Drapeaux devant la commission europenneEn avril dernier, le Parlement et le Conseil européens ont voté une refonte des règles budgétaires européennes. Sous la pression des pays dits «frugaux» (Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède), les règles sont restées très rigides. L’objectif premier de la réforme est ainsi de garantir des finances «saines et viables» et de tendre vers une dette publique inférieure à 60% du PIB, au détriment des nombreux besoins d’investissements écologiques et sociaux.

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Par Patrick FELTESSE, conseiller socio-économique au MOC et Louise LAMBERT, permanente au CIEP

Dans le présent article, nous présentons ces nouvelles règles budgétaires. Nous détaillons ensuite la situation budgétaire européenne et nous montrons l’impact des règles sur les pays européens et en particulier sur la Belgique et ses entités, impact qui s’avère assez proche de celui de la vague d’assainissement des années 1990. Plus loin, nous expliquons en quoi les critères restent arbitraires et sans fondement économique, et combien la nouvelle austérité à laquelle les règles conduisent est contre-productive et basée sur des conceptions erronées. Nous terminons par quelques pistes d’action à l’encontre de cette nouvelle austérité.

Les nouvelles règles budgétaires européennes

De nouveau en vigueur depuis 2024 après trois ans de pause, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) mis en place en 1997 instaure un ensemble de critères que doivent respecter les États membres pour assainir leurs finances publiques et coordonner leurs politiques budgétaires. Ce pacte a été réformé en avril dernier. La réforme ne touche malheureusement pas aux principes édictés dans le traité de Maastricht de 1992: les États continuent de s’engager à maintenir leur déficit en dessous de 3% du PIB et, à terme, leur dette publique à un niveau inférieur ou égal à 60% de leur PIB.

Volets préventif et correctif (1)

Pour atteindre ces deux objectifs, le PSC s’appuie sur deux volets. Le premier est préventif: il fixe la trajectoire budgétaire de chaque État membre. Le second volet est correctif: il régit la procédure concernant les déficits excessifs lancée par la Commission européenne lorsqu’un État ne respecte pas ses objectifs budgétaires. Ces deux volets ont été réformés. Le volet préventif comprendra deux phases. D’abord, une période d’ajustement budgétaire préparatoire de quatre ans pour revenir à la norme de déficit de 3% du PIB. Cette période pourrait être prolongée jusqu’à sept ans si l’État membre s’engage à mettre en œuvre un ensemble pertinent de réformes et d’investissements.

Après cette période préparatoire, la Commission adressera aux États dont la dette et le déficit publics dépassent respectivement les valeurs de 3% et de 60% du PIB une trajectoire de référence pluriannuelle, exprimée en termes de dépenses nettes, afin de ramener progressivement la dette à 60%. Ces trajectoires de dépenses seront établies par le modèle macroéconomique DSA (Debt Sustainability Analysis) de la Commission européenne, modèle opaque basé sur des hypothèses néolibérales. La trajectoire de référence devra respecter deux mesures de sauvegarde: La mesure de sauvegarde portant sur la soutenabilité de la dette exigera que la dette diminue de minimum 1% du PIB si la dette dépasse 90% du PIB, et de 0,5% du PIB si la dette est comprise entre 60% et 90%. La Belgique devrait ainsi diminuer sa dette de 1% du PIB par an.  La mesure de sauvegarde portant sur la résilience du déficit prévoira une marge de sécurité de 1,5% par rapport à la valeur de référence de 3%, ce qui fera baisser le déficit autorisé à 1,5% du PIB.

Chaque État membre établira un plan budgétaire et structurel national d’une durée de quatre à cinq ans comprenant la trajectoire de dépenses nettes ainsi que les réformes et les politiques socio-économiques et fiscales qui seront menées par l’État membre pour y parvenir. Ces plans seront approuvés par le Conseil de l’Union européenne (UE) après avoir été évalués par la Commission. Le premier plan doit être déposé d’ici le 20 septembre 2024.

Le volet correctif passe par la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) qui pourra être lancée par la Commission européenne dans deux cas spécifiques :

 Lorsque le déficit public dépasse 3% du PIB, la PDE fondée sur le critère de déficit pourra exiger un ajustement structurel annuel minimal de 0,5% du PIB.

 Lorsqu’un État membre s’écarte de sa trajectoire de dépenses nettes de 0,3% du PIB par an ou de 0,6% du PIB cumulativement, la Commission pourra enclencher la PDE portant sur la dette.

Lorsque la PDE est enclenchée, l’État membre risque des amendes allant jusqu’à 0,05% du PIB. Elles devront être payées tous les six mois jusqu’à ce que le Conseil de l’UE confirme que des actions suivies d’effets ont été prises.

« Une large partie de la dette publique belge provient du soutien croissant et non conditionné aux banques et aux entreprises, mais aussi de la baisse croissante de la fiscalité des entreprises. Il serait particulièrement injuste de faire payer aujourd’hui le prix de la dette aux travailleur·ses et aux allocataires sociaux...»

Interprétation des règles

Les règles budgétaires européennes ont été revues avec l’ambition d’accroitre leur souplesse afin de tenir davantage compte des spécificités nationales. Cet objectif ne semble pas rempli. L’élément de souplesse visant à sortir les éléments conjoncturels du déficit (par exemple, une baisse de recettes fiscales ou une hausse du chômage à la suite d’une crise économique) figurait déjà dans les règles précédentes. Le système a au contraire été rigidifié par les mesures de sauvegarde qui instaurent un plafond de 1,5% pour le déficit au lieu de 3%.

En outre, les nouvelles règles ne font toujours pas de distinction entre les dépenses courantes (par exemple, le remboursement des soins de santé ou la rémunération des fonctionnaires) et les dépenses d’investissement (par exemple, la construction d’un hôpital ou d’une école). Les États ne sont pas autorisés à sortir certains investissements du calcul du déficit et à s’endetter pour les financer. Les dépenses d’investissement devraient être réparties sur plusieurs années budgétaires plutôt qu’être attribuées à l’année de leur dépense, ce qui fait trop gonfler le déficit annuel et désincite dès lors à investir.

Les règles relèvent également d’une vision néolibérale dès lors qu’elles se focalisent implicitement sur les dépenses sans mettre en avant les opportunités en matière de recettes. Elles fixent ainsi un plafond aux dépenses nettes de l’État sans fixer de plancher aux recettes 2 .

Enfin, ces règles vont confisquer une bonne partie de l’autonomie des États en donnant un pouvoir important à la Commission européenne et au Conseil européen dans le calcul de la trajectoire de dépenses nettes et dans l’élaboration des plans budgétaires nationaux. Les instances européennes vont ainsi influencer les politiques budgétaires nationales, les réformes et le choix des investissements publics que les États vont mener. La démocratie parlementaire et la démocratie sociale risquent ainsi d’être réduites à peau de chagrin.

Impact pour l’Europe et la Belgique

Les déterminants de la situation budgétaire en Europe

L’intégration européenne ayant créé davantage d’interdépendance, il est nécessaire d’avoir des mécanismes communs de régulation et de convergence entre pays au départ de leurs risques budgétaires respectifs et face à plusieurs incertitudes. Une nouvelle crise de la dette de certains pays pourrait en effet renchérir le cout des emprunts de la plupart des pays 3 .

Du fait de taux d’endettement élevés, la situation des finances publiques en Europe, sans être alarmante, pourrait, à des degrés variables selon les pays, pâtir d’un ralentissement de la croissance et d’une hausse des taux d’intérêt 4 . La soutenabilité de la dette publique dépend en effet avant tout de l’écart entre le taux d’intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance économique (inflation comprise). Si le taux d’intérêt moyen est supérieur au rythme de la croissance s’enclenche le fameux effet boule de neige, c’est-àdire l’augmentation automatique du taux d’endettement et dès lors de la part des charges d’intérêt dans les dépenses publiques, réduisant celle à consacrer aux autres dépenses.

Ainsi, tant que le taux d’intérêt moyen sur la dette d’un pays est inférieur au taux de croissance du PIB, la dette finit par se stabiliser. Si le taux d’intérêt lui devient supérieur, il faut un surplus budgétaire suffisant pour ne pas voir le taux d’endettement s’autoalimenter 5 . Dans ce cas, plus le taux d’endettement est élevé, plus la baisse du déficit puis la création d’un surplus doivent être importantes pour le stabiliser. Or, l’indicateur taux de croissance moins taux d’intérêt est largement positif en Belgique depuis 2015, grâce à la baisse des taux sur les obligations d’État. Bien que le taux sur les emprunts à 10 ans ait augmenté à la suite de l’inflation de 2023, il devrait rester assez stable dans les prochaines années 6 si la réduction de l’inflation se confirme. Cela n’aura que peu d’impact vu la longue durée des emprunts (11 ans en moyenne) et du fait que la dette est constituée d’emprunts dont les échéances s’étalent sur une longue période. Si des emprunts contractés dans le passé sont renouvelés à un taux plus élevé, cela n’augmente que faiblement les charges de l’ensemble de la dette.

Vu que la hausse du taux d’intérêt moyen sur la dette belge qui en résulte est légère, celle-ci resterait soutenable d’ici 2032, moyennant l’hypothèse d’une croissance du PIB réel de 1,3% par an et d’une inflation de 2%7 . La Belgique ne devrait donc pas revivre l’emballement de la dette qu’elle a connu dans les années 1980. L’écart entre croissance du PIB et taux d’intérêt deviendra toutefois progressivement très réduit, ce qui entraine que le déficit croissant conduira à terme à une hausse assez forte du taux d’endettement (de 105% du PIB en 2023 à environ 126% d’ici 2032). Nous pourrions ainsi basculer dans l’effet boule de neige en cas de hausse persistante des taux d’intérêt effectuée par la BCE pour juguler une nouvelle poussée d’inflation ou en cas de ralentissement économique sur plusieurs années (un ralentissement économique qui proviendrait d’une baisse du rythme de productivité, de tensions géopolitiques ou des politiques d’austérité). Raison supplémentaire pour considérer qu’il serait contreproductif à cet égard de freiner l’activité économique par une réduction des dépenses utiles et que d’autres pistes sont dès lors à emprunter pour limiter les déficits.

En résumé, la situation budgétaire en Europe est plus problématique qu’auparavant étant donné que le niveau plus élevé d’endettement est combiné à une croissance ralentie et à des taux d’intérêt encore élevés. Elle varie cependant de pays à pays 8 . La dette belge est soutenable, mais de moins en moins à l’abri, notamment de l’impact des tensions géopolitiques sur la croissance et sur l’inflation (et donc sur les taux d’intérêt).

«Sans nouvelles sources de financement et autres solutions, l’austérité annuelle que provoqueront ces nouvelles règles s’avère proche des effets de la période d’assainissement des années 1990.»

Conséquences pour la Belgique et ses entités

Suivant les nouvelles règles, alors que le déficit est en hausse9 , il s’agit de le ramener à 1,5% du PIB (pour une marge de sécurité par rapport aux 3% requis). Si la Belgique obtient une période d’ajustement de sept ans au lieu de quatre, de 2025 à 2031, elle devrait consentir un effort budgétaire annuel de 0,65% du PIB, soit 3,9 milliards d’euros par an pour un total de 27,3 milliards sur l’ensemble de la période (4,5% de PIB en 7 ans). Comparés aux budgets 2022, 27,3 milliards équivalent à plus de 4 fois les prestations de l’assurance-chômage ou à près de la moitié des pensions versées ou encore à près de 3 fois le budget de l’enseignement francophone. Aussi, sans nouvelles sources de financement et autres solutions, l’austérité annuelle que provoqueront ces nouvelles règles s’avère proche de la période d’assainissement des années 1990. Pour 2024-2026, il n’existe toujours pas d’accord de coopération entre entités avec des engagements contraignants sur l’objectif budgétaire, la trajectoire pour y arriver et la répartition de l’effort, en dépit d’un accord de coopération de fin 2013. Il y a en effet matière à discussion sur la répartition.

La part du fédéral dans le déficit belge passera de 70% en 2023 à 90% en 2029, car c’est ce niveau qui concentre le plus de dépenses de pensions et de soins de santé impactées par le vieillissement, mais aussi d’invalidité, de défense, de financement de l’UE et de charges d’intérêt (c’est lui qui assume la dette historique antérieure à la fédéralisation). Cela pourrait justifier une réduction de son effort relatif, mais il a davantage de capacités fiscales. Avec 25% du déficit belge en 2023, les entités fédérées devraient contribuer à raison de 6,6 milliards d’euros en sept ans (sur les 27,3 milliards). Toutefois, les entités fédérées pourraient réclamer une baisse de leur effort relatif dès lors que certaines charges ont crû au fil du temps et croitront encore (transition écologique, matières de sécurité sociale transférées, dépenses particulières de Bruxelles).

Le déficit de l’ensemble des pouvoirs publics a augmenté fortement en 2019 et 2020, a ensuite commencé à se résorber jusqu’en 2022 pour rebondir depuis 2023 du fait des dépenses de pensions et de soins de santé, de l’indexation des prestations sociales et des salaires de la fonction publique ainsi que d’une hausse des charges de la dette10. Il faudrait ajouter qu’une vraie réforme fiscale n’a pas eu lieu et que le tax-shift par exemple a amputé les recettes de cotisations patronales. Le creusement du déficit total et de la dette d’ici 2029 tient surtout à la hausse du taux des emprunts. On ne peut donc pas considérer que la hausse du déficit soit le résultat d’un laisser-aller comme il est souvent dit ou sous-entendu, d’autant que les restrictions sont partout à l’œuvre depuis des années. Ce narratif est utilisé par celles et ceux qui refusent des réformes fiscales visant à augmenter les recettes publiques.

« On peut s’attendre à des réformes “structurelles” visant à réduire les couts à long terme (pensions) et à stimuler la croissance (au détriment de l’environnement), afin que la Commission européenne accepte une moindre réduction des déficits.»

Une analyse politique des règles budgétaires

Plusieurs arguments politiques et économiques prouvent que la politique budgétaire européenne fait fausse route en voulant cadenasser les pays européens par une nouvelle salve d’austérité. C’est à ces arguments que les prochaines sections sont dédiées.

Des politiques « pro-capital»

Le niveau élevé des dettes d’aujourd’hui est causé en priorité par des politiques «pro-capital» menées depuis les années 1980 en Europe: taux d’intérêt excessifs (jusqu’à 14% en Italie) imposés aux États lors du tournant néolibéral des années 1980 à 1990; socialisation des pertes du secteur bancaire suite à la crise de 2008; impact récessif de la crise économique et des politiques d’austérité qui en ont résulté; diminution des recettes publiques induites par la course au dumping fiscal (en Belgique, baisse de l’ISOC, tax shift, réforme de l’IPP, etc.); augmentation des aides et des subsides aux entreprises. Ainsi, une large partie de la dette publique belge provient du soutien croissant et non conditionné aux banques et aux entreprises, mais aussi de la baisse croissante de la fiscalité des entreprises. Or, les assainissements budgétaires ont toujours visé les dépenses sociales en priorité. Il serait donc particulièrement injuste de faire payer aujourd’hui le prix de la dette aux travailleur·ses et aux allocataires sociaux.

Des plafonds arbitraires et sans fondement

Les limites budgétaires imposées par l’Union européenne ne fournissent pas une image fiable de la soutenabilité des finances publiques et proviennent de « calculs de coin de table » du Comité Delors à l’époque où le traité de Maastricht fut élaboré. La limite du taux d’endettement à 60% du PIB était ainsi basée sur le niveau moyen d’endettement de l’époque des 12 pays de l’UE, sans réel fondement économique 11.

En outre, l’utilisation du ratio dette/ PIB a peu de sens économique, car cela revient à comparer un stock (la dette) à un flux (le PIB). Dans les faits, les marchés financiers font peu attention à cet indicateur. La dette publique n’est généralement pas remboursée, mais refinancée. Son niveau absolu n’est donc pas le critère le plus important. Le Japon arrive ainsi à financer sa dette malgré un taux d’endettement de 254% du PIB. Ce qui est davantage important, c’est l’existence d’un écart positif entre le taux de croissance économique et le taux d’intérêt moyen sur la dette. Or, comme expliqué plus haut, cet écart devrait rester positif pour la Belgique jusqu’en 2032 et la BCE a le pouvoir de maintenir les taux d’intérêt bas en jouant sur ses taux directeurs. Il n’y a donc pas de raison économique majeure qui justifie une salve d’austérité aujourd’hui.

Des politiques contre-productives

Quand bien même faudrait-il réduire la dette, les politiques d’austérité ont, par le passé, aggravé le taux d’endettement des pays concernés en raison de leur effet récessif sur l’économie. Elles entrainent en effet une chute de la demande globale et une baisse de croissance de la production. En diminuant la croissance du PIB, elles accroissent le taux d’endettement calculé en % du PIB et détériorent l’écart entre le taux de croissance économique et le taux d’intérêt moyen sur la dette. En 2010, le retour au respect des règles budgétaires européennes a ainsi cassé la relance et précipité la zone euro dans une seconde récession (la première s’étant produite dans la foulée de la crise de 2008). Les politiques d’austérité les plus dures menées à partir de 2013 au Portugal, en Espagne et surtout en Grèce se sont soldées par une explosion des taux d’endettement public et du chômage et par un appauvrissement massif des populations. En Grèce, le taux d’endettement est ainsi passé de 118% du PIB en 2008 à 193% du PIB en 2022.

L’austérité généralisée induite par les règles budgétaires européennes risque donc d’avoir un effet récessif sur l’Europe, au grand dam des populations et avec, probablement, une aggravation des taux d’endettement.

Un manque d’investissements publics pour les générations futures

Plus problématiques sont les conséquences de ces nouvelles règles sur les finances publiques. Les États ne seront pas en mesure de combler les besoins d’investissements publics, notamment pour faire face aux incontournables défis actuels (changements climatiques, logement, vieillissement, inégalités, défense, etc.). Les règles budgétaires vont imposer un redressement budgétaire de 73 milliards par an en Europe. Pour rencontrer les objectifs européens du Green Deal, l’Institut Rousseau 12 estime pourtant qu’il manque annuellement 260 milliards d’investissements publics en Europe 13. Si on ajoute à cela les besoins en investissements sociaux (écoles, hôpitaux, logements) et en infrastructures, l’Europe aurait besoin de 340 à 430 milliards d’investissements publics annuels 14.

Les dettes écologiques et sociales que nous allons laisser aux générations futures seront importantes. Dans un contexte où la dette européenne est globalement soutenable, l’équité intergénérationnelle appelle davantage à un niveau un peu plus élevé de dépenses financées par la dette qu’à un assainissement budgétaire excessif.

La politique budgétaire et monétaire verrouillée

Avec les nouvelles règles européennes, les politiques budgétaires des États vont donc être orientées en premier lieu vers la réduction de la dette et des déficits publics, laissant peu de marge pour une autonomie politique. Or, en créant la zone euro, les États membres se sont déjà privés du premier instrument économique pour mettre sur pied des politiques de relance et d’investissements: la politique monétaire. En effet, contrairement à d’autres banques centrales, la BCE a des objectifs et des prérogatives plus limitées. D’une part, alors que la majorité des banques centrales arbitrent entre deux objectifs contradictoires, celui de maitriser l’inflation et celui de faire baisser le taux de chômage, la BCE a pour unique objectif de lutter contre l’inflation. D’autre part, contrairement à d’autres banques centrales, la BCE ne peut pas prêter directement de l’argent aux États membres ni faire tourner la planche à billets pour financer leurs politiques. Or, selon les économistes de la théorie moderne de la monnaie, tant qu’une économie n’est pas proche du plein-emploi, la création monétaire peut être utilisée sans risque de créer de l’inflation15. C’est même l’instrument le plus efficient pour financer des politiques de relance et d’investissements. Ainsi, en cadenassant la politique monétaire et en diminuant l’autonomie des États membres dans leurs politiques budgétaires, l’Europe s’empêche d’investir dans la transition écologique et sociale et s’enlise dans une politique qui étouffe l’innovation et le développement. Elle laisse ainsi la Chine et les États-Unis prendre de l’avance.

Pistes d’action

Face aux tendances politiques actuelles, peu enclines à remettre en question ces nouvelles règles budgétaires, le monde syndical et associatif est appelé à l’analyse stratégique et à l’action. Tout d’abord, il s’agit de contester ces règles, mais aussi les narratifs erronés qui sont diffusés et qui passent sous silence les recettes potentielles d’une justice fiscale, le report des investissements sur les générations futures et le rôle de la politique monétaire. Ensuite, il importe de refuser l’appauvrissement des services collectifs et la non-réponse aux besoins sociaux criants et aux impératifs écologiques incontournables. Enfin, il nous faut défendre la nécessité, y compris dans un objectif de sauvegarde de notre démocratie, de poursuivre des progrès en matière de droits sociaux et contre les injustices et discriminations.

La régulation budgétaire européenne doit dès lors être repensée pour mieux prendre en compte les impacts positifs des investissements publics, dont les «investissements sociaux», y compris pour la croissance. Le glissement toujours plus à droite de l’UE rend encore plus nécessaire l’amplification d’un mouvement social européen contre l’austérité et en faveur d’alternatives. Nous devons ainsi réclamer un emprunt européen pour la transition écologique et une politique industrielle coordonnée16, une mutualisation partielle des dettes publiques contre la spéculation financière, des ressources propres pour l’UE à travers l’adoption de projets de taxation17, et une réforme de la BCE pour qu’elle puisse prêter directement aux États.

En Belgique, outre des coupes sombres, des privatisations et des reports couteux de mesures sociales et de santé, d’infrastructures, etc., on peut s’attendre aussi à des «réformes structurelles» visant à réduire les couts à long terme (pension) et à stimuler la croissance, au détriment de l’environnement.

À cette politique d’austérité, des réformes fiscales qui, par la simple justice fiscale pourraient augmenter les recettes tout en réduisant les inégalités 18 constituent l’alternative principale.#

 

1. Sources pour ces sections: https://www.consilium.europa.eu/fr/ policies/economic-governance-framework/ ; R. HANSSENS, L’accord trilogue sur les règles budgétaires européennes: lignes directrices, suite de la procédure et conséquences pour la Belgique, Note interne à la CSC, 21 février 2024. 2. Par le passé, le gouvernement Michel a bénéficié d’une forme de souplesse budgétaire au niveau européen lorsqu’il a adopté la réforme de l’impôt des sociétés et le tax shift, deux réformes qui ont pourtant amputé les recettes potentielles de l’État de plusieurs milliards d’euros. 3. L’interdépendance accentuera aussi l’impact négatif de l’austérité sur l’activité économique de chaque pays avec un effet pervers sur leur taux d’endettement en % du PIB, surtout pour une économie très ouverte au commerce extérieur comme la Belgique. 4. Lorsque les sommes empruntées dépassent la capacité d’un pays à les rembourser, les prêteurs peuvent exiger des taux d’intérêt plus élevés pour lui prêter davantage, entrainant des couts d’emprunt plus élevés. 5. D. CORNILLE , H. GODEFROID, L. VAN MEENSEL, S. VAN PARYS, «Quels risques la dette publique élevée pose-t-elle dans un contexte de faibles taux d’intérêt?»,Revue économique, BNB, septembre 2019.   6. BFP-Institut des comptes nationaux, Perspectives économiques 2024-2029, février 2024. 7. H. GODEFROID et M. DEROOSE, Attention à la boule de neige ! , Banque nationale de Belgique, 2024. www.nbb.be 8. Elle varie selon les pays suivant leur niveau d’endettement et leurs perspectives de croissance et de charges d’intérêt. 9. Le déficit augmenterait de 4,6% du PIB en 2023 à 5,6% en 2029 (alors que la dette passerait de 105% du PIB à près de 117%). 10. BNB-Institut des comptes nationaux, «Le déficit budgétaire s’est considérablement creusé en 2023», Communiqué de presse, 19 avril 2024. 11. Lire: « Notre grande crainte, c’est le retour de l’austérité budgétaire», interview de Étienne Lebeau et Clarisse Van Tichelen, Démocratie, mai 2020, pp.13-15. 12. L’Institut Rousseau, fondé en mars 2020, propose des analyses et des pistes pour une reconstruction écologique et démocratique de nos sociétés. 13. Institut Rousseau, Road to Net Zero. Executive summary, 2024. https://extranet.greens-efa.eu/public/media/file/1/8693 14. S. MANG et D. CADDICK Caddick, Navigating constraints for progress : examining the impact of EU fiscal rules on social and green investments, New Economic Foundation – CES. https://www. etuc.org/sites/default/files/press-release/file/2024-04/Fiscal%20 Rules%20Report.pdf 15. S. KETLON, Le mythe du déficit. La théorie moderne de la monnaie et la naissance de l’économie du peuple, Les liens qui libèrent, 2021. 16. Comme le propose l’avis du Conseil central de l’économie. 17. Taxe sur les transactions financières, taxe carbone aux importations, taxation du kérosène, une taxation sur les multinationales de 25% au lieu des 15% actuellement décidés, etc. 18. Voir : Réseau pour la Justice fiscale (reseaujusticefiscale.be).

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