26201917030 7188e343e1 cL’histoire du Plan Tandem est curieuse. Une idée simple, budgétairement neutre, qui permet de rencontrer les besoins de souffler des travailleurs et travailleuses âgé·es et de faciliter l’accès à l’emploi pour les jeunes. Elle est pourtant passée de revendication phare des partis progressistes à voeu pieux d’une époque révolue. Les constats justifiant cette revendication étant encore plus d’actualité, la CSC a fait le pari de la relancer. 

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Le Plan Tandem est une mesure existant depuis 2004 au bénéfice des travailleur·ses des secteurs de la petite enfance et de l’aide sociale en Wallonie 1. Elle consiste à encourager financièrement la réduction du temps de travail des plus ancien·nes, à mi-temps 2, pour assurer l’embauche des plus jeunes, à mi-temps, jusqu’à la prise de retraite.

Un win-win

Le dispositif est rendu possible grâce à la mesure fédérale de crédit-temps fin de carrière qui octroie un revenu de remplacement (allocation d’interruption de l’ONEM) au·à la travailleur·se qui réduit son temps de travail. La différence entre le cout salarial du jeune remplaçant et celui du·de la travailleur·se âgé·e permet de financer le complément (l’allocation Plan Tandem) au travailleur âgé. Dans l’exemple du secteur de l’enfance, l’employeur, dont le système garanti le maintien de sa subvention salariale de l’ONE, verse ainsi à l’asbl Old Timer une cotisation mensuelle équivalente à cette différence entre le cout du travailleur âgé et celui de son remplaçant. Il n’y a donc ni surcout ni gain pour l’employeur. Il s’agit d’une équation budgétairement neutre pour l’employeur. Elle l’est aussi pour les pouvoirs publics (voire légèrement positive), dès lors que le nombre de travailleur·ses augmente via ce système de partage du temps de travail, ce qui constitue une économie pour la Sécurité sociale, permettant de financer la partie ONEM de l’allocation Tandem du·de la travailleur·se ainé·e 3.

Poursuivons avec l’exemple d’une travailleuse en fin de carrière du secteur de la petite enfance. Le Plan Tandem lui permet de réduire son temps de travail à mi-temps jusqu’à l’âge de sa retraite, avec une rémunération équivalente à 80 % de son salaire initial brut. La travailleuse qui réduit son temps de travail cumule ainsi trois sources de revenus : son salaire brut (sur base de son nouveau régime de travail) ; l’allocation crédit-temps de l’ONEM ; et la prime Plan Tandem versée par l’asbl Old Timer. L’employeur est alors en obligation d’embaucher un·e jeune, en CDI, à mi-temps pour compenser la réduction du temps de travail. La logique veut qu’une fois la collègue retraitée, le·la jeune puisse obtenir un temps plein.

Un accès de plus en plus réduit

Le cadre fédéral impacte de manière directe le bon usage du Plan Tandem. Depuis décembre 2011, les complications juridiques n’ont pas cessé. La première grosse restriction intervint sous le gouvernement Di Rupo qui a réduit l’accès au crédit-temps de fin de carrière aux plus de 55 ans, alors que le droit était alors ouvert aux plus de 50 ans. A suivi le gouvernement Michel-NVA et de nouvelles restrictions, dont un accès limité aux plus de 60 ans, sauf exceptions 4. Ces diverses régressions ont freiné le bon fonctionnement de la mesure, car le Plan Tandem était surtout utilisé par les travailleur·ses âgé·es de 50 à 55 ans 5. Depuis le 1er janvier 2021, sans convention collective du travail (du Conseil national du Travail), il n’y a plus d’accès au crédit- temps de fin de carrière en dessous de 60 ans. Les exceptions sont toutefois jusqu’ici prolongées tous les deux ans, dans le cadre des négociations interprofessionnelles. Désormais, pour accéder au crédit-temps mi-temps fin de carrière avec allocations,crédit-temps mi-temps fin de carrière avec allocations,le·la travailleur·se doit remplir les conditionssuivantes : être âgé·e de 60 ans 6 et plus ;être travailleur·se salarié·e depuis plus de 25 ans ;être occupé·e au minimum à 3/4 temps depuis aumoins 2 ans (et dotée d’une ancienneté de 2 ansdans l’institution, condition qui peut être réduite siaccord de l’employeur).Depuis ces restrictions, la mesure semble vouéeà l’extinction. Le dernier accord du non marchandwallon 7 (pour la période 2021-2024) a poursuivi leprocessus de réduction collective du temps de travailen faveur des ainé·es par le biais plus « classique »d’une réduction du temps de travail hebdomadairede quelques heures, associée à un mécanismed’embauche compensatoire, mais évidemment plusréduit que ce que permet le Plan Tandem. Il est loince temps où l’on débattait d’une généralisation duPlan Tandem à l’échelle nationale, avec l’espoir decréer 100.000 emplois pour le pays 8.

L’urgence de généraliser le Plan Tandem

Ce contexte morose n’a pas empêché la CSC de porter au niveau fédéral, dans le cadre de la première Conférence nationale pour l’Emploi 9 initiée par le gouvernement Vivaldi, une demande de soutenir un crédit-temps de fin de carrière spécifique, garanti par un cadre interprofessionnel, afin de permettre l’usage du Plan Tandem dans tous les secteurs privés. Ce crédit-temps spécifique devait améliorer l’allocation versée au bénéfice du·de la travailleur·se (80 % du salaire brut garanti) et faciliter les conditions de son usage pour tout·e travailleur·se de plus de 60 ans, ayant plus de 20 ans d’ancienneté de travail salarié dans le secteur privé. La CSC a également revendiqué le crédit-temps 1/5 e accessible à partir de 55 ans, et le crédit-temps mi-temps à partir de 57 ans. Il a même été question de relance du Tutorat 10. La suite a constitué en effets d’annonce et le renforcement du contrôle des malades en vue de leur réintégration sur le marché de l’emploi...

Il est loin ce temps où l’on débattait d’une généralisation du Plan Tandem à l’échelle nationale, avec l’espoir de créer 100.000 emplois pour le pays.

Trois raisons motivent l’urgence à généraliser le Plan Tandem.

  1. L’entrée dans l’emploi est de plus en plus précaire. Quelques données pour se rappeler l’urgence de la remise à l’emploi de qualité pour les jeunes : la précarité matérielle touche 40 % des étudiant·es 11 ; les jeunes qui parviennent à l’emploi le font de manière précaire et occupent la moitié des CDD et 70 % des intérims ; les jeunes de moins de 25 ans sont surreprésenté·es dans les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale 12 (22,8 % des jeunes de Wallonie survivent grâce au CPAS, 40 % des jeunes de Bruxelles, et 6,6 % de Flandre). Le taux de chômage des 25-49 ans s’élève à 5,1 % contre 18,7 % pour les moins de 25 ans 13, avec de fortes disparités régionales...
  2. Toutes les données indiquent que les mesures visant à allonger la carrière ont abouti à une hausse du nombre de malades. Quelques rappels motivant l’urgence de renforcer la réduction du temps de travail des plus âgé·es : la Belgique compte plus de « malades de longue durée » que de chômeur·ses. L’économiste, Philippe Defeyt a récemment détaillé cette évolution ainsi : « si, entre 2011 et 2019, l’emploi salarié a augmenté de 216.000, la main-d’oeuvre effectivement au travail n’a augmenté “ que ” de 112.000. En Wallonie, l’augmentation de la main-d’oeuvre effectivement au travail représente seulement un peu plus d’un tiers de l’augmentation de l’emploi salarié. » 14 La Mutualité chrétienne a rappelé l’urgence d’agir face à la dégradation de la santé des travailleur·ses âgé·es et préconise pour ce faire une réduction du temps de travail en fin de carrière 15.
  3.  L’humanité est sous le coup d’une menace existentielle si nous ne parvenons pas à changer de modèle économique. La décarbonation de notre mode de vie n’est en l’état pas atteignable en temps utile 16, et ne suffira pas à assurer les conditions de la vie humaine sur la planète. Alors que l’on parvient, tout doucement, à faire passer l’idée d’une indispensable « transition juste », vient la confirmation que ce qu’il faudra désormais assurer, c’est une indispensable « sobriété juste ». Dans ce cadre, la réduction collective et massive du temps de travail s’impose comme la mesure la plus à même de rompre avec l’Ancien Monde, celui du fossile et de l’exploitation de l’humanité, de la Terre et du vivant par une poignée d’homo sapiens. Mais pour que la « paresse pour tous »17 advienne, il faudra déjà convaincre de l’utilité d’une mesure aussi pragmatique que celle du Plan Tandem. # (*) Coordinateur du Service d’études de la CSC wallonne et francophone.

 

(c) Astrid Westvang / Flick Creative commons



1. Commission paritaire 332 et CP 319. Mesures issues des « Accords du non marchand » de 2000.
2. Le·la travailleur·se peut réduire son temps de travail à un mi-temps ou à 4/5e tout en gardant, jusqu’à l’âge de sa retraite, une rémunération équivalente à 80 % pour le mi-temps ou env. 90 % pour les 4/5e de son salaire initial brut.
3. Proposition de loi Ecolo- Groen déposée le 22 octobre 2013.
4. « Le gouvernement- Michel tue le Plan Tandem : une hérésie pour la CNE », RTBF, 27 novembre 2014.
5. De 2007 à 2019, 133 travailleur·ses ont ainsi bénéficié de la réduction du temps de travail en petite enfance (et autant d’emplois créés). Ce sont essentiellement des femmes, puéricultrices, âgées de 50 à 55 ans pour les 3/4. Dans le secteur du handicap (aide sociale), 859 personnes ont bénéficié du Plan Tandem fin 2020, (et autant d’emplois créés). Il faut relever que cette mesure permet le maintien à l’emploi jusque 60 ans pour plus de 80 % d’entre elles, et jusque 65 ans pour 351 personnes sur 859, ce qui est remarquable vu la pénibilité du métier d’éducateur dans le secteur du handicap. Dans le secteur de l’aide à la jeunesse, ce sont 270 personnes (et autant d’emplois créés).
6. Pour bénéficier du crédit-temps fin de carrière à mi-temps avec allocations à partir de 55 ans, le·la travailleur·se doit justifier 35 années en tant que salarié·e. Le travail de nuit peut aussi intervenir. Voir https://www.onem.be/
7. https://www.lacsc. be/page-dactualites/ 2023/02/15/accord-nonmarchand-- stop-ou-encore
8. RTBF, « Emploi : Ecolo propose son "plan tandem" pour l’activation des jeunes », 2 avril 2013.
9. Voir « Pierre-Yves-Dermagne présentera son plan pour l’emploi cet automne », Le Soir, 8 septembre 2021 ; L. CICCIA, F. REMAN, « La flexisécurité façon vivaldi, le choix des maux... », La Revue Nouvelle, avril 2022 ; M. BUCCI, « La loi Jobs Deal, un cadeau empoisonné », Démocratie, avril 2023.
10. Le Plan Tandem fut initialement associé au « Tutorat », octroyant un soutien financier complémentaire à l’employeur si l’embauche du jeune est assortie d’un accompagnement par le biais du travailleur âgé ayant réduit son temps de travail, ou par un autre collègue.
11. https://inforjeunes.be/ precarite-etudiante-enbelgique/
12. https://stat. mi-is.be/fr/dashboard/ris_ moins_25?menu=drilldown
13. STATBEL, Le taux d’emploi grimpe à 72,2 % au troisième trimestre 2023, 14 /2023.
14. P. DEFEYT, « L’évolution de la population salariée effectivement au travail », Note de l’IDD, n° 26, 27 janvier 2024. Voir https:// www.iddweb.eu/docs/ note26a.pdf
15. H. HENRY, « Comment améliorer le bien-être en fin de carrière », Démocratie, novembre 2023.
16. J. -B. FRESSOZ, Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie, Écocène, Seuil, 2024 ; et C. IZOARD, La ruée minière au 21e siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Écocène, Seuil, 2024.
17. H. KLENT, Paresse pour tous, Paris, Le tripode, 2021.

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