Le 13 juin prochain, les électeurs se choisiront un nouveau parlement belge, mais aussi une nouvelle assemblée européenne. Les élections européennes sont traditionnellement considérées par les partis politiques comme des sondages grandeur nature. Les enjeux de ce scrutin paraissent en effet si éloignés, voire totalement absents du débat, que le choix des citoyens ne constituerait aux yeux des états-majors politiques qu'un simple test électoral.



Autre indice affligeant du mépris affiché par les formations politiques à l'égard de ce scrutin: la persistance à considérer qu'envoyer un éligible à l'Europe est soit une manière de le remercier pour ses bons et loyaux services, soit une manière plus ou moins élégante de s'en débarrasser sur la scène nationale. On a aussi vu des présidents de parti en fonction siéger à l'Europe, comme si les deux responsabilités étaient conciliables, ne fût ce qu'en termes de disponibilité (à moins que ce ne soit une manière d'arrondir les fins de mois). Entre une salle d'attente de luxe, une voie de garage dorée et un job de vacances particulièrement bien rémunéré, y a-t-il une place pour un vrai parlement européen, et donc pour un vrai débat politique?L'un des premiers enjeux des élections européennes consiste assurément... à prendre ce scrutin au sérieux. L'actualité récente nous y aide. Elle a révélé, ces dernières années, à quel point l'Europe est présente dans notre vie quotidienne. Ainsi, l'affaire de la vache folle a montré que des choix politiques et économiques pouvaient avoir des conséquences immédiates dans notre assiette, voire sur notre bulletin de santé. L'arrivée de l'euro a d'ores et déjà eu des conséquences sur l'encadrement de la politique salariale en Belgique. Les règles européennes de concurrence ont un impact important sur l'emploi. Les libéralisations, décidées au niveau européen, transforment en profondeur le rôle des services publics. Etc. L'Europe fut peut-être au départ une grande idée plus ou moins consensuelle, elle n'en est pas moins devenue aujourd'hui une institution politique qui encadre les souverainetés nationales. La dédaigner au motif qu'elle ne serait qu'une bureaucratie apolitique serait une erreur d'appréciation d'autant plus grande que l'intégration économique et monétaire appellera dans les années à venir un très probable renforcement de l'Europe politique.

RAPPORTS DE FORCE
L'affaire de la vache folle, outre ses conséquences sanitaires et commerciales, a servi de déclencheur à une sorte de révolution dans les rapports de force au sein des institutions européennes. Une révolution qui a connu son apogée dans une autre affaire: celle des accusations de fraude et de népotisme, qui ont abouti à la démission de la Commission.Auparavant, en effet, l'équilibre des forces était caractérisé par une double alliance objective: celle du Parlement européen et de la Commission, d'une part, et celle des groupes politiques au sein même du Parlement, de l'autre. Schématiquement, la Commission et le Parlement constituaient les institutions fédérales et fédéralistes par excellence. Face à eux, le Conseil, qui rassemble les gouvernements des États membres, paraissait continuellement crispé, voire, dans les cas sensibles, franchement hostile à l'approfondissement de l'intégration européenne (1). Au sein de l'assemblée européenne, les deux principaux groupes politiques (socialiste et conservateur) s'entendaient comme larrons en foire tant qu'il s'agissait de faire avancer l'idée européenne. Cette double alliance a volé en éclats une première fois lorsque, dans l'affaire de la vache folle, le Parlement européen dénonça le comportement de Londres et pointa du doigt la Commission, qu'il faillit d'ailleurs forcer à démissionner. Une seconde fois, plus récemment, dans les allégations de fraude et de népotisme au sein même de la Commission, qui aboutit, non sans quelques sérieux tiraillements entre groupes politiques, à la démission collective de celle-ci.

DÉPUTÉS GRISÉS
Plusieurs facteurs, conjoncturels et structurels, expliquent cette modification des rapports de force. Du côté conjoncturel, on notera la faiblesse politique de la Commission de Jacques Santer et sa maladresse dans ses rapports avec les élus européens. Le président du collège n'est pas le seul visé. On se rappellera qu'il y a cinq ans déjà, lorsque les commissaires se présentèrent devant l'assemblée de Strasbourg, lés députés découvrirent avec stupeur que Mme Cresson ignorait le champ exact de ses compétences! Du côté structurel, il faut noter l'accroissement considérable des pouvoirs du Parlement européen prévu par les traités de Maastricht et d'Amsterdam. Les eurodéputés ne se prennent plus pour une. simple chambre d'entérinement des décisions prises au Conseil et ils veulent le faire savoir. On peut d'ailleurs penser que tant, l'affaire de la vache folle que celle des fraudes leur ont servi de "prétexte" pour affirmer le rôle nouveau que, grisés, ils veulent désormais jouer. Corollaire de cet accroissement de pouvoir: on assiste à une plus grande politisation du débat. Les groupes politiques affirment sans doute plus qu'avant leurs différences (avec notamment un Parti populaire qui s'est fortement "droitisé" sous l'impulsion de son leader, M. Wilfried Martens). Il faut aussi souligner que l'élargissement de l'UE à la Suède, la Finlande et l'Autriche a apporté dans les travées de l'assemblée son lot de députés euro-sceptiques. Ce qui contribue à renforcer les clivages (pro-UE, anti-UE, gauche, droite).L'éclatement de cette double alliance rend probablement l'avenir de l'Europe plus incertain, mais devrait contribuer à libérer le débat sur la nature même de l'Europe que l'on veut. En définitive, c'est à l'émergence d'un débat moins consensuel et plus politique que l'on assiste. Le temps, pas si lointain, où il était de bon ton de critiquer le " déficit démocratique " européen, semble révolu. Il faut s'en réjouir. Mais ce déficit étant comblé (ou en voie de l'être), il s'agit maintenant d'ouvrir pleinement le débat démocratique.

La question de l'harmonisation de la fiscalité est à cet égard révélatrice. Ce n'est que lorsque les États membres prennent conscience du coût de la non-coopération dans ce domaine qu'ils acceptent, avec des pieds de plomb, d'envisager une coordination de leurs politiques fiscales. Mais encore faut-il que ce coût (sonnant et trébuchant) soit considéré comme supérieur au coût (politique) d'une perte de souveraineté nationale dans ce domaine!

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