L’heure de l’évaluation par les urnes a sonné. Ce 18 mai seront renouvelés la Chambre et le Sénat au terme d’une législature « hors normes » menée par un attelage arc-en-ciel mêlant, dans ses politiques, des éléments de progressisme et de néo-libéralisme au prix, souvent, de grandes incohérences, et concluant l’exercice par une crise pour le moins surprenante. À l’heure de ce scrutin, et après avoir analysé dans les précédents numéros les grands axes de la législature écoulée, nous vous proposons dans les pages qui suivent des éléments de comparaison entre les différents chapitres sociaux des programmes des partis.


Mais tout d’abord, une remarque méthodologique : comparaison n’est pas raison et ne vaut, encore moins, analyse. Il est extrêmement difficile de tirer des conclusions politiques claires d’une mise en parallèle des programmes électoraux. Et ce, d’autant moins que ces programmes ne sont pas paroles d’évangile : ce qui y est couché ne représente pas la politique de demain. En eux-mêmes, les programmes ne sont pas des engagements fermes et définitifs ; ils sont des balises à destination des électeurs, des élus, des militants, et des autres partis. Se contenter d’analyser un programme est donc insuffisant ; encore faut-il – tâche beaucoup plus ardue, voire impossible – pouvoir analyser la stratégie des états-majors des partis, afin de savoir dans quelle mesure leur volonté de pouvoir s’accommodera de compromis risquant de rendre précaire la réalisation de leurs priorités politiques. Dans l’histoire belge, l’arc-en-ciel en aura été l’un des exemples sans doute les plus emblématiques.

Deux questions
À la veille du scrutin, les deux grandes questions qui se posent sont, d’une part, qui, du VLD ou du CD&V, l’emportera côté néerlandophone (avec une possible surprise du côté du SP.A, selon le dernier sondage du journal Le Soir) et, d’autre part, qui, du PS ou du MR, prendra le leadership du côté francophone (avec, en question subsidiaire, le classement des deux « réservistes » Écolo et cdH). De la réponse à ces deux questions dépendront les bases de la négociation pour la formation du prochain gouvernement. Rien ne dit, bien sûr, que les électeurs se montreront cohérents, du Nord au Sud du pays, ce qui pourrait compliquer considérablement la donne. Si l’on y ajoute le fait que ces élections fédérales seront suivies dans un an d’élections régionales, on peut d’emblée imaginer les difficultés qui risquent fort de se poser dans la formation d’un gouvernement aux priorités politiques claires et s’inscrivant dans la durée. D’aucuns, surtout semble-t-il du côté flamand (lire ci-dessous), envisagent d’ores et déjà une sorte de gouvernement intérimaire qui n’aurait pour seule fonction que de « tenir » jusqu’aux régionales de 2004, date à laquelle on ferait tomber l’exécutif afin d’organiser un nouveau scrutin rassemblant cette fois le fédéral et le régional…
Sur le plan des enjeux spécifiquement sociaux, deux faits méritent d’être évoqués : d’une part, les tensions croissantes entre visions de gauche et de droite sur un certain nombre de dossiers, en particulier sur la sécurité sociale, la fiscalité, l’asile et l’immigration ; d’autre part, le fossé entre options politiques du Nord et du Sud du pays, en particulier sur les questions de scission de la sécurité sociale et de régionalisation de la concertation sociale.

Convergences programmatiques, divergences stratégiques
Du côté francophone, l’échiquier est relativement clair (voir Démocratie, n° 9). Deux grands partis en lice : le PS et le MR ; deux « moyens » partis en bataille pour la troisième place : Écolo et le cdH. La lecture du programme du MR confirme, si besoin en était, le positionnement à droite de ce mouvement : en ce qui concerne la fiscalité et le financement de la protection sociale, le MR prône des mesures telles que l’allègement de la « pression » fiscale, en particulier pour les indépendants et les sociétés, une réduction généralisée des charges des entreprises, une réduction des cotisations patronales, le développement des 2e et 3e piliers des pensions. Il est le seul des quatre partis francophones à ne pas s’engager à revaloriser les minima sociaux, et ne dit mot concernant l’individualisation des droits sociaux. Il est toutefois plus disert en ce qui concerne les soins de santé, pour lesquels il prône notamment une augmentation de la norme de croissance du budget de l’assurance-maladie, mais non chiffrée.
Pour leur part, PS et Écolo ont affiché, dans leurs « convergences de gauche », leur volonté de travailler de concert sur cinq priorités : la qualité de vie, le financement de la protection sociale et des services collectifs, la durabilité du développement, la démocratie ouverte, transparente et participative, et enfin la régulation publique de la mondialisation économique, tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau international. Cette convergence, qui se retrouve très clairement dans les programmes des deux partis, n’est toutefois pas un engagement à gouverner ensemble. Cela étant, les deux signataires de ce texte ne sont pas sur un pied d’égalité : dans la logique des choses, on voit mal Écolo participer à un gouvernement sans les socialistes (en dépit de la crise de fin de législature), tandis que le PS conserve toutes ses marges de manœuvre et pourrait donc, en fonction des résultats – en particulier ceux du nord du pays –, s’allier avec le MR sans embarquer Écolo.
Le cdH, de son côté, refuse de se positionner par rapport à ce clivage « gauche-droite », un clivage « dépassé » selon lui et dont l’arc-en-ciel aurait démontré toute la vanité : « droite et gauche gèrent ensemble, en s’annihilant l’une et l’autre », estime Joëlle Milquet. Si le cdH dit avoir un autre horizon que la bipolarisation gauche-droite et souhaiter se placer au-dessus de la mêlée, il n’en demeure pas moins que son programme se traduit en mesures qui le placent, à tout le moins, à gauche du MR : revalorisation des minima sociaux, mécanisme de liaison des allocations sociales au bien-être, priorité aux pensions légales, assurance-autonomie, etc. Toutes choses qui se retrouvent par ailleurs dans… les convergences à gauche ; ce qui a fait dire à la présidente Joëlle Milquet que son parti était d’accord à 95 % avec ces convergences. De même, la dissidence du CDF a débarrassé le cdH de ses éléments les plus conservateurs. Sur papier, donc, et dans une perspective progressiste, la cohérence francophone se trouverait essentiellement dans une alliance PS, Ecolo, cdH. Mais sur papier uniquement, car les stratégies divergent : le PS reste ouvert à toute alliance, Écolo lie son avenir au PS (et, côté flamand, à Agalev), et le cdH, en voulant se situer « au-dessus de la mêlée », semble surtout ouvert à tous les scénarios. En dépit des programmes, il n’y a donc pas de « front progressiste ». La double question est de savoir si le MR parviendra à imposer sa présence et ses priorités (en particulier : fiscalité et justice) et surtout si… les résultats au Nord du pays permettent un scénario alternatif (par exemple CD&V + SP.A/Spirit + éventuellement Agalev). À moins d’une improbable asymétrie.

Fossé Nord-Sud
Toujours dans une perspective progressiste, la récente « table ronde » organisée par la CSC avec les présidents de partis francophones et néerlandophones a soulevé un autre problème de fond : celui de la divergence de plus en plus marquée entre options politiques au Nord et au Sud en ce qui concerne des questions fondamentales telles que l’avenir de la sécurité sociale et de la concertation sociale. Comme le note Josly Piette, « on perçoit très clairement du côté du CD&V et du VLD la volonté de régionaliser la concertation sociale, ce qui risque de faire s’écrouler l’ensemble de notre système de relations collectives, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la structure de l’État. » En ce qui concerne en particulier la formation des salaires, le président du CD&V, M. Stefaan De Clerck, se dit favorable à la régionalisation des conventions collectives de travail ; et le président du VLD, M. Karel De Gucht, lui emboîte le pas, estimant que les différences économiques entre Flandre et Wallonie sont devenues structurelles. Même analyse en ce qui concerne la structure de la sécurité sociale : la défédéralisation de certains pans de la sécu – soins de santé et allocations familiales – est à l’ordre du jour des deux partis, ainsi qu’une discussion sur la régionalisation de son financement et l’affectation des moyens. On comprend sans doute mieux le scénario évoqué ci-dessus visant à lier les prochaines élections régionales à un nouveau scrutin fédéral en 2004. Quel que soit le vainqueur au Nord, les francophones seront en tout cas mis sous pression dans les mois à venir sur le dossier des mécanismes nationaux de solidarité. Si, sur ce point précis, il y a unanimité de leur côté – MR, PS, Écolo et cdH s’opposent en chœur à la défédéralisation et à la privatisation de la sécu – il n’en demeure pas moins que la complexité du paysage politique belge, sur lequel se superposent des clivages idéologiques et communautaires qui ne se recoupent pas (sans même parler des clivages socio-économiques), rend bien aléatoire toute prospective sur l’avenir de la « Belgique sociale ».

Christophe Degryse

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