pexels sora shimazaki 5938368Alors qu’elle a des conséquences dramatiques sur la qualité de vie de nombreuses femmes, l’endométriose est longtemps restée peu étudiée–en raison notamment de la décrédibilisation de la douleur des femmes–et donc mal traitée. La Mutualité chrétienne (MC) a mené une étude qui permet d’objectiver l’impact de cette maladie sur la santé et sur tous les aspects de la vie quotidienne des femmes ainsi que d’estimer son cout.

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Clara NOIRHOMME, service d’études de la Mutualité chrétienne

L’ endométriose est une maladie chronique caractérisée par la présence de tissus semblables à la muqueuse utérine (endomètre) en dehors de l’utérus (ovaires, trompes, intestins, vessie, etc.). Les symptômes principaux sont des douleurs invalidantes pendant les règles, pendant et après les rapports sexuels, des douleurs pelviennes chroniques et la stérilité, ainsi que des douleurs dorsales et des problèmes vésicaux ou intestinaux.

Si l’endométriose est évoquée depuis quelques années seulement, elle est loin d’être une affection nouvelle ou une maladie qui ne toucherait qu’un nombre limité de femmes. À titre d’exemple, Marylin Monroe, souvent dépeinte en star «hystérique», était en réalité en continuelle souffrance en raison de cette maladie. Elle subira sept opérations pour tenter de la soulager. Son addiction aux antalgiques et son décès peuvent être analysés comme des conséquences indirectes de la maladie1.

En raison de la normalisation, de l’invisibilisation et de la décrédibilisation de la douleur des femmes, l’endométriose n’a longtemps pas reçu l’attention que les patientes méritaient: cette maladie touche 10% des femmes en âge de procréer et a des conséquences dramatiques sur la qualité de vie de nombreuses femmes.

La MC a mené une étude afin d’objectiver ces conséquences et les résultats sont univoques: les femmes atteintes d’endométriose ont un état de santé dégradé, un recours aux soins accru et doivent assumer des surcouts particulièrement importants pour leur santé. L’étude observe également que le recours aux soins est plus difficile pour les femmes dont les conditions socioéconomiques sont défavorables.

Un long délai avant la prise en charge

Dans l’analyse de la MC, l’âge médian des femmes détectées comme souffrant d’endométriose est de 34 ans. Cet âge n’est pas celui de la pose du diagnostic (ces données n’étant pas accessibles). Il n’est pas non plus celui des premiers symptômes, qui apparaissent généralement dans la première moitié de la vingtaine. Il s’agit en réalité de l’âge d’accès à un certain type de soins, qui seraient donc moins accessibles pour les femmes jeunes. Cela confirme ce que démontre la littérature scientifique: plus les femmes sont jeunes, plus le délai pour obtenir le diagnostic est long, ce qui est à mettre en lien avec la minimisation et la négation des symptômes que rencontrent ces dernières.

L’examen de la littérature scientifique montre également qu’il est plus facile d’obtenir un diagnostic lorsque le symptôme principal est l’infertilité que lorsqu’il s’agit de la douleur2. Le corps médical semble donc plus enclin à explorer une série de solutions permettant aux femmes d’être enceintes, plutôt que celles visant à prendre en charge leur douleur «normalisée» au niveau sociétal. La stigmatisation des problèmes menstruels et la normalisation sociétale de la douleur des femmes jouent un rôle essentiel dans le sous-diagnostic3 : considérer comme normal d’avoir des règles ou des rapports sexuels douloureux ainsi que le tabou entourant ces sujets peuvent empêcher les femmes de demander des soins ou de discuter des symptômes avec leurs proches et des prestataires de soins de santé, et de recevoir leur soutien4. Beaucoup de femmes courent en effet le risque de ne pas reconnaitre leur douleur comme une affection traitable, en particulier si cette douleur a commencé lors des premières règles5.

En observant le nombre de prestataires de soins impliqués dans le trajet des soins des femmes atteintes d’endométriose, on peut également avoir un aperçu de l’errance diagnostique et thérapeutique à laquelle elles sont confrontées. Ainsi, les femmes ayant été hospitalisées ou en incapacité de travail en raison de l’endométriose en 2022 ont rencontré en moyenne cinq gynécologues différents sur une période de trois ans. Certaines d’entre elles, soit 5%, rencontrent même plus de douze gynécologues, alors que la majorité des femmes des groupes de contrôle voient toujours le·la même gynécologue sur cette période.

Par ailleurs, les femmes atteintes d’endométriose font également appel à d’autres spécialistes tels que des anesthésistes, des chirurgien·nes, des gastro-entérologues, des urologues, ainsi qu’à des infirmier·ères, des kinésithérapeutes, des psychologues, etc. Afin de ne pas devoir assumer la coordination de ces soins et d’être encadrées par des prestataires spécialement formé·es, les cliniques multidisciplinaires sont indispensables à une prise en charge sur mesure des patientes.

État de santé dégradé et recours aux soins accru

Les conséquences de l’endométriose ne sont pas uniquement gynécologiques: les symptômes de l’endométriose affectent négativement la qualité de vie, les activités quotidiennes, la vitalité et la socialisation; mais aussi tous les aspects de la vie quotidienne des patientes, en ce compris les relations sexuelles, l’appétit, l’exercice physique, le sommeil, le bienêtre émotionnel, les activités sociales, le soin aux enfants et la productivité (tant à la maison qu’au travail). L’endométriose a également un impact sur la vie professionnelle des patientes. Parmi les femmes atteintes d’endométriose, 25% d’entre elles ont été en incapacité pendant au moins un jour en 2022, contre 12% des femmes des groupes de contrôle. Elles sont également beaucoup plus nombreuses à être hospitalisées (24% sont hospitalisées avec au moins une nuitée en 2022, contre 5% dans les groupes de contrôle) et à bénéficier du statut d’affection chronique (30% contre 13% dans les groupes de contrôle). Ces indicateurs démontrent que leur état de santé est significativement dégradé par rapport aux autres femmes.

La consommation de médicaments par les femmes atteintes d’endométriose est également préoccupante. En 2022, 34% des femmes atteintes d’endométriose ont consommé des opioïdes (une forme puissante et addictive d’analgésique). C’est presque 2,5 fois plus que chez les femmes des groupes de contrôle. L’utilisation d’anti-inflammatoires et d’autres analgésiques est également sensiblement plus élevée.

L’endométriose est en outre source d’infertilité dans de nombreux cas. Les données de la MC montrent en effet que 19% des patientes atteintes d’endométriose ont eu recours à l’insémination artificielle ou à la fécondation in vitro entre 2017 et 2023, contre 3% des femmes du groupe de contrôle. Les femmes atteintes d’endométriose sont également plus nombreuses à ne pas avoir d’enfant (71% d’entre elles) que les femmes des groupes de contrôle (66%).

Une maladie couteuse

L’observation des femmes atteintes d’endométriose dans leur ensemble montre qu’elles paient en moyenne 641 euros par an de soins de santé, contre 267 euros par an pour les femmes des groupes de contrôle. Pour les femmes ayant été hospitalisées ou en incapacité de travail en raison de l’endométriose en 2022, la moyenne est de 1.495 euros cette année-là, des couts près de six fois plus élevés que ceux des femmes des groupes de contrôle. Pour 5% d’entre elles, ils dépassent même 4.695 euros. Ces couts à charge des patientes sont composés des tickets modérateurs nets (après application du MàF, le «maximum à facturer» qui permet le remboursement des tickets modérateurs au-delà d’un certain plafond) et des éventuels suppléments facturés par les médecins non conventionné·es. Si ces couts sont particulièrement élevés, c’est notamment en raison des suppléments: ils sont près de trois fois plus élevés pour les femmes atteintes d’endométriose. Cela peut être lié au fait que plus de la moitié des gynécologues actif·ves ne sont pas conventionné·es.

Par ailleurs, si le statut BIM a pour objectif de protéger les patientes ayant de faibles revenus de dépenses importantes en santé, les couts à leur charge restent très élevés (497 euros par an pour les patientes BIM contre 664 euros pour celles qui n’ont pas ce statut). Les mécanismes de protection financière (MàF, BIM et conventionnement) s’avèrent donc peu opérants.

Vu qu’il n’existe actuellement aucun traitement capable de guérir définitivement l’endométriose et que cette maladie est donc chronique, de nombreux couts tels que les médicaments, l’hospitalisation et les soins gynécologiques sont récurrents. Par ailleurs, un grand nombre de médicaments ne sont pas remboursés comme certains traitements hormonaux. Les données relatives aux couts sans remboursement ne sont pas connues de la MC et ne peuvent donc pas être reprises dans l’analyse. Les couts à charge des patientes peuvent ainsi être sous-estimés.

Les femmes vivant dans des conditions économiques précaires sont sous-représentées dans l’échantillon de patientes de l’étude de la MC, car elles ont beaucoup plus de difficultés à trouver leur chemin vers les soins en raison des freins rencontrés (notamment en matière d’accès financier, mais aussi en raison du parcours qu’il est nécessaire de mener pour obtenir les soins adéquats). Si les femmes atteintes d’endométriose et ayant accès aux soins, sont généralement plus âgées, ont moins souvent le statut BIM, appartiennent davantage à la «population active» (c’est-à-dire qu’elles sont en situation d’emploi) et ont un partenaire stable, ce n’est pas parce que l’endométriose est plus fréquente pour ce profil de femmes. Au contraire, cela indique que les femmes issues de groupes socioéconomiquement défavorisés n’accèdent pas aux soins pour l’endométriose.

Amélioration de l’accessibilité des soins

Le retard de diagnostic et la prise en charge inadéquate peuvent gravement altérer la qualité de vie des patientes. La faible efficacité du système de santé entraine des couts évitables, en particulier en raison de l’errance thérapeutique, qui engendre un risque de multiplication d’examens ou des actes chirurgicaux. Cette maladie constitue donc un problème de santé publique important auquel le système de santé doit répondre en garantissant un accès rapide à des soins de qualité et abordables, indépendamment de la situation socioéconomique de chaque femme. Pour assurer l’accès aux soins aux personnes souffrant d’endométriose, des évolutions profondes doivent être envisagées autour des quatre dimensions de l’accessibilité6 :

(1) la sensibilisation à cette pathologie doit être accrue, pour améliorer la sensibilité aux besoins en soins, c’est-à-dire la capacité à établir un diagnostic le plus rapidement possible afin de procurer une prise en charge adéquate. Pour ce faire, il est notamment nécessaire d’améliorer la formation des prestataires de soins pour qu’ils·elles soient plus proactif·ves dans la détection des premiers symptômes, mais aussi pour proposer un meilleur référencement vers les expert·es. Améliorer la sensibilisation du grand public et du public cible permettrait également aux patientes et à leurs proches de repérer leurs symptômes.

(2) du point de vue de la disponibilité des soins, la prise en charge de patientes souffrant d’endométriose est complexe et n’est pas du tout règlementée à l’heure actuelle. Le Centre d’expertise fédéral des soins de santé (KCE) propose toutefois une réorganisation des soins en deux échelons: des centres de référence qui permettraient de lutter contre l’errance médicale et d’éviter la multiplication des actes invasifs et des cliniques au niveau locorégional qui devraient permettre l’élaboration d’un plan de soins individuel afin de répondre à la diversité de besoins des patientes.

(3) l’accessibilité financière doit être renforcée en limitant les contributions personnelles des patientes, en particulier en ce qui concerne les traitements actuellement non remboursés par la Sécurité sociale (traitements hormonaux) et les soins spécialisés des prestataires non conventionnés qui appliquent des suppléments. La problématique de la couverture financière pour les patientes issues de minorités doit d’autant plus être approfondie.

(4) l’acceptabilité des soins dépend du seuil de perception de la qualité des soins, décisif pour que les personnes acceptent de recourir aux soins. Dans le cas de l’endométriose, la perception d’un manque de qualité des soins peut entrainer le renoncement aux soins, par exemple, à cause du manque d’écoute dans le chef des prestataires de santé ou du problème d’une communication insuffisante ou inadaptée à la situation individuelle notamment par rapport aux stratégies de traitement et à la balance bénéfice/risque. Il est donc essentiel d’améliorer la sensibilisation des prestataires de soins pour permettre d’assurer l’écoute et la non-minimisation des symptômes des patientes. Il importe aussi que les informations concernant l’expertise disponible soient facilement accessibles. #


L’ étude repose sur une analyse des données administratives et de recours aux soins de 4.175 patientes de 12 à 50 ans atteintes d’endométriose (confirmée ou suspectée) identifiées entre 2017 et 2022. En l’absence de nomenclature spécifique concernant l’endométriose dans le système de sécurité sociale, les patientes ont été détectées à l’aide des diagnostics enregistrés lors d’hospitalisations, d’épisodes d’incapacité de travail (endométriose confirmée) et d’ IRM du bassin prescrites par des gynécologues spécialistes (endométriose suspectée). Les données de ces 4.175 femmes sont comparées à celles des groupes de contrôle de femmes présentant les mêmes caractéristiques socioéconomiques et démographiques (208.750 femmes), mais n’ayant pas été détectées comme souffrant d’endométriose.


 


1. M. WINCKLER, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les règles sans jamais avoir osé le demander, Fleurus, 2008.
2. M. ARRUDA, C. PETTA, M. ABRAO et C. BENETTI-PINTO, «Time elapsed from onset of symptoms to diagnosis of endometrioses in a cohort study of Brazilian women », Human reproduction 18, n°4, 2003, pp. 756-759.
3. S. AS-SANIE, R. BLACK, L. GIUDICE, et al., « Assessing research gaps and unmet needs in endometriosis», American Journal of Obstetrics and Gynecology, vol.221, n°2, 2019, pp.86-94.
4. J. GUPTA, L.F. CARDOSO, C. S. HARRIS, et al, « How do adolescent girls and boys perceive symptoms suggestive of endometriosis among their peers? Findings from focus group discussions in New York City», BMJ open, 2018, vol. 8, n°6, pp. 1-11.
5. K. BALLARD, K. LOWTON et J. WRIGHT, «What’s the delay? A qualitative study of women’s experiences of reaching a diagnosis of endometriosis», Fertility and sterility, 2006, vol. 86, n°5, pp. 1296-1301.
6. S. CÉS, «L’accès aux soins de santé, définition et enjeux», MC-Informations, n°286, 2021, pp. 4-22.

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