Les zones franches d'exportation contribuent à la création d'emplois, mais la qualité de ces emplois laisse beaucoup à désirer. La recette des zones franches d'exportation est connue : si elles offrent aux investisseurs des incitations financières, une infrastructure spécialisée, un accès facilité aux marchés, c'est aussi l'exploitation d'une main-d'œuvre bon marché et docile qui fait leur succès auprès des employeurs.


Le combat syndical pour la défense des travailleurs et travailleuses rejoint l'intérêt économique à long terme des pays où sont implantés ces zones franches. Le BIT affirme en effet que seules les zones franches d'exportation disposant d'une main-d'œuvre de qualité et jouissant d'une stabilité des relations professionnelles seront en mesure de résister dans la course à la compétitivité de l'économie mondiale. « Les restrictions des droits syndicaux prévues dans la législation de certains pays dotés de ZFE, l'absence de sanctions en cas de non-respect de la législation du travail et de représentants d'organisations de travailleurs comptent parmi les facteurs susceptibles de compromettre la capacité des zones à améliorer les compétences, les conditions de travail et la productivité des travailleurs et, partant, leur aptitude à devenir des plates-formes plus dynamiques et plus compétitives au plan international », souligne le BIT. Ce sont, aussi, des violations flagrantes de la Convention n° 87 de l'OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, et de la Convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective. L'acharnement antisyndical est pourtant une constante dans la grande majorité des zones franches d'exportation du monde, et figure même parmi les arguments avancés par les autorités pour attirer les investisseurs. Au Bangladesh par exemple, à l'entrée de l'usine Dada, dans la zone de Dhaka, les sociétés Nike et Tommy Hilfiger ont affiché des codes de conduite proclamant le soutien des entreprises au droit des travailleurs à la liberté syndicale mais dans une interview avec un quotidien britannique en avril 2001, le directeur général de la zone a fermement déclaré « Les syndicats sont interdits ici ». Révéler son affiliation à un syndicat comporte de grands risques pour les travailleurs dans la plupart des ZFE, dont le moindre n'est pas de perdre son emploi. Ainsi, aux Philippines, une étude menée en 2000 par le Congrès syndical des Philippines a montré que dans sept zones franches d'exportation, au moins 977 employés de 43 entreprises avaient été licenciés parce qu'ils étaient membres d'un syndicat, qu'ils avaient formé un syndicat ou qu'ils avaient réclamé des élections syndicales transparentes. Au Sri Lanka, les zones sont gérées par le Conseil d'investissement du gouvernement (Board of Investment, ou BOI), qui fixe les salaires et les conditions de travail et décourage le militantisme syndical. Les affiliés sont victimes d'intimidations, y compris de menaces de tabassage en règle de la part des agents de sécurité, et les nouvelles recrues sont averties que mieux vaut ne pas s'affilier à un syndicat.

Si les menaces de licenciement, d'agression physique ou de mort ne suffisent pas à décourager les travailleurs de s'affilier à un syndicat, les employeurs des zones franches d'exportation recourent parfois aux forces de police. En Égypte par exemple, les travailleurs ont indiqué que les forces de police recrutent des travailleurs pour espionner leurs collègues afin de prévenir des tentatives de mener une action de grève. On a déjà vu aussi des situations où une entreprise dans laquelle un syndicat avait pu s'organiser fermait ses portes pour rouvrir sous un nom différent, dans la même zone ou dans un autre pays, pour se débarrasser du syndicat. Dans certains cas, les employeurs créent eux-mêmes des syndicats fantoches, parfois appelés « comités travailleurs-direction », « groupes de participation des travailleurs » ou autres. Ces comités créés de toute pièce et contrôlés par les employeurs n'ont, dans la grande majorité des cas, aucune influence positive sur les conditions de travail des employés.

Inspection du travail

Dans plusieurs pays, la législation du travail ne s'applique pas dans les ZFE, une situation qui expose les travailleurs à tous les abus possibles. C'est le cas notamment en Iran et au Soudan. Ailleurs, c'est une partie de la législation qui est suspendue dans les zones, comme au Cameroun, où une note officielle de l'Office national des zones franches industrielles dresse la liste des « mesures d'incitation » et stipule que l'employeur jouit de « flexibilité dans le recrutement et le licenciement des travailleurs ». Même dans les pays où la législation est supposée s'appliquer aux ZFE, il arrive souvent que le gouvernement ferme les yeux sur les pratiques illégales des employeurs. Au Lesotho, par exemple, dans les quelques zones industrielles du pays, les employeurs étrangers, essentiellement des groupes textiles d'Afrique du Sud, de Hong Kong et de Taiwan, profitent de l'incapacité et du manque d'intérêt des autorités du pays pour faire respecter la législation du travail qui y est pourtant applicable. De nombreux employeurs paient des salaires inférieurs au minimum légal, refusent de payer des indemnités de maladie et pratiquent des retenues unilatérales sur le salaire de leurs employés. Le plus souvent, les pays qui accueillent des zones franches d'exportation sont confrontés à de graves difficultés pour y faire respecter leur législation en raison du manque d'inspecteurs du travail ou de l'impossibilité pour ces derniers d'entrer dans les ZFE.

Syndicats non grata

Même lorsqu'il n'existe aucun obstacle juridique, les syndicats sont confrontés à de grandes difficultés pratiques lorsqu'ils veulent avoir physiquement accès aux zones et entrer en contact avec les travailleurs qui y sont employés. Un syndicaliste philippin décrit ses difficultés lorsqu'il tente d'organiser la zone franche de Cavite, où seules 39 des 200 entreprises sont syndiquées : « Il faut entrer en contact avec les travailleurs en dehors de l'entreprise, durant leurs trajets de leur domicile au travail, ou sur leurs lieux de résidence mêmes. C'est parfois très difficile car les employeurs soudoient souvent les politiciens, policiers et autres officiels locaux pour qu'ils fassent pression sur les travailleurs pour les dissuader d'entrer en contact avec des syndicats. La majorité des travailleurs ont même peur de simplement répondre à nos questions, ils craignent pour leur emploi. Les différentes usines à l'intérieur de la zone sont entourées de fils barbelés et de gardes de sécurité. Impossible de pénétrer sur le territoire de l'entreprise sans l'autorisation de la direction ». Dans des zones franches de plusieurs pays, comme le Cameroun ou le Gabon, des entreprises utilisent des polices privées appelées « sécurité » ou « service de gardiennage », qui sont parfois armées pour empêcher les responsables syndicaux d'avoir accès aux sites de production.

La menace de licenciement est une arme utilisée par la grande majorité des employeurs des zones franches d'exportation pour dissuader les travailleurs de faire valoir leurs droits. Ainsi, au Vietnam, à peine 10 % des travailleurs sont engagés sous contrat à durée indéterminée. Pour les autres, les contrats s'échelonnent entre trois mois et un an, ce qui permet aux employeurs de contourner les conditions légales de constitution d'un syndicat dans les entreprises de 10 salariés ou plus. Malgré les bas salaires et les piètres conditions de travail et de vie, les travailleurs gardent le silence, par peur de perdre leur emploi. En Égypte, selon le dernier rapport annuel de la CISL, un travailleur d'une entreprise chimique située dans la zone « Tenth of Ramadan City » a déclaré que la plupart des entrepreneurs obligent les travailleurs à signer des lettres de démission avant le début de leur relation d'emploi afin de pouvoir être licenciés au gré de l'employeur. Selon une ONG égyptienne s'occupant des droits des travailleurs, « les patrons recourent à des réductions salariales et à des transferts dans des zones éloignées, pour faire taire les militants ou encore ils les licencient sommairement en prétendant qu'ils n'ont pas obéi aux instructions ».

Salaires et horaires

Les salaires minimums ou moyens payés officiellement dans les zones franches d'exportation ne sont, en général, pas très différents de ceux en vigueur dans le pays en question. Les problèmes surgissent, dans la pratique, lorsque des employeurs essaient de tricher avec les travailleurs, par exemple en ne leur faisant pas signer un contrat stipulant le salaire dû pour les heures normales ou supplémentaires. En l'absence de syndicats pour les défendre, les travailleurs n'osent généralement pas refuser d'être employés dans ces conditions, ou ne sont même pas au courant qu'il devrait y avoir une signature de contrat.

L'absence de contrats signés par les deux parties et de syndicats conduit trop souvent à des abus quant au nombre d'heures à prester par les travailleurs des ZFE. Beaucoup se plaignent de devoir prester des quantités astronomiques d'heures supplémentaires (jusqu'à 15 ou 16 heures de travail par jour dans certains cas extrêmes) s'ils veulent conserver leur emploi. Le raccourcissement généralisé des délais de livraison des commandes exigé par les acheteurs est l'une des causes expliquant ce phénomène : l'employeur n'ose pas refuser une commande, de peur de perdre la suivante, et oblige ses employés à prester des heures de travail inhumaines, allant parfois jusqu'à limiter le temps passé aux toilettes.

Santé et sécurité

Rares sont les pays où les employeurs des zones franches d'exportation ne sont pas tenus de respecter la législation en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail généralement applicable. Cela dit, même là où la législation sur la santé et la sécurité s'applique, on en revient à la question du contrôle de son application. L'un des problèmes les plus graves à ce sujet est l'enfermement à clé des travailleurs dans leurs ateliers durant leur temps de travail. Cette mesure, résultant de la psychose des employeurs qui craignent un vol par les travailleurs, a déjà causé bien des morts lors d'incendies d'entreprises. Le Bangladesh est l'un des pays les plus dangereux en cette matière, avec plusieurs incendies par an dans des entreprises bondées et parfois fermées à clé. D'autres problèmes liés à la santé et sécurité fréquemment dénoncés dans les entreprises des zones franches d'exportation concernent l'absence ou la faiblesse de la ventilation, de l'aide médicale disponible dans les usines, de matériel de protection, d'installations sanitaires, de formation quant aux dangers de l'activité, etc. Selon la CISL, le problème des zones franches d'exportation continuera à s'aggraver tant que les gouvernements, qui s'engagent auprès de l'Organisation internationale du travail à respecter les normes fondamentales du travail, refuseront d'admettre que ce sont les règles mêmes du système commercial mondial – notamment la libéralisation des investissements – qui ont pour effet que ces normes sont constamment bafouées. Les ZFE, qui avaient pour principal objectif d'attirer les investissements étrangers directs, et qui jouent désormais un rôle de premier ordre dans les échanges commerciaux à l'échelon mondial, sont devenues symboliques dans ce débat. Elles illustrent parfaitement comment la libéralisation effrénée des échanges, ne tenant aucun compte des normes sociales et environnementales, génère des bénéfices pour une minorité, tandis que des millions d'autres, y compris ceux qui trouvent un emploi dans les ZFE, sont livrés à des conditions précaires et à l'exploitation.

Synthèse du rapport de la CISL,

« Zones franches d'exportation. Exploitation maximale pour un développement minimal », sebtembre 2003

CISL : 5, Bld. du Roi Albert II, bte 1

B-1210 Bruxelles, Belgique.

Tél.: +32 2 2240211

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http//www.icftu.org


Le gouvernement mexicain ferme les yeux sur les abus dans ses ZFE

Les abus sont fréquents dans les près de 4 000 maquiladoras que compte le pays. Le gouvernement ne déploie guère d'efforts pour y appliquer la législation, voyant d'un bon œil cette arrivée massive de capitaux. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), près de 3 000 entreprises d'assemblage pour l'exportation ont été établies à Tijuana (Basse-Californie). Selon une étude présentée par une ONG mexicaine, plus de 1 300 000 travailleurs sont payés moins de six dollars par jour pour travailler dans des conditions souvent déplorables, et seuls 40 pour cent d'entre eux restent à leur poste au bout de trois mois à peine. Heures supplémentaires non rémunérées, harcèlement sexuel, discrimination à l'embauche, conditions d'hygiène inexistantes et licenciements arbitraires ne sont que quelques exemples de ce que peuvent endurer au quotidien les travailleurs des maquiladoras.

Beaucoup de travailleurs engagés dans les maquiladoras ont accepté de travailler en renonçant aux prestations légales auxquelles ils ont droit, et ils ont été obligés d'accepter un recrutement par contrat temporaire et verbal, ce qui affecte le droit de se syndiquer. De nombreuses maquiladoras ont recours aux services d'agences pour l'emploi qui élaborent des contrats temporaires en fonction des besoins de leurs clients et qui n'ont pas d'actifs propres leur permettant de répondre aux obligations patronales en cas de grève. En général, la politique du gouvernement est de laisser les maquiladoras travailler à huis clos et de les protéger face aux actions collectives entreprises par les travailleurs, même dans les cas où le travail dans les maquilas implique des activités dangereuses et est effectué sans l'équipement adéquat, ce qui met en danger la santé et la sécurité des travailleurs. Les autorités mexicaines ne protestent pas contre ces pratiques parce qu'elles veulent continuer à attirer les investissements étrangers.

Témoignage

« Je les tiens responsables de ce qui m'est arrivé. C'est à cause d'eux que j'ai perdu mon bébé. Si au moins ils m'avaient donné la permission de rentrer chez moi, je n'aurais jamais perdu mon bébé. Je me sens encore malade ».

Témoignage de Aracely Lara Fuentes, 25 ans, travailleuse de l'usine Corazon, dans la zone franche de Calpules, Honduras (août 2003). Les patrons de l'usine Corazon sont restés de bois devant les demandes répétées qu'elle leur a présentées pour pouvoir s'absenter du travail, alors qu'elle se sentait malade et qu'elle en était à son troisième mois de grossesse. Ils ont encore refusé de lui accorder un congé de maladie lorsqu'elle a commencé à saigner. À 17 h 15, elle a terminé sa journée, elle est rentrée à son appartement d'une pièce qu'elle partageait avec d'autres, et à 19 heures elle a fait une fausse couche.

Les principes directeurs de l'OCDE et la déclaration de l'OIT :

deux outils précieux, mais...

Si elles étaient correctement appliquées, la « Déclaration de l'OCDE sur l'investissement international et les entreprises multinationales » établie en 1976 et la « Déclaration de principes tripartite de l'OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale » aideraient à résoudre les principaux problèmes rencontrés dans les zones franches d'exportation. La déclaration de l'OIT (non contraignante) négociée entre gouvernements, organisations d'employeurs et de travailleurs, concerne toutes les activités des multinationales, à l'extérieur comme à l'intérieur des zones franches. Son paragraphe 46 stipule que là où les gouvernements des pays d'accueil offrent des avantages particuliers pour attirer les investissements étrangers, ces avantages ne devraient pas se traduire par des restrictions quelconques apportées à la liberté syndicale des travailleurs ou à leur droit d'organisation et de négociation collective. En ce qui concerne les salaires, le paragraphe 33 de cette Déclaration affirme que les salaires, prestations et conditions de travail offerts par les entreprises multinationales ne devraient pas être moins favorables pour les travailleurs que ceux qu'accordent les employeurs comparables dans le pays en cause. Plus loin, le paragraphe 37 souligne que les multinationales devraient maintenir les normes de sécurité et d'hygiène les plus élevées, conformément aux exigences nationales, compte tenu de leur expérience correspondante acquise dans l'entreprise tout entière. La question de la représentation syndicale est réglée par le paragraphe 49, selon lequel les travailleurs employés par les entreprises multinationales devraient avoir le droit, conformément à la législation et à la pratique nationales, de faire reconnaître des organisations représentatives de leur propre choix aux fins de la négociation collective. Il est certain que si les employeurs respectaient ces principes de base adoptés par leurs propres organisations représentatives, la productivité et la durabilité de leurs entreprises se trouveraient renforcée, tandis que les travailleurs comme les pays hôtes des ZFE retireraient bien plus de bénéfices de leur existence.

La Déclaration de l'OCDE sur l'investissement international et les entreprises multinationales a été établie en 1976, un an avant la Déclaration de l'OIT. Il s'agit en fait d'une recommandation des gouvernements de l'OCDE aux entreprises multinationales afin qu'elles adhèrent aux Principes directeurs à l'intention des entreprises multinationales (les Principes directeurs de l'OCDE) qui sont inclus en tant qu'annexes à la Déclaration. Le but est de « favoriser la contribution positive que les entreprises multinationales peuvent apporter au progrès économique, social et environnemental, en contribuant à ce qu'elles opèrent en harmonie avec les politiques nationales de leur pays d'accueil ». Les Principes directeurs de l'OCDE comportent le « principe du traitement national », aux termes duquel les pays membres s'engagent à « faire bénéficier les entreprises sous contrôle étranger, opérant sur leur territoire, d'un régime non moins favorable que celui qu'ils accordent aux entreprises nationales dans les mêmes circonstances ». Les Principes directeurs de l'OCDE sont qualifiés de « bonnes pratiques pour tous » et, à l'instar de la Déclaration de l'OIT, ne sont pas juridiquement contraignants. L'instrument comporte des recommandations gouvernementales couvrant les activités des entreprises multinationales avec des chapitres sur les politiques générales, la publication d'informations, l'emploi et les relations professionnelles, la protection de l'environnement, la lutte contre la corruption, les intérêts des consommateurs, la science et la technologie, la concurrence et la fiscalité. La Déclaration s'applique à tous les gouvernements des pays de l'OCDE, ainsi qu'à l'Argentine, au Brésil et au Chili, et à toutes les entreprises multinationales qui agissent à l'intérieur de ces frontières ou qui ont leur siège dans l'un de ces pays. L'incidence des Principes directeurs de l'OCDE est comparable à celle de la Déclaration de l'OIT : il s'agit d'une série de directives positives créant un cadre international pour réglementer les entreprises multinationales et leur conduite sociale. En dépit des problèmes rencontrés au niveau de leur application pratique, les Principes directeurs et la Déclaration de l'OIT constituent les deux plus importants ensembles de normes reconnues à l'échelon international existant à ce jour et elles sont, deux décennies après leur adoption, aussi pertinentes que nécessaires.

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