De l’amour au travail, de la parentalité à la scolarité, de la santé au lifestyle, il semble qu’il existe désormais une offre de coaching pour tous les domaines de l’existence. Malgré les controverses qu’il suscite à propos de sa scientificité ou de ses implications politiques, le coaching connait une indéniable progression. Ce succès s’explique peut-être moins par l’efficacité du coaching que par sa capacité à mettre en musique les idéaux d’une société individualiste, parmi lesquels la foi dans le fait qu’il y aurait, en chacun et chacune, de grandes ressources sous-exploitées..
Par Nicolas MARQUIS, Professeur de sociologie à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, ERC Starting Grantee
Nous avons probablement toutes et tous déjà entendu certaines promesses particulièrement ambitieuses du coaching. Le séminaire «Les clés du succès» organisé par des entrepreneur·ses belges depuis plusieurs années fait à chaque personne inscrite à cet événement de deux jours la profession de foi suivante : «Exploitez votre potentiel pour un futur meilleur.» Le groupe organise également du «Life coaching» individualisé qui, en huit sessions de 1h30, promet «une année d’accompagnement en one-to-one pour atteindre vos rêves» (à près de 6.500 euros HTVA tout de même) 1 . Il ne faut pas, pour qui veut comprendre le coaching, s’arrêter à ces manifestations caricaturales –grand-messes collectives ou promesses de tout résoudre dans une vie qui se vivra désormais à 10/10 plutôt qu’à 6/10–, même si celles-ci font aujourd’hui couler beaucoup d’encre 2, Car ces phénomènes inspirés du self-help à l’américaine (lire ci-dessous) ne sont que les arbres qui cachent une forêt autrement dense et plus complexe : celle des pratiques d’accompagnement, de guidage, d’empowerment, de coaching qui ont désormais débordé les traditionnelles sphères sportives et professionnelles pour s’immiscer dans tous les domaines de la vie sociale et privée.
Quo vadis, coaching ?
Le coaching est une nébuleuse difficile à saisir. Les personnes qui s’en réclament ont des formations et des parcours très différents, mais elles ont en commun de chercher une légitimité dans leur propre histoire de vie privée ou professionnelle (souvent marquée par des difficultés antérieures, voire par une véritable brèche) et déclarent mettre au service d’autrui leur propre expérience, agrémentée des techniques auxquelles elles se sont formées 3 . Le coaching est souvent présenté par celles et ceux qui le pratiquent comme une riche « boite à outils » dans laquelle chacun et chacune pourra trouver ce qui lui convient. Indexée à une logique d’œcuménisme pragmatique (« tant que ça marche pour vous... »), la liste de ces outils semble infinie : ennéagramme, PNL, thérapies ACT, méthodes des chapeaux, triangle de Karpman, méditation en pleine conscience, musculation du cerveau, méthode de gestion du stress, hypnose eriksonienne, MBTI, etc.
Les coaches ont en commun cette revendication forte – et parfois bien difficile à mettre en pratique – qui les différencie, selon elles et eux, d’autres intervenant·es : faire de chacun·e l’acteur·rice principal·e de son propre changement.
Au-delà de cette diversité de références et de techniques, les coaches ont en commun cette revendication forte–et parfois bien difficile à mettre en pratique–qui les différencie, selon elles et eux, d’autres intervenant·es: faire de chacun·e l’acteur·rice principal·e de son propre changement. Ils·elles mettent ainsi à leur tour en pratique les mots par lesquels, déjà en 1859, Samuel Smiles ouvrait son ouvrage, bible d’une Angleterre victorienne et libérale, dans lequel il invente littéralement le terme de self-help: «Help from without is often enfeebling in its effects, but help from within invariably invigorates». L’aide qui vient du dehors nous affaiblirait, tandis que le fait d’agir à partir de soi-même sur base de ses propres ressources nous renforcerait. Si cette logique semble inscrite depuis bien longtemps dans le sens commun des pays anglo-saxons, elle est moins évidente dans nos contrées, par exemple en France ou en Belgique, historiquement structurées par l’idée d’un contrat entre l’individu et la société. À travers toute une série d’institutions, la société fournit à chacun·e les moyens d’être une personne épanouie et un·e bon·ne citoyen·ne, et lui vient en aide en cas de problème ou d’accident de la vie. La montée en puissance du coaching s’inscrit dans un moment de remise en cause du bienfondé de ce contrat de la part de multiples acteurs·rices qui s’interrogent: est-il efficace? Est-il finançable? Récompense-t-il correctement l’effort? Tire-t-on ainsi le meilleur de chaque individu? Ne finit-on pas par faire des «assisté·es»?
L’un des développements les plus significatifs du coaching ces dernières années est précisément celui de sa généralisation dans les institutions constituant les rouages historiques de ce contrat et se retrouvant aujourd’hui en proie à de nombreux doutes exprimés non seulement par le grand public ou le politique, mais aussi parfois par celles et ceux qui travaillent en leur sein: l’école, les soins de santé, la politique des familles, mais aussi l’assurance-chômage, la justice, etc. Dans tous ces domaines, le coaching nourrit son succès de la remise sur le métier d’une question fondamentale : comment, aujourd’hui, peut-on et doit-on intervenir sur autrui, par exemple pour lui faire adopter certains comportements, pour augmenter son bien-être, ou en faire un individu autonome ?
De l’intervention verticale à l’intervention horizontale
La montée en puissance du coaching dans les domaines de la santé (mentale), de l’éducation et de la parentalité est un phénomène particulièrement fascinant qui nous plonge au cœur des représentations des sociétés individualistes qui valorisent l’individu, son autonomie personnelle et sa capacité à se transformer lui-même 4 . Historiquement, ces trois domaines sont structurés autour d’une relation asymétrique: entre le soignant et le patient, entre le professeur et l’élève, entre le parent et l’enfant. Dans ce modèle asymétrique, il est acquis et validé socialement que la personne en position haute (le soignant, le professeur ou le parent) dispose d’un statut et d’une expertise qui l’autorisent à décider de ce qui serait dans l’intérêt de la personne en position basse (le patient, l’élève, l’enfant), en respectant bien sûr une série de règles. La personne en position basse est donc l’objet d’une action qui vient de l’extérieur et «d’en haut»–soigner, éduquer, élever–au terme de laquelle elle sera elle-même plus complète. L’acquisition de l’autonomie individuelle ne peut se faire qu’au prix du respect de ces règles imposées de l’extérieur.
Ces dernières décennies, cette logique d’une intervention extérieure verticale de la part d’une personne qui saurait mieux qu’une autre ce qui est bon pour elle est cependant devenue moins acceptable.
D’une part, en écho à Samuel Smiles, on a tendance à la considérer comme moins efficace (par exemple, l’élève oubliera rapidement ce qu’on l’a obligé à apprendre par cœur, et l’homme à qui on donne un poisson sans lui apprendre à pêcher ne mangera qu’un jour). D’autre part, elle semble désormais peu respectueuse de ce qui nous apparait dans les sociétés individualistes comme une évidence : chacun·e devrait pouvoir décider ce qui est bon pour lui·elle, et il n’est pas question que l’on vous dise quoi faire ou que l’on vous impose.
Ce principe du sacre universel de la personne s’est accéléré ces derniers temps en s’appliquant de plus en plus à des individus ou des situations qui en étaient auparavant exclues: par exemple la personne en situation de handicap ou souffrant de troubles mentaux, la personne qui ne parvient pas à subvenir à ses besoins, la personne en perte d’autonomie due au grand âge. Mais cette extension n’est nulle part plus visible que lorsqu’elle s’applique à l’enfant 5 , ce dont témoignent les controverses autour de l’éducation ou de la parentalité dites «positive» ou « bienveillante 6 ».
Ici comme ailleurs, le succès du coaching s’inscrit dans une attente sociale d’horizontalisation de l’intervention sur autrui. Celle-ci ne doit plus être le fait d’un expert qui, du haut de ses longues études ou du simple fait qu’il est un adulte, vient vous dire ce qui est bon pour vous. Elle doit devenir une relation entre partenaires, où le coach n’est pas au-dessus, mais à côté de vous. Il est seulement expert de votre expertise, maïeuticien bien outillé vous aidant à accoucher d’un potentiel qui est déjà-là en vous, mais avec lequel vous n’êtes pas encore en contact, précisément du fait de ces vieilles normes et institutions incapables de s’adapter aux différences individuelles.
La « coach-isation» de l’intervention sur autrui est ce système de pensée dans lequel toutes les relations sont au moins partiellement solubles dans le coaching. Un ancien prof ou un entrepreneur pourra ainsi coacher des enseignant·es et des parents, pour qu’ils·elles deviennent à leur tour non plus ces figures verticales, mais des coaches développant le potentiel de leurs élèves ou de leurs enfants. À nouveau, ces enfants, mieux au fait de la grammaire de leurs émotions ainsi que de leurs forces et faiblesses, pourront à leur tour devenir des coaches, des pairs-experts, des buddies, pour d’autres enfants en difficulté.
Faut-il bruler le coaching ?
Dans ces trois domaines comme dans bien d’autres, l’usage du terme de «coaching» génère beaucoup de tensions, voire d’oppositions. D’abord entre ceux·celles qui le revendiquent comme une pratique sérieuse et certifiée qui met au défi les métiers traditionnels, et d’autres qui n’y voient que de la fumisterie incontrôlée. Ensuite, entre ceux·celles qui considèrent que derrière les nouveaux vocabulaires clinquants (comme ceux des neurosciences cognitives), il n’y a rien de bien neuf sous le soleil, et ceux·celles qui au contraire y trouvent des appuis enfin prouvés par la science, par le vécu de sommités ou par la pratique, pour renverser la table et secouer nos institutions vieillissantes. Il y a ceux·celles pour qui le coaching a fonctionné au point de transformer leur vie, et ceux·celles que cela a laissé au mieux de marbre. Il y a aussi les personnes qui sont allées chercher les conseils d’un coach de leur propre initiative, et ceux·celles, demandeur·ses d’emploi, étudiantes en décrochage scolaire, personne souffrant de troubles mentaux qui n’ont pas vraiment d’autre choix que de se faire «accompagner» dans leur «développement personnel», voire qui y sont contraint·es (on pense par exemple aux politiques d’activation). Last but not least, il y a ceux·celles qui liront dans les descriptions qui précèdent le triste signe de la néo-libéralisation d’un monde d’où l’État se retire, et ceux·celles qui y verront une authentique amélioration des systèmes à bout de souffle.
Sociologiquement, le signe le plus frappant du succès du coaching est qu’il est aujourd’hui devenu une logique d’action valorisée relativement indépendante de l’étiquette de «coach» en elle-même. Ainsi, on observe aisément que des intervenant·es refusant pourtant complètement l’étiquette de coach (par exemple pour des raisons politiques) mettent pourtant en place des dispositifs et suivent des principes que les coaches revendiquent désormais comme leur marque de fabrique : faire de chaque personne un partenaire, présupposer un potentiel chez autrui, considérer que rien n’est jamais complètement bloqué, toujours chercher à autonomiser, éviter la contrainte, etc. Ces éléments sont aujourd’hui au cœur de nos idéaux moraux de ce qu’est, par exemple, un bon soignant, un bon enseignant, ou un bon parent.Le succès du coaching tient peut-être moins à son efficacité ou à sa nouveauté revendiquée qu’au fait que nous sommes aujourd’hui beaucoup plus sensibles à la représentation de l’humain qui le structure. Nous aimons penser que tous et toutes, nous avons en nous plus que ce que nous croyons. Condamner quelqu’un à n’être que ce qu’il est aujourd’hui devient, dans les sociétés individualistes, un sacrilège.
L’enjeu d’une perspective sociologique sur le coaching n’est pas de distribuer les bons ou les mauvais points, mais de comprendre les raisons pour lesquelles il « parle» à de plus en plus de personnes. Cela n’empêche pas d’interroger la connexion entre les prétentions du coaching sous toutes ses formes, et les résultats qu’il permet réellement d’engranger pour le parent en difficulté, le·la chercheur·se d’emploi, l’élève en décrochage, la personne en souffrance ou en recherche. Or ici, il faut bien reconnaitre qu’au-delà d’expériences et de témoignages individuels à la précision par ailleurs très variable, il n’existe pas de données systématiques permettant de mesurer l’efficacité du coaching, par exemple en termes de réussite scolaire, de bienêtre, de remise à l’emploi, etc. Il y a lieu de plaider pour que se développe et s’applique, ici comme ailleurs, une culture de l’évaluation juste et proportionnée afin d’apaiser tant les craintes infondées que les promesses exagérées de ce qui apparait comme le rituel d’intervention sur autrui des sociétés individualistes. #
- https://lesclesdusucces. eu/life-coaching/ 2. Voir, par exemple, le documentaire «Le business du bonheur», Arte, 2022, ou la série de podcasts intitulée «Coaching: l’eldorado de la manipulation mental», Méta de Choc, 2021. 3. N. Marquis, Du bien-être au marché du malaise. La société du développement personnel, PUF, 2014. 4. C’est l’objet du projet de recherche européen CoachingRituals (www.coachingrituals-usaintlouis.be). 5. Voir, par exemple, A. EHRENBERG et N. MARQUIS, «L’enfant-individu et ses troubles à l’âge de l’autonomie normative», Nouvelle Revue de l’Enfance et de l’Adolescence, 1, 2023, pp. 67-85. 6. De nombreux médias francophones se sont faits l’écho d’échanges parfois virulents entre deux camps. D’une part, les tenant·es de cette approche dite positive et bienveillante qui, comme Isabelle Filliozat ou Catherine Gueguen, visent à transformer le parent en guide horizontal d’un enfant au cerveau en développement, en s’abstenant de toute forme de violence éducative ordinaire, même lorsque celui-ci pleure ou est en crise. D’autre part, les intervenant·es qui, à l’instar de Caroline Goldman, militent pour le maintien ou le rétablissement d’un cadre fait de règles et si nécessaire, de «time-out»–mise à l’écart de l’enfant–afin d’éviter que celui-ci ne devienne un «enfant-tyran ».