Le plan air-climat-énergie (PACE 2030) wallon a été adopté le 21 mars 2023. Ce plan d’actions constitue la feuille de route de la Wallonie pour atteindre en 2030 ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Il engage aussi la Wallonie à doubler la production d’énergies renouvelables, à améliorer la qualité de l’air et à réduire la précarité énergétique. Décryptage à l’aune de la transition juste telle qu’elle a été définie par la Confédération européenne des syndicats.
L’analyse succincte proposée dans cet article se concentre sur quatre domaines importants : la précarité énergétique, la rénovation énergétique des bâtiments, le secteur financier et la gouvernance.
La précarité énergétique
Le plan prévoit divers mécanismes et actions pour les ménages précarisés ou à revenus modestes. Il s’agit tant d’un soutien financier à la rénovation des logements que de lutte contre les « passoires énergétiques » (logements très mal isolés), d’accompagnement et d’information personnalisée, de mesures pour garantir le respect des droits et la fourniture d’une quantité suffisante d’énergie à un prix acceptable par tous les ménages, etc. Ces diverses mesures visent à réduire la précarité énergétique de manière globale. Il est estimé que l’addition de celles-ci permettra d’atteindre une réduction de la précarité énergétique d’au moins un tiers.
Réduire la précarité énergétique est évidemment un objectif louable. Néanmoins, certains éléments du plan semblent aller à son encontre. Ainsi, nous constatons que la transition énergétique telle que présentée par le PACE s’appuie en grande partie sur la flexibilité du système énergétique, sa « smartisation », la participation active de la demande et la tarification dynamique. Ces développements technologiques nous paraissent, en l’état, participer à l’accroissement des inégalités et déconnectés du vécu d’une majorité de citoyen·nes plutôt que propices à renforcer l’accès à l’énergie à un prix abordable. Ils risquent d’augmenter la précarité énergétique plutôt que de la réduire .
La rénovation énergétique des bâtiments
Pour rappel, le secteur du bâtiment représente 37 % de la consommation d’énergie finale et 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) wallonnes. C’est pourquoi la Wallonie s’est engagée à investir massivement dans la rénovation en profondeur de son bâti, résidentiel, public et tertiaire. Le plan se réfère à la stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment, actée par le gouvernement wallon en novembre 2020. Elle propose un panel de mesures et d’actions en vue de tendre en 2050 vers le label PEB A décarboné en moyenne pour l’ensemble du parc résidentiel, et un parc de bâtiments tertiaires efficaces en énergie et neutres en carbone (pour le chauffage, la production d’eau chaude sanitaire, le refroidissement et l’éclairage) en 2040.
Il convient en effet d’accélérer et de massifier la rénovation des bâtiments, mais pas à n’importe quel prix. En ce qui concerne le financement des travaux de rénovation, il faudrait baisser le plafond maximum de revenu donnant accès aux primes de sorte que celles-ci soient attribuées aux gens qui en ont vraiment besoin. En effet, beaucoup de ménages ne peuvent avancer l’argent nécessaire à la rénovation. Il faut renforcer les dispositifs de préfinancement des travaux pour aider les ménages qui n’en ont pas les moyens à rénover leur logement. L’enjeu est de proposer aux ménages habitant les passoires énergétiques des prêts qui leur permettent de réaliser une rénovation complète et performante en prenant en compte leur capacité de financement et de remboursement. Diverses mesures positives à ce sujet sont prévues dans le PACE telles que celle-ci : « soutenir les ménages wallons à rénover leurs logements, en les accompagnant dans la mise en œuvre des obligations de rénovation, par le renforcement de dispositifs de soutiens financiers proportionnels aux revenus des ménages » et celle-là : « mettre en place un programme pilote pour soutenir la rénovation de logements identifiés comme passoires énergétiques de propriétaires occupants en situation de précarité. »
Un ambitieux calendrier d’obligations de rénovation est prévu dans le PACE. Il concerne les nouveaux biens mis en location ainsi que les biens déjà mis en location en cas de changement de locataire. Il devient en effet urgent d’avancer sur ce sujet d’autant que les factures d’énergie pourraient à nouveau augmenter. Ces nouvelles obligations devraient être accompagnées d’un mécanisme garantissant
l’absence d’augmentation de loyer supérieure aux économies d’énergie réalisées pour le ou la locataire.
Le secteur financier
La thématique de la finance est absente du PACE. Il est pourtant capital que le secteur financier (public et privé) se mette en ligne avec les objectifs climatiques de notre région. La valeur boursière des entreprises du secteur des combustibles fossiles est basée sur l’hypothèse que toutes les réserves fossiles peuvent et seront effectivement brûlées. Or, si nous voulons avoir une probabilité de pouvoir respecter la limite des 2 degrés, il faut que 68 % des réserves connues de charbon, pétrole et gaz restent dans le sol. Pour une chance moyenne de respecter la limite de 1,5 degré, confirmée lors de la dernière Conférence mondiale sur le climat (COP 28), il faudrait que 85 % de ces mêmes réserves ne soient pas exploitées. Contrairement à la situation au siècle passé, les investissements dans des entreprises du secteur des combustibles fossiles comportent un risque important pour les investisseurs, et surtout pour les acteurs (tels les fonds de pension) qui ont une perspective à long terme et gèrent l’argent des travailleur·ses. S’il s’avère que les réserves d’entreprises fossiles ne valent plus rien parce que la demande pour leurs produits diminue ou que le cout d’exploitation est trop élevé, la valeur boursière et la distribution de dividendes vont fortement baisser. Les rendements deviendront très faibles voire négatifs et une grande partie du capital des investisseurs (donc des travailleur·ses) partira en fumée. Environ 17 % de tous les actifs financiers
seraient ainsi menacés par la bulle du carbone.
C’est pourquoi nous devons opérer un « désinvestissement fossile » : les différents portefeuilles financiers détenus par les autorités publiques doivent être en cohérence avec les objectifs climatiques ainsi qu’avec les objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) ; les différentes banques, fonds d’investissements et fonds de pension doivent également opérer le désinvestissement fossile et réorienter l’entièreté de leurs portefeuilles d’une manière compatible avec le climat et le respect des ODD.
La gouvernance du plan
L’engagement de la Wallonie à être climatiquement neutre en 2050, en passant par les 55 % en 2030, implique une transformation fondamentale de notre économie, de la manière dont nous nous déplaçons, de la manière dont nous produisons et consommons de l’énergie, des produits et services que nous achetons, y compris de la nourriture que nous mangeons. L’ampleur et le rythme du changement nécessaire sont sans précédent. Cette transformation est une opportunité de faire les choses différemment et mieux que ce que nous faisons actuellement. C’est l’occasion de s’attaquer sérieusement aux inégalités existantes, de maintenir et de créer des emplois décents et durables et d’éradiquer la pauvreté.
Malheureusement, nous avons fait l’expérience de la façon dont les changements rapides et désordonnés peuvent conduire à l’injustice. Souvenons-nous de la douloureuse sortie de notre région du charbon. Pour assurer le rythme de changement requis au cours des trente prochaines années, la population wallonne devra être pleinement impliquée et le soutenir. Le système doit être à la fois équitable et perçu comme tel : qui paie la transition et comment les bénéfices sont partagés ? Cette question est fondamentale et le PACE n’y répond pas. Il manque une analyse ex ante des impacts socio-économiques de ce plan pour en connaitre notamment les effets précis sur l’emploi, les inégalités et la pauvreté.
Pour garantir le caractère juste de la transition climatique, les syndicats appellent à la création d’une Commission wallonne pour la Transition juste. Celle-ci devrait être composée de diverses personnalités représentant les différents aspects de la transition climatique : des syndicalistes, des représentant·es du monde patronal, de l’administration, des ONG et des académiques (issus des sciences naturelles et des sciences sociales). Cette Commission devrait nourrir la réflexion sur les défis de la transition juste et proposer des mesures au gouvernement ayant pour objectif d’appliquer la justice sociale dans l’ensemble de l’action climatique et des mesures prises.
Les rapports de cette Commission devraient être rendus publics et soumis à des assemblées citoyennes. Ils permettront ainsi de nourrir le débat public à ce sujet et de faciliter la prise de mesures de transition juste par les différents ministres qui composent notre gouvernement. Le pôle énergie du CESE dans son ensemble a approuvé cette demande des syndicats dans son avis sur le PACE (cf. ci-dessus).
En guise de conclusion, malgré la reconnaissance de la transition juste comme principe directeur du PACE, au vu de tous ces manquements, nous ne pouvons pas considérer qu’il constitue un plan de transition juste. #
(*) François Sana, conseiller transition juste au service d’études de la CSC
1. https://www.cesewallonie.be/sites/default/files/uploads/avis/Energie%2023%2002%20AV%20-%20ENV%2023%209%20AV%20-%20A%201524%20%28Pace%202030%29.pdf1. G. Powells et M.J. Fell, « Flexibility capital and flexibility justice in smart energy systems », Energy Research & Social Science, 2019, 54, pp. 56-59.
© Isidro López-Arcos / Flickr
Quelle prise en compte des cinq piliers de la transition juste dans le PACE ?
Les syndicats européens se réfèrent à la définition de la transition juste telle qu’elle a été fixée par la Confédération européenne des syndicats (CES). Les cinq piliers de la transition juste :
1. Le dialogue entre les pouvoirs publics et les principaux acteurs, dont les représentant·es des entreprises, des syndicats, des autorités locales et régionales, et des associations ;
2. Des emplois verts et décents grâce à des investissements domestiques dans les (nouvelles) technologies bas carbone, la recherche et développement (R&D) et l’innovation, le transfert de technologies ;
3. Des compétences « vertes» : des stratégies actives d’éducation, de formation, de développement des compétences au service d’une économie bas carbone et efficace dans l’utilisation des ressources, à l’initiative des pouvoirs publics ;
4. Le respect des droits humains et du travail : la prise de décision démocratique et le respect des droits humains et du travail sont essentiels pour garantir une représentation juste des intérêts des travailleuses et travailleurs et des communautés sur le plan national et international ;
5. Des systèmes de protection sociale forts et efficaces, à caractère assurantiel et basés sur la solidarité.
Comment le PACE a-t-il pris en compte ces piliers ?
En ce qui concerne le dialogue social, il est assez ironique de constater que, si le PACE reconnait comme principe directeur la transition juste, le gouvernement wallon n’a pas jugé utile de consulter les syndicats de façon bilatérale, entre la première et la deuxième lecture du PACE, alors même que cette consultation, ce dialogue, constitue le premier
pilier de la définition de la transition juste. Par contre, la version finale du PACE indique que le dialogue
social sera systématiquement pris en considération lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des mesures prévues dans le PACE. À vérifier.
Au sujet des deuxième et troisième piliers de la transition juste, il aurait été judicieux de développer dans un chapitre spécifique du PACE les grandes lignes d’un véritable plan emploi-formation afin de préparer au mieux les travailleur·ses aux emplois du futur et planifier la reconversion de celles et ceux qui risquent de perdre leur emploi ainsi que la formation des jeunes aux métiers liés à la transition écologique. Le CESE (Conseil économique, social et environnemental) de Wallonie partage cette opinion dans son avis à ce sujet 1. Une seule page du PACE (qui en compte 195) est consacrée à la transition juste par le biais de l’emploi et la formation. Diverses mesures intéressantes y sont annoncées dont celle « d’établir une stratégie de formation en concertation avec les parties prenantes (entreprises, syndicats, administration, etc.) afin d’accompagner les métiers directement impliqués dans la transition énergétique ». Il est, par ailleurs, annoncé « l’analyse, pour chaque mesure, des perspectives de développement d’emplois verts et décents ou de compétences au service d’une économie bas carbone et efficace dans l’utilisation des ressources ».
Enfin, le PACE note que les quatrième et cinquième piliers de la transition juste seront systématiquement inclus lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des mesures prévues dans le PACE. Plus précisément, seront prises en considération « - la compatibilité de chaque mesure avec le respect des droits humains et du travail, ainsi qu’avec les principes de justice sociale ; - la contribution des mesures aux systèmes de protection sociale forts et efficaces, à caractère assurantiel et basés sur la solidarité. »