Ford Genk, Duferco, NLMK, ArcelorMittal, HP, Alcatel, Balta, Dow Chemical… rarement autant d’emplois industriels se sont volatilisés en si peu de temps. Un peu comme si notre industrie se délitait. Et les baromètres de la conjoncture demeurent orientés à la baisse. Les responsables politiques clament en chœur que nous avons besoin de plus de croissance, mais, dans la pratique, leur politique se focalise uniquement sur l’assainissement budgétaire. Or, l’évolution rapide des connaissances, des technologies, de la société offre suffisamment de perspectives pour développer un nouveau modèle de croissance. Un tel modèle ne reposera plus sur le consumérisme, la richesse individuelle et l’endettement, mais investira dans le développement de notre capital sociétal, naturel et humain, en combinaison avec une nouvelle base industrielle.

Notre économie se dirige vers une longue période de transition technologique et industrielle où croissance économique ne rimera plus avec dommages écologiques, utilisation des énergies fossiles et des matériaux bruts. Dans l’intervalle, notre modèle de croissance économique dirigé par la dette et le gaspillage des ressources a prouvé qu’il n’était pas durable. Les fortes hausses de prix des matériaux bruts à chaque reprise économique (le marché réagit parce qu’il prend conscience de la diminution des ressources disponibles), la demande de la société de promouvoir le développement durable et le défi du réchauffement climatique prouvent que les modes de production et de consommation du XXe siècle ont atteint leurs limites et que nous devons évoluer de toute urgence vers un modèle de croissance plus durable.
Je tenterai à travers cet article de formuler une proposition pour une économie bas carbone et de déterminer comment la politique industrielle peut servir de catalyseur pour ce processus.
Puisque l’industrie est essentielle dans cette transformation et que la politique industrielle est son principal instrument de concrétisation, je tenterai à travers cet article de formuler une proposition pour une économie bas carbone et de déterminer comment la politique industrielle peut servir de catalyseur pour ce processus. En outre, je tâcherai de définir comment les instruments traditionnels de la politique industrielle peuvent et doivent être adaptés afin de transformer les entreprises et de convertir les secteurs en structures plus durables. J’aimerais d’abord donner un bref aperçu de la politique industrielle actuelle. Je préciserai par ailleurs comment l’Union européenne tente de redéfinir la politique industrielle et j’aborderai enfin la nécessité de changer d’orientation en faveur d’une politique de production et de consommation durable.

Le défi d’un changement structurel

Malgré l’intensité du processus de « désindustrialisation », l’industrie joue un rôle important dans l’économie européenne.
– Elle représente encore un quart du PNB et de l’emploi européens (secteur de la construction et de l’énergie y compris).
– Sa productivité a augmenté de 47 % entre 1995 et 2007 alors que la croissance générale de productivité est de moins de 20 %. Sachant que les augmentations de productivité déterminent en grande partie la croissance économique, on peut difficilement sous-estimer la part de l’industrie.
– Les marchandises industrielles représentent les trois quarts des exportations européennes. Les exportations de marchandises ont augmenté de 4,7 % entre 2000 et 2008, sensiblement plus vite que la production industrielle .
– L’industrie est un moteur de développement pour différents services : chaque emploi dans l’industrie crée environ 1,4 emploi dans le secteur des services liés aux entreprises (près de 37 % de l’ensemble des emplois du secteur privé). À titre d’illustration, depuis le début de la crise financière en automne 2008 quelque 50.000 emplois industriels (soit 10 % du total) ont été supprimés. Parallèlement, les secteurs comme le transport, la logistique, l’ingénierie, les services aux entreprises ont cependant créé 37.000 emplois au plus fort de la crise. Par conséquent, il conviendrait de parler de transformation industrielle plutôt que de « désindustrialisation ».
Il est cependant évident que la production pure des marchandises s’opère moins souvent chez nous. Le déclin des secteurs de l’automobile et de l’acier dans notre pays le démontre à suffisance.
– L’industrie représente 80 % de l’ensemble de la recherche et du développement privés. Bien qu’il existe quantité de technologies axées sur le développement durable, elles doivent être transformées en produits accessibles financièrement et doivent être commercialisables.
– Dernier point et non des moindres, l’industrie contribue à trouver des solutions aux nombreux problèmes de société (environnement, mobilité, soins de santé, amélioration de la qualité de la vie, objectifs de développement durable).
Or, l’industrie européenne est désormais confrontée à une série de défis qui se renforcent mutuellement.
La crise financière actuelle est le premier d’entre eux. Ce qui a commencé comme l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis a rapidement traversé l’océan pour devenir une crise globale du système financier et se muer ensuite en une crise de la zone euro. Depuis, le scénario tant redouté du « double dip » (ou « double creux », caractérisé par des reprises momentanées et de nouveaux reculs) s’est concrétisé : au cours du premier semestre 2012, la production industrielle est repassée dans le rouge. Parallèlement aux finances publiques, l’économie réelle (et ses travailleurs) est devenue la deuxième victime du dérapage du système financier engendré par la dérégulation et la cupidité.

La nouvelle répartition internationale du travail des pays émergents et à forte croissance qui ajoute une nouvelle dimension à la mondialisation est le deuxième défi. Les pays émergents ne sont plus spécialisés dans la main-d’œuvre à faible coût, mais grimpent dans la chaîne de valeur. Il y a cinq ans, aucune entreprise chinoise ne figurait dans le top dix des fabricants d’éoliennes. Actuellement, il y en a quatre. Il ne s’agit plus seulement des pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). On peut y ajouter le Mexique, l’Indonésie, la Corée du Sud et la Turquie. Si en 2000 les pays industrialisés représentaient les deux tiers de la production et les pays en développement un tiers du PNB mondial, en 2050 la tendance sera totalement inversée.

L’évolution vers une société globale de la connaissance représente le troisième défi. L’innovation et la recherche ont remplacé le capital physique et le travail manuel comme moteur de la croissance et de la compétitivité. Parallèlement, la valeur ajoutée des entreprises a opéré un glissement passant de la production matérielle aux actifs immatériels (R&D, distribution, marketing, service après-vente).

Le vieillissement de notre population génère des demandes spécifiques en termes de nouveaux produits et de services pour aider les personnes âgées, fournir un travail adapté aux travailleurs âgés, etc. Parallèlement la population mondiale (et donc les besoins) augmentera à hauteur de 8,9 milliards d’individus en 2050 alors qu’elle était de 2,5 milliards en 1950.
L’avènement de toute une série de nouvelles technologies et de nouveaux groupes d’activités comme la biotechnologie et la nanotechnologie, l’impression 3D, la biochimie et les nouveaux matériaux bouleverseront profondément les structures de production et de marché actuelles. Il s’agit ici de technologies de pointe à fort potentiel de croissance.
La baisse rapide des coûts de communication et de coordination grâce aux technologies de l’information a permis de se passer de l’obligation de concentrer géographiquement les différentes phases d’un processus de production. Cette situation a engendré un paradoxe : plus l’économie mondiale est intégrée, plus les processus de production se désintègrent. Les produits et les services sont codés et subdivisés en petits paquets, chaque paquet étant localisé là où la production est la moins chère possible. Les chaînes de production deviennent toujours plus complexes, les processus intenses d’offshoring/de relocalisation et la concurrence mondiale se renforcent.

Les limites floues entre l’industrie et les services, ou la « tertiarisation » de l’industrie, minent les classifications statistiques traditionnelles : les entreprises industrielles sous-traitent leurs fonctions non essentielles (non core) à des entreprises de services (service après-vente, transport, IT) ou intègrent des services (par exemple, l’entretien, la mise à jour d’installations), tandis que les entreprises de services « s’industrialisent ». Elles subdivisent donc leurs services en processus standardisés comme s’il s’agissait de marchandises produites à la chaîne.
Enfin, le réchauffement climatique et l’épuisement des matières et des ressources (qui font s’envoler les prix du marché) incitent l’industrie à passer à une production « bas carbone » ou efficace dans l’utilisation des ressources. Les analyses de la crise financière font souvent abstraction du fait qu’avant la crise des « subprimes » aux États-Unis les prix pétroliers avaient déjà doublé et les prix des produits alimentaires avaient augmenté de 2/3 (cette augmentation engendrant des troubles dans les pays plus pauvres).
Cette longue liste pousse nos responsables à se réveiller et à redécouvrir la politique industrielle.

 La « nouvelle » vision européenne

Dans les années ’70, la politique industrielle était synonyme de maintien artificiel, au moyen de fonds communautaires substantiels, d’entreprises et de secteurs voués à disparaître à terme. Le terme a été supprimé du jargon politique sous le prétexte que « la meilleure politique industrielle est l’absence de politique industrielle » (« the best industrial policy is no industrial policy »).En 1980, François Mitterrand nationalisait une série d’entreprises françaises, mais il devait revenir sur sa décision quelques mois plus tard. À partir de 2002, la Commission européenne a toutefois recommencé à publier des communications sur la politique industrielle avec une régularité de métronome. Ce n’a d’un hasard puisqu’en 2001, la bulle Internet avait éclaté entrainant l’effondrement du secteur électronique européen. Parallèlement, l’intégration des économies d’Europe centrale a intensifié des processus de relocalisation. En 10 ans, quelque 150.000 emplois du secteur de l’automobile ont ainsi été transférés vers l’Europe centrale.
Les principaux fondements de l’approche européenne sont de sept ordres.

L’accent sur la société de la connaissance.

En soutenant la recherche, le développement et l’innovation, à travers l’objectif des 3 % de Barcelone, avec une forte hausse du budget consacré à la recherche scientifique notamment et la création d’un Institut européen d’Innovation et de Technologie, etc. La connaissance est devenue le facteur de production dominant et « produire plus intelligemment » est pour l’industrie européenne, avec sa structure de coût élevée, la seule façon de se maintenir à l’échelle mondiale.
La promotion de la technologie de l’information et de la communication (TIC) en guise de moteur de la productivité et de la croissance. Les technologies de l’information et de la communication pénètrent pratiquement tous les marchés et secteurs. La société numérique est devenue un fait et doit être soutenue notamment en accélérant l’accès à Internet pour tous, en intégrant les TIC dans des activités traditionnelles, en développant des e-marchés (e-Health, e-Business, e-Government, e-Learning).
Des actions au niveau de la demande en matière de politique industrielle. En 2006, la principale recommandation du rapport Aho (ancien Premier ministre de Finlande) sur la politique d’innovation européenne portait sur la nécessité de créer des marchés axés sur l’innovation. À la suite de ce rapport, une politique a été mise en place en vue de combler le fossé (« Vallée de la Mort ») entre l’innovation et les produits commercialisables. Parallèlement à l’innovation, il faut également prendre en considération les aspects institutionnels, les obstacles sur le marché et la standardisation des produits.

L’intégration d’une dimension sociale.
On reconnait désormais la nécessité d’encadrer un changement industriel par des mesures sociales comme le développement de la responsabilité sociale des entreprises, par exemple, ou la politique active en faveur du marché de l’emploi pour les travailleurs licenciés, et le développement de fonds structurels pour gérer ces changements.

De nouvelles formes d’intervention publique.
Il ne s’agit plus d’intervention de l’État par le biais de participations ou d’aides publiques, mais plutôt de mesures « douces » comme les « initiatives technologiques communes » : accords de partenariat entre les secteurs public et privé dans le cadre de la recherche appliquée et industrielle dans des technologies de pointe comme la nanoélectronique, le transport « propre », les piles à combustible, les voitures écologiques, les « usines du futur »  , etc. Il y a, en outre, le soutien apporté à travers les pôles de compétitivité : le secteur privé, l’enseignement, les centres de recherche et les pouvoirs publics unissent leurs forces pour développer une chaîne de valeur dans une région spécifique. Le soutien au « venture capital » par le biais de garanties publiques ou le développement de grands projets européens comme Galileo, Iter (fusion nucléaire) ou Ulcos (ultra acier à bas carbone) relèvent également des nouvelles formes d’intervention publique.

L’intégration de la notion de durabilité vise à dissocier croissance économique et pollution écologique. Différents outils peuvent y contribuer : le développement de l’éco-industrie et de l’éco-technologie, par exemple par le biais du Plan d’action européen en faveur de l’éco-innovation (ETAP) ; l’aide à une production éco-efficace et à la technologie propre dans les secteurs traditionnels ; la réalisation des objectifs du Plan européen Climat : tant en matière d’énergies renouvelables que d’efficacité énergétique ; l’intégration de la dimension globale : échange de quotas ou évitement des fuites de carbone (une politique drastique peut induire un déménagement d’activités nocives vers des endroits où les normes sont moins sévères, ce qui entraîne finalement une augmentation globale des émissions de CO2) ; enfin des politiques de produits éco-design et des politiques de produits intégrés (axée sur la réduction de l’empreinte écologique sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit).

Une attention portée à l’infrastructure européenne.
Plus les processus de production sont sophistiqués, plus l’infrastructure économique doit être importante pour rendre ce processus possible. Il s’agit ici de grands réseaux européens en termes de transport de marchandises et de personnes, de télécommunication et d’énergie.

La Commission européenne ne se désintéresse plus de la politique industrielle. Elle a clairement renouvelé son engagement de protéger et de renforcer la base industrielle européenne. Cette attitude est sans doute le résultat de l’échec du néolibéralisme et du libéralisme de marché : la mise en place du marché interne n’a pas contribué comme prévu à la création d’emplois ni à la croissance; elle n’a pas davantage permis d’éviter l’explosion de la bulle internet en 2001, ni la crise financière en 2008. Peu à peu, il est apparu qu’une stratégie économique plus équilibrée s’imposait, ce qui a conduit à une nouvelle définition de la politique industrielle, plus large, mais aussi plus douce et moins idéologique. En ce sens, la politique industrielle est devenue un processus de collaboration stratégique entre les pouvoirs publics et le secteur privé, jetant également un pont vers le développement durable, la politique énergétique et la politique sociale.#

Une révolution verte ?

« Je pense que nous sommes à la veille d’une troisième révolution industrielle : l’ère des faibles émissions de carbone. À l’instar des révolutions industrielles précédentes, elle sera conduite par la technologie et de nouvelles formes d’énergie. Elle transformera également nos sociétés ». 1
« … la nation qui dirigera l’économie axée sur l’énergie propre sera celle qui dirigera l’économie mondiale. Et l’Amérique doit être cette nation ». 2
Sommes-nous à la veille d’une nouvelle révolution industrielle ? Le réchauffement climatique et l’épuisement des réserves de pétrole et des autres matières premières modifient le paysage de notre économie. L’efficacité énergétique devient essentielle au développement économique. Les conséquences seront considérables, tant pour l’industrie que pour la société. Parallèlement, une telle transformation offre aussi une série d’opportunités en termes de progrès technique, social et politique.
Il faut considérer toute « révolution industrielle » comme radicale et abrupte, avec un impact profond sur toutes les couches de la société. La première révolution industrielle (fin du XIXe siècle) eut lieu grâce à l’apparition d’une main-d’œuvre bon marché, de l’acier comme matière première, de la machine à vapeur comme technologie dominante et à la percée des chemins de fer et de la télégraphie comme moyens de communication. Un siècle plus tard, le prix abordable du pétrole, l’électricité et le capital financier ainsi que l’apparition des voitures et des médias de masse aboutirent à la deuxième révolution industrielle. Aujourd’hui, nous nous trouvons probablement à la veille d’une nouvelle révolution industrielle basée sur les technologies de l’information, la connaissance, l’énergie et les matières premières renouvelables.
À l’avenir, les modèles de production dominants reposeront sur l’innovation et les connaissances plutôt que sur les facteurs de production traditionnels que sont le travail et le capital. D’autre part, les modèles de consommation durables prendront peu à peu l’ascendant dans la demande. Il y a lieu de soutenir cette évolution par de la réglementation et des instruments de marché (taxes, subventions, certificats verts...). Les énormes implications sociales et financières de cette transformation requièrent une large acceptation sociale et une profonde mobilisation de la société. Il en résultera un nouveau cadre institutionnel : l’État libéral de la première révolution industrielle et l’État-providence social de la deuxième révolution industrielle feront place au développement du concept d’État-providence « durable ».
Bien qu’il n’existe pas encore d’exemple à suivre, nous évoluerons vers un État « écologique » aux fonctions durables. Aujourd’hui, nous nous situons probablement dans la phase préliminaire de cette « troisième révolution industrielle », également appelée « révolution industrielle verte », dans laquelle des innovations de base sont développées et préparées pour le marché. Cette phase se caractérise par la forte croissance des énergies renouvelables et des nouvelles technologies « bas carbone » éco-efficaces. Avec la transition vers une économie éco-efficace, la croissance économique et le développement durable peuvent devenir des processus qui se renforcent mutuellement.
À la différence des révolutions industrielles précédentes, les principaux avantages de l’écologisation de l’économie seront publics et non privés. La demande individuelle ne sera plus le principal moteur du développement. Les besoins collectifs (le cadre de vie, la santé, l’existence d’un cycle économique fermé, les transports en commun…) prendront de l’importance. Cette évolution devra être soutenue par une coopération entre les pouvoirs publics et le secteur privé pour la production de biens collectifs, ainsi que par un rôle de régulateur plus fort de l’État. Par son influence sur la production, une politique industrielle bien pensée pourra jouer un rôle-clé dans l’apparition de structures industrielles durables et d’une croissance verte.
Aujourd’hui déjà, nous pouvons observer des changements dans la transformation de la politique industrielle, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir, tant du point de vue horizontal (ou général) que du point de vue vertical (sectoriel).

Politique industrielle horizontale

Une politique environnementale proactive recherche les synergies entre, d’une part, la politique climatique et la politique de l’énergie et des matières premières et, d’autre part, la croissance économique et le développement industriel (contrairement à une politique environnementale correctrice qui se limite à combattre les conséquences de la croissance économique sur l’environnement). En d’autres termes : une politique environnementale dissocie la croissance économique du recul écologique.
La politique de recherche, développement et innovation devra apprendre à tenir compte des enjeux spécifiques de l’éco-recherche/innovation : pas de marché existant, transversalité sectorielle, multidisciplinarité, caractère fortement concurrentiel. Pour ce faire, il faudra utiliser des feuilles de route à long terme pour les nouveaux développements, qui tiennent également compte des dimensions institutionnelles et sociétales. En outre, l’innovation ne peut plus être un processus interne aux entreprises, mais doit s’intégrer dans des réseaux régionaux ou non afin de dégager le plus de synergies possible.
Il faudra également procéder à des adaptations de la demande (et abandonner la culture du « jetable ») par des initiatives éducatives visant à modifier les comportements et à assurer une meilleure identification des produits peu consommateurs de matériaux et d’énergie, grâce à des labels et à des campagnes d’information. L’insuffisance de la demande des consommateurs est souvent liée à un manque de connaissances des coûts et des profits des produits tout au long de leur cycle de vie. De plus, il faut investir davantage dans la commercialisation des innovations (subventionnement de prototypes et de lignes de production de test, aides à la commercialisation).
Il est aussi nécessaire d’avoir une politique de produits tenant compte du cycle de vie afin d’encourager les fabricants à proposer des produits dont l’impact écologique est minime, par exemple grâce à un écodesign, des écolabels, des normes de recyclage, l’élimination des produits toxiques...
La mise en place de standards et benchmarks dynamiques (basés sur la performance ou le design d’un produit) peut permettre de stimuler efficacement l’innovation éco-efficace, le progrès technologique et la consommation durable. Une possibilité consiste à promouvoir les « meilleures technologies disponibles » ou à introduire des codes de bonne conduite et des labels. Dans ce cadre, le défi est de tenir à jour les standards selon les possibilités technologiques et tirer les plus mauvais élèves de la classe vers le haut. Avec une attention permanente pour l’appui aux technologies de l’information qui jouent un rôle-clé dans le développement durable : dématérialisation de l’économie, efficacité accrue des processus de production, meilleure gestion des flux de circulation et de marchandises, éco-monitoring…
Parce que les enjeux sont énormes et représentent une rupture par rapport à tout ce que nous connaissons, nous avons grandement besoin de mécanismes de financement innovants et d’une politique publique intelligente. La feuille de route de l’UE pour le développement durable impose de réduire les gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Cela coûterait chaque année 1,5 % du PIB européen. Le marché actuel du crédit n’a pas encore retrouvé son niveau normal et les marchés financiers continuent à se montrer réticents face aux risques. Ce qui est intéressant, cependant, c’est que beaucoup d’investissements verts s’auto-remboursent parce qu’ils permettent d’importantes économies d’énergie, même si les coûts de départ sont élevés et les délais de remboursement sont longs. Il faut développer les microcrédits, les fonds d’investissement verts, les emprunts obligataires orientés vers des projets, les prêts verts et les partenariats public-privé. La Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement doivent endosser un rôle plus important dans ce cadre.

Politique industrielle verticale

Actuellement, quelque 3,5 millions de travailleurs, soit 1,5 % de la population active totale, sont actifs dans la gestion des déchets, la gestion des eaux usées, l’éco-construction, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Pour la plupart, il s’agit de secteurs en croissance, qui offrent de nombreuses possibilités en termes de création d’emplois supplémentaires. Il s’agit de développer des plans d’action industriels visant à stimuler le développement de l’éco-industrie tout comme la transformation et la modernisation écologique de secteurs classiques. Certes, des emplois seront très certainement perdus , dans le secteur de l’électronique, suite à l’évolution du hardware au software, dans celui des télécommunications, en raison des réseaux sans fil ; dans l’industrie automobile, lorsque le moteur électrique s’imposera, ou lorsque les transports en commun évinceront le transport privé ; dans le secteur de la pétrochimie, lorsque les produits à base de pétrole disparaîtront ; ou dans la métallurgie, puisque la production secondaire (matériaux recyclables) va remplacer la production primaire (métaux, etc.).
Cependant, tout secteur économique possède un potentiel vert. Pensons à l’industrie de l’énergie solaire et éolienne, qui génère du travail supplémentaire pour les constructeurs de machines, les entreprises de constructions métalliques ou les installateurs. L’efficacité énergétique peut aussi créer beaucoup de valeur supplémentaire dans les secteurs de la construction, des installations électriques et de la maintenance. La sidérurgie se réinvente en permanence : 30 % des produits sidérurgiques n’existaient pas il y a 10 ans. De même, le secteur des métaux non-ferreux ne cesse de créer de nouveaux matériaux. Selon Syndex, un cabinet de consultance français, la nouvelle technologie écologique devrait d’ailleurs permettre de créer 670.000 nouveaux emplois dans le secteur européen des constructions mécaniques d’ici 2020.
Le développement et la propagation de la nanotechnologie, de la micro- et nano-électronique, des matériaux avancés et renouvelables et de la biotechnologie sont les précurseurs de la transition vers une économie bas carbone de la connaissance. Tout comme le développement du concept d’« usines durables de demain », avec des processus de production fermés (neutres en CO2, zéro-déchets) et une politique de produit intégrée basée sur l’approche du cycle de vie, en recourant à des techniques telles que l’audit du rapport de durabilité.

Conclusion

La politique industrielle durable est également le travail des syndicats. En effet, la crise financière démontre très clairement que les marchés ne sont pas capables d’auto-régulation, que les causes de la crise sont structurelles et profondes ; qu’elle ne se résoudra pas toute seule et que de nouvelles visions à long terme s’imposent concernant la croissance et la gouvernance économiques.
En outre, la transition vers une économie durable est un énorme défi pour les syndicats. Étant donné ses conséquences pour l’emploi et les entreprises, elle doit inciter les syndicats, à tous les niveaux, à veiller à la durabilité des emplois ainsi qu’à la qualité et à la sécurité des conditions de travail. Cette transition doit également aller de pair avec un véritable dialogue social avec les syndicats. Ceux-ci ont des années d’expérience dans les ressources humaines, la politique d’entreprise, la santé et la sécurité au travail. En ce qui concerne l’efficacité de l’énergie et du matériel, la responsabilité sociale des entreprises, l’empreinte écologique, en revanche, les syndicats ont encore beaucoup de compétences à développer et de savoir-faire à acquérir. Néanmoins, s’ils n’intègrent pas les thèmes de la durabilité dans leur action quotidienne, ils risquent de perdre le contact avec le débat sociétal.
De plus, la transition verte renferme un gros potentiel social : les investissements verts sont généralement intensifs en main-d’œuvre. Une politique axée sur les énergies renouvelables et sur l’efficacité énergétique transforme pour ainsi dire l’importation de combustibles fossiles en nouveaux emplois. Selon les calculs de la Commission européenne, le plan climatique européen pourrait créer jusqu’à 4 millions de nouveaux emplois, principalement au niveau local. L’Union européenne a en outre acquis une position de leader dans les technologies écologiques puisqu’elle représente actuellement un tiers du marché mondial des biens écologiques. L’Union doit conserver cette position. Elle possède la base technologique, le capital humain, l’environnement politique et institutionnel et les valeurs sociétales pour réaliser la transition vers une croissance verte. Il ne fait aucun doute qu’une politique industrielle active, capable de s’atteler à la transformation radicale de l’industrie et de la société, contribuera à la fois au renforcement de la base industrielle européenne et à la réalisation des objectifs de développement durable. L’Europe est clairement sur la voie d’une économie éco-efficace, mais elle vient à peine d’entamer cette transition et de nouveaux défis se posent continuellement à elle. Elle devra donc faire preuve de persévérance et mettre en place une politique d’intervention active.#
CSC Service d’étude (*)




1. Usines du futur: développement et intégration de technologies se renforçant mutuellement pour des machines flexibles et des produits à la mesure du client.
2. L’éco-design renvoie aux critères de performance énergétique que les fabricants doivent appliquer et fait référence au traitement, à la récupération et aux matériaux avec lesquels on fabrique un produit.
1. José Barroso, Président de la Commission européenne, 1er octobre 2007
2. Barack Obama, Président des Etats-Unis, State of the Union, janvier 2010

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