La libéralisation du marché de l’énergie n’a pas fini de faire parler d’elle. Une libéralisation qui semble mal préparée, mal contrôlée, et qui aboutit à des situations peu transparentes, des problèmes de contrôle des prix, une augmentation des plaintes et, comme toujours, des difficultés croissantes pour les ménages précaires.
La libéralisation du marché de l’énergie – gaz et électricité – s’inscrit dans une longue vague européenne, entamée avec les télécommunications, le rail, l’aviation et les services postaux. Dans le secteur énergétique, la première pierre a été posée par une directive de 1996, complétée par deux directives spécifiques de 2003, organisant l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité résidentiels. À charge des États membres de la mettre en œuvre pour le 1er juillet 2007 au plus tard.
En matière de transposition des directives en droit belge, il faut évidemment tenir compte de la répartition des compétences : c’est le fédéral qui continue à gérer celles touchant à la production, l’approvisionnement, le transport et les prix, tandis que les Régions sont compétentes en matière d’organisation du marché et pour les politiques énergétiques, sociales et environnementales y afférant. C’est ce qui explique que les agendas d’ouverture à la libéralisation aient varié selon les Régions : ouverture complète en Flandre depuis juillet 2003, alors qu’à Bruxelles et en Wallonie, l’ouverture s’est faite en juillet 2004 pour les clients professionnels et en janvier 2007 pour le reste du marché.
De source sûre, on a également appris l’existence d’un rapport de la société de consultance Cap Gemini indiquant que, pour les petits pays, on n’observe pas de différences particulières de tarifs entre ceux qui ont libéralisé depuis longtemps et ceux qui ont libéralisé récemment. Le lien entre renforcement de la concurrence et baisse des prix n’apparaît donc pas clairement établi dans le secteur. Par ailleurs, selon le rapport de la Banque nationale, la majeure partie de l’évolution comparativement favorable des tarifs belges (+ 6 % en cinq ans, contre 18 % dans le reste de la zone euro) est en fait imputable aux réductions de prix imposées par la Commission de contrôle de l’électricité et du gaz (CCEG) lorsque le marché était encore réglementé, puis, sur le marché dérégulé, par la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) : ces réductions ne portent que sur le transport et la distribution, pour lesquels existent toujours des monopoles (notamment les intercommunales)...
Mais le rapport annonce également des hausses sensibles dans les mois à venir. En cause : le fait que la motivation des baisses de tarifs imposées par la Creg ait été contestée d’un point de vue juridique par les intercommunales et que les tribunaux leur aient donné raison en estimant que la Creg avait outrepassé ses compétences. Le rapport plaide donc pour un élargissement des compétences de la Creg en matière de distribution – ce segment demeurant monopolistique.
Le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de l’Énergie, Paul Magnette (PS), a d’ailleurs présenté un projet de loi qui étend les pouvoirs de la Creg, de façon à confirmer sa capacité à apprécier le caractère « raisonnable » des coûts présentés par les gestionnaires de réseaux de distribution en lui donnant notamment un accès aux coûts réels des producteurs, importateurs et fournisseurs. Bref, de rétablir la Creg dans son rôle de police, que la justice lui a contesté suite aux recours des intercommunales.
Si les conséquences de la libéralisation pour le « ménage lambda » demeurent difficiles à évaluer, celles qui touchent les ménages les plus précaires semblent en revanche plus claires... et plus négatives. Ainsi, d’après le Rapport pauvreté du Centre pour l’égalité des chances (Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale) 2, la complexité des contrats rend difficile la comparaison des tarifs (particulièrement pour les ménages ne disposant pas d’une connexion à Internet, et donc des possibilités de calculs comparatifs en ligne). Un problème encore aggravé par des « techniques de vente agressives » ou trompeuses : « des personnes se retrouvent engagées sans même s’en rendre compte et sans l’avoir ni voulu ni demandé. Certaines se retrouvent ainsi avec plusieurs contrats et se voient contraintes de payer des dédommagements ». Conséquence logique : la Direction générale de contrôle et de médiation du SPF Économie, Classes moyennes et Énergie aurait enregistré, pour l’année 2006, approximativement 2 800 plaintes relatives à la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, liées surtout à des problèmes de facturation, aux techniques de vente agressives des fournisseurs et au manque de clarté des contrats. Pour l’année 2007, correspondant à la mise en place de la libéralisation en Wallonie et à Bruxelles, ces plaintes ont doublé et sont passées à 5 630. Et le rapport du Centre de plaider pour la mise en place d’un service spécialisé dans le traitement de ces plaintes. Au-delà des mesures sociales et de régulation destinées à répondre à ce que le Rapport pauvreté désigne comme des maladies de la libéralisation – sans préciser si elles sont de jeunesse ou pas – un consensus semble se dégager en faveur d’un contrôle plus strict du marché non seulement dans ses segments libéralisés mais aussi, et peut-être surtout, dans ceux qui restent sous monopole. C’est ce que résume la formule assassine de Bruno Liebhaberg : « le gouvernement a l’occasion de mettre fin au processus systématique de privatisation des profits et de socialisation des coûts qui a trop souvent caractérisé les relations entre électriciens et pouvoirs publics dans notre pays ».
(*) Agence Alter
1. Le rapport « L’évolution de l’inflation en Belgique : une analyse de la BNB à la demande du gouvernement fédéral » est disponible sur le site de la Banque : www.bnb.be
2. Le rapport est disponible sur le site du service : www.luttepauvrete.be/rapportbisannuel4.htm
La libéralisation du marché de l’énergie – gaz et électricité – s’inscrit dans une longue vague européenne, entamée avec les télécommunications, le rail, l’aviation et les services postaux. Dans le secteur énergétique, la première pierre a été posée par une directive de 1996, complétée par deux directives spécifiques de 2003, organisant l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité résidentiels. À charge des États membres de la mettre en œuvre pour le 1er juillet 2007 au plus tard.
En matière de transposition des directives en droit belge, il faut évidemment tenir compte de la répartition des compétences : c’est le fédéral qui continue à gérer celles touchant à la production, l’approvisionnement, le transport et les prix, tandis que les Régions sont compétentes en matière d’organisation du marché et pour les politiques énergétiques, sociales et environnementales y afférant. C’est ce qui explique que les agendas d’ouverture à la libéralisation aient varié selon les Régions : ouverture complète en Flandre depuis juillet 2003, alors qu’à Bruxelles et en Wallonie, l’ouverture s’est faite en juillet 2004 pour les clients professionnels et en janvier 2007 pour le reste du marché.
Macroéconomiquement flou
Sur le plan macroéconomique, les conséquences de ces changements restent difficiles à appréhender. Ainsi un récent rapport de la Banque nationale 1, réalisé à la demande du gouvernement fédéral conclut que « la libéralisation du segment résidentiel du marché de l’électricité n’a pas eu d’incidence sur la partie du prix de l’électricité pour laquelle différents fournisseurs sont en concurrence ». Il constate en outre une hausse nettement moins forte dans notre pays que dans le reste de la zone euro, au cours des cinq dernières années : 6 % en Belgique contre 18 % dans la zone euro. En matière de fourniture, la Banque plaide en faveur d’une « certaine supervision ». Elle constate en effet que « le principe d’indexation des tarifs manque parfois de transparence » et déplore que « l’autorité de régulation ne dispose pas des compétences nécessaires pour juger du caractère abusif ou non des changements de tarifs ou de paramètres d’indexation des fournisseurs ». S’il fait aussi confiance au développement de la concurrence pour remédier à ces éventuels abus, le rapport souligne toutefois que l’existence actuelle d’opérateurs dominants renforce le besoin de supervision...De source sûre, on a également appris l’existence d’un rapport de la société de consultance Cap Gemini indiquant que, pour les petits pays, on n’observe pas de différences particulières de tarifs entre ceux qui ont libéralisé depuis longtemps et ceux qui ont libéralisé récemment. Le lien entre renforcement de la concurrence et baisse des prix n’apparaît donc pas clairement établi dans le secteur. Par ailleurs, selon le rapport de la Banque nationale, la majeure partie de l’évolution comparativement favorable des tarifs belges (+ 6 % en cinq ans, contre 18 % dans le reste de la zone euro) est en fait imputable aux réductions de prix imposées par la Commission de contrôle de l’électricité et du gaz (CCEG) lorsque le marché était encore réglementé, puis, sur le marché dérégulé, par la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) : ces réductions ne portent que sur le transport et la distribution, pour lesquels existent toujours des monopoles (notamment les intercommunales)...
Mais le rapport annonce également des hausses sensibles dans les mois à venir. En cause : le fait que la motivation des baisses de tarifs imposées par la Creg ait été contestée d’un point de vue juridique par les intercommunales et que les tribunaux leur aient donné raison en estimant que la Creg avait outrepassé ses compétences. Le rapport plaide donc pour un élargissement des compétences de la Creg en matière de distribution – ce segment demeurant monopolistique.
Le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de l’Énergie, Paul Magnette (PS), a d’ailleurs présenté un projet de loi qui étend les pouvoirs de la Creg, de façon à confirmer sa capacité à apprécier le caractère « raisonnable » des coûts présentés par les gestionnaires de réseaux de distribution en lui donnant notamment un accès aux coûts réels des producteurs, importateurs et fournisseurs. Bref, de rétablir la Creg dans son rôle de police, que la justice lui a contesté suite aux recours des intercommunales.
Transparence
De manière générale, c’est aussi la transparence nécessaire à une régulation efficace qui semble faire défaut. Ainsi, selon une Carte blanche de Bruno Liebhaberg, professeur de régulation des entreprises et des marchés dans l’Union européenne à la Solvay Business School (ULB) : « En matière de production, et alors que, depuis 1955, les sociétés d’électricité avaient l’obligation de faire rapport sur leurs coûts de production (au Comité de contrôle de l’époque), Electrabel refuse depuis 2002 de s’exécuter, en alléguant que ces informations constituent des secrets d’affaires non communicables dans un environnement concurrentiel et internationalisé » (Le Soir du 28 février 2008). À titre de comparaison, on précisera que l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), le régulateur des télécoms, connaît, en revanche, tous les éléments constitutifs du prix de revient de Belgacom, Mobistar et Base. L’opacité qui caractérise par contraste, le marché de l’électricité constitue évidemment un frein à toute intervention efficace du gouvernement ou du régulateur.Si les conséquences de la libéralisation pour le « ménage lambda » demeurent difficiles à évaluer, celles qui touchent les ménages les plus précaires semblent en revanche plus claires... et plus négatives. Ainsi, d’après le Rapport pauvreté du Centre pour l’égalité des chances (Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale) 2, la complexité des contrats rend difficile la comparaison des tarifs (particulièrement pour les ménages ne disposant pas d’une connexion à Internet, et donc des possibilités de calculs comparatifs en ligne). Un problème encore aggravé par des « techniques de vente agressives » ou trompeuses : « des personnes se retrouvent engagées sans même s’en rendre compte et sans l’avoir ni voulu ni demandé. Certaines se retrouvent ainsi avec plusieurs contrats et se voient contraintes de payer des dédommagements ». Conséquence logique : la Direction générale de contrôle et de médiation du SPF Économie, Classes moyennes et Énergie aurait enregistré, pour l’année 2006, approximativement 2 800 plaintes relatives à la libéralisation des marchés du gaz et de l’électricité, liées surtout à des problèmes de facturation, aux techniques de vente agressives des fournisseurs et au manque de clarté des contrats. Pour l’année 2007, correspondant à la mise en place de la libéralisation en Wallonie et à Bruxelles, ces plaintes ont doublé et sont passées à 5 630. Et le rapport du Centre de plaider pour la mise en place d’un service spécialisé dans le traitement de ces plaintes. Au-delà des mesures sociales et de régulation destinées à répondre à ce que le Rapport pauvreté désigne comme des maladies de la libéralisation – sans préciser si elles sont de jeunesse ou pas – un consensus semble se dégager en faveur d’un contrôle plus strict du marché non seulement dans ses segments libéralisés mais aussi, et peut-être surtout, dans ceux qui restent sous monopole. C’est ce que résume la formule assassine de Bruno Liebhaberg : « le gouvernement a l’occasion de mettre fin au processus systématique de privatisation des profits et de socialisation des coûts qui a trop souvent caractérisé les relations entre électriciens et pouvoirs publics dans notre pays ».
(*) Agence Alter
1. Le rapport « L’évolution de l’inflation en Belgique : une analyse de la BNB à la demande du gouvernement fédéral » est disponible sur le site de la Banque : www.bnb.be
2. Le rapport est disponible sur le site du service : www.luttepauvrete.be/rapportbisannuel4.htm