1539610602680En Belgique, bien qu’un cadastre officiel des violences obstétricales n’existe pas encore, on estime qu’au moins deux femmes sur cinq en sont victimes. Longtemps ignorées, elles ont progressivement été rendues visibles, notamment grâce au travail de la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée. Aujourd’hui, une coalition de sept associations travaille sur cette problématique. Néanmoins, de nombreux défis demeurent pour modifier les pratiques et intégrer pleinement cet enjeu dans les politiques de santé publique.

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Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT

Comment définiriez-vous les violences obstétricales et gynécologiques?

Les violences gynécologiques et obstétricales ne sont étudiées en Europe que depuis une dizaine d’années. Il n’y a dès lors pas de consensus autour d’une définition. Les violences obstétricales (VO) se produisent dans le contexte des soins périnataux (avant, pendant et après l’accouchement). Les violences gynécologiques, quant à elles, couvrent l’ensemble des parcours en santé sexuelle et reproductive de la vie des femmes, qu’elles soient mères ou non.

Bien que ces violences apparaissent dans le contexte des soins, il s’agit d’une forme de violation des droits humains subie par les femmes. Ce ne sont pas simplement des gestes inappropriés, de mauvaises pratiques médicales ou des négligences, mais un problème structurel qui prend racine dans une culture globalement ignorante du genre (gender-blindness). Dans la majorité des cas, ces violences ne sont pas intentionnelles. Elles peuvent être verbales et psychologiques, comme la profération de menaces, de propos sexistes ou racistes, l’humiliation, la violation de l’intimité, etc. Elles peuvent également être physiques et sexuelles comme des gestes brusques ou des actes imposés sans que la patiente ait donné son consentement éclairé. Le manque d’information et/ou de consentement constitue la forme de violence la plus fréquente. Les actes de violences obstétricales et gynécologiques concernent les professionnel·les de santé toutes catégories confondues: gynécologues, sage-femmes, anesthésistes, pédiatres, psychologues, accueillant·es...

A-t-on une idée de la prévalence de la violence obstétricale en Belgique?

Une revue systématique parue en avril 2024 dans la revue Actea Obstetricia Gynecologica Scandinavica1 estime la prévalence des violences obstétricales dans les pays à hauts revenus à 45,3%. Ce chiffre concorde avec les données que nous avons récoltées dans le cadre d’une étude menée par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée en 2021 sur un échantillon de plus de 4.200 femmes en Belgique francophone2. Au-delà de ces premières données, nous revendiquons une enquête nationale, à la fois qualitative et quantitative, pour créer un cadastre officiel permettant de mesurer l’ampleur du phénomène. La transparence des données chiffrées sur les pratiques hospitalières et extra-hospitalières, comme les taux de césariennes ou le recours à l’épisiotomie3 par établissement permettrait notamment aux femmes et futurs parents de voir les endroits où il pourrait y avoir des pratiques problématiques et de choisir de façon éclairée leur lieu d’accouchement.

Que révèlent les résultats de votre enquête?

Les résultats montrent que deux femmes sur cinq ont été victimes de l’une ou l’autre forme de violence obstétricale4, cela correspond à plus de 40.000 femmes par an. La situation des femmes les plus vulnérables est encore plus alarmante. Une femme sur trois issue des minorités ethniques déclare avoir subi des violences obstétricales. Les femmes racisées par exemple sont souvent perçues comme plus résistantes à la douleur, ce qui mène à une mauvaise prise en charge de leur souffrance (syndrome méditerranéen). Celles qui ne parlent pas la langue peuvent aussi ne pas avoir toutes les informations sur leurs soins et sont donc dans l’incapacité de donner leur consentement éclairé. Les femmes avec un niveau d’éducation plus bas sont aussi plus à risque.

La question de la maternité est-elle prise en compte dans les luttes féministes?

La maternité a longtemps été un angle mort des mouvements féministes, dont la priorité était justement dirigée sur les droits et l’accès à la contraception et à l’avortement. Mais depuis une dizaine d’années, des hashtags comme #PayeTonUterus et #PayeTonGyneco ont contribué à libérer la parole et à lever le tabou autour de ces violences. Aujourd’hui, nous devons décloisonner les luttes pour que la maternité soit traitée comme une question sociale et politique. Dans une approche féministe de la maternité, les combats pour la contraception et pour un accouchement respecté sont intimement liés.

Y a-t-il des exemples concrets de législation qui protègent les femmes contre ces pratiques?

Oui, en 2007, le Venezuela a adopté une loi sur «le droit des femmes à une vie sans violence». Cette loi punit pénalement les violences obstétricales définies comme «l’appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les professionnel·les de santé. Cette appropriation se manifeste par: un traitement déshumanisant, un abus de médicalisation et une pathologisation de processus naturels, entrainant une perte d’autonomie et de capacité de décision libre sur son corps et sa sexualité». C’est donc en Amérique latine que l’on a commencé à questionner les maltraitances et les soins inadéquats apportés aux femmes, notamment lors de la naissance. La loi vénézuélienne a donné l’impulsion à d’autres pays tels que l’Argentine et le Brésil, qui ont légiféré sur les VO respectivement en 2009 et 2017. L’Europe n’a pas encore de législation propre aux VO, mais dix recommandations ont été adoptées en 2019 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Deux rapports européens ont également été publiés en 2024 sur ce thème.

Et en Belgique, où en est-on dans la reconnaissance de ces violences?

L’intérêt pour ces questions a commencé chez nous autour de 2012-2013, notamment grâce à Marie-Hélène Lahaye, une juriste qui a dénoncé ces violences. Elle définit les violences obstétricales comme suit: «Tout comportement, acte, omission ou abstention commis par le personnel de santé, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est effectué sans le consentement libre et éclairé de la femme enceinte ou de la parturiente.» Auteure du blog «Marie accouche là5», elle situe les violences obstétricales au carrefour de deux types de violences: la violence institutionnelle et les violences basées sur le genre. La première renvoie à l’organisation et au financement des soins de santé. Les contraintes de temps et de travail des professionnel·les ne correspondent pas toujours au rythme de la naissance et de la vie reproductive des femmes. Le manque de reconnaissance et de valorisation du travail de soin, ainsi que le sous-effectif des soignant·es, peuvent mener à des situations de maltraitance. Les violences de genre, quant à elles, découlent de rapports de force inégaux entre hommes et femmes, renforcés par des stéréotypes de genre, qui justifient une appropriation des capacités reproductives des femmes par les hommes et, plus largement, par le système médical.

Il existe pourtant la loi du patient qui interdit toute intervention sur le corps des personnes sans leur consentement...

En effet, le consentement éclairé est inscrit dans une loi relative aux droits du patient depuis 2002. Cette loi précise que « le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable». Cependant, dans le secteur de la santé comme ailleurs, nos normes culturelles sont imprégnées d’une forte idéologie sexiste. Dans La norme gynécologique, par exemple, la sociologue Aurore Koechlin explore comment les femmes sont éduquées à consulter des gynécologues, souvent ceux de leurs mères, et à croire que les médecins savent mieux qu’elles ce qui est bon pour leur corps. Cette culture qui fait croire aux femmes qu’elles sont majoritairement incapables d’accoucher par elles-mêmes contribue à la perpétuation des violences.

Au niveau politique, quelles sont les avancées?

En Belgique, une étape importante a été franchie en février 2024 avec l’approbation par le Sénat d’un rapport reconnaissant6 les violences obstétricales et gynécologiques7 . Cette reconnaissance marque un tournant important, établissant un constat politique de l’existence de ces violences et permettant de s’y attaquer de manière plus systématique. Des financements ont également été alloués par la Région wallonne dans le cadre de divers projets pour soutenir des initiatives destinées à lutter et prévenir les violences gynécologiques et obstétricales.

Aujourd’hui, le taux de mortalité néonatale a chuté. Il y a donc aussi des évolutions positives dans le champ médical...

Bien sûr. Il est important de reconnaitre l’expertise des gynécologues et les avancées technologiques qui permettent des interventions cruciales comme les césariennes ou l’administration de la péridurale. Cependant, ces interventions doivent être utilisées avec discernement et jamais sans le consentement des premières personnes concernées. Les gynécologues sont formé·es à intervenir pour prévenir tous les risques, ce qui les amène à voir la grossesse et l’accouchement sous un angle pathologique. Beaucoup de femmes ne sont pas conscientes que dans des conditions optimales, avec le soutien et l’information nécessaire, elles pourraient accoucher sans intervention médicale excessive. Pourtant, on estime à 80-90% le nombre de femmes ayant des grossesses normales. Dans un rapport d’octobre 20248, l’OMS propose la transition vers les «modèles de soins sage-femmes» (continuity midwife led-care) considérés comme une stratégie aussi efficace qu’économique, y compris dans les pays à revenu élevé9. Ce modèle présente de nombreux avantages pour les femmes et les nouveau-nés, notamment un recours minimal aux interventions inutiles. C’est une piste intéressante pour éviter la surmédicalisation qui entraine non seulement des violences pour les femmes, mais aussi une surcharge des médecins et des couts élevés pour la Sécurité sociale.

Y a-t-il des initiatives en cours pour sensibiliser et former les professionnel·les de santé?

Oui, nous travaillons de plus en plus avec les professionnel·les de santé dans la lutte contre ces violences. Ils sont progressivement plus nombreux à s’engager dans cette voie, mais pour certains le terme de violence est tout simplement inaudible. Le sujet ne peut pourtant pas rester un tabou. Comme suggéré dans le rapport du Sénat, nous croyons qu’il est nécessaire que la formation initiale et continue en gynécologie et en formation de sage-femme évolue en intégrant des socles communs sur le genre, ainsi que des dispositifs de sensibilisation aux violences gynécologiques et obstétricales. En 2023, nous avons initié une formation professionnelle en collaboration avec le CIANE (Collectif interassociatif autour de la naissance–France) et le Centre FoRS–Haute École Namur–Liège–Luxembourg. Nous espérons pouvoir poursuivre sur cette voie en nous associant avec d’autres établissements et hautes écoles.

Quels sont les autres défis que vous identifiez?

Le dialogue et la collaboration sont nécessaires pour sortir du déni et passer à l’action afin d’offrir des soins de qualité basés sur les dernières avancées scientifiques tout en répondant aux besoins des femmes. La méconnaissance du corps des femmes et le manque de prise en compte des questions de genre en santé doivent être pris à bras le corps pour trouver des solutions durables.

Un autre défi est le soutien et de l’accompagnement des victimes. Les femmes ayant subi ce type de violences sont pour le moment laissées à ellesmêmes. L’impact des VGO sur leur vie, le cout des soins de santé (chirurgie réparatrice, soutien psychologique, rééducation périnéale...) reste en grande partie à leur charge. Le fait qu’elles ne soient pas reconnues ni entendues et qu’elles se retrouvent seules constitue une double violence.

Face aux causes structurelles des VO–formation incomplète, manque d’effectifs, conditions de travail, ignorance de genre en santé, etc.–notre objectif est de déculpabiliser les professionnel·les de santé pour leur permettre de s’engager dans la transition vers des pratiques plus respectueuses: changer les pratiques et les comportements c’est très difficile, c’est lié à une culture et à des habitudes, donc ça demande beaucoup d’effort. Il y a pourtant des lieux où ça se passe très bien.

Enfin, nous devons encourager les politiques à faire preuve d’intérêt et de volonté pour mettre ces questions à l’agenda. Il faudrait que la Belgique continue à s’engager dans cette voie, en demandant par exemple que les VGO soient reconnues comme des violences basées sur le genre et soient ajoutées à la liste des violences reconnues dans la convention d’Istanbul. #


La Plateforme citoyenne pour une naissance respectée

La Plateforme pour une naissance respectée existe depuis 2014 et veille au respect des droits des femmes autour de la naissance et de la périnatalité. Elle regroupe des citoyen·nes, des usager·ères, des parents, des professionnel·le·s de la santé, des associations féministes et des représentant·es de la société civile. Depuis 2024, la plateforme coordonne une coalition sur le thème de la santé et du genre, en collaboration avec d’autres organisations1 . Ensemble, ces acteurs portent des recommandations pour lutter contre les VGO. En plus du cadastre officiel et de la révision de la formation initiale et continue des gynécologues et sages-femmes (voir article), ce collectif recommande la création d’un observatoire des violences gynéco-obstétricales et de la périnatalité afin de collecter des données, d’informer le grand public, de soutenir les professionnels dans le changement et de prévenir les violences gynécologiques et obstétricales.

1. La Fédération laïque, le GAMS (qui travaille sur les mutilations sexuelles), le Vrouwenraad (Conseil des femmes néerlandophones), le Centre d’expertise et de ressources autour de l’enfance, Femmes & santé et Femmes de droit.

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1. L. K. FRASER, N. CANO‐IBÁÑEZ, C. AMEZCUA‐PRIETO, K.S. KHAN, R.F. LAMONT, J.S. JØRGENSEN, «Prevalence of obstetric violence in high‐ income countries: A systematic review of mixed studies and meta‐analysis of quantitative studies», Acta Obstetricia et Gynecologica Scandinavica, vol1, n°104, 13-28, 2025.
2. A. ANISSA, C. COSENTINO, F. RICHARD, F. GUIOT, J. SERVAIS, M. WARNIMONT, «Les conditions d’accouchement en Belgique francophone avant et pendant le COVID », Plateforme pour une naissance respectée, novembre 2021.
3. L’épisiotomie est un acte chirurgical consistant à inciser le périnée au moment de l’accouchement lors de la phase d’expulsion foetale. En fonction des hôpitaux, les taux d’épisiotomie varient entre deux et plus de 40% (SPF Santé publique, 2023). De tels écarts entre les pratiques révèlent que les pratiques ne suivent pas toujours les principes de l’Evidence-Based Medecine (médecine basée sur les dernières données de la science).
4. Pression abdominale, point du mari, actes à vif, violence verbale, violence physique et violence psychologique. 
5. https://marieaccouchela. net/index.php/2016/03/09/ quest-ce-que-la-violence-obstetricale/
6. Rapport d’information concernant le droit à l’autodétermination corporelle et la lutte contre les violences obstétricales, rapport d’information fait au nom du comité d’avis pour l’Égalité des chances entre les femmes et les hommes, janvier 2024.
7. Depuis ce rapport, plusieurs groupes de travail ont été initiés, notamment au niveau fédéral
8. Transitioning to midwifery models of care: global position paper,World Health Organization, Genève, 2024.
9.https://www.who.int/ news-room/articles-detail/priority-questions-who-recommendations-maternal-perinatal-health-2024-2025

 

 

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