Un peu d’éthique dans votre portefeuille ? Aujourd’hui, les initiatives se multiplient pour rendre à l’épargnant le contrôle de son épargne et à l’investisseur le contrôle de ses placements. Mais attention. Entre un placement éthique et un marketing cosmétique, il peut y avoir de la marge... Petit tour d’horizon de ce qui se fait dans ce domaine en Belgique.

L’évolution récente des marchés financiers est de plus en plus interpellante sur l’usage de l’argent au sein de la société. La déréglementation des marchés financiers, la concurrence accrue entre banques qui en résulte, la modernisation des outils financiers, l’accélération des mouvements de capitaux rendent souvent perplexe l’épargnant ou l’investisseur. Face à ces évolutions, se posent de nombreuses questions relatives, notamment, à la transparence des investissements, au rôle et aux stratégies des acteurs financiers, à la responsabilité des banques. Se posent également des questions relatives à la responsabilité de l’épargnant que nous sommes, en tant que clients de ces mêmes banques. De plus en plus nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la destination réelle de leur épargne, et veulent lui donner un sens en lui procurant une plus value éthique ou sociale.

Aux origines...
Historiquement, l’intérêt pour l’investissement éthique ou durable a pris naissance dans les pays anglo-saxons. Dès la fin du XVIIIe siècle, des groupements religieux aux États-Unis se laissaient guider par des principes moraux dans leurs placements. Mais c’est surtout en 1929, date du fameux krach boursier, que se sont posées les premières remises en question des principes fondateurs de l’économie de marché. Ces doutes ont servi d’engrais à un marché parallèle mû par des personnes et des institutions dont l’argent allait désormais prendre la direction qu’eux et eux seuls indiqueraient. Ainsi, longtemps, le segment éthique du marché des placements aux USA est resté quasiment l’apanage de ces organisations religieuses, principalement protestantes, qui entendaient surtout exclure les investissements des activités "coupables" comme le commerce des armes, du tabac et de l’alcool. Ce n’est qu’à partir des années 60 que l’intérêt a gagné un public plus large, sous l’influence notamment de l’aversion qu’inspiraient dans l’opinion publique l’intervention militaire au Vietnam, le système d’apartheid en Afrique du Sud et les régimes autoritaires en Amérique latine. À l’instar des États-Unis, les premiers produits de placements éthiques du Royaume-Uni, apparus dans les années 70, étaient également d’inspiration essentiellement religieuse. Quant à la percée plus récente, au-delà des pays anglo-saxons, elle est liée à une combinaison de facteurs. Parmi eux, la prise de conscience collective et écologique sous l’influence de quelques gros désastres (la catastrophe chimique dans la ville indienne de Bhopal, le naufrage de pétroliers, etc.) ou de pratiques sociales et politiques intolérables (corruption, violation des droits de l’homme, fraude à la qualité des aliments, etc.). Autre facteur : la visibilité planétaire de ces thèmes, accrue par l’influence croissante des médias et l’avènement d’ONG, comme les associations de consommateurs, les militants écologistes ou les syndicats, qui s’échangent de plus en plus d’informations et coordonnent aujourd’hui leurs actions par internet.


Et chez nous?
En Belgique, les premiers produits d’épargne éthique datent du début des années 80. Les établissements financiers ont alors lancé, en collaboration avec des ONG comme Netwerk Vlaanderen et Hefboom, une série de produits par lesquels les épargnants cédaient une fraction des intérêts perçus pour soutenir, par banques interposées, les projets à caractère écologique et social de ces organisations. La véritable percée n’a eu lieu qu’en 1992, avec la création d’Éthibel (voir page suivante) et l’introduction sur le marché belge des premiers fonds de placement durable.

En 1992, le volume des capitaux investis durablement totalisait 44 millions d’euros. À la fin de 2000, ce chiffre dépassait le milliard d’euros (voir graphique ci-contre), ou quelques dixièmes de pourcentage de l’ensemble du marché belge des fonds de placement et des comptes épargne (1). Selon certaines estimations, le nombre d’épargnants et d’investisseurs durables aurait quintuplé en Belgique depuis 1995 et tournerait actuellement autour de 100.000 personnes. Au début de 2001, il y avait dans notre pays 30 fonds d’investissement durables, contre 10 en 1998 et 2 en 1992. Les trois quarts d’entre eux investissent (presque) exclusivement en actions. Quinze de ces fonds portent le label Éthibel. Cinq autres ne l’ont pas mais ont recours à l’expertise d’Éthibel. Il s’agit en effet principalement de sélections d’actions d’entreprises qui ont résisté à un critère de durabilité plus large que les seuls critères d’exclusion. Près des trois quarts de tous les fonds d’investissement durable, soit 90% du marché belge y afférent, comprennent des produits de la troisième et de la quatrième génération (cf. ci-contre). Cette part est non seulement plus élevée qu’aux États-Unis mais représente aussi une hausse sensible par rapport au milieu des années 90, dominées chez nous par des produits de la première et deuxième génération.
Force est cependant de constater que les produits d’investissement et d’épargne éthiques continuent de n’occuper, sur les marchés financiers belges et européens, qu’une place marginale par rapport à l’ensemble des produits d’épargne (une moyenne de 1%). Selon Dirk Coeckelbergh, le vice-président de l’association flamande pour l’éthique des affaires, la croissance ne devrait pourtant pas se faire attendre : "En regard du marché financier américain, les perspectives d’avenir pour les produits éthiques sont prometteuses ! Aux États-Unis aujourd’hui, 10 à 11% des volumes placés sont investis à la fois selon des critères financiers, environnementaux et sociétaux. L’un des freins actuels au développement des produits éthiques résulte du sentiment non fondé que l’éthique et la rentabilité financière sont incompatibles. De récentes études démontrent le contraire." (2)

Triodos, Cigale & Co
Parmi les banques éthiques qui commencent à faire leur trou, relevons Triodos. Installée chez nous depuis 1993, la banque Triodos n’a rien d’une banque classique. Elle ne possède qu’une seule agence et s’est fixé pour but la promotion de l’économie sociale par l’octroi à des entreprises ou des associations de crédits avantageux pour des projets dans les secteurs de l’énergie durable (solaire et éolienne), de l’agriculture biologique, de l’art et de la culture, de l’environnement et de la coopération au développement. Même s’il n’est pas encore possible à un particulier d’y ouvrir un compte à vue, c’est une banque à part entière. Triodos est membre de l’Association belge des banques. Elle est contrôlée aux Pays-Bas mais aussi en Belgique, par la Commission bancaire et financière belge (3). Les produits qu’elle propose sont des comptes d’épargne, des comptes à terme et des certificats d’action. La banque s’inspire des tarifs du marché pratiqués par les grandes banques. En avril dernier, elle a lancé le Triodos Value Fund complétant ainsi ses produits d’épargne avec le placement éthique. Triodos est donc devenu le plus gros "financier durable" en Belgique. Fin 1999, il drainait près de 4 milliards de fonds et prêtait 996 millions à des projets à valeur éthique.

Les banques classiques, de leur côté, ne sont pas en reste. Ainsi, la banque Fortis (avec l’épargne Cigale) (4) et les banques d’épargne HBK et VDK ont inscrit l’épargne éthique dans la gamme de leurs produits. Pour ce faire, elles ont conclu un accord avec des organisations impliquées dans l’économie sociale et la coopération au développement. Les produits éthiques qu’elles proposent sont des comptes d’épargne. En outre, Fortis propose un compte à terme à un ou à cinq ans. Par le biais de ces produits, Fortis, HBK et VDK banques d’épargne accordent une commission aux organisations qui sont ses partenaires. D’autre part, elles s’engagent à réinvestir l’épargne de manière éthique selon les normes fixées par lesdits partenaires. Enfin, dans la plupart des cas, l’épargnant qui le souhaite peut choisir le projet qu’il veut soutenir et renoncer ou pas, en tout ou en partie, au rendement de son épargne.
À la marge de ces produits financiers, il existe également des initiatives dites de capital solidaire. Par ce biais, les particuliers et les institutions investissent directement dans le capital d’associations alternatives pour les aider à développer des activités à but social. Ainsi, Crédal coopérative est un organisme belge de crédit qui se distingue du milieu financier par sa volonté de servir de levier de développement aux projets d’économie sociale. Il travaille en étroite collaboration avec le Réseau Financement Alternatif (cf. encadré).

Éthique ou cosmétique?
L’usage croissant du concept d’"éthique" et l’empressement des institutions à lancer "leur" produit posent question. On recense en Belgique pas moins de 15 banques qui ont décidé de proposer à leurs clients des placements éthiques en sicav (5). Quelle mouche aurait donc piqué les banquiers? Difficile, à moins de séjourner longtemps dans chacune des institutions bancaires, de savoir qui utilise l’éthique comme argument publicitaire et qui l’érige en comportement. Jacques Defourny, professeur d’économie à l’ULg, a sa petite idée : "Du côté des banques, un peu comme beaucoup de grands magasins, on introduit du “vert”. Il est bon d’avoir, dans sa gamme de marketing, un aspect social. Dans le climat concurrentiel actuel, tous les acteurs du marché constatent que personne n’a intérêt à pratiquer des prix plus bas encore. Il y a donc une auto-limitation dans la concurrence par les prix, surtout quand le secteur est concentré comme c’est le cas dans les banques. Cela entraîne des stratégies de différenciation. Les banques veulent montrer que leur produit est unique. Cette différenciation peut être éthique. Elle associe alors le produit à une cause noble, à des valeurs. Pourquoi ? Notamment parce que cela allonge dans le temps la bande de fréquence sur laquelle on communique. Il y a une plus grande période pour gagner la fidélité tout en étant plus profond en touchant les sentiments, les choix moraux. On remarque donc une irruption du business dans le champ de l’éthique car on touche plus profondément le consommateur. Devant tout cela, je pense qu’il faut rester conscient de l’ambivalence. Je me réjouis de cette participation à la défense de causes nobles. Cet argent-là ne serait pas mobilisé autrement. Il faut toutefois être conscient de l’autre facette : c’est la maximisation du profit sur un certain terme." (6)


Catherine Morenville

  1. "Investir durablement, plus qu’une frénésie", in Le Courrier économique et financier, publication mensuelle de la KBC, n°3, 23 mars 2001.
  2. Extrait des actes du colloque "Éthique des banques ou banque éthique – La responsabilité sociétale des banques face à l’exclusion financière", organisé par le Réseau FA, le 7 décembre 2000.
  3. Le contrôle éthique est effectué par des stakeholders.
  4. Par sa convention avec le Réseau FA, et ce jusque fin 2001, la Fortis s'engage à verser au Réseau une commission plancher de 15 millions de FB par an.
    Montant qui sera redistribué au prorata du volume épargné, par le Réseau à l'association choisie par l'épargnant à l'ouverture du compte.
  5. Il s’agit de Van Moer Santerre et Cie, Bacob (pionnière et très active en ce domaine), Fortis, HBK, KBC, Crédit agricole, Artésia, VDK, Eural, Banque Delen, Bank van Breda, Deutsche Bank, BBL, Dexia et Fimagen Belgium sa. Quelques produits en vrac : Dexia equities L World (Dexia), Welfare Fortis L Equity Euro Job (Fortis), KBC Ecofund (KBC/CBC), Stimulus Accent social (Bacob, Artesia), BBL Solidarity Euro Mixed 1 (BBL), etc. 6
  6. Bernard Demonty, Banquier où places-tu mes valeurs ? - Le guide de l’épargnant et des placements éthiques, Éd. Luc Pire, Bruxelles, 1999.

À lire :

  • Bernard Demonty, Banquier où places-tu mes valeurs?- Le guide de l’épargnant et des placements éthiques, Éd. Luc Pire, Bruxelles, 1999.
  • Greet Groffen et Luc Weyn, Gids voor etisch sparen en beleggen, disponible auprès de Netwerk Vlaanderen asbl (tél. : 02/201 07 70).
  • Le Mémento des produits financiers éthiques et solidaires est disponible sur commande au Réseau FA (53, av. Cardinal Mercier à 5000 Namur).

 

Le Réseau FA

Le Réseau Financement Alternatif est un réseau de sensibilisation, de solidarité et de concertation en matière d'éthique financière et sociale. Il trouve ses origines à l'époque du boycott des investissements réalisés par les banques en Afrique du Sud. En 1987, sept associations – Solidarités des alternatives wallonnes, Crédal, les Écus baladeurs, le Pivot, l'Université de paix, le Mouvement international pour la réconciliation, De bouche à oreille – réfléchissent ensemble à la possibilité de créer un lien entre l'épargne et la solidarité. S'inspirant de l'expérience de Netwerk Vlaanderen, elles décident de développer en partenariat avec la CGER le compte d'épargne Cigale. Le Réseau FA devient promoteur de ce nouveau compte d'épargne en contrepartie de quoi il reçoit une commission de la banque pour financer des projets de développement humains.

À ce jour, le Réseau FA est partenaire de deux produits financiers éthiques et solidaires : l'épargne Cigale et la sicav AlterVision Balance Europe. Depuis février 2001, il a également lancé, en collaboration avec Netwerk Vlaanderen et la Banque Triodos, "Dynamo", une gamme de produits d’épargne qui apporte une garantie éthique mais qui offre en plus une dimension solidaire (comptes d’épargne et comptes à terme).

Pour en savoir plus : www.reseau-alterfinance.org
Netwerk Vlaanderen : www.netwerk-vlaanderen.be

 

Ethibel :Ie chien de garde des placements éthiques

Créée en 1992, l'asbl Éthibel est un bureau d'études, indépendant spécialisé
Dans les placements socioéthiques et écologiques. Ethibelll s'intéresse à des
Entreprise qui, tout en cherchant d'abord à réaliser des bénéfices, répondent à critères éthiques. Les entreprises sont _“screenées” en fonction de quatre critères : l'environnement, là politique sociale interne (participation des femmes et des moins favorisés, conditions de travail, formation…), la politique sociale externe (relations avec le pays où l'entreprise est située…), et des critères d'exclusion (implication dans des programmes nucléaires, commerce ou fabrication d'armes, expérimentations sur des animaux).

Les entreprises obtiennent pour chacun de ces critères une note allant de 1 (mauvais) à 5(bon). Celles qui obtiennent au moins 3 pour chaque critère
Sont considérées comme ayant une haute qualité éthique (par exemple, Bekaert, Colruyt et Dexia en Belgique). Début juillet 2000, le registre Ethibel comptait 150 sociétés dont 48% dans la zone euro, 25% dans les pays européens hors zone euro, 19% aux USA et au Canada et 8% en Asie.

Les sicav dont le portefeuille est composé exclusivement d'actions et/ou d'obligations figurant sur le registre Ethibel, obtiennent le label Ethibel. Ces fonds éthiques sont classés en différentes "générations" :

  • Sicav de première génération : les gestionnaires déterminent au préalable les activités, services ou produits qu'ils excluent, par exemple le commerce des armes, l'énergie nucléaire, le tabac. Actuellement, il n'y a plus de sicaav de ce type sur le marché belge.

  • Sicav de deuxième génération : leur portefeuille est constitué de société qui répondent à un critère éthique unique, en matière d'environnement par exemple.

  • Sicav de troisième génération : pour leur partie actions, elles ne retiennent que des entreprises satisfaisant à plusieurs critères éthiques définis par Ethibel. C'est le cas de la grande majorité des 20 sicav éthiques.

  • Sicav de quatrième génération : elles portent toutes le label de qualité Ethibel. Cela signifie qu'elles puisent exclusivement dans le registre d'investissement d'Ethibel pour la composition de leur portefeuille. La plus-value réside ici dans la qualité de l'étude et dans la méthode d'évaluation.

Pour en savoir plus , www.ethibel.org (banque de données des entreprises bientôt disponible sur le site) - Tél. +32, (O)2 206 1l 11

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