Les pays de l’Union européenne connaissent de fortes divergences quant à leur système de fixation du salaire minimum. Ceci explique, par exemple, la difficulté des débats relatifs à la constitution d’un salaire minimum européen. Dans les lignes qui suivent, nous examinerons les évolutions du salaire minimum en Belgique, en France et aux Pays-Bas, et en tirerons des conclusions relatives aux forces et faiblesses de ce minimum salarial.

 En Belgique, le salaire minimum, officiellement appelé « revenu minimum mensuel moyen garanti » (RMMMG), a été introduit en 1975 par le biais de la Convention collective de travail nº 43. Il s’agit d’un montant minimum mensuel que les employeurs du secteur privé doivent garantir aux travailleurs à temps plein et âgés de 21 ans ou plus, et ce, en moyenne sur une année. Pour les travailleurs à temps partiel, le salaire minimum est calculé proportionnellement au nombre d’heures prestées.
Le RMMMG présente trois caractéristiques principales1. Tout d’abord, il s’agit d’un revenu plutôt que d’un salaire minimum. On se rapporte donc à tout ce qui compose la rémunération (salaires en espèce ou en nature, fixes ou variables, primes et avantages…). Ensuite, le RMMMG est calculé en termes bruts. Il est donc soumis aux cotisations sociales et à l’impôt. Enfin, il s’agit d’un revenu calculé sur une base annuelle, puisque « le RMMMG correspond au revenu minimum mensuel d’un travailleur salarié qu’un employeur doit garantir en moyenne au cours d’une année ».
Le salaire minimum belge n’est pas fixé par la loi. Cependant, un arrêté royal peut rendre obligatoire toute convention collective de travail. Ce salaire est négocié entre les partenaires sociaux. La particularité de notre pays réside dans le fait que le RMMMG a une portée nationale et donc interprofessionnelle, mais son niveau et ses augmentations sont négociés par les interlocuteurs sociaux2. De plus, des négociations peuvent se dérouler au sein même des secteurs afin de fixer un niveau de salaire minimum plus élevé. La Belgique connaît donc un salaire minimum interprofessionnel « de base » et des salaires minimums sectoriels. Comme nous le montre le tableau 1 page suivante, la valeur du RMMMG varie en fonction de l’âge (salaire minimum spécifique pour les jeunes) et de l’ancienneté.

Indexation

Deux règles relatives à l’augmentation du RMMMG sont appliquées en Belgique. Dans un premier temps, le salaire minimum est indexé dès que l’inflation atteint un seuil de 2 % de croissance par rapport à la dernière indexation. Dans un deuxième temps, des augmentations réelles peuvent avoir lieu à la suite de négociations salariales, mais elles ne sont qu’au nombre de trois depuis 1975 (la dernière ayant eu lieu en 2008).
L’évolution maximale, en 1982-1983, correspond à un indice de 108.13. Cet indice se situe ensuite entre 103.89 (en 1987) et 107.48 (en 1993). En 2004, cet indice atteint une valeur de 106.36. La valeur réelle3 du salaire minimum subit donc une légère tendance à la baisse. Les deux hausses mises en évidence précédemment, en 1982 et 1993, s’expliquent par les négociations sociales concernant le salaire minimum de 1981 et de 1992. La croissance du RMMMG brut, en euro, entre 1997 et 2008, n’est due qu’à l’indexation du salaire minimum, excepté en 2007 et 2008 où deux augmentations de 25 euros bruts ont eu lieu4.

France et Pays-Bas

Le salaire minimum français, appelé actuellement SMIC5 (salaire minimum interprofessionnel de croissance) est appliqué depuis 1950 et a suivi une évolution positive constante, comme nous le montre le graphique ci-contre6. Nous pouvons remarquer que ce minimum salarial a connu une croissance en termes réels plus marquée que celle de la Belgique, partant d’un niveau plus bas. Entre 2000 et 2005, la croissance du SMIC a été de 12 %, aussi bien pour les travailleurs prestant 39h/semaine que pour ceux étant passés dans le système des 35 heures7. Actuellement, le salaire minimum français s’élève à 8,71 ¤ par heure (chez nous : 8,75 ¤/heure).
Aux Pays-Bas, le salaire minimum revêt une caractéristique particulière puisqu’il détermine non seulement le niveau minimal de rémunération des travailleurs, mais également le niveau d’autres prestations sociales. En valeur réelle, le salaire minimum de ce pays a connu entre 1995 et 2003 une croissance de 4 % (pour passer de 287 ¤ par semaine en 1995 à 299 ¤ en 2003)8. Cependant, cette tendance s’inverse en 2003 pour revenir à une valeur de 289 ¤ par semaine en 2007, soit – 3.35 % de croissance.
Observons les évolutions du salaire minimum nominal brut dans les trois pays concernés (voir tableau page suivante). Deux points semblent importants à souligner en ce qui concerne les Pays-Bas : d’une part, le gel du salaire minimum en 2004 et 2005 (notons qu’en 1999, ce salaire était aussi gelé à une valeur de 1 057 ¤ brut par mois) ; d’autre part, la croissance entamée depuis la fin de cette période de gel, qui amène les Pays-Bas parmi les pays de l’UE ayant le salaire minimum le plus élevé (au même titre que la France ou encore la Belgique).
Cependant, un élément majeur apparaît. Si l’on regarde la valeur réelle du salaire minimum, comme nous l’avons fait précédemment, partant du graphique 1, les conclusions changent ou s’inversent puisque nous avions conclu une décroissance de la valeur réelle hebdomadaire de ce salaire ! Pour ce qui est de la France, son évolution lors de la décennie passée semble avoir concordé, en valeur brute, avec celle de la Belgique. En 2008, les trois pays ont des salaires minimums de valeur semblables, malgré des systèmes mis en place différemment.

Faiblesses du RMMMG

De manière générale, l’étude du salaire minimum met en évidence trois faiblesses majeures9. Selon la théorie économique néo-classique, l’introduction d’un salaire minimum sur le marché du travail n’est pas perçue comme un élément positif. Celui-ci est considéré comme un instrument qui réduit le bas de l’éventail salarial. Ce sont donc en général les jeunes et les personnes à faible qualification qui sont pénalisés par l’introduction d’un tel revenu. La théorie néo-classique met en évidence que cet effet négatif résulte du fait que face au salaire minimum, les entreprises ne sont plus capables d’embaucher les travailleurs dont la productivité individuelle est inférieure au niveau de ce salaire, le revenu minimum étant plus élevé que le salaire d’équilibre.
Cependant, cette théorie ne reflète pas totalement la réalité. En effet, les marchés du travail sont loin d’être composés de travailleurs homogènes ; ils ne sont pas concurrentiels et sont généralement caractérisés par une asymétrie d’information plus ou moins importante. Ceci explique que de plus en plus d’études remettent en cause les conclusions négatives de l’introduction du salaire minimum. En 1998, l’OCDE affirmait que le salaire minimum n’est pas un élément négatif pour l’emploi, même pour celui des jeunes et des peu qualifiés. Cependant, ces nouvelles études ne parviennent pas à rassurer les pays de l’Union européenne. Ceux-ci restent attentifs aux coûts du travail et tentent de limiter l’évolution des salaires minimums, car les États sont conscients des possibilités de substitution entre travail et capital. De plus, nous pourrions réduire l’argument négatif relatif au salaire minimum en adoptant un point de vue plus keynésien. Celui-ci reviendrait à voir dans l’augmentation salariale une opportunité d’augmenter la production des entreprises concernées. En effet, l’augmentation salariale nécessaire pour atteindre le salaire minimum se traduit par une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs (à situation de départ inchangée). Cette augmentation du pouvoir d’achat va pousser la consommation à la hausse et donc aussi la production. Cette augmentation de production pourrait être capable de couvrir l’augmentation des coûts salariaux et assurer à la fois les marges de profit des entreprises. Dans une telle argumentation, travailleurs/consommateurs et patrons bénéficient de l’introduction du salaire minimum. Il apparaît donc de plus en plus que la vision du salaire minimum comme instrument à effet négatif sur le marché de l’emploi n’est pas fondée.
Deuxième faiblesse parfois mise en évidence : les « pièges financiers »10. On regroupe sous ce terme l’ensemble des situations pour lesquelles le passage du non-travail au travail se traduit par une perte financière ou par un gain monétaire d’ampleur très limitée (inférieure à 15 %). De nombreuses personnes appuient l’idée selon laquelle ce serait la faible différence entre l’allocation de chômage et le salaire minimum qui provoquerait ces pièges financiers, avec pour conséquence de ne pas pousser les chômeurs à l’emploi. Cependant, l’argument est relativisé par d’autres qui mettent en évidence les coûts liés à la mise en emploi comme facteur de ces pièges. Il s’agit aussi bien de coûts directs (frais de garde d’enfants, frais de transport…) que de coûts indirects (disparition d’avantages sociaux…). Il apparaît que, majoritairement, ce sont les travailleurs à temps partiel qui sont concernés par ces pièges. En effet, la perspective d’être rémunéré au salaire minimum proportionnellement au nombre d’heures prestées, tout en subissant des coûts liés à la remise en emploi, freine l’entrée sur le marché de l’emploi de ces personnes.
Bien que le salaire minimum à temps plein soit fixé au-dessus du niveau du seuil de pauvreté d’un isolé, certaines populations se retrouvent dans des situations de précarité : les femmes avec enfants, les familles monoparentales, les familles nombreuses... D’autres mécanismes sont donc à mettre en parallèle avec l’utilisation du salaire minimum pour assurer son efficacité. Il en va de même pour les personnes travaillant à temps partiel et recevant un salaire minimum proportionnel au nombre d’heures prestées.

En conclusion

Bien que les systèmes relatifs au salaire minimum divergent d’un pays à l’autre, il apparaît que les performances belges, françaises et néerlandaises se valent puisque les niveaux salariaux minimums sont fort proches. Cependant, malgré cette proximité des valeurs, chaque pays voit son nombre de travailleurs touchés par ce système varier avec une plus ou moins grande intensité. Par exemple, la proportion de personnes travaillant à temps plein au SMIC en France est près de 5,58 fois plus élevée qu’aux Pays-Bas !
Depuis sa mise en application en 1975, il semble que le salaire minimum belge a bien évolué, pour être classé parmi les plus hauts d’Europe. Nous pourrions mettre en évidence que les systèmes tels que le bonus à l’emploi ont été bénéfiques et ont permis de renforcer le pouvoir d’achat des travailleurs rémunérés au minimum. Dans la même optique, l’allocation de garantie de revenu semble vouloir pallier les problèmes des pièges à l’emploi, et ce, même si la personne quitte le chômage pour un emploi à faible rémunération11. Elle reste néanmoins peu incitative. Il semble que des efforts restent à fournir par exemple pour les jeunes et les travailleurs à temps partiel (c’est-à-dire bien souvent des femmes, avec enfants à charge).

(*) Stagiaire au Service d’études de la CSC



1 T. Moulaert et J. Verly, « Le revenu minimum mensuel moyen garanti », Chronique internationale de l’IRES, nº 103, Belgique 2006.
2 Or, dans des pays comme l’Espagne, la France, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, la portée interprofessionnelle du salaire minimum provient du fait que c’est l’État qui détermine le niveau et la progression du salaire minimum national.
3 Valeur du salaire minimum brut imputée de l’inflation.
4 Suite à l’AIP 2007/2008 qui fixait une augmentation de 50 euros du RMMMG interprofessionnel.
5 Entre 1950 et le début des années 1970, le salaire minimum s’appelait le SMIG – Salaire minimum interprofessionnel garanti.
6 L’année 1975 est prise en tant qu’indice de base, comme précédemment pour la Belgique.
7 Une distinction est faite entre ces deux systèmes, bien que majoritairement, ce soit celui des 35 h qui prévaut.
8 Base de l’indice des prix = 2005.
9 Cette liste n’est pas exhaustive, mais met en évidence les critiques qui nous paraissent être les plus pertinentes.
10 Les propos de ce point s’inspirent de : M. Dejemeppe, I. De Greef, O. Lohest, « Revenu minimum, emploi et pièges financiers : un lien à nuancer dans le contexte belge ».
11 L’AGR – Allocation de garantie de revenu – vise à garantir au chômeur qui accepte un emploi à temps partiel un revenu global (salaire+allocation) soit au moins égal à l’allocation de chômage, si l’emploi à temps partiel ne dépasse pas le tiers temps ; soit supérieur à l’allocation de chômage, si l’emploi est au moins un tiers temps : plus le régime de travail est élevé, plus la différence sera importante. Cette allocation ne concerne que l’emploi à temps partiel au sens strict.

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