L’une des priorités du gouvernement actuel aura été d’élever le taux d’emploi. À cette fin, il a promu la création d’emplois en diminuant le « coût » de ceux-ci pour les entreprises, sous la forme d’une diminution des cotisations sociales patronales, soit de manière généralisée, soit de façon ciblée vers certaines catégories de travailleurs (jeunes, bas salaires, etc.) que l’on entend privilégier.


Dans sa déclaration gouvernementale de juillet 1999, l’équipe Verhofstadt annonçait : « Dans le deuxième trimestre de l’an 2000, le gouvernement procédera parallèlement à une augmentation du maribel social et à l’intervention dans le coût salarial pour les "premiers emplois", à une réduction substantielle des charges sur le travail d’environ 32.000 BEF en moyenne par travailleur et par an qui favorisera notamment par son caractère forfaitaire en premier lieu l’emploi des moins formés. À cet égard, il sera tenu compte du temps de travail. Le financement de la baisse des charges salariales sera exécuté en respectant le pacte de stabilité et en garantissant pleinement l’équilibre financier de la sécurité sociale en tenant compte des mesures prévues dans le présent accord. À cet effet, les transferts vers la sécurité sociale seront augmentés pour garantir le même revenu aux régimes sociaux. »
Par ailleurs, le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de tenir compte de la volonté de mener à bien les réductions de cotisations patronales lorsqu’ils auront à négocier les accords interprofessionnels et autres conventions collectives sectorielles au cours de la législature. C’est ainsi que l’accord interprofessionnel du 22 décembre 2000 précisait, notamment, que « dans un esprit positif et dans la mesure où l’évaluation des efforts consentis en matière d’emploi et de formation ainsi que des effets de retour de la précédente réduction de cotisations s’avèrent positifs, où la marge budgétaire requise est disponible, et un financement alternatif suffisant permettant une revalorisation des allocations sociales est assuré, les partenaires sociaux demandent que la réduction des cotisations inscrite dans l’accord gouvernemental soit exécutée ». De même, des réductions de cotisations ont été prévues pour les employeurs qui anticiperaient l’application du projet de loi de la ministre de l’Emploi (juillet 2001) qui prévoit que la limitation du temps de travail à 38 heures/semaine entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2003.

Les priorités
Au début du mois de mai 2002, le Conseil des ministres décide de libérer quelque 253 millions d’euros supplémentaires (au total pour 2002, l’enveloppe grimpe à 3,66 milliards d’euros) afin de réduire les cotisations patronales. La ventilation de l’enveloppe est fixée comme suit :
– 81,8 millions afin de rapprocher la réduction structurelle des charges sociales des employés du montant accordé aux ouvriers avec l’objectif d’atteindre une diminution égale pour les deux catégories en 2004 ;
– 61,9 millions pour venir en aide aux ouvriers victimes du ralentissement économique après le 11 septembre ;
– 42,3 millions d’euros consacrés à faciliter l’embauche des travailleurs âgés de plus de 58 ans (soit une réduction annuelle de cotisations de 800 euros par travailleur) ;
– 917 000 euros qui visent l’indexation des plafonds salariaux de réduction structurelle des cotisations patronales en ateliers protégés ;
– 70 millions pour renforcer les plans qui connaissent le plus de succès (notamment, plan Rosetta dit aussi « convention de premier emploi », et Activa lancé en janvier, qui s’adresse aux travailleurs de plus de 45 ans).
En janvier 2002, le gouvernement se donne 21 priorités socio-économiques pour 2002-2003. Parmi celles-ci figure l’abaissement supplémentaire des cotisations ciblées sur les moins de 25 ans et les plus de 50 ans (l’accord gouvernemental de 1999 ne prévoyait pas une telle sélectivité ; il spécifiait seulement qu’un effort accru devait être réalisé en faveur des moins qualifiés). Enfin, la simplification des plans d’embauche, annoncée depuis plusieurs années, mais qui tardait à se matérialiser, est annoncée par la ministre de l’Emploi pour 2003. L’objectif consiste à permettre aux employeurs d’optimaliser les opportunités des nombreuses possibilités de réduction de cotisations patronales, ce qui devrait les encourager à embaucher des travailleurs.

L’argumentaire gouvernemental
Dans sa déclaration de majorité, « La voie vers le XXIe siècle », le gouvernement indiquait que « la diminution des charges sur le travail est pour le gouvernement la voie indiquée, mais pas la seule, pour augmenter le taux d’activité ». Cette mesure doit produire des effets positifs directs sur la création d’emplois, mais aussi indirects à travers la concrétisation de nouveaux efforts en matière de formation et d’éducation. Par ce biais, le gouvernement a la volonté de stimuler les patrons à l’embauche de groupes cibles spécifiques que sont les jeunes, les femmes, les travailleurs âgés et les moins qualifiés. Mais il entend aussi inciter les employeurs à garder ces travailleurs (travailleuses) dans l’entreprise en conditionnant l’octroi de réduction au maintien de l’emploi. Cette mesure est également motivée par la volonté de réduire le coût salarial, dans un contexte de mondialisation économique toujours plus poussée, et donc de forte concurrence, en particulier pour une petite économie ouverte telle que la Belgique. Les salaires (et la productivité) étant une composante de la compétitivité, le gouvernement s’est fixé pour mission de diminuer la différence entre le coût du travail et le salaire net.

Éléments d’analyse
Cette tendance, en réalité déjà suivie par les gouvernements précédents, a été nettement amplifiée, et c’est un montant de plus de 450 milliards de francs qui aura été détourné des recettes de la sécurité sociale sur l’ensemble de la législature. Mais, tandis que la première phase de réduction structurelle des cotisations sociales a eu lieu conformément à l’accord de gouvernement, beaucoup d’incertitudes, de remises en question et de désaccords ont entouré l’exécution de la seconde phase. La polémique était centrée sur les effets réels de la première phase.
La Fédération des entreprises de Belgique (FEB), fidèle à une revendication traditionnelle du patronat, estimait que les deux conditions étaient remplies pour poursuivre les réductions. D’une part, à cette époque, le gouvernement avait renoué avec l’équilibre budgétaire exigé par le Pacte de stabilité et de croissance. D’autre part, au cours de la période ultérieure à la réduction des charges sociales, le pays a connu une amélioration de son taux d’emploi. Par ailleurs, pour forcer le jugement du gouvernement en sa faveur, la FEB mit en avant ce qui est, selon elle, le persistant désavantage en coût salarial avec les pays voisins et l’impérieuse nécessité de mener une politique de résorption du chômage qui permette de réduire deux lourdes charges budgétaires : les allocations de chômage et les dépenses occasionnées par l’évolution démographique.
Pour les organisations syndicales, il convenait de faire une évaluation sérieuse de ces mesures avant toute décision pour l’avenir. Elles relevaient par ailleurs la difficulté d’isoler les différents facteurs qui avaient pu entrer en ligne de compte dans la diminution du chômage : d’une part, le fait que l’année 2000 a connu une conjoncture économique exceptionnelle, la meilleure depuis des années ; d’autre part, la stratégie européenne pour l’emploi qui définit un cadre global avec échange de bonnes pratiques et surveillance par les pairs et qui incite dès lors tous les acteurs politiques et socio-économiques à optimiser les performances sur le marché du travail ; sans compter l’effet d’aubaine que peut représenter une telle réduction de cotisations (l’emploi aurait de toute façon été créé). Finalement, le gouvernement a convenu de ne pas approfondir l’évaluation des effets de la première phase de réductions de cotisations et de reporter l’application de la seconde phase. Quant au Bureau du Plan, il estime que « les mesures de réduction de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires sont les plus efficaces en termes de création d’emplois, de croissance économique et de rentabilité des entreprises. Néanmoins, elles sont plus coûteuses pour l’État. »
Nous pouvons conclure par deux critiques. La première nuance le bilan a priori positif du recours à cette mesure. Tandis que les salaires en Belgique ont augmenté plus rapidement au cours de ces dernières années que chez nos concurrents immédiats, « les allègements de charges sociales ont été plus élevés en Belgique qu’en moyenne dans les trois principaux voisins. (…) Une part significative des réductions de charges a été utilisée lors des négociations salariales pour accorder des augmentations de salaires bruts plus importantes en Belgique. Elles ont ainsi probablement facilité le déroulement de ces négociations, mais bien moins contribué à créer des emplois. » C’est en tout cas ce qu’affirme la Banque nationale de Belgique et, si elle ne se trompe pas, cela signifierait que cette mesure rate sa cible lorsqu’elle est généralisée. En effet, plutôt que créer des emplois, elle bénéficie surtout aux salaires dans les secteurs frappés par des pénuries et ceux où le taux de rotation est beaucoup plus élevé que la moyenne : les entrepreneurs de ces secteurs auraient concédé de substantielles hausses de salaires négociées sur une base individuelle pour retenir leur « capital humain », à savoir les travailleurs expérimentés qui occupent des emplois critiques et/ou nécessitant d’excellentes connaissances pratiques et qui ne sont pas facilement remplaçables.
De même, et c’est notre deuxième critique, on peut douter que cette mesure soit socialement juste, à moins qu’elle vise uniquement les groupes cibles. En effet, elle se nourrit des bonis de la sécurité sociale. En d’autres termes, par le truchement des réductions de cotisations sociales, on effectue un transfert de revenus de la population totale vers la seule population active. Or, rappelons que la population inactive représente pas moins de 34 % de la population totale et ne tire aucun avantage à ce type d’opération. Que du contraire, puisque le gouvernement a par ailleurs refusé de relever les allocations sociales, et de soumettre celles-ci à un mécanisme de liaison au bien-être. En résumé, une évaluation approfondie de cette politique de réduction de cotisations sociales doit être faite avant toute autre décision, et ce tant sur les effets en termes d’emplois que sur les conséquences pour la sécurité sociale (les diminutions doivent être compensées par un financement alternatif) et sur l’impact au niveau des salaires (et des disparités entre secteurs). De même, si de nouvelles réductions venaient à être décidées, il conviendrait de les réserver à des publics cibles, et de les conditionner à de réelles créations d’emplois, à l’image de ce qui se fait dans le secteur non-marchand par le biais du Maribel social.

Le Gavroche

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