Votera, voteras pas ? ... Le mois de juin risque fort d'être décisif pour les accords Polycarpe et Lombard. Il n'est dès lors pas inutile d'en rappeler les enjeux principaux.


Mardi 23 janvier, 10 heures : les représentants des différents gouvernements quittaient hagards, la résidence du Premier ministre. Après 13 heures de négociations nocturnes, ils venaient de conclure les accords de la St Polycarpe, franchissant ainsi un nouveau pas historique vers une Belgique toujours plus fédérale. Dernière étape (jusqu’à la suivante ?) de la réforme de l’État.
Il s’agissait en réalité de traduire en textes de loi les accords de la Ste Thérèse conclus en octobre 2000. La veille, les négociateurs avaient assuré le refinancement des Communautés (en liant leur dotation à la croissance économique) et accordé une autonomie fiscale accrue aux Régions. Restait à plancher sur les transferts de compétences. C’était chose faite le 23 janvier : Agriculture et Commerce extérieur seront dorénavant des matières régionales. La Coopération au développement par contre, ne le sera qu’en 2004. Mais le point le plus sensible était sans conteste, la régionalisation de la loi communale. Il le reste. On le sait l’accord a fait hurler le FDF et craqueler la fédération PRL-FDF-MCC. Olivier Maingain allant jusqu’à parler de "jour noir pour les francophones" en commentant lyriquement : "La peau de chagrin des facilités est passée à la trappe de l’histoire." Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de la garantie des droits des francophones des communes à facilité. Le FDF craint surtout une tutelle disciplinaire à l’encontre des bourgmestres de la périphérie, impensable pour le parti qui a fait de la défense des francophones de la périphérie son principal cheval de bataille. Quant au Conseil d’État, il juge que la régionalisation de la loi communale impose une révision préalable de l’article 162 de la constitution (les institutions provinciales et communales étant réglées par la loi). Un avis que le gouvernement a décidé d’outrepasser jugeant que la loi spéciale est habilitée à déterminer qui peut être compétent pour quoi…

Conséquences
Outre le refinancement des Communautés (cf. encadré), si les accords du Lambermont sont votés, les trois Régions (Bruxelles, Wallonie et Flandre) auront le droit de modifier l’actuelle loi qui organise les communes et les provinces. Ce changement pourrait avoir des conséquences très pratiques. La date des élections communales pourrait ainsi varier selon les coins du territoire. Les Régions seront également libres d’instaurer l’élection directe des bourgmestres par les électeurs (et non plus comme aujourd’hui par le conseil communal). La Région flamande a d’ailleurs déjà dégagé un accord en son sein pour aller dans ce sens dès que cela sera possible. Chaque entité sera de même compétence pour octroyer ou non le droit de vote aux étrangers non européens aux communales, ce qui a plus de chances de se faire au sud du pays qu’au nord. Et les limites des communes seront également de leur ressort.

Corée bruxelloise
Mené sous l’égide de M. Daniel Ducarme, l’accord institutionnel bruxellois a été ratifié le 29 avril. La fameuse petite Corée (Conférence pour la réforme de l’État) bruxelloise avait pour objectif d’amadouer la VU et de la convaincre de voter la St Polycarpe. On le voit l’enjeu des négociations à Bruxelles a dépassé son objet. Ce n’aurait pas été le cas si les Bruxellois s’étaient montrés plus diligents. Leur "mini-costa" ou "petite corée" - bref, leur conférence de réformes – s’était mise en branle dès 99. Les élections communales et les chaises musicales entre libéraux notamment en ont décidé autrement. Du coup le "brol" bruxellois a téléscopé le cortège des Sts Perlette et Polycarpe. Le rapport ? Deux projets de lois spéciales (1) aujourd’hui débattus au Parlement concrétisent les accords du Lambermont, dont dépend surtout le refinancement des Communautés. Leur approbation – idéalement d’ici aux grandes vacances puisqu’après le gouvernement est censé piloter la présidence belge – requiert une majorité des deux tiers. Manquent à l’arc-en-ciel 6 ou 8 députés, selon que l’on compte ou non les deux représentants FDF. D’où l’apport nécessaire de la Volksunie, dont les huit députés sont divisés. Sans leur appui Polycarpe s’effondre. Grave ? Terrible. Polycarpe refinance les Communautés. Pour la Communauté française, c’est vital. Sans refinancement, la faillite menace (2) tous les secteurs qu’elle gère ou subventionne – écoles, universités, crèches, culture… c’est précisément parce que Polycarpe est vital pour les francophones que le refinancement des Communautés (prière francophone) s’est payé cher (cf. encadré "Lombard"). Reste à l’heure où nous écrivons ces lignes une ultime inconnue : le PSC… Quelqu'un n'a-t-il pas dit que "c'est la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d'angle" ? Mais à quelle conditions ?...
Après les ratés de la régularisation, un plan Copernic extrêmement contesté, un plan de sécurité amendé de toute part, une réforme fiscale foireuse, on peut légitimement s’interroger sur les méthodes du gouvernement Verhofstadt qui semble avoir fait de l’improvisation un sport national…

Catherine Morenville

  1. On parle d’un déficit de 7 milliards d’ici 2002, avec pour première conséquence désastreuse, les salaires des profs impayés et quelque 3.000 licenciements en vue.
  2. Celle qui refinance les Communautés et élargit l’autonomie fiscale des régions et celle qui transfère les compétences (agriculture, organisation des communes) aux Régions.

 

L’accord de la Saint Polycarpe

Le refinancement des Communautés
La dotation des Communautés sera augmentée à partir de 2007 d’un pourcentage équivalent à 91% de la croissance du produit intérieur brut. En octobre 2000, les accords de la Ste Thérèse avaient déjà accordé un refinancement forfaitaire allant de 3,2 milliards (indexés) en 2002 à 15,9 milliards en 2006. En 2007, la Communauté sera plus riche de 20,3 milliards ; en 2010, de 33,6 milliards ; en 2020 de 88,7 milliards. Il faudra toutefois attendre 2004, avant de voir premier solde positif du budget de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

L’autonomie fiscale
Les Régions pourront lever des centimes additionnels ou soustractionnels à l’impôt des personnes physiques : 3,25% à partir de 2001, 6,75% en 2004.

Les impôts régionalisés
Citons le solde des droits d’enregistrement, la redevance radio-TV jusqu’ici communautaire, un brin de fiscalité immobilière et celle liée aux véhicules (taxe de circulation et de mise en circulation, eurovignette). Un filet de sécurité est tendu au bénéfice des Régions dans l’hypothèse où la progression des impôts transférés n’atteindrait pas la masse de la dotation IPP qu’elles percevaient avant régionalisation.

Les transferts de compétence
Le montant total des matières régionalisées s’élève à 6,5 milliards. Pour l’Agriculture (3 milliards au total), la clé de répartition est : 62% pour la Flandre, 38% pour la Wallonie. Pour le Commerce extérieur (600 millions), l’IPP a été retenu comme critère : 62,2% pour la Flandre, 28,7% pour la Wallonie et 9,9 pour Bruxelles. Quelque 100 millions restent à disposition du fédéral. Une Agence fédérale, à créer, remplacera l’Office belge du Commerce extérieur (qui disposait d’un budget de 900 millions…) afin de pouvoir encore organiser des missions fédérales conduites par le prince Philippe. La régionalisation du commerce extérieur est en marche depuis 1988. En ce qui concerne les droits de tirage additionnels (500 millions), les clés actuelles sont maintenues. L’octroi de moyens supplémentaires donnés par la Loterie nationale aux Communautés (2,3 milliards la première année) se fera sur les mêmes bases qu’autrefois (répartition de la TVA). Enfin, la Coopération au développement sera transférée en 2004.

La régionalisation de la loi communale et provinciale
Il s’agit de l’organisation de la tutelle sur les communes : la tutelle elle-même est de compétence régionale depuis 1988. Tout l’enjeu des négociations de la Saint-Polycarpe était de bétonner les garanties linguistiques en vigueur pour les francophones de la périphérie et des Fourons comme pour les Flamands de Bruxelles et de Comines-Warneton. L’accord prévoit que ces mécanismes (dont la loi dite de "pacification" de 1988 et les facilités de1962) seront inscrits dans la loi spéciale. Par ailleurs, les régions pourront décider des nouvelles règles électorales, comme l’élection directe des bourgmestres ou l’octroi du droit de vote aux étrangers.

 

L’accord du Lombard

Refinancement des commissions communautaires
L’accord du Lombard prévoit, dès 2002, un refinancement structurel des commissions (chargées des politiques culturelles, sociales, éducatives) à hauteur de 2 millions par an, indexés sur le RNB. Un milliard sera puisé dans la caisse régionale et un milliard versé par le fédéral. Ce montant sera réparti à concurrence de 80% pour la Cocof et de 20% pour la VGC (Vlaamse gemeenschap commissie).

Augmentation du nombre de conseillers régionaux flamands
C’est la contrepartie du point précédent. Actuellement, le groupe linguistique néerlandophone compte 11 députés, contre 64 francophones. Trop peu, selon les flamands, pour effectuer un travail parlementaire digne de ce nom. D’autant que parmi les 11, on déplore 4 Vlaams Blok ; 6 conseillers flamands doivent par ailleurs siéger au Vlaamse Raad.
Les négociateurs de la Corée sont tombés d’accord pour faire passer le nombre d’élus flamands à 17. Dans le même temps, le groupe francophone est plafonné à 72.Le principe de l’apparentement entre listes d’un même groupe linguistique sera inséré dans la loi spéciale.
En outre, les ministres et secrétaires d’État seront désormais remplacés par leur suppléant. Ces derniers seront parlementaires à part entière.
Parallèlement à cette augmentation du nombre de conseillers régionaux, les Bruxellois éliront directement six conseillers (flamands) qui ne siègeront qu’au Vlaamse Raad – et qui seront pris en charge financièrement par cette instance.

Blocage des institutions
En 1989, la loi spéciale a prévu que les décisions prises au Parlement bruxellois devaient non seulement recueillir une majorité en assemblée réunie, mais aussi dans chaque groupe linguistique. Depuis, la VGC, un parti pourrait donc gripper toutes les institutions. On pense d’emblée au Vlaams Blok mais, sous la précédente législature, c’est la VU qui utilisa cette arme, quand le ministre Vic Anciaux claqua la porte de l’exécutif.
Après l’accord de fin avril, si la majorité est recueillie au sein de l’assemblée mais pas au sein d’un groupe linguistique, il sera procédé à un second vote, qui devra toujours recueillir la majorité absolue dans l’assemblée mais seulement un tiers dans chaque groupe. Contrepartie flamande : les ordonnances régionales prises en vertu de la (future, si tout va bien) régionalisation de la loi communale devront être adoptées à la "double majorité" revue et corrigée.

Présence flamande garantie au niveau local
Le compromis stipule que "si, dans une commune, le bourgmestre a été présenté avec des signatures émanant des deux groupes linguistiques, le groupe linguistique le moins nombreux doit obtenir un échevin ou la présidence du CPAS".
Le principe, dit "de l’échevin surnuméraire", acquis par les Flamands en 1988 sans effet contraignant (il est de mise à ce jour, dans 11 des 9 communes), devient donc la règle. Par ailleurs, il y aura une présence néerlandophone assurée dans les conseils de police Les communes jouant la carte bicommunautaire seront financièrement récompensées : un montant d’un milliard sera inscrit à cet effet au budget fédéral.

 

Le Gavroche

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