Les aspects les plus visibles de cette « préparation au combat » sont l’ouverture du capital au privé depuis 2005, via la vente d’actions au consortium formé par CVC Partners et la poste danoise (300 millions d’euros pour 50 % des actions moins une) ; la réduction continue du nombre d’emplois (27 898 équivalents temps-plein prévus en 2010, contre 34 537 en 2005) ; la mise en place du plan Géoroute en quatre temps afin d’augmenter la productivité en « rationalisant » les tournées et en mécanisant le tri (création de quatre centres de tri high tech à Gand, Liège, Anvers et Charleroi) ; la mise en franchise progressive de la moitié des 1 300 bureaux de poste, transformés en « points poste » gérés par le privé.
Au centre des inquiétudes suscitées par les modifications actuelles, se trouve la question du service universel, actuellement défini en Belgique comme la collecte et la distribution des lettres de moins de 2 kg, et des colis de moins de 10 kg, cinq fois par semaine, à un prix identique sur l’intégralité du territoire. Désormais, pour assurer ce service, la Poste devra trouver d’autres sources de financement que les actuelles « rentes de monopole » que lui assurait jusqu’à présent sa situation privilégiée sur les secteurs encore non libéralisés du marché (domaine réservé). Plusieurs possibilités de financement sont mentionnées par la Commission, telles que les aides d’État, la mise en place d’un fonds de compensation alimenté par les opérateurs concurrents, qui, eux, ne sont pas soumis à l’obligation de service universel, un système pay or play (qui placerait les nouveaux opérateurs devant le choix de respecter les obligations de service universel, ou de payer s’ils souhaitent s’y soustraire), et enfin, l’appel d’offres. La Belgique n’a pas encore effectué son choix mais, ici comme ailleurs, le diable risque de se cacher dans les détails et on imagine sans peine les batailles juridiques menées au nom de la concurrence non faussée, face à telle aide ou tel fonds jugé exorbitants par un concurrent : la Commission travaille d’ailleurs actuellement à l’établissement d’un mode de calcul pour ces coûts, forcément variables d’un pays à l’autre, en fonction de la topographie et de la densité de population.
Impact social
Quant aux conséquences prévisibles de la mise en concurrence totale, les analyses des consultants d’entreprises rejoignent – et alimentent – les craintes syndicales. La Commission a en effet commandé à la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) une étude visant à évaluer, pour chaque État membre l’impact, en terme de prestation de service universel, d’une libéralisation totale du marché en 2009. Même si le couperet a été désormais repoussé de deux ans au niveau européen, il y a peu de raisons de penser que les conclusions principales en soient modifiées. Ainsi, pour la Belgique, PwC prévoit d’importantes répercussions négatives pour le budget de la Poste. Et ce, d’autant plus que notre pays offrirait vraisemblablement des opportunités de marché intéressantes pour de nouveaux opérateurs : la haute densité de la population et le taux d’urbanisation très élevé en font un marché « facile » et rentable. Selon PwC, ces opérateurs auraient tôt fait de s’emparer des secteurs les plus rentables du marché, abandonnant le reste à la seule Poste, en charge de l’obligation de service universel. On notera d’ailleurs que, pour les secteurs du marché qui ont déjà été libéralisés, la Poste n’est nulle part en position de leader sur le marché (qui est plutôt contrôlé par Deutsche Post, TNT et DHL), et que la libéralisation s’est traduite par une perte nette de parts de marché.
D’un point de vue concurrentiel, le rapport souligne que les acteurs pourraient profiter d’un avantage en mettant au travail des indépendants plutôt que des agents contractuels – ou a fortiori – statutaires, comme c’est le cas pour La Poste. Bref, pour survivre, l’opérateur historique devrait introduire une certaine flexibilité pour les agents statutaires ou, mieux, négocier la même convention collective pour l’ensemble du secteur postal belge. Pour le moment, c’est la première option, qui a l’air choisie, notamment via la mise en franchise de la moitié des actuels 1 300 bureaux de poste, qui deviendront de « points poste » gérés par le privé : le contrat de gestion ne prévoit l’obligation de maintien d’un bureau de poste par commune (soit un minimum de 589, bien loin des actuels 1 300). Pour le personnel, ces mesures signifient une augmentation des cadences et de la flexibilité – mises en évidence par les grèves sporadiques qui ont accompagné la mise en route du plan Géoroute. Cette flexibilité porte sur les horaires, mais aussi sur les lieux de travail : de nombreux employés de petits bureaux ruraux qui fermeront seront en effet transférés, par exemple, dans un des quatre nouveaux centres de tri high tech.
Du point de vue non plus du travailleur mais du consommateur, il est révélateur de constater que le rapport de PwC anticipe une forte augmentation des tarifs pour les envois timbrés (pour les clients résidentiels), ce qui contredit les discours de légitimation politique de la mesure, mais confirme l’expérience commune de libéralisation de secteurs tels que le gaz et l’électricité.
Enfin, c’est aussi sur le plan environnemental que les choix stratégiques que la libéralisation future impose à la Poste apparaissent contestables : installés à proximité des autoroutes, les quatre nouveaux centres de tri misent visiblement bien plus sur le tout-au-camion que sur le ferroutage ou l’intermodalité : une option qui pourrait s’avérer fort coûteuse à terme… 1.
1 Voir Pierre Eyben et François Schreuer, « La Poste : acter le désastre, ouvrir le champ des possibles», Le Journal du Mardi, n°332, août 2007.