conférence de Copenhague semblait donc avoir laissé un champ de ruine à tout point de vue et l’on voyait peu d’éléments positifs à dégager de la négociation de Cancún.

L’accord de Cancún

Après le fiasco de Copenhague, l’enjeu, relativement modeste, des négociations de Cancún était de parvenir à réinstaurer la confiance entre tous les acteurs de la négociation et vérifier si les nations étaient capables d’organiser la lutte contre les changements climatiques sur le plan international.
L’accord de Cancún apporte quelques réponses. En votant à l’unanimité le texte (à l’exception de la Bolivie), on a l’assurance que le multilatéralisme reste de vigueur et que les Nations unies demeurent l’unique espace d’organisation de la lutte contre les changements climatiques. Deuxièmement, le protocole de Kyoto n’est pas totalement rejeté. Enfin, le financement des pays les plus vulnérables sera assuré par un fonds vert de 110 milliards de dollars annuels alimenté à partir de 2020 par les nations les plus riches suivant des modalités encore à définir.
Si l’accord est salué par une grande partie de la classe politique, les acteurs de la société civile sont unanimes pour dire «qu’on a sauvé le processus, mais pas le climat». En analysant plus en détail le texte de l’accord, on constate en effet que les négociations de Cancún ont abouti à l’élaboration d’une boîte à outils de la lutte contre les changements climatiques. Cette boîte à outils reprend une série de mécanismes (adaptation, transfert des technologies, fonds du climat, etc.) organisant la lutte contre les changements climatiques au niveau des Nations unies. Mais rien dans l’accord n’apporte d’information claire sur l’architecture de la lutte en tant que telle. Le texte ne donne, par exemple, aucune indication sur une diminution des émissions de gaz à effet de serre, pour les pays industrialisés comme pour les pays émergents. Par l’absence d’aspects contraignants, cet accord n’envoie aucun signal général clair aux États, régions, villes, mais aussi industries et citoyens sur des obligations de réductions des émissions de CO2 dans une période proche.

Ni contraintes, ni signal

La lutte contre les changements climatiques passe avant tout par une diminution des émissions de gaz à effet de serre, principalement dans les pays industrialisés et certains pays émergents. En contraignant les pays industrialisés à réduire leurs émissions de CO2, le Protocole de Kyoto avait contribué à forcer les pouvoirs publics nationaux et locaux à prendre des mesures dans divers domaines. Jusque 2008, la Belgique a par exemple pu diminuer ses émissions de CO2 de 6,16% par rapport à 1990.
Les contraintes internationales légitiment, valorisent et justifient les efforts pris au plan local. La nature contraignante du protocole de Kyoto avait donc servi de signal aux citoyens de la nécessité de diminuer les émissions de CO2 à divers niveaux (agriculture, transport, logements, etc.).
En évitant toute question de contrainte, l’accord de Cancún n’envoie par conséquent aucun signal à la société. Or cette absence de signal clair est déterminante, car le réchauffement de la planète persiste. Et plus le temps passe, plus il sera difficile de limiter le réchauffement à 2 degrés centigrades.

Un objectif clair

Les pays se sont mis d’accord à Cancún pour limiter drastiquement les émissions de CO2 afin de ne pas dépasser la limite de 2 degrés centigrades en dessous du niveau préindustriel. Mais l’absence de signal clair contraignant n’incite pas les États à faire ces efforts.
Dans une étude publiée en 20091, des chercheurs estiment que l’on peut injecter 1.000 gigatonnes (Gt ; milliards de tonnes) de CO2 dans l’atmosphère entre 2000 et 2050 qu’il y a une probabilité de rester à 75% en dessous d’une augmentation de 2 degrés centigrades. Cette même probabilité tombe à 50% si 1440 GT de CO2 sont injectés dans l’atmosphère entre 2000 et 2050. Or entre 2000 et 2006, 234 GT de CO2 ont déjà été injectés.
Pour espérer atteindre la probabilité de 75% de rester sous le seuil des 2 degrés centigrades, il faut donc limiter les émissions de CO2 entre 2007 et 2050 à 766 GT.
On peut donc difficilement affirmer que depuis 2006 la situation a évolué favorablement au point de respecter un niveau d’émission ne dépassant pas les 1000 GT d’ici à 2050. Car malgré le large consensus sur l’impact de l’activité humaine sur les changements climatiques et l’attention médiatique dont bénéficie la problématique environnementale, le changement ne semble pas s’opérer. Le rapport de décembre de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) annonce que la demande de pétrole sera un peu plus soutenue en 2011 qu’en 2010. De plus, à l’automne 2010, le monde brûlait chaque jour 3,3 millions de barils de plus qu’auparavant2. En Belgique, malgré les efforts entrepris depuis quelques années, la situation n’évolue guère. Alors que les émissions de la Belgique ont diminué entre 2003 et 2007, passant de 145000 tonnes en 2003 à 130000 tonnes en 2007, elles sont remontées depuis de 2% en 2008.
Les intérêts de court terme semblent l’emporter sur d’autres considérations et compliquent l’objectif de hausse de la température de 2degrés centigrades. Face à cette perspective peu enthousiasmante, la société civile semble être l’unique force capable de donner l’impulsion au politique d’inverser la tendance à l’immobilisme et repartir dans une dynamique de diminution des émissions.

Ne pas attendre Durban

La société civile peut avoir un impact sur les négociations de Durban. Mais pour espérer aboutir à un accord climatique ambitieux à Durban, il ne faut pas attendre le mois de décembre 2011. Les positions adoptées par les parties à la négociation se construisent toute l’année et pas uniquement au mois décembre. La société civile belge doit dès lors agir immédiatement et le faire à deux niveaux.
D’abord, comme la lutte contre les changements climatiques se construit à l’échelle régionale, un vaste travail doit s’opérer au niveau des politiques régionales pour changer les mentalités et provoquer des politiques volontaristes. Cette conscientisation politique régionale peut alors se répercuter sur les réunions des pays européens traitant des questions climatiques.
L’Europe est le second niveau d’action. Il convient de développer des stratégies pour faire pression sur les institutions européennes pour que celles-ci construisent une position plus ambitieuse susceptible de générer des avancées positives à Durban.



1. MEINSHAUSEN M., et al., 2009, Greenhouse-gas emission targets for limiting global warming to 2 degrés C, Nature, Vol 458
2. LE MONDE, 29/12/2010

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