Cinq ans après la crise migratoire de 2015, la Commission européenne a proposé un nouveau cadre aux politiques migratoires européennes. La Belgique s’inscrit dans la dynamique et l’orientation générale du pacte, à savoir : limiter les voies sûres et légales de migration, contrôler et trier aux frontières internes et externes de l’UE et expulser les personnes exilées. Cela en dépit du respect du droit international, des violences et de l’inefficacité de ce type de politiques. Éclairage sur les dimensions qui composent ce projet de pacte européen .
La Commission européenne a présenté sa proposition de pacte européen sur la migration et l’asile le 23 septembre 2020. Le pacte n’est pas encore finalisé au début de l’année 2023 et est en cours de discussion au sein des États membres. Il sera considéré comme adopté à la fin du processus de négociations propre au niveau européen, soit le trilogue entre les trois institutions européennes clés que sont le Conseil, le Parlement et la Commission. Une fois celui-ci finalisé, les mesures législatives émanant du pacte devront être transposées dans les législations nationales des États membres.
Le pacte proposé par la Commission est complexe et très volumineux. Ses priorités et ses mesures ne sont pas neuves. Derrière l’objectif affiché par la Commission d’aboutir à une gestion prévisible et fiable des migrations, l’institution vise en réalité le renforcement des mesures destinées à freiner les arrivées, limiter l’accueil par le « filtrage et le tri » des personnes exilées et surtout augmenter leurs retours.
Margarítis Schinás, Vice-Président de la Commission européenne et commissaire en charge de la Promotion de notre mode de vie européen décrit le pacte comme une maison commune : « Nous avons bâti une structure à trois étages. Avec, d’abord, une dimension externe beaucoup plus forte et des accords avec les pays d’origine et de transit, les obligeant à collaborer davantage et à favoriser le maintien de leurs ressortissants sur leur territoire. Deuxièmement, l’instauration d’un contrôle efficace aux frontières. Troisièmement, un mécanisme de solidarité permanente et efficace » 3.
Une dimension externe plus forte
Commençons par le premier étage. Les partenariats avec les pays tiers seront au service de l’endiguement des départs, mais aussi au service des retours. La Commission mentionne que le pacte utilisera les outils et instruments existants pour faciliter les retours et la réadmission. Des mesures favorables (comme l’élargissement des facilités de visas pour l’Europe) ou défavorables (restriction d’octroi des visas) seront permises et incluses dans le cadre de la révision du Code Visa en fonction de la coopération des pays tiers aux réadmissions. Frontex verra son mandat renforcé au service opérationnel des retours, mais aussi de la mise en œuvre des accords de réadmission. La Commission stipule que, dès le 1er janvier 2021, les agents permanents de Frontex peuvent se déployer n’importe « quand et où » à la demande des États membres. Un poste de Coordinateur européen du retour sera même créé pour animer un réseau de coordinateur·rices nationaux·ales des retours. En 2021, la Commission a publié une nouvelle stratégie sur les retours volontaires et la réintégration 4 au départ de l’Europe, mais aussi des pays tiers vers les pays d’origine (le projet d’une liste européenne des pays d’origine sûrs refait surface en vue de faciliter les retours). L’institution continuera à soutenir les pays tiers pour l’accueil des réfugié·es sur leur territoire avec les instruments actuels 5.
Le Règlement de Dublin, qui a créé un déséquilibre et des situations absurdes, mine la solidarité entre les États membres.
La Commission veut renforcer le sentiment de cohésion entre ses États membres et se muscle en conséquence pour satisfaire la demande récurrente de ceux-ci concernant l’éloignement des personnes exilées. Elle assigne les États tiers au seul rôle de partenaires facilitateurs du retour. Le retour est donc recherché avant même que les personnes exilées ne posent le pied sur le territoire européen ; cela tout en fermant les yeux sur les cas de refoulements devenus systématiques et impunis.
Un contrôle renforcé aux frontières
Concernant le second étage, la Commission européenne propose aux 27 États membres un nouveau mécanisme de gestion des frontières. Il repose sur la détention quasi systématique de toutes les personnes migrantes sans titre de séjour, dès leur arrivée aux frontières extérieures de l’Europe 6 (douze semaines maximum). S’ensuit pour celles-ci un filtrage ou screening (cinq jours de tests de santé, d’identité/empreintes, de sécurité, de vulnérabilité et d’enregistrement de leurs données dans le système centralisé informatique EURODAC) en vue de les trier et les diriger vers une procédure d’asile express ou d’asile ordinaire, voire de retour. Aucun recours n’est possible quant au résultat du filtrage. Comment s’effectue la sélection ? Les personnes dont le pays d’origine a un taux de reconnaissance de protection internationale (soit la part des décisions d’octroi d’une protection sur le nombre total de décisions) en moyenne en dessous de 20 % 7 et qui sont accusées de fraude ou d’abus au sujet de leur demande de protection ou qui représentent une menace pour la sécurité seront dirigées directement vers une procédure d’asile express (douze semaines avec un seul recours possible et une possibilité d’allongement de ce temps dans certains cas jusqu’à huit mois) 8.
Celles et ceux qui ne demandent pas l’asile à la frontière seront dirigés directement vers un mécanisme de retour. Enfin, les autres personnes migrantes seront dirigées vers une procédure d’asile dite ordinaire. Les familles avec enfants de moins de douze ans et les mineur·es non accompagné·es seront exempté·es de cette nouvelle procédure aux frontières (les personnes reconnues comme « vulnérables » après un entretien express individuel pendant le filtrage réintégreront la procédure ordinaire d’asile une fois leurs besoins spécifiques pris en compte). Ce filtrage sera effectué par un organe indépendant désigné par chaque État membre. Il sera appuyé par les agences européennes (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne-FRA, Frontex, Bureau européen d’appui en matière d’asile-EASO). Pendant tout le temps du filtrage, les personnes migrantes seront considérées en zone de transit. Cette fiction de non-entrée signifie que l’UE considère qu’elles n’ont pas encore mis le pied juridiquement sur le territoire européen. Elles seront donc dans un no man’s land jusqu’à ce que les résultats du filtrage décident si elles ont le droit d’entrée sur le territoire européen ou non.
Un mécanisme de solidarité flexible
Le troisième étage consiste en la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité intra-européenne obligatoire au service de l’accueil, mais également, et c’est en cela que réside la nouveauté, au service du retour. Dorénavant, les États européens auront la possibilité de choisir à la carte (contribution solidaire flexible) entre la relocalisation, le « parrainage » du retour des débouté·es (avec choix de la nationalité visée pour booster les accords de réadmission 9) ou de contribuer matériellement ou logistiquement à la dimension externe de la politique migratoire européenne. Ce mécanisme intra-européen de répartition « de la charge » serait actionné uniquement en cas « d’afflux massif », de « pression » 10 aux frontières d’un État membre ou de besoins urgents de prise en charge à la suite d’une opération de « recherche et sauvetage » en mer. Un filet de sécurité (assez complexe) est prévu si le mécanisme ne répond pas aux besoins de la situation d’urgence. Dans les autres cas, chaque État membre sera libre sur base volontaire d’accueillir ou non des demandeur·ses d’asile via les mécanismes de relocalisation 11 et de réinstallation. La Commission propose une clé de répartition des contributions dites « solidaires » par pays basée sur le PIB et la taille de la population. Elle informe également que les États « solidaires » recevront du budget européen 10.000 euros par personne adulte accueillie et 12.000 euros si elle est mineure.
Le Règlement de Dublin, qui a créé un déséquilibre et des situations absurdes, mine la solidarité entre les États membres. Sa modification annoncée par la présidente de la Commission européenne n’en est pas une. La Commission propose désormais un mécanisme RAMM (Regulation on asylum and migration management) qui élargit certes les critères permettant d’identifier le premier pays responsable de la demande d’asile (dorénavant, le regroupement familial ou un lien antécédent avec un pays européen seront également pris en compte), mais dans le doute, le premier pays d’entrée reste responsable de la demande.
Conclusion
L’Union européenne tente de garder ses États membres autour de la table européenne en proposant un système de solidarité à la carte (choix entre l’accueil ou l’aide au retour), mais la réforme du règlement de Dublin tant attendue visant l’harmonisation des règles d’accès à l’asile et la répartition équitable, prévisible et durable de l’accueil patine.
La secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Nicole de Moor, a annoncé que l’ensemble du pacte serait adopté sous présidence belge de l’Union européenne début 2024. Cela semble pourtant compromis vu le manque de consensus entre les États membres. On pourrait se réjouir de ce blocage si l’on ne constatait pas déjà la mise en œuvre du pacte, de façon informelle par certains États membres, et de ses conséquences néfastes sur les droits des personnes exilées. Le multilatéralisme est donc bel et bien nécessaire sur les questions migratoires, mais il doit être porté par une vision commune, celle d’un autre pacte UE au service de la justice migratoire. #
Cécile vanderstrappen, chargée de projets justice migratoire au CNCD-11.11.11
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