Cinquante mille personnes, 131 pays représentés, 700 ateliers de réflexion et de débat. La deuxième édition du Forum social mondial en février dernier n'est pas passée inaperçue. Le succès considérable de cet événement amène les organisateurs à préparer l'avenir – radieux ? – de la contestation néolibérale. Avec, à la clé, une bonne nouvelle : le rapprochement progressif des " nouveaux " mouvements sociaux et des organisations syndicales " classiques ".
Au-delà des apparences médiatiques d'une sorte de Woodstock de la contestation, le deuxième Forum social mondial de Porto Alegre fut un événement " sérieux ". Non que les manifestations festives et autres cortèges animés en furent exclus, loin de là. Mais les images de fête et de mobilisation n'ont peut-être pas donné une idée exacte du travail très soutenu effectué par des milliers de participants dans des séminaires, conférences et autres workshops. À l'ordre du jour de ces travaux : la production de richesses, l'accès au bien-être et le développement durable, la société civile et le débat public, le pouvoir politique et l'éthique dans la société.
Cette année, deux événements marquants ont, en particulier, été portés par les organisations syndicales internationales (1) dans le contexte de Porto Alegre. Le premier fut la déclaration commune des syndicats mondiaux sur le thème Mondialiser la justice sociale (lire encadré page suivante). Cette déclaration est le fruit d'un travail commun des deux grandes organisations syndicales mondiales (CMT et CISL), fait assez rare que pour être souligné. Le second fut l'organisation d'un séminaire sur un thème d'actualité: la question de l'emploi, et en particulier de l'emploi de qualité.
Si, lors du premier Forum social mondial, en 2001, la présence syndicale était surtout le fait des pays d'Amérique latine, en particulier du Brésil, cette année, cette présence était plus marquée, et plus internationale. Au niveau belge, des délégations de la CSC et de la FGTB étaient présentes; au niveau européen, la Confédération européenne des syndicats y avait envoyé des représentants (2), ainsi que, au niveau mondial, la CMT et la CISL. Certes, les représentants syndicaux demeurent minoritaires parmi l'ensemble des participants, mais il faut noter que cette deuxième édition du Forum a, en particulier, permis d'enclencher des dynamiques nouvelles de rapprochement entre les mouvements sociaux, qualifiés de " nouveaux " (3), et les organisations syndicales dites " classiques ". " La question des relations entre le monde ouvrier et ces nouveaux mouvements sociaux se pose différemment en Europe et dans les pays en développement ", distingue Pino Carlino, Secrétaire national de la CSC qui était présent à Porto Alegre. " Chez nous, le mouvement syndical est le fruit d'une histoire longue et s'inscrit dans le contexte de l'entreprise, du travailleur salarié. Dans les pays en développement, où l'économie informelle est très répandue, il n'y a pas d'organisation syndicale au sens où nous l'entendons, mais plutôt des mouvements sociaux. Les relations sont fortes entre ces mouvements et la société civile, la coopération y est naturelle et spontanée ".
Même analyse du côté de Philippe Pochet, directeur de l'Observatoire social européen, qui était lui aussi présent sur place. " Sur le continent américain, lance-t-il, il n'y a pas de tensions entre organisations non gouvernementales, mouvements sociaux et syndicats. Tous ces acteurs travaillent ensemble; ce qui n'a pas toujours été le cas en Europe. Mais je pense qu'aujourd'hui, l'expérience de Porto Alegre permet de détendre l'atmosphère; certaines réticences tombent ".
À quelques semaines de la clôture de Porto Alegre II, de très nombreuses questions demeurent ouvertes sur le mouvement lui-même, sur sa définition, ses objectifs, ses revendications. " Ce qui est vraiment étonnant, estime Ph. Pochet, c'est qu'on se trouve dans un mouvement qui n'a de cesse de réfléchir sur lui-même tout en étant en très forte croissance : comment se fait-il que nous soyons si nombreux ? Faut-il structurer le mouvement ? Si oui, comment ? Comment arriver à gérer notre diversité ? Comment ne pas se faire récupérer ? Comment ne pas être un simple effet de mode ? Quelle est notre capacité propositionnelle ? ". Toutes ces interrogations, ajoutées à l'incroyable diversité des thèmes traités (4), entraînent inévitablement la question de la synthèse. Est-il possible – et souhaitable – de résumer les débats, d'en tirer des conclusions, des revendications, des propositions ? " À mon avis, non. Ce qui s'est passé n'est pas assez structuré, il y a trop d'options possibles ", tranche Pochet. " Il est extrêmement difficile, voire impossible, de saisir l'entièreté du mouvement, de le comprendre dans sa globalité. "
Pino Carlino insiste pour sa part sur les dynamiques nouvelles enclenchées. " Porto Alegre a été l'occasion d'un questionnement nouveau : quel type de coopération faut-il mettre en œuvre entre mouvements sociaux et organisations syndicales ? Ce fut, en particulier pour nous, les Belges, une occasion de se rencontrer, de discuter. On travaille actuellement sur un projet de Forum social belge, où se retrouvent des ONG qui ont pignon sur rue (CNCD, OXFAM, ATTAC, le Réseau contre la spéculation financière…), la CSC et la FGTB. Un comité de liaison provisoire a été mis sur pied. "
L'objectif à moyen terme ? Définir un plan de travail, examiner ensemble quelle pourrait être la contribution belge au Forum social européen de fin octobre (qui se tiendra en Italie), et préparer janvier 2003 ! " À Porto Alegre, conclut Carlino, on a tous dit qu'un autre monde est possible. Cet autre monde doit aussi être possible chez nous; alors pour le concrétiser, commençons par consolider notre modèle social, défendre les services publics, l'accès aux soins de santé, à l'éducation, à l'eau… En travaillant ensemble, nous pourrons devenir un exemple pour ces pays. "
Christophe Degryse
- La Confédération mondiale du travail (CMT, d'inspiration sociale chrétienne), et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL, d'inspiration socialiste).
- Ainsi bien sûr que des représentants syndicaux français, italiens, hongrois, etc.
- Démocratie consacrera un prochain numéro aux "nouveaux mouvements sociaux", qui regroupent sous cette appellation unique des organisations non gouvernementales, des associations, des collectifs (de "sans": sans emploi, sans papier, sans ticket…), etc.
- Entre autres: dette des pays en développement, organismes génétiquement modifiés, commerce mondial, développement durable, droits de l'homme, agriculture, spéculation financière, etc.
(Porto Alegre) et du Forum économique mondial (New York) - janvier/février 2002 Les travailleurs dans la majeure partie du monde vivent mal ces premières années du 21e siècle en raison de la détérioration de la sécurité de l’emploi et de la priorité croissante du capital par rapport aux salaires. Les inégalités s’accroissent - entre riches et pauvres, entre hommes et femmes et entre les pays en développement et les pays industrialisés. De même, les institutions économiques internationales dominent de plus en plus les pays en développement. La pauvreté augmente alors que les richesses s’accumulent et se concentrent comme jamais auparavant.
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