vue face medecin tenant element medicalPlus les quartiers sont pauvres et plus l’état de santé de leurs habitants et habitantes est mauvais. C’est le constat principal d’une étude à grande échelle de la Mutualité chrétienne (MC). Un des objectifs de l’accord fédéral de coalition en matière d’inégalités de santé est de réduire d’au moins 25 %, d’ici 2030, l’écart de santé entre les personnes ayant la plus grande et la plus petite espérance de vie en bonne santé. Mais comment mesurer et contrôler la réalisation de cet objectif ? Des pistes avec cette nouvelle étude de la MC 1.

 

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Pour mesurer les inégalités de santé, l’étude de la Mutualité chrétienne (MC) a d’abord analysé les décès (toutes causes confondues) au cours de l’année. Sur la figure ci-dessous, on voit se dessiner une courbe régulière que l’on appelle gradient : de gauche à droite du graphique, le risque de mortalité diminue régulièrement au fur et à mesure que les revenus des quartiers augmentent. Ainsi, on constate que les personnes qui habitent dans les quartiers les plus pauvres présentent un risque accru de mortalité de 29 % par rapport à l’ensemble des membres de la MC, alors que chez les personnes vivant dans les quartiers les plus riches ce risque est au contraire atténué de 29 % (voir graphique ci-dessous). Si l’écart relatif entre ces deux situations extrêmes est calculé 2, on constate que le risque de décéder est presque deux fois plus grand pour la population qui vit dans les quartiers les plus pauvres par rapport à celle qui vit dans les quartiers les plus riches. Ces écarts sont même encore plus importants dans les études qui disposent des données individuelles de revenu : entre 40 et 64 ans, l’écart de mortalité est 5,3 fois supérieur aux plus riches chez les plus pauvres 3. Ces résultats montrent une autre illustration des différences d’espérance de vie observées entre les groupes favorisés et défavorisés. Ce chiffre est frappant et montre bien qu’il serait faux de penser que plus un pays est riche, plus les inégalités de santé entre ses habitant·es sont anecdotiques. Au contraire, de nombreux·ses chercheur·ses insistent sur le fait que c’est l’inverse qui est constaté 4 et notre étude en fait également la preuve.

 

DEMO AVRIL 2023 graph dossier

 

                                        N.B. : la différence dans chaque niveau de revenu est calculée par rapport à l’ensemble

                                               de la population étudiée (tous groupes de revenu confondus). 0 % indique qu’il n’y a pas de différence.

 

On retrouve également des inégalités de grande ampleur concernant le risque de souffrir d’une maladie chronique. Par exemple, pour la population vivant dans les quartiers les plus pauvres, le risque de souffrir de diabète est accru de 51 % par rapport à la population vivant dans les quartiers les plus riches. Ce résultat est aussi observé pour d’autres maladies chroniques. Ces importantes inégalités de santé s’illustrent également au travers des différences de risque d’être en incapacité de travail. Ces résultats démontrent clairement que ce sont les populations plus pauvres qui sont plus fréquemment confrontées aux maladies graves et invalidantes avec des répercussions importantes sur l’activité professionnelle.

Inégalités d’utilisation de soins


Le recours aux soins hospitaliers peut être considéré comme le reflet direct de l’état de santé dégradé dans les quartiers pauvres. Ainsi, on observe que les personnes vivant dans les quartiers les plus pauvres présentent un risque accru de 23 % d’être admis en hôpital général (essentiellement les services de soins aigus) par rapport aux personnes qui vivent dans les quartiers les plus riches (voir graphique ci-contre). Une autre façon d’accéder aux soins hospitaliers est de recourir au service d’urgence de l’hôpital.
Le gradient observé est similaire et l’écart relatif est encore plus accentué : risque accru de 39 % pour les personnes qui vivent dans les quartiers pauvres par rapport à celles qui vivent dans les quartiers riches).

Dans le cas des dispositifs de prévention, il s’agit en revanche de différences d’accès aux soins, ce qui explique que le sens du gradient est inversé : le recours à ces dispositifs est moins fréquent chez les populations pauvres et augmente graduellement quand le revenu augmente. Quant aux soins dentaires préventifs, on observe que les personnes qui vivent dans les quartiers les plus pauvres ont 33 % de chance en moins d’y recourir que celles qui vivent dans les quartiers les plus riches (voir graphique ci-contre). Autre exemple : les femmes vivant dans les quartiers les plus pauvres ont 20 % de chance en moins d’avoir bénéficié d’un dépistage du cancer du sein par rapport à celles vivant dans les quartiers les plus riches.
Pour les contacts avec la médecine générale, on n’observe pas de gradient important quant aux consultations au cabinet d’un·e médecin généraliste. En revanche, en ce qui concerne les maisons médicales, l’écart relatif est massif avec six fois plus de chance d’y être inscrit lorsqu’on vit dans un quartier pauvre par rapport aux quartiers riches. Ceci n’est pas surprenant, car il s’agit d’une façon de bénéficier de la médecine générale qui est plus accessible financièrement pour les patient·es, c’est-à-dire qu’il·elles ne doivent ni avancer le cout des soins qui seraient ensuite remboursés ni payer la partie restant à charge des patient·es dans le cas de consultations classiques.

DEMO AVRIL 2023 graph dossier 2

 

                                     N.B. : la différence dans chaque niveau de revenu est calculée par rapport à l’ensemblede la population étudiée

                                      (tous groupes de revenu confondus). 0 % indique qu’il n’y a pas de différence.

En ce qui concerne le domaine de la santé mentale, un gradient clair et considérable est observé pour trois types de soins pouvant être considérés comme « lourds », c’est-à-dire les hospitalisations psychiatriques, les séjours en maison de soins psychiatriques (MSP) et initiatives d’habitations protégées (IHP). Par rapport aux personnes vivant dans les quartiers les plus riches, celles qui vivent dans les quartiers les plus pauvres ont 2,8 fois plus de risques d’être hospitalisées en hôpital psychiatrique (ou dans un service psychiatrique d’un hôpital général), 14,7 fois plus de risques de séjourner en MSP et 31 fois plus de risques de résider en IHP.

La situation est aussi très parlante quand on examine le recours aux consultations en santé mentale en ambulatoire. Le gradient des consultations psychologiques 5 est en sens inverse de celui des consultations chez un·e psychiatre : plus on est riche et plus on va chez un·e psychologue, en revanche plus on est pauvre et plus on consulte le·la psychiatre, ce qui peut être expliqué par le fait que les visites chez le psychiatre sont mieux remboursées et donc davantage accessibles financièrement, mais aussi par l’état de santé mentale dégradé chez les publics plus pauvres, qui nécessite une prise en charge du psychiatre. Or, les visites chez les psychiatres ont souvent lieu pour des cas graves nécessitant un traitement médicamenteux. On observe ainsi que plus on est pauvre, plus les antidépresseurs et antipsychotiques sont fréquemment utilisés. Les visites chez un·e psychologue, qui peuvent davantage jouer un rôle préventif dans le cas d’apparition de premiers symptômes ou de troubles légers, sont moins fréquemment utilisées par les publics précaires.

 

Comment mesurer les inégalités ?

Les résultats de l’étude sont basés sur les données administratives et de facturation des soins de santé qui concernent tous les membres de la MC, à savoir 4,5 millions de personnes (pour l’année 2019) – soit près d’un·e Belge sur deux. Cela veut dire que contrairement aux études basées sur des données autodéclarées, comme les enquêtes, il n’y a pas de risque de sous-représentation des personnes à faibles revenus. Afin de procéder à une analyse approfondie, les membres de la MC sont réparti·es en dix groupes de taille égale le long d’une échelle économique définie par le niveau de revenu médian du quartier où il·elles résident, allant des quartiers où le revenu médian est le plus faible à ceux où il est le plus élevé (20.000 quartiers au total). Des indicateurs de santé (le fait de décéder ou de souffrir de certaines pathologies) et d’utilisation des soins (être admis·e à l’hôpital, avoir eu recours à tels types de soins ou de médicaments, etc.) ont été calculés pour évaluer les différences d’état de santé et de recours aux soins en fonction du niveau de revenu du quartier de résidence. Concrètement, on évalue, pour chaque groupe de revenu, si le risque d’être malade ou d’avoir recours aux soins est plus élevé ou au contraire inférieur au risque calculé pour la totalité des membres de la MC (tous les groupes de revenu confondus 1). 

1. Nous avons donc travaillé de façon à rendre comparables les groupes de revenu en gommant les différences qui sont liées à l’âge, le sexe et la région.


Faire face aux inégalités de santé


D’une façon générale, les caractéristiques des inégalités de santé sont les suivantes : à mesure que les revenus diminuent, l’état de santé se détériore, des soins lourds sont plus fréquemment utilisés, la prévention est moins accessible. Réduire ces inégalités devrait être un enjeu collectif. En effet, elles ne sont pas une fatalité : en rien « naturelles », elles sont bien « produites » du fait qu’elles sont la résultante de toutes les autres inégalités relatives aux conditions de vie et qu’elles les aggravent ensuite. Dès lors, améliorer la santé des groupes défavorisés implique d’agir de façon conjointe dans tous les domaines d’action possibles comme les revenus, l’emploi, le logement, les conditions matérielles de vie, de travail, l’environnement, etc. Avec sa stratégie « la santé dans toutes les politiques » (Health in all policies), l’Organisation mondiale de la Santé montre le chemin à suivre.
De plus, le principe de l’universalisme proportionné doit fonder cette action. C’est ce que recommande le chercheur britannique incontournable en épidémiologie et en santé publique Michael Marmot : « Pour réduire la pente du gradient social en matière de santé, les actions doivent être universelles, mais d’une ampleur et d’une intensité proportionnelles au niveau de désavantage. Une action plus intense sera probablement nécessaire pour les personnes défavorisées sur le plan économique et social, mais se concentrer uniquement sur les plus défavorisé·es ne réduira pas le gradient de santé et ne s’attaquera qu’à une petite partie du problème » 6.

L’objectivation des inégalités de santé permet de réfléchir aux implications concernant l’accès aux soins de santé. Améliorer cet accès nécessite une réflexion approfondie sur la façon dont l’offre de soins est organisée en fonction des besoins et des capacités de la population. Le principe de l’universalisme proportionné peut, ici, également nous guider. L’accès aux soins doit être envisagé dans ses quatre dimensions :

1. La détection des besoins en soin
Il est nécessaire de mieux prendre en compte les besoins de soins accrus des personnes défavorisées, à commencer par une détection suffisamment précoce des problèmes de santé. Cela passe, entre autres, par la formation des prestataires de soins afin qu’il·elles puissent mieux identifier les risques sociaux sur la santé, de façon à favoriser un dépistage et un suivi plus adapté. Il faut aussi sensibiliser les patient·es aux risques de santé afin d’éviter la sous-utilisation des soins de santé qui peut être d’autant plus dommageable dans les groupes les plus à risque. Ce qui est loin d’être évident, tant les difficultés vécues au quotidien par les groupes vulnérables détournent leur attention de leurs problèmes de santé.

2. La disponibilité des services de santé
L’existence d’inégalités de santé signifie aussi que les besoins en soins de santé sont inégalement répartis sur le territoire. L’offre de soins doit être dimensionnée de façon à assurer une disponibilité suffisante des services adéquats en fonction des besoins des populations locales, en particulier dans les quartiers défavorisés.

3. L’accessibilité financière
Notre système de santé laisse trop de dépenses à charge des patient·es, ce qui induit un report de soins pour des raisons financières et des dépenses importantes susceptibles de déstabiliser le budget des ménages. Bien des efforts sont encore à faire ! Ces efforts ne doivent pas uniquement viser les publics les plus défavorisés financièrement, mais comporter des mesures progressives pour s’adapter à la capacité de payer et aux différents niveaux de besoins de soins au sein de la population.

4. L’acceptabilité
Le but est le suivant : des soins acceptables pour toutes et tous, c’est-à-dire des prestations de soins délivrées avec le niveau minimum de qualité perçue pour que les personnes acceptent d’y recourir. Les personnes en situation de vulnérabilité socio-économique doivent pouvoir bénéficier d’une écoute et d’une compréhension suffisantes de la part des soignant·es afin que les soins et la façon de les délivrer soient adaptés aux situations personnelles. #

Hervé AVALOSSE, Clara NOIRHOMME, Sophie CèS, Service d’études de la Mutualité chrétienne


1. Les résultats complets de l’étude sont disponibles en ligne sur le site de la MC à la page dédiée à la revue Santé & Société. H. AVALOSSE, C. NOIRHOMME, S. CÈS, « Inégaux face à la santé. Étude quantitative des inégalités économiques relatives à la santé et à l’utilisation des soins de santé par les membres de la MC », Santé & Société, 4, 6-30, 2022.
2. Pour arriver à la différence en « X fois », le calcul est le suivant : (1 +29 %)/(-29 % +1), ce qui donne 1,8 fois plus grand. Pour mesurer l’écart en %, le calcul est : (1 +29 %)/(-29 % +1)-1,
ce qui donne 80 %.
3. A.DECOSTER, T. MINTEN, et J.SPINNEWIJN, « The negative income gradient in mortality rates is a persistent finding that underlies the substantial differences in life expectancy between low- and high income individuals », The Journal of Economic Inequality, 19, 551–570, 2021.
4. R. WILKINSON et K.PICKETT, The Spirit Level: Why Equality is Better for Everyone, Penguin, Londres, 2010.
5. La réforme des soins psychologiques a été implémentée au sein de l’assurance obligatoire soins de santé à partir de 2020. L’étude portant sur des données de 2019, le recours aux soins psychologiques est évalué à l’aide de données de l’assurance complémentaire de la MC, qui intervient pour ce type de soins.
6. M. MARMOT, « Fair society, healthy live », The Marmot Review. Strategic review of health inequalities in England post-2010, Executive Summary, p. 10, 2010.

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