chaise sac dos ecolePeu avant son adoption, l’EVRAS a fait l’objet de vives critiques et de résistances–tant concernant son opérationnalisation que la terminologie employée–émanant notamment de mouvements d’extrême droite. C’est la publication d’un guide destiné aux professionnel·les afin d’homogénéiser l’EVRAS qui a mis le feu aux poudres. Retour sur cette séquence avec Lola Clavreul, directrice de la Fédération des Centres pluralistes de Planning familial (FCPPF), membre aux côtés d’autres organisations du Comité de pilotage ayant accompagné le projet du guide.

 

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Cette protestation part d’une incompréhension autour de ce guide. Quelle est sa fonction?

C’est un guide pour les professionnel·les qui a été élaboré par un ensemble d’associations de terrain, plannings, PMS, représentants de parents, etc., et qui a été annexé à l’Accord de Coopération. Il s’agit d’un support à destination des professionnel·les en charge de l’EVRAS. Il ne s’agit pas, comme il a été faussement dénoncé, d’un référentiel ou d’un programme de cours.

À chaque avancée en termes de droits sexuels et reproductifs, ou en matière d’éducation à la vie sexuelle et affective, on voit réapparaitre les craintes.

Ce mouvement de résistance à l’EVRAS vous a-t-il surprise?

Non, parce qu’il y a toujours eu des résistances à l’EVRAS, notamment émanant du milieu catholique. Il y a toujours eu une confusion entre le fait de parler d’un sujet et le fait d’inciter. Si l’on remonte dans les années 1970, au moment des premières sensibilisations à la contraception, les mouvements catholiques craignaient que le seul fait d’en parler incite les jeunes filles à développer une vie sexuelle débridée et détachée de la procréation. À chaque avancée en termes de droits sexuels et reproductifs, ou en matière d’éducation à la vie sexuelle et affective, on voit réapparaitre les craintes. Par contre, on ne s’attendait pas du tout à ce que ça prenne une tournure si forte et c’est très inquiétant à quelques mois des élections.

Comment l’expliquer justement?

Le cadre de l’EVRAS a été posé en 2012. Il s’est passé pas mal de choses depuis et nous sommes dans une époque particulière. Durant la crise Covid, on a assisté à beaucoup de défiance envers les institutions et les gouvernements. Cela laisse des traces. Ces dix dernières années ont aussi vu l’élection de Trump aux États-Unis ainsi que le développement massif des réseaux sociaux et des fake news.

Il y a des alliances particulières dans cette croisade anti-EVRAS: des personnes très à droite, à l’extrême droite également, mais aussi des parents inquiets, sans engagement militant. Quelle est votre analyse?

C’est en effet un mouvement mélangé. D’où nos difficultés à apporter une réponse aux craintes puisqu’elles émanent de milieux très différents. Le mouvement est parti de quelques personnes–issues des mouvances conspirationnistes, notamment antivax–qui ont fait de l’agitation sur les réseaux sociaux, autour d’une remise en question des institutions. Nous sommes aussi en présence de réseaux comme Innocence en Danger et l’Observatoire de la petite Sirène qui, eux, s’agitent principalement autour de la question de la transidentité. Ensuite, se sont ralliés à eux des groupes religieux musulmans et catholiques intégristes (rejoints notamment par le mouvement français d’extrême droite Civitas, l’un des organisateurs de la Manif pour tous). Parmi eux, on trouve un grand nombre de parents perdus face à un tas d’infos contradictoires glanées tant dans les médias généralistes que sur des groupes WhatsApp ou sur les réseaux sociaux et qui ont des questions légitimes et un besoin d’être rassuré·es. Je ne veux donc pas faire d’amalgame. Il y a des choses à éclaircir. Mais il y a aussi des personnes avec qui nous n’avons pas du tout envie d’engager la discussion.

Avez-vous un exemple de crainte relayée et votre façon d’y répondre?

L’argument d’« intrusion psychique» a souvent été mobilisé par les détracteurs de l’EVRAS qui considèrent par-là que si l’on parle de porno aux enfants –qui n’ont pas encore les ressources cognitives ou symboliques pour y faire face–il y a un risque de trauma. D’abord, il n’est absolument pas question de montrer des images pornographiques ou des gestes sexuels aux plus jeunes. L’EVRAS part toujours des questions des enfants. Ensuite, il n’y a rien de sexuellement explicite ni dans le matériel ni dans le langage utilisés. Faut-il laisser les enfants seuls face à des images pornographiques auxquelles ils et elles sont confronté·es dès le plus jeune âge, via un accès de plus en plus précoce aux smartphones ? Nous répondons qu’il est nécessaire justement de pouvoir les outiller afin de prévenir les traumas, les angoisses et les peurs, et qu’ils puissent obtenir des réponses à leurs questions auprès de personnesressources compétentes et formées.

Cela montre à quel point le sujet de la sexualité est encore tabou dans notre société...

Bien sûr, on touche ici à la loi du silence. Pourtant, il faut parler de sexualité dans toute sa complexité pour que les jeunes puissent avoir des pratiques mieux protégées. Cela soulève aussi des questions relatives à la parentalité, à des croyances comme celle de penser que «dans notre famille on se dit tout». Cette phrase que j’ai lue dans les groupes anti «Nous sommes les seuls maitres de nos enfants» révèle quand même quelque chose en matière de contrôle et de négation de l’autonomie des enfants. Sur ce sujet comme sur d’autres, l’enjeu est aussi de refaire confiance aux professionnel·les.

Cette mobilisation est-elle aussi le signe d’un retour en arrière en matière de droits des femmes?

Je trouve très inquiétant qu’on puisse entendre dans une manifestation publique autorisée des discours frontalement anti-féministes et anti-avortement. L’EVRAS est un enjeu d’égalité et de lutte contre les violences puisque l’idée est de pouvoir donner des outils à chacun·e pour être plus épanoui·e, grandir dans des espaces plus égalitaires et donner des espaces de paroles aux personnes victimes de violences.

Cette indignation relayée dans les médias n’a-t-elle pas eu un effet de miroir grossissant? Reflète-t-elle le terrain?

En effet, de nombreuses écoles organisent depuis plusieurs années des heures d’EVRAS sans le moindre souci. Dans l’une des écoles incendiées à Charleroi, le directeur se montrait stupéfait des remous actuels alors qu’ils organisent 12 heures d’EVRAS par an depuis plusieurs années. D’autres peinent à en organiser en raison d’un manque de clarification du cadre et de financements. En revanche, il y a aussi des écoles qui ne veulent pas aborder des sujets comme l’IVG ou l’homosexualité. Dans le paysage global, ces écoles restent minoritaires.

Comment allez-vous désormais procéder en termes de communication?

Il y a un besoin de communiquer de manière plus transparente avec les parents. On réfléchit à la mise en place d’espaces de parole pour pouvoir faire baisser la pression lors des réunions de parents, réinstaurer la confiance. Plusieurs niveaux de communication sont nécessaires: ces espaces de parole, mais aussi la communication au grand public, pour laquelle il faut dégager des moyens. C’est un défi, car les fake news circulent aujourd’hui très vite. Il va donc falloir du soutien politique pour généraliser l’EVRAS, la rendre plus transversale, débloquer des budgets pour qu’il y en ait au moins une fois par an, ce serait un minimum.

L’EVRAS ne se limite pas à deux heures d’animation avec un centre de planning ou une association. Elle doit être pensée en complémentarité avec le rôle éducatif des parents.

 

En quoi consiste l’EVRAS transversal?

L’EVRAS ne se limite pas à deux heures d’animation avec un centre de planning ou une association. Elle doit être pensée en complémentarité avec le rôle éducatif des parents. Il faut aussi des adultes dans l’école–du PMS, ou un·e prof·fe, un·e éducateur·rice–qui puissent constituer un maillage pour les enfants et assurer une continuité. Il est également important de veiller à avoir une approche fine, sensible, en fonction des codes (culturels, religieux) et de l’éducation des enfants et adolescent·es, afin de ne pas les mettre en situation de déloyauté par rapport à leur famille ou leur milieu. Il s’agit aussi de rappeler le cadre légal et les valeurs transmises par l’EVRAS. Enfin, il faut garder en tête que le Pacte d’excellence invite à intégrer des enjeux liés à l’EVRAS dans des matières comme la biologie ou le cours de français, par exemple ce qui concerne les stéréotypes de genre.#

Le Gavroche

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