Le 11 mars 2011 à 14 h 46 min. (heure locale), un séisme d’une magnitude de 9,0 sur l’échelle de Richter se déclenche au large des côtes nord-est du Japon. Le tremblement de terre le plus puissant jamais enregistré dans ce pays. Dix minutes plus tard, un tsunami dévastateur et meurtrier atteint la côte pacifique de l’archipel nippon. La vague est monstrueuse, atteignant à certains endroits plus de 30 mètres. À 19 h 03 min., le gouvernement japonais déclare l’état d’urgence nucléaire : un accident de grande ampleur est en cours à la centrale de Fukushima Daiichi... Un an après, quelles ont été les conséquences de ce drame sur les politiques énergétiques?

 

Au final, la catastrophe dite de Fukushima sera classée au niveau 7 sur l’échelle des accidents nucléaires. Le niveau le plus élevé identique à celui de Tchernobyl qui se définit par le rejet majeur de matières radioactives entraînant des effets considérables sur la santé et l’environnement. Il obligera les autorités à évacuer des milliers de personnes dans un rayon de 20 km autour de la centrale transformée en zone interdite. Des radiations jusqu’à mille fois supérieures à la normale seront enregistrées.
Les événements de Fukushima ont rappelé le caractère intrinsèquement dangereux de l’énergie nucléaire et les graves conséquences pour l’homme et la nature qu’engendre le rejet de particules radioactives. Cette catastrophe a mis en lumière deux caractéristiques propres aux accidents de ce genre. D’une part, l’énergie nucléaire est très difficilement contrôlable en cas de problèmes. Plusieurs jours après le tsunami, les secours essayaient toujours de refroidir les réacteurs en y jetant de l’eau de mer à l’aide d’hélicoptères ! Ce n’est que le 16 décembre 2011, soit quasi neuf mois après le début de la catastrophe que l’état d’arrêt à froid des réacteurs accidentés de la centrale de Fukushima était décrété par le gouvernement japonais. Une étape essentielle dans la stabilisation du site, mais qui ne signifie en rien que la crise est terminée 1. D’autre part, les conséquences humaines, environnementales, mais aussi économiques d’un accident de cette ampleur sont sans commune mesure avec tout autre accident de type industriel.
À la différence de Tchernobyl en 1986, l’accident s’est déroulé dans un pays réputé à la pointe de la technologie qui avait fait de la sécurité en la matière un étendard selon le mythe du zéro danger du nucléaire. Comme cela a été le cas 25 ans plus tôt avec les événements qui se sont déroulés en URSS, il y aura immanquablement un avant et un après-Fukushima. En Europe, le choc entraîné par la gravité de la crise au Japon a eu deux conséquences principales : elle a ranimé le débat au niveau de l’opinion publique sur la question de la sûreté de la filière nucléaire et engendré dans la foulée une vaste enquête de réévaluation de ses risques ; elle a modifié les politiques énergétiques de plusieurs pays, en particulier l’Allemagne.

Stress tests

L’acceptation du nucléaire par la population est conditionnée en premier lieu par l’exigence d’une sécurité maximale. Pour Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement en France, le dogme d’une sécurité absolue a volé en éclat avec Fukushima : « Ces événements ont remis en cause toutes les méthodologies actuelles d’évaluation des risques dans la mesure où ces méthodologies reposaient sur des scénarios de probabilité. Or, le scénario de Fukushima n’avait pas été prévu, de telle sorte qu’aucune anticipation n’avait été mise en place pour un scénario qui n’existait pas» 2.

Cette situation a poussé les gouvernements et la Commission européenne à lancer un vaste plan pour vérifier l’état de sûreté et de sécurité des 143 réacteurs électronucléaires en service sur son territoire. Une mesure qui visait à rassurer l’opinion publique européenne choquée par les événements qui se déroulaient au Japon. Lors d’un sommet extraordinaire le 21 mars 2011, il a été décidé à l’unanimité des 27 membres de l’Union européenne d’organiser des tests de résistance ou « stress tests » sur base d’une méthodologie commune pour réévaluer les risques et la capacité des centrales nucléaires à résister aux « conséquences des catastrophes naturelles, des défaillances humaines ou d’actes malveillants » 3. Un ensemble de risques qui n’avaient pas été pris en compte lors de la construction des centrales. À charge des quatorze États membres de l’UE qui exploitent des centrales nucléaires (voir tableau ci-dessus) de réaliser ces tests selon un calendrier commun qui doit déboucher sur la présentation des résultats définitifs lors de la réunion du Conseil européen de juin 2012. Trois autres pays participent à cette campagne de tests, la Lituanie 4 qui parachève l’arrêt de son dernier réacteur, la Suisse et l’Ukraine.
Du fait que l’Europe n’a pas formellement de compétence en la matière 5, ces tests de résistance ne sont ni obligatoires, ni contraignants. Aucune décision n’a été prise en cas de résultat négatif de l’un ou l’autre test. Dans cette hypothèse, il reviendrait aux seuls gouvernements nationaux de prendre les décisions qu’ils jugeront utile de prendre. La Commission européenne n’a pas le pouvoir contraignant d’imposer la fermeture d’une centrale dont la sûreté poserait problème. Un cas de figure essentiellement théorique selon Gunther Oettinger, le commissaire européen à l’Énergie. L’idée étant qu’un gouvernement d’un pays résisterait difficilement à une opinion publique alertée du danger d’une centrale nucléaire sur son territoire.
La manière dont ces tests ont été finalement mis en place a été l’objet de critiques de la part de plusieurs opposants au nucléaire. Les partis écologistes en tête qui voyaient avant tout dans ce plan une campagne de communication, voire « un alibi afin de maintenir ouverte l’option nucléaire en Europe » 6. Deux problèmes principaux ont été mis en avant :


- Premièrement, le niveau d’exigence des tests et notamment l’absence de prise en compte au niveau européen de facteurs internes (incendie, fuite de tuyaux, défaillances humaines…) et externes (crash d’un avion, attaques terroristes…) alors que ceux-ci étaient prévus au départ. Ils ont été écartés suite au lobbying intense mené par plusieurs pays - France et certains pays de l’Est - au niveau de la Commission européenne. Au final, seule a été prise en compte dans les tests la dimension sûreté (phénomène naturel extrême) et a été laissé de côté tout l’aspect sécurité (facteurs humains et actes de malveillance).


- Deuxièmement, le rôle joué par l’industrie nucléaire dans la définition des critères de tests et plus globalement le manque d’indépendance des acteurs et institutions impliqués dans ce processus. En effet, selon la procédure retenue, les tests sont réalisés par les exploitants pour être ensuite validés par l’autorité nationale de sûreté dont l’indépendance bien qu’affirmée est aussi parfois contestée. En bout de course, les tests nationaux doivent être examinés par des experts étrangers, mais faisant partie également du secteur nucléaire. En fait, aucun expert indépendant n’intervient dans le processus de contrôle qui se déroule en une sorte de vase clos. Un manque d’indépendance critiqué récemment par la Confédération européenne des Syndicats dans l’avis qu’elle a rendu le 17 janvier 2012 lors de la première présentation des résultats nationaux des « stress-tests » à l’ENSREG (European Nuclear Safety Regulation Group) 7 (lire plus bas).


En Belgique, c’est l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN) qui a été chargée de piloter ce rapport, même si dans les faits ce sont bien les ingénieurs d’Electrabel qui ont procédé aux différents tests. Comme le prévoit le calendrier européen, l’AFCN a rendu public fin décembre son rapport d’évaluation. À l’instar de chaque pays participant à ce programme, il a été envoyé à l’ENSREG pour être soumis à des experts étrangers. En Belgique, une étude sur les événements liés à l’activité humaine et une autre sur la vulnérabilité aux actes terroristes ont fait l’objet de rapports complémentaires. L’AFCN en a publié une synthèse qui fait une dizaine de pages ! Comme ces événements liés à l’activité humaine n’étaient pas repris dans le programme européen des tests de résistance, ce rapport ne sera pas en principe évalué ultérieurement par des experts internationaux.
Dans ses conclusions, l’AFCN se voulait rassurante et indiquait que les centrales nucléaires en Belgique moyennant quelques mesures de renforcement seraient globalement en capacité de résister à des phénomènes naturels extrêmes. Néanmoins est pointée la nécessité de travaux importants à la centrale de Tihange pour mieux protéger le site en cas d’inondation 8. Des travaux qui ne devraient pas, selon le calendrier établi par l’opérateur, être terminés avant 2014. D’autres améliorations à la sécurité sont requises pour certains des réacteurs les plus anciens, mais ils seraient conditionnés par Electrabel à la prolongation des centrales nucléaires.
Pour Jean-François Fauconnier, conseiller du parti écolo en matière de nucléaire, « ces tests de résistance sont une occasion manquée d’évaluer correctement le risque nucléaire que ce soit au niveau européen ou en Belgique. Au-delà de certaines faiblesses dans la manière dont les tests ont été menés, les rapports d’Electrabel soulèvent aujourd’hui plus de questions qu’ils n’apportent de réponses concluantes. C’est le cas en particulier en ce qui concerne le risque de chute d’avion, les inondations, ou l’aléa sismique. Si on se penche sur le risque de tremblement de terre, on constate que l’opérateur ne tient pas compte dans son rapport des dernières données de l’Observatoire Royal de Belgique (ORB) sur la réévaluation des risques sismiques. Une étude qu’Electrabel avait pourtant elle-même demandée. C’est interpellant. »

 Quel impact dans l’opinion publique?


Fukushima a relancé le débat sur l’avenir du nucléaire au sein de l’opinion publique au moment même où cette technologie retrouvait un regain d’intérêt ces dernières années. Trois arguments principaux étaient généralement mis en avant à cet égard: la réduction des émissions de CO2, l’indépendance énergétique de l’Union européenne, le coût de l’énergie. Des arguments de vente du nucléaire, par ailleurs, largement contestés par les opposants à cette énergie. Plusieurs pays en Europe avaient en tout cas revu leur position en la matière que ce soit à travers des projets de prolongation de leur installation (Belgique, Allemagne) de relance de programme (Italie) et de construction de nouvelles unités (Suisse). Néanmoins, si le nucléaire revenait quelque peu à la mode, cela était plus dans le chef de certains décideurs politiques que réellement de l’opinion publique. Il est ainsi intéressant de se pencher sur la dernière enquête d’opinion (Eurobaromètre) de la Commission européenne sur l’énergie nucléaire parue en mars 2010, soit un an avant la catastrophe de Fukushima. Une des principales conclusions de cette étude est que « moins d’un cinquième des répondants pensait que la part de l’énergie nucléaire dans le bouquet énergétique devrait être augmentée, et une majorité préférerait maintenir ou réduire la proportion actuelle d’énergie nucléaire parmi les différentes sources d’énergie ». Plus de la moitié des Européens (51%) pensait que « les risques que représente l’énergie nucléaire sont plus importants que les avantages ». Enfin, l’enquête révélait que près de la moitié des répondants (47%) trouvait que « le risque nucléaire est sous-estimé. (…) alors même que le choc lié à Tchernobyl est maintenant de l’histoire ancienne »… Une étude réalisée par l’IFOP (un institut français de sondage) pour le compte de l’Institut Jean Jaures en France indique ainsi que plutôt qu’un retournement de tendance de l’opinion à l’égard de l’atome, on a assisté avec les événements de mars 2011 au Japon à « un approfondissement de craintes latentes ». Bref, le divorce de l’opinion publique avec le nucléaire n’est pas né avec Fukushima, mais cet événement n’a fait que renforcer cette rupture.

1. « Les Européens et la sûreté nucléaire », Eurobaromètre spécial n°324, mars 2010. Rapport disponible à l’adresse suivante :
2. Laure Bonneval et Cécile Lacroix-Lanoë, « L’opinion publique européenne et le nucléaire après Fukushima », Fondation Jean Jaurès, Note n°101, 26 septembre 2011.

Conséquences politiques

Si le débat sur les risques engendrés par le nucléaire a été réactivé partout en Europe à la suite de Fukushima, l’attitude des gouvernements nationaux face à cette catastrophe a été plus contrastée. Une série de pays comme la France, le Royaume-Uni, la Finlande et la Suède n’ont pas changé d’attitude face au nucléaire et ont décidé de continuer dans cette voie. D’autres comme l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ont pris des décisions indiquant clairement vouloir se passer de l’atome. Comme dans bien d’autres domaines, l’Europe est divisée sur le sujet. C’est particulièrement le cas entre l’Allemagne et la France qui ont pris des chemins diamétralement opposés en matière énergétique. Quant à la Belgique, si la sortie du nucléaire reste l’option à terme, le flou demeure concernant la prolongation des centrales les plus anciennes.
En France, la principale conséquence de Fukushima est d’avoir fait de la question du nucléaire un véritable débat de société. Selon un éditorial du journal Le Monde, la catastrophe de Fukushima a permis de lever deux tabous à ce sujet : « l’omerta imposée sur les risques véritables des 58 réacteurs en activité en France, comme sur le coût global de la filière » 9. Pour un pays qui produit près de 80% son électricité de cette manière, et dont l’industrie nucléaire est considérée comme un des fleurons industriels, il s’agit là d’une évolution majeure. Par la force des choses, cette question est devenue un thème central de la vie politique. Elle a été un point de divergence entre les candidats à la primaire socialiste, puis une source de tension importante entre ce parti et les écologistes en vue d’un accord entre les deux formations pour les législatives. Enfin, le nucléaire sera un thème incontournable de la campagne présidentielle tant Nicolas Sarkozy se présente comme un des plus ardents défenseurs du nucléaire aussi bien en France qu’à l’étranger. Quoi qu’il en soit, quelque chose a changé au pays de l’atome et se profile un débat aux enjeux économiques gigantesques : celui du coût global du démantèlement de la filière nucléaire en France.
Mais, la décision la plus importante prise à la suite de Fukushima est sans conteste celle du gouvernement allemand qui a annoncé vouloir sortir du nucléaire d’ici à 2022. Huit réacteurs (les plus anciens) sur dix-sept ont été fermés dans la foulée des événements au Japon. Les autres le seront progressivement. En raison du poids économique de l’Allemagne et de ses besoins en énergie, cette décision bouleverse le paysage énergétique en Europe. Pour l’économiste Reinhart W. Wettmann, « le sujet est presque aussi explosif que la crise de l’euro » 10. Raison pour laquelle l’absence de concertation avec les autres pays européens qui caractérise cette décision a très été critiquée, en premier lieu par la France qui s’inquiète des futures importations d’électricité de l’Allemagne et du déséquilibre que cela risque d’engendrer sur le marché de l’électricité de la plaque nord-ouest comprenant outre ce pays, la France et le Benelux.

Pour autant, cette décision n’est pas une première. En 2002, le gouvernement Schröder (coalition « SPD-Die Grünen ») s’était déjà prononcé pour un abandon progressif de l’énergie nucléaire d’ici à 2022 en accord avec les producteurs d’électricité. Mais en 2010, Angela Merkel avait remis en cause le calendrier initial en proposant de prolonger la durée de vie des réacteurs en service, dont certaines jusqu’en 2038. Un scénario qui ressemble fort à celui de la Belgique. D’autres pays en Europe ont revu leur politique énergétique suite aux événements de Fukushima. C’est le cas en particulier de la Suisse qui s’est prononcée en 2011 pour la sortie du nucléaire et de l’Italie qui a renoncé à ses projets de relance du programme nucléaire que le gouvernement Berlusconi avait décidé en 2010. Programme arrêté en 1987 suite à un référendum national consécutif à la tragédie de Tchernobyl…

Creuser l’écart

Selon certains commentateurs, c’est essentiellement un calcul politique qui a incité Angela Merkel à programmer la sortie du nucléaire dans son pays. D’une part, pour être en accord avec une opinion publique largement défavorable au nucléaire. D’autre part, pour tenter un rapprochement avec le parti écologiste en vue des prochaines élections fédérales en 2013. Des élections qui s’annoncent serrées entre la CDU (démocrates chrétiens) et le SPD (sociaux-démocrates) et dont les écologistes pourraient jouer le rôle d’arbitre vu la débâcle annoncée des libéraux (FDP) actuellement au pouvoir.
À côté de ces considérations politiques, voire politiciennes, d’autres mettent en avant des raisons essentiellement économiques et d’emploi. L’Allemagne s’est positionnée depuis de nombreuses années comme un des leaders mondiaux en matière d’énergies renouvelables. « Avec 275.000 emplois en 2011, ce secteur arrive à un niveau comparable à celui de la chimie, de l’automobile et de la construction mécanique. Le passage aux énergies renouvelables devrait donc entraîner de nombreuses créations d’emplois » soutient Reinhart W. Wettmann 11. Premier « géant » industriel à avoir programmé le démantèlement à grande échelle et rapide de son parc nucléaire, l’Allemagne va aussi acquérir une expérience très importante dans ce domaine ; un savoir-faire qu’elle pourra valoriser par la suite.
André Gauron, économiste et ancien conseiller de Pierre Bérégovoy au ministère de l’Économie et des Finances, rappelle quelques enjeux clé de ce débat sur la sortie du nucléaire : « Le tournant énergétique se résume à un mot à quatre lettres "jobs". Ainsi, le photovoltaïque crée 20 emplois par MW dans le secteur de la production et seulement 13 dans celui de l’installation. Autrement dit, en maîtrisant toute la chaîne l’Allemagne crée 33 emplois par MW quand la France n’en crée que 13 par MW [ ].Le choix allemand n’est pas d’abord idéologique. Il est fondamentalement économique : la prolongation de la durée de vie des centrales les plus anciennes exige des investissements qui barrent la route à ceux qu’il faut effectuer dans les énergies renouvelables pour en faire une industrie compétitive » 12. Un terrain qui est aussi de plus en plus occupé par la Chine.
En Belgique aussi les événements de Fukushima ont entraîné une série de décisions en matière de nucléaire. Citons la mise sur pied des tests de sécurité et de sûreté évoqués plus haut ; l’accélération du processus concernant l’augmentation du plafond d’indemnités à charge des exploitants de centrales en cas d’accident qui est passé de 297 millions à 1,2 milliard d’euros, le contrôle plus important de Synatom, filiale d’Electrabel chargée de centraliser les fonds en vue du démantèlement des centrales, mais surtout la décision du gouvernement de l’époque de geler toute décision relative au nucléaire avant que ne soient connus les résultats des tests de sécurité sur les centrales nucléaires en Belgique. Ce qui signifie, par voie de conséquence, un moratoire sur l’allongement de la durée de vie des réacteurs Doel 1 et 2 et Tihange 1 comme cela avait été prévu en 2009 dans le protocole d’accord signé entre le gouvernement Van Rompuy et GDF Suez, maison mère d’Electrabel. Une décision qui n’avait pu être traduite en loi en raison de la chute du gouvernement.


Quant au gouvernement actuel, il a pris la décision de « réactiver » la loi de 2003 de sortie du nucléaire. Néanmoins, les réactions dans l’opinion publique suscitées par les événements à Fukushima ne sont sans doute pas la seule explication à ce revirement. L’entrée au gouvernement des socialistes flamands défavorables au nucléaire, mais aussi les déclarations incendiaires au sujet de la taxe nucléaire de Gérard Mestrallet, dirigeant de GDF Suez, qui ont été très mal perçues par le monde politique, ont sans doute pesé dans la balance. Pour autant, l’arrêt des premières centrales d’ici à 2015 comme le prévoit la loi de sortie du nucléaire n’est pas acquis. Il est conditionné à l’élaboration d’« un plan d’équipement en nouvelles capacités de production d’énergies diversifiées permettant d’assurer de façon crédible l’approvisionnement électrique du pays à court, moyen et long terme ».
Selon Melchior Wathelet, secrétaire d’État en charge de l’Énergie, ce plan d’équipement devrait sortir peu avant l’été comme cela est d’ailleurs stipulé dans la déclaration de politique générale. La décision de prolonger ou pas certains réacteurs sera prise dans la foulée. Environ 150 projets d’investissement sont actuellement à l’étude. Des centrales à gaz, mais aussi des projets de production d’énergie renouvelable avec la volonté d’augmenter de manière continue la proportion d’énergie verte pour respecter les engagements de la Belgique en matière de réduction des émissions de CO2. Aujourd’hui, ce n’est pas le nombre de projets qui pose problème, mais bien de savoir s’il sera possible de les activer à temps. Il faut compter de 3 à 4 ans pour la mise en place d’une nouvelle centrale au gaz. Le « timing » est donc particulièrement serré. Une option pourrait être de reculer d’une ou deux années la fermeture des premières centrales, comme le suggère une étude du régulateur fédéral en matière d’énergie (CREG) 13. D’autres estiment par contre que l’échéance de 2015 est toujours possible et ne serait pas une menace pour la sécurité d’approvisionnement 14. Principalement parce que les prévisions relatives à l’évolution de la demande d’électricité d’ici à 2015 prises en compte dans l’étude de la CREG sont pessimistes. Elles ne tiennent pas compte en tout cas de la première recommandation préconisée dans le rapport du GEMIX (15) paru en 2009 qui indiquait la nécessité de diminuer notre demande d’énergie de manière importante; un potentiel de réduction estimé à 15% par rapport à ce qu’elle serait en 2020.
Une critique qui est peut-être plus que jamais fondée dans le contexte actuel avec la faible croissance économique attendue ces prochaines années !

Une option réaliste

La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire est une décision ambitieuse, mais réaliste. Néanmoins, elle va avoir des conséquences multiples dont il est difficile de mesurer l’ampleur exacte: risque d’augmentation du prix de l’énergie et perte de compétitivité pour ses entreprises, dépendance énergétique par rapport au gaz russe principale source de substitution, adaptation importante du réseau de transport, déstabilisation du marché européen de l’électricité… Pour autant, cette décision a été prise avec tout le pragmatisme germanique et est, en tout cas, cohérente avec le projet politique et économique mis en place il y a déjà plusieurs années dans ce pays visant à en faire un moteur de la révolution verte.
La sortie du nucléaire ne sera pas une tâche plus facile en Belgique puisque plus de 50% de l’électricité produite chez nous est d’origine nucléaire contre seulement 28% chez nos voisins allemands ! Pour autant, la tâche bien que difficile n’est pas impossible. Pour certains observateurs, elle est même indispensable si l’on veut donner un signal clair aux investisseurs. Car le problème est toujours le même : il est difficile de prolonger les centrales nucléaires et de favoriser en même temps les investissements dans les autres types d’énergie. En Belgique, Electrabel qui est en situation de quasi-monopole au niveau de la production d’électricité bloque le marché et demeure très peu coopérative. Autre élément, si on prolonge les centrales les plus vieilles d’une dizaine d’années, il faudra alors pour respecter la loi fermer l’ensemble des réacteurs quasi en même temps. Ce qui rendrait la tâche encore plus difficile à terme.
Comme en Allemagne, la fin du nucléaire en Belgique est un tournant essentiel dans notre politique énergétique. Elle s’inscrit dans l’émergence d’une économie durable qu’il faut plus considérer comme une opportunité qu’une menace pour notre prospérité. Une révolution verte dont plusieurs pays, à la suite de Fukushima, ont voulu indiquer clairement que le nucléaire ne pouvait en faire partie. Néanmoins, pour réussir ce projet devra prendre en compte deux éléments essentiels : une réduction de notre consommation d’énergie à travers en partie une plus grande efficacité énergétique, mais aussi garantir un accès durable à l’énergie pour tous les citoyens dans un contexte structurel d’augmentation des prix de l’énergie. La sortie du nucléaire constitue un véritable choix de société qui donne un sens à l’avenir. Concluons qu’ils ne sont pas si nombreux ces temps-ci…


 

1. Dépêche AFP, mise en ligne le 16 décembre 2011 à 08h48. . Consulté le 17 décembre 2011.
2. Corinne Lepage, « Le nucléaire, solution d’avenir ou du passé ? » in Futuribles, juillet-août 2011, pp.117-122.
3. « Sûreté nucléaire : les tests de résistance en bonne voie », Commission européenne, communiqué de presse, 24 novembre 2011. . Consulté le 17 décembre 2011.
4. La fermeture de ses centrales nucléaires réputées dangereuses a été une condition à l’adhésion de la Lituanie à l’Union européenne.
5. Article 194 du traité de Lisbonne.
6. http://web4.ecolo.be/?Une-industrie-peu-stressee-mais>. Consulté le 17 décembre 2011.
7. . Consulté le 26 janvier 2012.
8. « Bonnes pour le service ? », in La Libre Belgique, 4 janvier 2012.
9. « Sécurité et coût du nucléaire : enfin le débat ! », in Le Monde, 4 janvier 2012.
10. Reinhart W. Wettmann, « La sortie du nucléaire en Allemagne. Les raisons et la stratégie d’une nouvelle politique énergétique », Friedrich Ebert Stiftung, août 2011.
11. Ibid.
12. André Gauron, « Les conditions de la sortie du nucléaire : l’économie plutôt que l’écologie » . Consulté le 15 janvier 2012.
13. CREG, « Étude relative aux besoins en capacité de production d’électricité en Belgique pendant la période 2011-2020 », n°1074, juin 2011.
14. Lire à ce sujet :
- Julien Vandeburie, « Sortir du nucléaire en Belgique : Avec quel approvisionnement en électricité en 2015 ? », Etopia, décembre 2011.
- Anaïs Trigalet, « Motion relative à la production d’électricité et à l’énergie nucléaire », Mouvement Ouvrier Chrétien, juin 2011.

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