gennaro gargiulo an energy manager at the public works fce17a 1024La transition écologique passera par une restructuration en profondeur des emplois. Des métiers vont disparaitre, mais d’autres feront leur apparition. Une étude commandée par l’administration fédérale le confirme. Pour parvenir à une transition juste, des politiques d’emplois et de formations sont donc nécessaires.  

 

 

 

 

 

 

 

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« Emplois verts, la seule voie à suivre ». L’avis de l’Organisation internationale du travail (l’OIT, organe tripartite qui rassemble représentations des gouvernements, des employeurs et des travailleurs) considère dans un rapport publié en 2018  que 24 millions de nouveaux emplois seront créés à travers le monde d’ici à 2030, « à condition que des pratiques durables soient adoptées et mises en œuvre ».  
Selon les conclusions du rapport de l’OIT, « bien que la destruction de certains emplois soit inévitable, principalement dans l’industrie pétrolière, celle-ci
sera compensée par la création d’emplois dans le domaine des énergies renouvelables et la transition vers une économie circulaire ». D’autres études confirment cette analyse. L’association française The Shift Project évalue « une croissance nette modérée de la demande de main-d’œuvre à l’horizon 2050 (de l’ordre de + 300.000 emplois), cachant de fortes créations (1,1 million) et destructions (800.000) ». L’agriculture connaitrait la plus forte hausse nette et l’industrie automobile serait la grande perdante.
L’étude menée par CLIMACT pour le SPF Santé publique et Environnement sur les impacts de la transition climatique dans le marché du travail  vient confirmer cette hypothèse. La transition engendrera des pertes d’emplois dans certains secteurs – à cause d’une réduction des activités ou parce que les acteurs ont failli à transformer leurs activités – mais elle pourra avoir aussi un impact net positif en matière d’emploi.  L’étude évoque un gain net d’emplois de 1,7 % d’ici 2030 (d’autres études évoquent 1 %) si on met en œuvre l’Accord de Paris de 2015. Une bonne nouvelle, mais aussi un grand défi si on veut ne laisser personne derrière et protéger les travailleur·ses les plus vulnérables.  


Principaux résultats de l’étude CLIMACT 

L’étude distingue trois catégories d’impact :   
– Des emplois existants dont les compétences ne devront pas changer et qui seront encore plus nécessaires comme les chauffeurs de bus (Green Increased Demand). 
– Des emplois émergents qui se créent pour accompagner la transition comme coordinateur·rice de la rénovation énergétique (Green New and Emerging). 
– Des emplois existants dont les compétences doivent évoluer vers des compétences vertes comme un·e entrepreneur·e général·e qui adoptera des pratiques circulaires ou un·e mécanicien·ne automobile qui se convertira à l’électrique (Green Enhanced Skills). 
Les secteurs qui auront le plus de gains nets d’emplois sont le secteur des services, de la construction – 130.000 emplois durables sont nécessaires d’ici à 2050 selon les auteurs pour rénover le logement belge – mais aussi de l’industrie manufacturière, des transports et de la communication et de l’agriculture. Le secteur de l’énergie serait lui perdant dans cette transition (- 13 %).
« Les secteurs directement impactés représentent 25 % des emplois, les secteurs indirectement impactés 20 % », explique Quentin Jossen, l’un des auteurs de l’étude . 
En termes de compétences, les secteurs directement impactés présentent aujourd’hui une part plus élevée de travailleur·ses plus qualifié·es. Toutefois l’ensemble des niveaux de compétence sera concerné par des opportunités en matière d’emploi avec des temporalités différentes. L’étude souligne aussi la relative facilité de transferts du « brun » au « vert » en raison des compétences similaires – comme l’ingénierie – requises.
À noter également « les effets de pics » : « Dans le secteur de la rénovation, certains métiers seront très demandés les premières années seulement, comme les certificateur·rices ou les auditeur·rices. Il faudra donc veiller à ce qu’ils ne se retrouvent pas sans rien après », prévient Quentin Jossen. 
Le rapport inscrit la transition climatique au sein d’autres « mégatendances » comme le vieillissement de la population ou la digitalisation. Cette dernière présente des risques – fracture numérique en tête et renforcement de mauvaises conditions de travail dans l’économie de plateforme – mais aussi des opportunités . « Plusieurs des métiers moyennement qualifiés sacrifiés par le tournant numérique pourraient venir répondre aux besoins de métiers moyennement qualifiés nécessaires dans le cadre de cette transition », souligne l’étude .

L’étude menée par CLIMACT évoque un gain net d’emplois de 1,7 % d’ici 2030 si on met en œuvre l’Accord de Paris de 2015.L’étude menée par CLIMACT évoque un gain net d’emplois de 1,7 % d’ici 2030 si on met en œuvre l’Accord de Paris de 2015.Une bonne nouvelle, mais aussi un grand défi si on veut ne laisser personne derrière.


Enfin, les variables d’âge et de genre ont aussi été prises en compte. Pour la première variable, il en ressort une répartition relativement homogène des profils d’âge selon les différentes catégories d’impact. Les secteurs directement touchés ont une part de travailleur·ses de plus de 45 ans plus élevée que les autres. 
Concernant le genre, les femmes sont sous-représentées dans les secteurs impactés par la transition. Ces observations sont relevées par d’autres qui rappellent que la transition juste ne se fera pas sans les femmes, pour l’instant sous-représentées dans les secteurs « à haut potentiel vert » tels ceux des énergies renouvelables, du bâtiment vert ou du transport public et en revanche « sur-représentées dans le travail environnemental gratuit et dans les métiers du care (...) » .  


Recommandations de l’étude Climact 

L’étude s’est penchée sur trois enjeux : l’économie circulaire en Flandre, la digitalisation en Wallonie et la rénovation des bâtiments à Bruxelles, que nous ne pourrons pas résumer dans cet article. 
Concernant la rénovation, le premier défi pour opérer cette transition est la formation. « Les défis qui ressortent sont énormes en termes de formation et d’adaptation des programmes de formation qui sont à des milliers d’années-lumière de ce qui est nécessaire par rapport aux compétences requises », souligne Quentin Jossen. Des défis qui s’inscrivent dans un contexte de difficultés de recrutement (qui s’explique par des formations insuffisantes, la pénibilité du travail, mais aussi la faible attractivité du secteur). 
Le rapport propose plus de vingt pistes d’actions variées qui pourront soutenir les acteurs concernés ainsi que les décideurs politiques dans la transition. Elles se structurent autour de cinq objectifs : 1. doter les apprenant·es et les éducateur·rices des compétences nécessaires (avec par exemple un ajout de modules sur le climat et la durabilité dans les programmes éducatifs) ; 2. soutenir la requalification et la montée en compétences des travailleur·ses  (en facilitant par exemple l’accès à la formation grâce à des incitations fiscales, vers les PME et les travailleur·ses) ; 3. attirer les travailleur·ses vers des emplois liés à la transition climatique (en faisant connaitre les métiers émergents, en faisant la promotion de l’emploi des femmes et des travailleurs étrangers dans les secteurs de la transition) ; 4. garantir des conditions de travail décentes ; 5. renforcer la concertation et la coopération entre les acteurs. 


Regard syndical

Invité à partager son regard sur cette étude lors du débat « Transition écologique et transformation des emplois : comment s’y préparer au mieux ? », Nicolas Vandenhemel, Conseiller service d’étude de la CSC a relevé plusieurs vigilances et points d’attention.
« Ce qui m’intéresse en tant que syndicaliste, c’est d’être certain que la personne va conserver un boulot dans le monde de la transition avec le même niveau de revenu. Pour cela il faut des enquêtes beaucoup plus fines sectoriellement et sous-sectoriellement pour qu’on évite de parler dans l’absolu », analyse-t-il d’abord.   

Il soulève ensuite trois angles morts de l’étude. « Premièrement, la réduction collective du temps de travail, qui n’est pas abordée dans l’étude, et qui, pourtant, peut créer de l’emploi. L’autre angle mort de l’étude, c’est la question de la planification. L’État doit donner un cap, planifier et mettre en œuvre des politiques de formation et d’emploi.
Enfin, les questions de la redistribution des richesses, de la socialisation des revenus et de la fiscalité du patrimoine doivent aussi être posées », souligne Nicolas Vandenhemel.  
Sur la question des formations, il rappelle l’idée d’un fonds de formation intersectoriel, « une idée affermie par le gouvernement actuel dans le cadre du Jobsdeal, nécessaire pour les personnes qui, dans la foulée de la transition, pourraient changer de secteur ».  
Enfin, il interroge le financement de ces formations : « Quand on évoque la formation, on parle toujours de leur financement via des aides publiques. Nous nous demandons à la CSC pourquoi les entreprises qui ont les moyens ne participent-elles pas davantage à la formation de leurs travailleur·ses ? En effet, trop souvent aujourd’hui, les entreprises considèrent la formation de leurs travailleur·ses comme un cout. Or, les formations vont très souvent augmenter la productivité des travailleurs. Elles représentent donc un investissement pour les entreprises et non un cout... ». 
Plus globalement, « cette transition implique aussi de s’interroger sur le type d’activités qu’on veut dans le monde de demain, rappelle Nicolas Vandenhemel. Par exemple, est ce que nous voulons une agriculture comme on la connait aujourd’hui ou une agriculture plus biologique, qui nécessite davantage de main-d’œuvre ? Ces éléments pourraient aussi avoir un impact positif sur le volume global de l’emploi ».
Aménagements de fins de carrière, perspectives de genre, fiscalité, développement des services publics... Les enjeux sont nombreux pour parvenir à la transformation écologique des emplois articulée à la justice sociale. Une réflexion dont doit se saisir une multiplicité d’acteurs, au niveau national et européen : État, syndicats, entreprises, citoyen·nes... sans oublier les principaux : les travailleurs et les travailleuses. Comme le soulignait Jean Michel Culot, délégué de la CSC-BIE à la cimenterie d’Obourg  lors du débat Les classes populaires doivent – elles payer la transition ?  « On doit passer de l’âge de pierre au monde 4.0. Comment anticiper ? Et comment associer les travailleurs dans cette transition ? ». #  

 

« Emplois verts » : définitions 


Si le concept est de plus en plus utilisé – au niveau international ou national – les définitions varient selon qui les portent. Pour faire simple, les emplois « verts » peuvent d’abord être définis en opposition aux emplois « bruns », c’est-à-dire désigner des « métiers qui s’inscrivent dans la transition bas carbone » versus des métiers caractéristiques de l’économie fossile. Cette définition peut présenter le risque de limiter les emplois verts au secteur des énergies renouvelables. Or, les emplois verts, comme nous le montre la définition de l’OIT, couvrent tous les domaines de l’économie :  
« Les emplois verts sont des emplois décents dans tout secteur économique (par exemple, l’agriculture, l’industrie, les services, l’administration) contribuant à la préservation, la restauration et l’amélioration de la qualité de l’environnement. Les emplois verts réduisent l’impact des entreprises et des secteurs économiques sur l’environnement en favorisant une utilisation efficiente de l’énergie, de matières premières et d’eau, en décarbonant l’économie, en limitant les émissions de gaz à effet de serre, en minimisant ou en évitant toute forme de déchets et de pollution, en protégeant ou en restaurant les écosystèmes et la diversité biologique et en permettant l’adaptation aux effets du changement climatique. » 
Cette définition implique donc une transformation globale « des économies, des lieux de travail, des entreprises et des marchés du travail en économie durable à faible émission de carbone offrant des possibilités de création d’emplois décents pour tous ». Elle nécessite aussi, ainsi que l’indique le troisième pilier de la transition juste proposée par la Confédération européenne des syndicats en 2015 « des stratégies actives d’éducation, de formation, de développement des compétences au service d’une économie bas carbone et efficace dans l’utilisation des ressources, à l’initiative des pouvoirs publics ». 
La création d’emplois décents dans le cadre d’une transition est un objectif clair affiché dans l’Accord de Paris, traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques, adopté par 196 parties lors de la COP21 de 2015. 

. World Employment and Social Outlook 2018: Greening with jobs, mai 2018. En ligne : https://www.ilo.org/
. CLIMACT : Vadim Lacroix, Quentin Jossen, Sophie Bourdieu, Pascal Vermeulen – KU Leuven - HIVA : Kris Bachus, Karolien Lenaerts, Kasper Ampe, Matthias Multani –Liège - LENTIC : François Pichault, Fanny Fox, Marine Franssen, Implications of the climate transition on employment, skills, and training in Belgium, Federal Public Service Heath, Food Chain Safety and Environment, février 2023. 
. Les interventions de Quentin Jossen sont issues de sa présentation de l’étude au SPF Santé publique le 5 juin 2023 et de son intervention à « Transition écologique et transformation des emplois : comment s’y préparer au mieux ? », Vert Pop, 25 aout 2023 (podcast du débat en ligne) 
. La question de l’articulation entre transition numérique et écologique est un sujet en soi, que nous ne développerons pas dans cet article. 
. Pour aller plus loin sur la question du lien entre transition et inclusion sociale : « Les Emplois Verts, une nouvelle opportunité d’inclusion sociale en Europe »,
Les Cahiers de la Solidarité, n° 28, ASBL Pour la solidarité, mai 2012 ; « Les CISP, acteurs de transition », L’Essor, n° 90, 4e trimestre 2019, p.5. 
. Des emplois pour/par la transition écologique, Etopia, 22 juin 2023. En ligne https://etopia.be/blog/2023/06/22/des-emplois-pour-par-la-transition-ecologique/

. Le procédé de fabrication du clinker de cette cimenterie est très énergivore et génère énormément d’émissions de CO2.
. Rencontre-débat avec Paul Magnette et Jean-Marc Nollet organisée par la CSC wallonne, 8 février 2023. Synthèse du débat disponible en ligne : https://fecasbl.be/les-classes-populaires-doivent-elles-payer-la-transition/ 

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