Fruit d’un travail collectif, l’ouvrage La CSC, retour sur 45 ans de progrès social (1970- 2013) analyse minutieusement les combats dans lesquels le premier syndicat de Belgique a été engagé avec ses affilié·es et militant·es durant près de cinq décennies. Ce recueil historique permet de mieux comprendre comment le syndicat chrétien est devenu–au fil d’un parcours ponctué de victoires et de déceptions–un acteur indispensable à la vie démocratique de la société belge, mais aussi à la construction et à la consolidation des réseaux syndicaux européens et internationaux.
© Carhop
Ce travail historique collectif commence par une «Histoire sociopolitique» en cinq chapitres qui reviennent sur les événements marquants, de 1970–période où la CSC renforce son rôle d’interlocutrice sociale face au monde patronal et au gouvernement–jusqu’en 2013. Cette année a été choisie, car elle marque plusieurs points majeurs: la mise sur pied des congrès des comités wallons et bruxellois, mais aussi le forum de la CSC francophone. De plus, s’arrêter à 2013 permet de poser un regard rétrospectif avec une décennie de recul. Ensuite, la partie «Approche thématique»–composée de neuf chapitres rédigés par ceux et celles qui ont pris part à l’organisation et la gestion des différents services du syndicat–compile leurs récits et leurs témoignages.
Il est largement illustré d’images, de tracts, de pancartes, de banderoles, de photos de manifestations. Autant d’empreintes laissées par les personnes qui ont lutté pour défendre, mais aussi pour créer des droits protégeant les travailleur·ses souvent exposé·es à des risques considérables sur leurs lieux de travail. Ces illustrations constituent les traces visuelles des points d’infléchissement internes à la dynamique globale de la CSC tout autant que des grandes lignes de continuité.
Ce recueil historique s’inscrit dans trois champs distincts et pourtant intimement articulés, que sont la démocratie économique, la démocratie sociopolitique et la démocratie juridique et culturelle. La démocratie ne s’entend pas ici uniquement comme les pratiques électorales par lesquelles les citoyens et citoyennes délèguent leur pouvoir aux élu·es, mais aussi et surtout comme la participation directe aux processus décisionnels visant les modes d’organisation de la vie en collectivité.
Démocratie économique : enjeux du passé et du présent
Dans ce cadre, la démocratie économique dont il est question dans le livre peut être discutée sur deux niveaux.
Le premier est celui où la CSC joue son rôle de contre-pouvoir s’engageant directement dans les débats, et s’il le faut les combats, avec les représentant·es du monde patronal et le gouvernement. L’ouvrage met en évidence comment, dans des contextes surdéterminés par toute une série de crises économiques, la CSC s’est fermement positionnée pour défendre l’intérêt des travailleur·ses, quitte à devoir entrer dans un rapport de tension avec les représentant·es des gouvernements (notons à titre d’exemple le gouvernement Tindemans du milieu des années 1970).
Elle est par là même un vecteur de démocratisation à travers toute une série d’épreuves sociales. Pensons à celles des années 1970 marquées par le choc pétrolier qui, associé à la crise monétaire internationale de l’époque, a eu pour conséquence l’augmentation des prix de l’énergie et l’inflation (1). Cette période correspond également à la fragilisation de l’industrie wallonne (fermeture progressive des charbonnages, concurrence internationale exacerbée pour le secteur des textiles).
Vecteur de démocratisation, la CSC ne l’est pas uniquement au niveau où s’inscrivent les grandes décisions dessinant le destin social de la Belgique, mais aussi à une échelle plus petite, où se déploie l’action des travailleur·ses confronté·es, au quotidien, à des problèmes spécifiques.
Il suffit ici de rappeler que la CSC est depuis toujours animée par la volonté d’approfondir ce qu’elle entend par « démocratisation de l’entreprise ». Son intention est de traiter les travailleur·ses comme de véritables acteur·rices et non comme de simples bénéficiaires passifs des politiques sociales globales. Sur ce point, le congrès de 1971 sur le thème de «La participation ouvrière à la vie des entreprises » nous semble toujours d’actualité. On y lit qu’une véritable démocratisation de l’entreprise ne peut s’acquérir que si le·la travailleur·se est reconnu·e comme acteur·rice à part entière et que « si le système ou les structures l’empêchent de participer, il [i.e. le travailleur] a le devoir moral de prendre le pouvoir pour le faire » (2). C’est dans ce sens que la CSC a insisté sur la primauté des intérêts individuels et collectifs des travailleur·ses face au bénéfice des grands détenteurs de capitaux.
Sur les traces de la démocratie sociopolitique
Les actions entreprises au niveau de la démocratie économique sont inextricablement liées aux combats sociopolitiques.
À ce deuxième niveau, il est important de souligner que la démocratie sociale et politique se définit par l’effort collectif de donner la parole à ceux et celles qui sont marginalisé·es, voire exclu·es du champ social. C’est ce que montre l’histoire de la CSC, qui s’est engagée à défendre les personnes dont les conditions de vie sont érodées par une position sociale défavorable et des inégalités profondes.
Dans le but d’agir sur ces inégalités, la CSC décide d’installer en 1947 le Service syndical des femmes dont les activités auront un rôle important à jouer dans la dynamique d’ensemble du syndicat, comme le démontre le congrès ordinaire de 1960 intitulé «La femme dans le mouvement syndical», la proclamation du «Statut de la travailleuse» de 1969, l’approbation du document «La CSC et les travailleuses» (1982) ou, plus proche de nous, la loi du 22 avril 2012 visant la réduction de l’écart salarial entre les hommes et les femmes (3).
L’année 1947 marque également la création du Service des travailleurs migrants. En effet, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique accueille dans le cadre de la convention italo-belge de juin 1946, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs italiens. Jusqu’en 1970, le pays recevra, via des conventions, des Espagnols, des Grecs, des Marocains, des Turcs. Dans ce contexte, il était nécessaire d’installer un service spécial ayant pour but de répondre aux besoins des migrant·es, mais aussi de lutter pour l’égalité et contre la discrimination (4).
Les combats dans lesquels s’est engagée la CSC se sont notamment soldés par l’adoption en 1975 du «Statut du travailleur immigré» qui a été une pièce centrale dans les délibérations parlementaires autour du droit de vote des personnes étrangères et la loi de 1980 concernant l’accès au territoire. La CSC a progressivement construit sa vision de la démocratie dans le sens d’une société plus inclusive et ouverte à la diversité des cultures, d’où sa décision en 2008, de changer le nom du service des travailleurs migrants et réfugiés en service Diversité (5).
Vecteur de démocratisation, la CSC ne l’est pas uniquement au niveau où s’inscrivent les grandes décisions dessinant le destin social de la Belgique, mais aussi à une échelle plus petite, où se déploie l’action des travailleur·ses confronté·es, au quotidien, à des problèmes spécifiques.
La volonté de construire une société plus inclusive, basée sur le respect et la solidarité, passera aussi par un large soutien apporté aux personnes porteuses de handicap. La loi du 5 décembre 1968 relative aux conventions collectives de travail les excluait de son champ d’application. Face à cette situation inique, la CSC s’est mobilisée et a exigé que l’administration de l’État ouvre des postes de travail adapté. Les pressions de la CSC ont porté leurs fruits. Le 11 aout 1972 est publié un arrêté royal stimulant l’emploi des personnes handicapées dans les services publics.
Cette politique d’inclusion s’est poursuivie, voire renforcée durant les années 1980 et 1990 lors du transfert de certaines compétences, dont la politique de l’intégration sociale, au niveau communautaire et ensuite régional (6).
Démocratie juridique et culturelle : travailler à partir de l’expérience vécue
Les victoires de la CSC en matière d’inclusion ont été possibles non seulement grâce aux engagements des militant·es sur les plans économique, social et politique, mais aussi grâce aux actions menées aux niveaux juridique et culturel.
L’organisation des services juridiques de la CSC (7) a pour mission principale de répondre aux besoins et exigences des affilié·es dont le cadre de travail est défini par une législation et par des conventions collectives de travail (CCT) très spécifiques. Elle a également pour appui une législation plus globale. Jusque dans les années 1980, les activités des services juridiques s’inscrivaient dans des cadres légaux indépendants: par exemple, le contrat de travail «ouvrier» était considéré comme un «corps autonome» régi par des lois, arrêtés royaux et CCT spécifiques. Il en était de même au niveau du contrat de travail «employé» (même si les deux types de contrat se caractérisaient par des enjeux distincts). Depuis les années 1990, les contrats de travail «ouvrier·ère» et «employé·e» sont perçus à partir du cadre plus général du droit civil, pénal et, plus globalement encore, de la protection des droits humains. Les services juridiques effectuent ainsi un travail d’articulation entre, d’un côté, ce qui relève de l’expérience la plus concrète des ouvrier·ères et employé·es et, de l’autre côté, ce qui est énoncé dans les principes du droit (8).
C’est au carrefour entre l’expérience vécue des personnes et le cadre général où elle s’inscrit que l’on peut situer la démocratie culturelle dont le modus operandi est un repère central dans les champs d’action de la CSC.
Les activités du service de formation l’illustrent. Elles peuvent être vues à la lumière de la méthode « voir-juger-agir ». Elles ont pour point de départ la façon dont les personnes se représentent le réel (voir) pour le mettre au crible d’une analyse critique (juger), ce qui débouche sur une action de transformation du réel dans le sens d’un progrès social (agir). On pourrait même dire que le service de formation de la CSC est un « corps intermédiaire » entre « nous » et « nous-mêmes » ou plus exactement entre, d’une part, cette partie du « nous collectif » qui nous pose encore des problèmes et, d’autre part, le modèle d’une action collective que nous souhaitons atteindre (9).
Vers une société plus solidaire
Dans le contexte actuel, trois objectifs semblent de première importance : une transition juste vers un vivre-ensemble attentif aux enjeux posés par le changement climatique, l’action syndicale sur le plan européen et international en vue de lutter plus efficacement contre la précarisation des conditions de travail et le retour en force des partis d’extrême droite, la construction des nouvelles actions collectives et le renforcement de la cohésion sociale dans un contexte de numérisation de plus en plus généralisée.
À la lecture du livre, plusieurs pistes d’action se dessinent. Elles ont pour principe fondamental la solidarité en tant qu’elle permet de créer le minimum nécessaire au-dessus duquel les un·es et les autres peuvent avancer.
La Sécurité sociale est l’une des formes, si ce n’est la forme principale qu’elle peut prendre. Son élargissement à d’autres domaines d’action collective peut être une manière d’endiguer l’individualisme, le « chacun pour soi » que prône avec insistance l’idéologie néolibérale.
Dans un monde de plus en plus émietté par des intérêts individuels, de plus en plus fragilisé par la logique de l’exploitation et la consommation, la solidarité y compris internationale est la valeur sur laquelle nous pouvons, tous·tes ensemble, construire les bases d’une nouvelle société plus inclusive et ouverte à l’altérité. C’est l’un des messages principaux qu’inspire la lecture du livre. #
Le dernier ouvrage d’histoire de la CSC considérée dans son ensemble remonte à 1986 (1). On comprend donc aisément la nécessité d’écrire un nouveau livre mettant en relief les plus importants événements marquant l’environnement social dans lequel se sont déployées les activités de la CSC. En 2020, la CSC prend l’initiative de solliciter le CARHOP (Centre d’Animation et de Recherche en Histoire Ouvrière et Populaire) en vue de préparer un ouvrage sur son histoire en se concentrant davantage sur les réalités francophones, wallonnes et bruxelloises. Un comité d’accompagnement se constitue pour encadrer l’ensemble du processus, de la conception des différents chapitres jusqu’à la diffusion du livre. L’enjeu de cette démarche est double. D’une part, il s’agit d’outiller les permanent·es francophones pour qu’ils·elles puissent avoir une vision plus globale des actions qu’ils·elles entreprennent au sein de leurs organisations respectives. D’autre part, le livre s’adresse aux passionné·es de l’histoire et à tout regard curieux souhaitant mieux comprendre la spécificité des contextes dans lesquels se sont déployées les diverses activités de la CSC.
1. Cent ans de syndicalisme chrétien. 1886-1986, CSC-CARHOP, Bruxelles, 1986. En revanche, il existe plusieurs livres assez récents d’histoire relatifs à certaines fédérations de la CSC: voir par exemple P. TILLY, La CSC de Mons-La Louvière : un centenaire qui se raconte, publié sous la responsabilité de Jean-Marc Urbain, La Louvière, 2012.
1. Cf. Partie1. Chapitre1: Regard rétrospectif sur la décennie1970- 1981, pp. 13-45.
2. CSC, Rapport d’activités1970- 1972, Bruxelles, pp.47-148.
3. Sur tout ceci, cf. Partie 1. Focus 1: Le service syndical des femmes, pp. 46-81.
4. Cf. Partie 1. Focus 2: Du service syndical des travailleurs migrants au service Diversité, pp. 82-111.
5. Ibidem.
6. Sur ce point, cf. Partie 1. Chapitre1: Regard rétrospectif sur la décennie1970-1981, en particulier pp.26-28.
7. Tout d’abord, «la première ligne» dans le domaine de la Sécurité sociale est du ressort des centres de service des fédérations. Ensuite, dans le domaine du droit de travail, les centres de service des fédérations prennent en charge le recueil des plaintes de «premier secours», le reste des contentieux relevant de la responsabilité des centrales professionnelles. Enfin et troisièmement, les services juridiques sont responsables de la deuxième ligne et viennent en appui à la première ligne.
8. Cf. Partie 2. Chapitre 2: Une histoire des services juridiques de la CSC, pp.368-383.
9. Cf. Partie 2. Chapitre 4: Formation syndicale et éducation permanente, pp.410-429.