sant photo AishaFaquir WorldBank flickccFormé le 30 septembre 2020, 16 mois après les élections législatives, le gouvernement de la Vivaldi s’est heurté à de nombreuses difficultés pour advenir. Malgré la composition hétéroclite du gouvernement, l’accord de gouvernement conclu semblait prometteur dans le domaine de la santé. Mais au terme de la législature, quel bilan tirer des mesures qu’il a prises? Ont-elles rencontré les espoirs suscités par l’accord de gouvernement? Et quels sont les chantiers à venir? Nous faisons le point dans cet article.

 Par Lien DE VOS, Service politique de la Mutualité chrétienne

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Dans son accord de gouvernement, le gouvernement proposait, entre autres, de reconnaitre une vision plus large de la politique de santé, de travailler avec des objectifs de santé et de soin, de réduire les inégalités en matière de santé, de réformer le financement des hôpitaux, de s’attaquer au recalibrage de la nomenclature des prestations de santé et à la réduction des suppléments d’honoraires, d’accroitre notre résilience, etc. Autant d’objectifs qui figuraient dans le mémorandum remis aux politiques par la Mutualité chrétienne (MC). Dresser le bilan de quatre années de politique de santé n’est pas chose aisée, d’autant que la lune de miel de cette coalition a été assombrie par la crise du Covid. La question est de savoir dans quelle mesure elle est néanmoins parvenue à être à la hauteur de ses ambitions au cours de la législature écoulée, et quels chantiers elle laisse aux futur·es décideur·euses politiques.

Objectifs en matière de soins de santé

Au début de son mandat, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) a présenté la qualité et l’efficacité comme des piliers importants de la politique des soins de santé avec l’ambition de créer des objectifs de soins de santé pour accroitre l’efficacité et atteindre de meilleurs résultats en termes de santé de la population, d’accessibilité et de durabilité à long terme. La MC plaide depuis longtemps en faveur d’une politique de soins de santé durable basée sur les besoins de la population et sur une vision large de la santé 1 : les objectifs en matière de soins de santé, correspondant à des « soins appropriés » – les bons soins au bon endroit et bon moment – et à un cadre budgétaire pluriannuel dynamique, devraient contribuer à une vision stratégique à long terme pour notre assurance obligatoire maladie et à un système de soins de santé performant.

Le budget 2022 a été le premier à se baser sur cette nouvelle philosophie: cette année-là, grâce à l’implication des mutuelles, une nouvelle ligne au budget des soins de santé, «objectifs de soins de santé et soins appropriés», a été ajoutée permettant de financer de nouvelles initiatives mobilisant plusieurs secteurs de soins de santé 2 . En 2024, une nouvelle «Commission pour les objectifs de soins de santé» se chargera de définir les objectifs prioritaires en matière de soins de santé pour la nouvelle législature.

Accès aux soins

Rendre les soins accessibles et abordables pour tous et toutes, tel était l’engagement du ministre de la Santé. Cet engagement a été inscrit dans l’accord de coalition avec un objectif remarquablement concret de réduction des inégalités en santé d’au moins 25 % d’ici à 2030.

Des efforts ont certainement été faits dans ce sens: par exemple, le renforcement du système MàF–pour «Maximum à facturer»– le système de protection par lequel les tickets modérateurs sont plafonnés à un certain montant. Avec une réduction de ce plafond au cours de l’année 2022 pour le groupe des revenus très bas, on estime que quelque 100.000 familles ont pu bénéficier d’une protection supplémentaire. En 2023, il y a également eu l’accord (historique) sur le MàF interfédéral, en vertu duquel non seulement le système de tiers payant pour les soins couverts au niveau fédéral (comme les consultations chez le médecin), mais aussi le tiers payant pour les soins couverts au niveau régional (comme soins dans les centres de revalidation) sont désormais intégrés dans la facture.

L’intervention majorée (qui permet aux personnes à faibles revenus de bénéficier d’un remboursement plus élevé de leurs soins de santé ainsi que d’autres avantages financiers) a également été améliorée. L’automatisation de l’attribution de ce statut a été élargie pour inclure les personnes célibataires ou vivant avec des parents jusqu’au deuxième degré, qui sont en incapacité de travail de longue durée ou au chômage depuis au moins trois mois et qui n’ont pas d’autre revenu professionnel. Ce droit automatique n’existait auparavant que pour des groupes cibles spécifiques, tels que les bénéficiaires du revenu d’intégration. Enfin, pour les personnes bénéficiant de l’intervention majorée, le gouvernement a introduit une interdiction des suppléments d’honoraires. Quand bien même cette interdiction suscite une vive controverse parmi les organisations de médecins, il s’agit d’une sécurité tarifaire pour les personnes ayant les revenus les plus faibles. Assurer l’accès aux soins pour chaque citoyen·ne reste une mission essentielle de la politique des soins de santé.

En tant que mutuelle, nous continuons à croire en un système de conventionnement dans lequel nous déterminons les tarifs en concertation avec les prestataires de soins de santé afin de parvenir à un équilibre. Toutefois, ces dernières années, nous avons constaté que les prestataires de soins de santé n’étaient plus disposés à adhérer à la convention 3 pour garantir l’accessibilité. Par exemple, les dentistes ont récemment rejeté la convention, mettant ainsi en péril la sécurité tarifaire. Une réforme et un renforcement du système sont donc imminents.

Le tiers payant évite aux patient·es d’avoir à avancer les frais, ce qui permet d’abaisser le seuil d’accès aux soins de santé. Même si le système de tiers payant généralisé n’existe toujours pas, depuis 2022, il peut être appliqué à tous les services médicaux, quel que soit le statut ou l’âge des patient·es. La MC plaide pour une application obligatoire du système du tiers payant plus généralisé, mais à condition qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour contrôler que les soins soient effectivement prestés.

Le projet des Community Health Workers (CHW) – agents de santé communautaires –est une autre mesure visant à améliorer l’accès aux soins de santé pour les personnes vulnérables. Ce projet inter-mutuelles, financé par l’INAMI, déploie des travailleur·ses-relais professionnel·les pour soutenir les personnes vulnérables et leur indiquer le chemin des soins 4 . Malgré des ressources limitées, le projet, né de la crise du Covid, a réussi à faire bouger les choses pour un groupe cible qui était privé de soins essentiels. Il est donc très important qu’il soit structurellement ancré dans l’avenir. Dans l’ensemble, il s’agit d’un bon bilan en matière d’accessibilité financière. Cependant, il n’est pas certain que cela permette d’atteindre l’objectif de réduire les inégalités en matière de santé de 25% d’ici à 2030. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place des actions dans tous les domaines et d’activer toutes les compétences, ainsi qu’une coopération interfédérale5 .

Des ambitions pour la santé mentale

On ne peut pas accuser le gouvernement d’avoir manqué d’ambition en matière de santé mentale, même si, après la pandémie, il n’était tout simplement pas envisageable de ne pas le faire. La réalisation la plus importante est sans aucun doute la convention sur les soins psychologiques de première ligne qui vise à améliorer l’accès aux soins de santé mentale, notamment en les rendant plus abordables pour les patient·es. À partir du 1er février 2024, les séances pour les jeunes seront même entièrement remboursées. Si cette mesure supprime un obstacle financier important, les listes d’attente, elles, s’allongent. Grâce à la meilleure détection précoce des problèmes psychologiques, davantage de personnes se dirigent vers les soins de santé mentale et la demande augmente. En outre, l’organisation d’un stage professionnel obligatoire pour les étudiant·es en psychologie clinique et en orthopédagogie s’avère être un véritable obstacle. Il y a donc encore du travail à faire dans ce domaine, notamment en matière de développement des soins plus intégrés. Il s’agit néanmoins d’une excellente occasion de renforcer les futurs prestataires de soins.

Le paysage hospitalier en mutation

Les hôpitaux ont également connu de nombreux changements au cours de la législature écoulée. Dans le cadre des réseaux hospitaliers et en partant du principe «des soins de proximité lorsque c’est possible, des soins spécialisés lorsque c’est nécessaire», les missions de soin que chaque réseau hospitalier régional doit offrir ont été définies: urgences, accouchements, gériatrie, etc. En revanche, il existe des tâches de soins dites suprarégionales, que tous les réseaux ne peuvent pas organiser (comme le traitement spécialisé d’un accident vasculaire cérébral). Ces dernières années, on a également assisté à une évolution vers plus d’hospitalisations de jour–parce que les journées d’hospitalisation sont couteuses et que le personnel est rare–et vers l’hospitalisation à domicile. Celle-ci permet à certains patients de recevoir à domicile des soins qu’il n’était auparavant possible de recevoir qu’en milieu hospitalier. Cela nécessite un transfert de ressources vers les soins à domicile: non seulement plus de soins infirmiers, mais aussi plus de soins familiaux ou plus de soins informels. Le risque existe que les patient·es soient renvoyés chez eux (trop) rapidement sans que les soins à domicile soient organisés en conséquence.

Dans le domaine de l’accessibilité financière, des mesures ont été prises pour la première fois afin de faire évoluer l’attitude des hôpitaux: les tarifs maximaux des suppléments d’honoraires ont été gelés en 2022 et le sont toujours, ce qui est une bonne chose pour réduire la facture des patient·es 6 . Ce gel temporaire ne constitue toutefois pas encore une solution structurelle pour les suppléments d’honoraires. Parallèlement, le travail de recalibrage de la nomenclature s’est poursuivi. Cet exercice vise à la fois à adapter la nomenclature aux évolutions et innovations de l’activité médicale (comme la télémédecine) et à corriger les différences déraisonnables de revenus entre généralistes et spécialistes et entre médecins spécialistes eux-mêmes. Cependant, un débat de fond sur ce qui constitue un salaire équitable pour les médecins fait toujours défaut. Tout cela illustre clairement que quelques années ne suffisent pas pour mettre en œuvre les réformes fondamentales annoncées par le ministre.

Soins centrés sur le patient

Début 2024, le Parlement a approuvé une mise à jour de la loi sur les droits des patients. À notre grande satisfaction, nous y avons vu les priorités que la MC a toujours défendues: le patient est au centre et est plus qu’une personne avec un diagnostic et un traitement.

Entre autres, une plus grande attention est accordée à la personne de confiance et au représentant du patient, à la planification précoce des soins, aux objectifs de vie du patient; les prestataires de soins de santé ont reçu l’obligation de divulguer les données des patient·es de manière électronique et sécurisée. Si cette loi réformée constitue un grand pas en avant vers des soins centrés sur la personne, nous devons rester vigilants et veiller à ce qu’elle ne reste pas lettre morte.

Soins intégrés

Presque tous les professionnel·les de la santé sont d’accord : nous devons évoluer vers des soins intégrés, avec une coopération entre les compétences et des liens nécessaires entre les soins de santé et l’aide sociale 7 . Le projet des soins intégrés ne date pas d’hier, mais notre paysage sanitaire est complexe et compte de nombreuses parties prenantes, ce qui signifie que les réformes sont souvent lentes à mettre en œuvre. Une base a été posée avec le plan interfédéral pour des soins intégrés, approuvé lors de la Conférence interministérielle du 8 novembre 2023, mais il reste à voir comment sa mise en œuvre contribuera effectivement à l’intégration des soins dans la pratique. En effet, les projets de soins intégrés se termineront à la fin de l’année 2024 et seront remplacés par des mesures structurelles de coopération entre les compétences et les disciplines afin de fournir des soins de qualité. Ces mesures n’en sont qu’à leur début 8 .

Des chantiers à poursuivre

Ce tour d’horizon ne saurait être exhaustif. Beaucoup d’autres initiatives ont été amorcées, mais tout est loin d’avoir atterri ou d’être structurellement ancré. Certes, la longue mise en place de la formation du gouvernement et la crise du Covid peuvent être invoquées comme facteurs limitatifs, mais il est clair qu’il y a encore beaucoup de travail à faire dans les années à venir. De nombreux défis sont à relever si nous voulons réellement améliorer la qualité de vie et la santé des citoyens et citoyennes. Lutter contre les inégalités en santé est essentiel, notamment en renforçant les mesures de protection telles que le MàF et l’intervention majorée ou en finançant de manière plus forfaitaire les soins de première ligne, y compris les soins psychologiques. Nous plaidons également en faveur d’un cadre de vie sain dans lequel la santé est prise en compte dans tous les domaines politiques, en accordant une attention particulière à une politique climatique ambitieuse. #

1. Pour rappel, en Belgique, la confection du budget des soins de santé est un exercice annuel de plusieurs mois, qui implique différentes étapes de concertation sociale. Le travail de négociation se fait dans un premier temps au sein des Commissions de Conventions et d’Accords (commissions par secteur de soins rassemblant les mutualités et prestataires de soins concernés) lorsqu’elles déterminent chacune leurs priorités budgétaires. Ensuite, au sein du Comité de l’Assurance, lorsque les représentant·s tant des prestataires de soins que des mutualités formulent une première proposition budgétaire globale, début octobre. Cette proposition doit par ailleurs respecter le cadre budgétaire fixé par le gouvernement. Après l’étape du Comité de l’Assurance, c’est au Conseil Général de l’INAMI, composé de cinq représentants des employeurs, cinq représentant·es du gouvernement, cinq représentant·es des mutualités et cinq représentant·s des syndicats (les prestataires de soins n’ont qu’une voix consultative dans cet organe), qu’est donné le rôle d’approbation finale du budget global (L. LAMBERT, «Le budget des soins de santé en perspective historique. Vers un effritement de notre modèle social?» MC-Informations, 281, pp.4-22, 2020).

 

2. Pour en savoir plus sur la vision du budget des soins de santé promue par la MC, voir l’interview de L. VAN GORP ET E. DERROITTE, « Budgets, remettre du sens dans les chiffres», En Marche, mars 2024.

3. Pour garantir l’accessibilité des soins de santé pour tous et toutes, les mutualités et les représentant·es des prestataires de soins se rencontrent régulièrement pour signer une convention qui fixe les tarifs officiels des différentes prestations. Ces tarifs comprennent le ticket modérateur (ou quote-part personnelle, c’est-à-dire le montant restant à charge du·de la patient·e) ainsi que le montant remboursé par l’assurance obligatoire.

 

4. Ils font partie de la communauté dans laquelle ils travaillent et, grâce à cette relation de confiance, forment un pont entre les services de santé et d’aide sociale et la communauté dans les quartiers vulnérables.

 

5. Une étude à grande échelle menée par la MC démontre le lien étroit et direct entre le revenu et la santé. Elle devrait servir de référence pour formuler des mesures politiques concrètes. H. AVALOSSE, C. NOIRHOMME, ET S. CÈS, «Inégaux face à la santé», Santé & Société, 4, pp. 6-31, 2022

6. Depuis la fin de l’année 2023, les suppléments pour les examens d’imagerie médicale lourde sont également interdits pendant les heures de bureau avec le risque toutefois d’entrainer une augmentation du nombre de scanners effectués le soir ou le week-end.

 

7. Pour la MC, la «prescription sociale» est très importante à cet égard: il s’agit d’orienter les patient·es vers un·e travailleur·se social·e qui peut, par exemple, les aider à élaborer un plan de soins ou à organiser des soins à domicile. La désignation d’un·e coordinateur·rice de soins peut également contribuer à organiser les soins en partant des objectifs de vie de la personne concernée.

 

8. Néanmoins, certaines mesures ont déjà été prises. Dans le même temps, le New Deal cherche à répondre à la pénurie croissante de médecins généralistes en permettant aux médecins d’entrer dans une organisation et en organisant un financement nouveau et durable de la médecine générale, avec délégation de tâches et soutien.

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