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Sur plus d’un siècle d’existence, les Semaines sociales ont exploré de très nombreuses thématiques. Si leurs sujets sont éclectiques au fil des ans, elles ont à plusieurs reprises mis le focus sur la question de la démocratie culturelle et de la promotion des travailleurs et travailleuses. L’accès à la culture, à la formation et à l’Éducation permanente sont autant de revendications portées par le MOC et ses organisations, encouragés en cela par un petit groupe de militant·es actif·ves dans le mouvement et, de près ou de loin, dans l’organisation des Semaines sociales.

 

 

 

 

 

 

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L’idée de donner l’opportunité aux travailleurs et travailleuses de se former n’est pas neuve. Dès le 19e siècle, le mouvement ouvrier s’empare de cette revendication. Elle se mène parallèlement au combat pour la réduction du temps de travail, qui permet non seulement de partager les emplois et de réduire le chômage, mais dégage également du temps libéré. Celui-ci doit permettre à l’ouvrier et l’ouvrière de s’instruire et d’acquérir la clé destinée à ouvrir la porte du savoir et des connaissances. Avec l’organisation des Semaines syndicales, rebaptisées en Semaines sociales, puis en Semaines sociales wallonnes, les organisations qui composent le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) jouent un rôle prédominant dans ce combat.

Les Semaines sociales

Organisée pour la première fois en 1908 en Flandre et en Wallonie, l’objectif de la Semaine syndicale est d’attirer les propagandistes des organisations ouvrières locales pour leur faire connaitre la doctrine sociale de l’Église et contenir l’expansion du mouvement ouvrier socialiste. Conçues avant tout comme une formation syndicale, les Semaines sont destinées à structurer le mouvement en Wallonie et en Flandre. En 1928, devenues les Semaines sociales wallonnes (SSW), elles s’adressent à l’ensemble des représentant·es du mouvement, et non plus seulement aux délégué·es syndicaux 1. Centrées chacune sur un thème défini, elles invitent une série d’orateurs et d’oratrices à approfondir les connaissances des participant·es sur cette problématique.
Entre 1908 et 2022, année de la centième édition, la Semaine sociale ne se déroule pas chaque année. Les deux guerres mondiales, ainsi que la tenue de Congrès du MOC et plus récemment la crise du covid-19, empêchent parfois son organisation. Il en ressort néanmoins une régularité exceptionnelle, sans égale dans le mouvement ouvrier en Belgique, qui montre l’importance accordée par le MOC à cet événement depuis sa création. Cette longévité et cette constance permettent de mieux comprendre, lorsqu’on se plonge dans les thématiques des Semaines, les aspirations et les revendications du mouvement au fil du 20e et au début du 21e siècle.
Si les Semaines sociales ne sont pas des Congrès, elles occupent pourtant une place prépondérante dans l’établissement des lignes directrices du Mouvement ouvrier chrétien. Elles sont un lieu où ce dernier « réfléchit sur la doctrine en vue de son élaboration permanente et en prévision de l’action, et où se réalise un carrefour d’opinions ». Elles constituent « une tribune pour le rayonnement et l’influence du MOC » 2, réunissant chaque année plusieurs centaines de participant·es, ce qui leur confère une légitimité certaine.
Leur schéma courant comprend un discours d’introduction, des exposés répartis sur deux ou trois jours ainsi que des temps de discussions organisés en sous-groupes. Chaque Semaine sociale s’achève par le discours du ou de la président·e du MOC ou de la Semaine sociale. C’est lors de ce moment de clôture – à certaines époques rendez-vous médiatique de première importance – que le mouvement expose ses positions et ses lignes de conduite par rapport au sujet traité cette année-là.

Défendre la culture et l’enseignement

Lorsqu’ils se structurent dans la deuxième moitié du 19e siècle, les mouvements ouvriers chrétien et socialiste se concentrent essentiellement sur les revendications liées au salaire, à la pénibilité et aux conditions de travail. Les organisations chrétiennes réalisent pourtant rapidement l’importance d’un meilleur accès à l’éducation et à la culture. Naissent alors toute une série d’initiatives, offrant des possibilités de formations aux travailleur·ses. La création des Semaines sociales représente l’une des réponses à ce besoin exprimé par le mouvement ouvrier.
Sélectionnées en fonction des préoccupations du mouvement, les thématiques des Semaines sociales répondent à l’actualité politique, économique ou sociale. Si les sujets sont éclectiques, l’enseignement, la formation et la promotion de la culture des travailleur·ses occupent une place importante, avec onze éditions qui y sont consacrées entre 1946 et 2022. Même lorsque le sujet de la Semaine sociale ne semble pas à première vue concerner l’Éducation permanente, cette dernière se trouve souvent évoquée au détour d’un exposé.
Les travailleurs et la culture (1953) est la première édition consacrée à ce sujet. La culture y est présentée comme un ensemble de valeurs acceptées par une communauté humaine déterminée, un peuple, et qui est élaborée par son travail, sa littérature et son art. Des reproches sont formulés à l’égard de ce qui est considéré comme « la culture » de l’époque, ils visent plus particulièrement son inadaptation et son inaccessibilité, car celle-ci demeure réservée à la classe bourgeoise. Le MOC promeut une définition plus englobante de la culture, dans laquelle l’activité manuelle ou le domaine technique peuvent être reconnus comme portant une valeur culturelle.

L’accès à la culture

En 1961, la Semaine sociale s’intéresse aux Conditions et méthodes d’accès des travailleurs à la culture. C’est l’occasion pour le mouvement de dresser un état des lieux de son action sur ce point. Victor Michel, nouveau président des Semaines sociales et secrétaire général du MOC national (1960-1973), estime nécessaire de créer un Centre national d’Information et de Culture populaire, dont le but serait de coordonner l’ensemble des initiatives des organisations en matière de formation, de développer des méthodes de travail, de préparer et de réaliser des stages de formation et des écoles de cadres, mais aussi de rédiger et diffuser des publications et des outils indispensables pour celles et ceux qui aspirent à se former.
L’ensemble de ces réflexions aboutit à la création en 1961 du Centre d’Information et d’Éducation populaire (CIEP), qui reprend les tâches de formation des cadres du mouvement, l’animation des écoles sociales régionales et la préparation des Semaines sociales wallonnes. L’année suivante, en 1962, le CIEP lance, sous l’impulsion de son nouveau directeur Max Bastin (1962-1970), l’Institut supérieur de Culture ouvrière (ISCO) en partenariat avec les Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. Cette initiative répond au besoin du MOC de donner un meilleur accès à l’éducation et à la culture aux travailleur·ses. 


L’Éducation permanente s’impose


Le concept apparait pour la première fois dans les actes des Semaines sociales en 1961. Marie Braham, secrétaire générale des Ligues ouvrières féminines chrétiennes, énumère dans son exposé les efforts qui doivent être entrepris pour développer et améliorer l’Éducation populaire, qui dans un monde en mutation demande « un effort permanent d’information et de formation par-delà l’enfance et l’adolescence » 3. Dix ans plus tard, en 1970, la Semaine sociale Enseignement, Éducation permanente, Société se déroule en pleine réforme de l’enseignement. Le mouvement aspire à promouvoir son modèle éducatif, dans lequel l’Éducation permanente joue le rôle de pilier pour la démocratisation de l’enseignement et de la société. En quelques années, le corpus théorique s’est particulièrement étoffé et l’Éducation permanente s’impose dans le projet d’éducation du MOC.

Le début des années 1970 incarne une période durant laquelle la pensée du MOC en matière d’enseignement et de formation arrive à maturité.

Max Bastin, secrétaire des Semaines sociales (1962-1970), définit et affine le concept et l’objet de l’Éducation permanente lors de cette Semaine sociale de 1970. Il reprend, comme base de réflexion, l’inadaptation de l’école à un monde dans lequel les connaissances et les pratiques évoluent de façon constante. De plus, les inégalités sociales empêchent certaines personnes de terminer leur parcours scolaire. Sa conclusion est que celles et ceux qui le désirent doivent pouvoir reprendre une formation, et qu’il est du ressort des structures d’enseignement de s’adapter et de fournir l’offre adéquate. Les cours du soir, en dehors des heures de travail, ne représentent pas une solution pour le MOC. Il est nécessaire de dégager des heures sur le temps de travail pour pouvoir suivre cet enseignement pour adultes : ce sont les crédits d’heures, une revendication du mouvement depuis 1938.
L’Éducation permanente a également pour ambition de répondre au problème de la démocratisation de la société, directement liée aux contenus et aux méthodes d’enseignement. Ce dernier donne les clés d’analyse afin de comprendre la société, l’Éducation permanente apporte quant à elle un esprit critique sur le plan politique, économique, social et culturel. Si les Semaines sociales de 1971 à 1974 ne concernent pas directement cette question, on constate que dans différentes éditions, les orateurs et oratrices ainsi que les dirigeant·es du MOC, recourent régulièrement aux notions d’Éducation permanente et de démocratie culturelle.
À l’occasion de la Semaine sociale consacrée à La Wallonie et la répartition du pouvoir en 1972 par exemple, le président des Semaines sociales, Victor Michel, insiste sur le rôle de la jeunesse, qui doit trouver dès le départ des conditions d’épanouissement individuel et collectif. Il est pour cela nécessaire d’effectuer une réforme de l’enseignement, et d’y adjoindre une éducation permanente, s’adressant à toute personne qui « doit poursuivre, au fil de la vie, l’œuvre de formation et répondre aussi aux nécessités de recyclage dans une société moderne » 4.
L’année 1974, c’est la thématique du contrôle ouvrier qui est mise en avant avec Vers l’autogestion. Jean Daems, animateur à l’ISCO, offre un exposé intitulé « Pédagogie et formation des travailleurs », dans lequel il développe une vision de la formation qui accompagnerait le champ d’action du combat syndical. Agir pour la formation des travailleur·ses, c’est également mettre la focale « sur l’acquisition d’un savoir économique, sociologique et juridique étendu et rigoureux, mais aussi et surtout une prise de conscience politique » 5. L’ensemble de ce qui compose le socle pédagogique développé à l’ISCO s’y retrouve, avec la volonté explicite que la formation vise à former des personnes capables de se situer dans leur environnement propre, d’utiliser l’information, de se déterminer elles-mêmes : « Un homme n’est vraiment libre que lorsque les clés de la société lui ont été données 6. »

Conclusion


L’analyse de ces quelques éditions de Semaines sociales indique que la question de l’éducation, plus particulièrement de l’éducation tout au long de la vie, autrement dit l’Éducation permanente, est centrale pour le mouvement. Le début des années 1970 incarne une période durant laquelle la pensée du MOC en matière d’enseignement et de formation arrive à maturité. Ce raisonnement est le fruit d’un long cheminement idéologique nourri par des personnalités membres du mouvement ou qui lui sont proches. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pas moins de quatre Semaines sociales sont consacrées à cette question avant l’année 1970 et Enseignement, Éducation permanente, Société. Dans le modèle de société envisagé par le MOC, la démocratie ne peut exister sans un enseignement aux contenus et aux méthodes revues, et celui-ci doit être nécessairement complété par l’Éducation permanente. Cette dernière ne peut être réalisée pleinement sans la création du système des crédits d’heures, revendication qui sera finalement obtenue en 1973. #

Louis STALINS, chercheur à la FTU et Julien TONDEUR, historien au CARHOP


© Miguel Discart / Flickr© Miguel Discart / Flickr

1. M-T. COENEN, « 1908-1939. Des Semaines syndicales aux semaines sociales », Politique, Hors-série n° 32, octobre 2022.
2. CARHOP, Fonds MOC National, Archives de Victor MICHEL, note rédigée par Max Bastin en 1965, à destination des secrétaires du MOC.
3. M. BRAHAM, « L’action culturelle du Mouvement Ouvrier, dans CIEP-MOC », L’accès des travailleurs à la culture, Bruxelles, CIEP-MOC, 1961, p. 225.
4. M. Galderoux, J. Degimbe, J.-L.Dehaene et al., La Wallonie et la répartition du pouvoir, Les Éditions Vie Ouvrière, 1972, p.9.
5. J. DAEMS, « Pédagogie et formation des travailleurs », dans Vers l’autogestion, Les éditions Vie Ouvrière, 1974, p.59.
6. Cette vision de la formation s’appuie notamment sur les travaux du groupe « Bastin -Yerna », qui réunit des membres du MOC et de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) ou des personnes proches de ces deux organisations, dans un but de rassemblement des progressistes. Groupe Bastin-Yerna, Quelle Wallonie, Quel socialisme ? : Les bases d’un rassemblement des progressistes, Les Éditions Vie Ouvrière et FAR, 1971, p.121.

 

 

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