We wont pay for your greed alisdarehickson flickAucun syndicat n’a une plus longue histoire en matière de lutte sociale que le Trades Union Congress (TUC). Sous l’impulsion du travail précurseur du TUC, le Royaume-Uni était autrefois un modèle pour notre législation du travail. En Belgique, la semaine de travail de cinq jours était connue sous le nom de « semaine anglaise ». Fin octobre, le TUC a tenu son 154e Congrès à Brighton, dans un contexte à des années-lumière de ce rôle emblématique historique : avec la livre sterling, l’ensemble de l’économie britannique et le gouvernement de la Première ministre Liz Truss sont en chute libre.

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Comme toujours, cette situation a ravivé le militantisme au Congrès du TUC. Des augmentations salariales, bien nécessaires, figurent en tête des revendications du mouvement syndical, après douze ans de stagnation sous le gouvernement conservateur. La situation des travailleur·ses des services publics, sous-financés, s’est considérablement détériorée. Le TUC entend porter le salaire minimum à 15 livres de l’heure, augmenter les salaires à hauteur de l’inflation pour le personnel des services publics et imposer de meilleures conditions de travail et de rémunération dans le cadre de négociations collectives sectorielles.


Ces négociations sectorielles, bien connues en Belgique, n’existent pas au Royaume-Uni. Les négociations collectives ne peuvent être menées qu’au niveau de l’entreprise.
Pour obtenir de meilleurs services publics, avec un financement adéquat, et de meilleures conditions de rémunération et de travail pour les travailleur·ses du secteur public, il faut enfin inverser le projet de privatisation datant de l’ère Thatcher. Après quatre décennies de démantèlement des services publics, force est de constater à quel point l’accès aux chemins de fer, à l’eau ou à l’énergie est devenu instable, couteux, sans coordination et parfois aussi dangereux. Aujourd’hui, le TUC et, après quelques hésitations, le parti travailliste plaident en faveur d’une renationalisation des chemins de fer.

Robin des Bois

En 2016, la Commission des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT) – chargée d’en contrôler le respect – a rappelé le Royaume-Uni à l’ordre, au motif que les allocations sociales étaient trop faibles. Les taux de remplacement1  pour les allocations sociales y sont inférieurs à ceux que fixe la convention de l’OIT sur la sécurité sociale, alors que le Royaume-Uni a ratifié cette convention. Le TUC et le parti travailliste militent donc pour une protection sociale décente, ainsi que pour le renforcement des droits du travail. Les contrats « zéro heure » qui ne comportent pas un nombre fixe ou minimum d’heures de travail, et les pratiques de fire-and-rehire2 qui permettent de licencier les travailleur·ses massivement puis de les réembaucher à des conditions moins favorables, sont totalement inacceptables pour les syndicats.


Plutôt que de se focaliser unilatéralement sur le secteur financier de la City londonienne, le TUC appelle en outre à élargir la vision de l’activité économique au Royaume-Uni et, dans ce contexte, à viser une fiscalité plus juste. La déclaration gouvernementale de Lizz Truss, désormais reléguée aux livres d’histoire depuis sa rapide démission, prévoyait une réduction massive des impôts des plus riches. Ces Trussonomics – sorte de politique de Robin des Bois à l’envers, qui vole les pauvres pour donner aux riches – continuent d’agiter le Congrès du TUC.
L’ensemble des exigences formulées donne un cahier de revendications visant à réformer fondamentalement le Royaume-Uni.


Le TUC estime que cette évolution est impossible sans instaurer de meilleurs droits syndicaux. En effet, le néolibéralisme thatchérien a enfermé l’action syndicale dans un carcan. Pour pouvoir mener une action de grève, les syndicats doivent envoyer un bulletin de vote par la poste à l’ensemble des travailleur·ses d’un site et obtenir un quorum minimum de 50 % de réponses, dont une majorité en faveur de la grève. À ce moment-là seulement, la grève est autorisée légalement. Les actions de solidarité ou les grèves « politiques » sont interdites. La législation ne permet d’envisager la grève que pour les « problèmes constatés sur le lieu de travail ». Un projet de loi est actuellement soumis au Parlement pour permettre aux employeur·ses de remplacer temporairement les travailleur·ses en grève par des intérimaires, dans le cadre d’un service minimum dans les transports publics, le secteur de la santé ou l’enseignement. Selon le TUC, les pouvoirs publics britanniques violent ainsi la liberté d’association et le droit aux négociations collectives. Il a déposé une plainte auprès de l’OIT à ce sujet.

Don’t mention Brexit !

Malgré ces restrictions draconiennes, le Royaume-Uni connait depuis l’été dernier une recrudescence de grèves et d’actions syndicales, notamment dans les secteurs des transports, des ports et des soins de santé, ce qui n’est pas sans rappeler le tumulte des années 1970. Les actions de grève bénéficient d’un large soutien de l’opinion publique et donnent également des résultats. Outre l’amélioration des conditions de rémunération et de travail, on assiste pour la première fois depuis des années, à une augmentation des effectifs syndiqués du TUC. Le Trades Union Congress britannique comptait autrefois 12 millions de membres alors qu’il n’en compte plus que 5,5 millions aujourd’hui. Le taux de syndicalisation est certes de 53 % dans les services publics, mais il s’élève à peine à 12 % dans le secteur privé. La tendance semble à présent s’inverser et, outre l’augmentation des effectifs des syndicats traditionnels, de nouvelles organisations sociales apparaissent, comme Enough is Enough, une campagne qui rassemble diverses actions sociales et œuvre pour une réforme sociale large et coordonnée. Le leader du syndicat des transports RMT, Mick Lynch, est devenu le visage de cette opposition un peu plus radicale. Envisager une telle action syndicale unifiée n’est pas évident pour le TUC. Le Trades Union Congress, qui chapeaute de nombreuses organisations sectorielles et régionales, est très fragmenté et manque de coordination interprofessionnelle dans les « fédérations » locales. Pourtant, la direction du TUC relève une volonté croissante d’agir et de coordonner ces actions conjointement.

Le Trades Union Congress (TUC) britannique comptait autrefois 12 millions de membres, alors qu’il n’en compte plus que 5,5 millions aujourd’hui.


Les discours et motions du Congrès ont également mis en évidence le sujet qui n’a pas été abordé : le Brexit. Il est pourtant difficile de nier que le Brexit est à l’origine de la faible croissance économique, des bas salaires et de l’érosion des droits des travailleur·ses. Le projet de loi relatif à la Retained EU Law (Revocation and Reform) Bill3  est actuellement soumis au Parlement. Cette loi rendrait inopérantes toutes les lois issues de la législation de l’Union européenne à partir du 31 décembre 2023, sauf si la législation britannique reconnait et maintient explicitement ces droits et ces lois. Le TUC a fait campagne contre le Brexit en 2016 parce que de nombreux droits des travailleur·ses britanniques – tels que le droit à l’égalité de traitement pour les femmes et les hommes (à travail égal, salaire égal), ainsi que pour les travailleur·ses à temps partiel et les travailleur·ses intérimaires, le droit à des congés payés, le droit de limiter la durée de travail à maximum 48 heures, le droit à un lieu de travail sain et sûr ou le droit à l’information et à la consultation sur le lieu de travail – ne viennent pas du Royaume-Uni, mais découlent de la législation européenne. Cette protection européenne du droit du travail risque maintenant de disparaitre.

Pas contre, mais avec les travailleur·ses britanniques !

L’accord de commerce et de coopération (ACC) entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, plus connu sous le nom d’accord de Brexit, permet à l’Union européenne de porter plainte auprès d’une Commission des litiges si les conditions de concurrence ne sont plus équitables pour les droits des travailleur·ses entre l’UE et le Royaume-Uni, ce qui entrainerait d’éventuelles sanctions. Esther Lynch, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), est favorable à ce type de plainte, mais uniquement si la CES et le TUC introduisent cette plainte ensemble, dans le cadre d’une action commune et solidaire des syndicats britanniques et européens, et non dans le cadre d’une lutte des travailleur·ses européen·nes contre les travailleur·ses britanniques.
Au sein du TUC, comme au parti travailliste, seule une minorité était favorable au Brexit et c’est toujours le cas aujourd’hui. Ce sont surtout les fractions de gauche les plus militantes, associant le nationalisme au socialisme (« Socialism in One Country »), qui ont dénoncé l’orientation unilatérale du marché et le projet de libéralisation et de privatisation de l’Union européenne, notamment pour le réseau ferroviaire.


Le Congrès a adopté une motion qui souligne la nécessité d’une action syndicale mondiale et du respect des droits de l’Homme, des droits du travail et des droits syndicaux, en étant particulièrement attentifs à la lutte syndicale contre l’extrême droite4. Cette motion ne dit pas un mot sur l’Europe. La coopération syndicale européenne, dans le cadre de la CES, n’est pas prioritaire pour le TUC. Le fait qu’il ait récemment réduit de moitié sa cotisation à la CES le confirme. Cette dernière aura donc pour objectifs, dans les années à venir, de continuer à s’engager avec le TUC et de trouver des plateformes de collaboration pour promouvoir des positions syndicales et des programmes d’action communs pour une politique commerciale équitable, sans dumping social ni l’illusion d’un Singapour sur la Tamise5, mais avec des conditions de concurrence équitables dans le respect des droits des travailleur·ses au sein d’une Europe sociale. #

Paysage syndical britannique


En 2020, le Royaume-Uni compte 6,56 millions de syndiqué·es en 2020, soit 23,5 % de la population active (chiffres OCDE-2019), dont 2,56 millions dans le secteur privé et 4 millions dans le secteur public. C’est dans le domaine de l’éducation que le taux de syndicalisation est le plus fort suivi de près par l’administration publique et le secteur social-santé. Il n’y a qu’une seule confédération syndicale au Royaume-Uni, le TUC. Créé en 1868, il compte 48 syndicats affiliés indépendants dans leur décision – soit environ 5,5 millions de personnes, c’est-à-dire une grande majorité de la population syndiquée. Environ 60 % des membres du TUC adhèrent aux trois syndicats majoritaires – Unite (1.171.186 membres), UNISON (1.206.750) et GMB (504.918) – qui se sont développés à la suite de fusions. Le travail de sape mené par Margaret Thatcher, couplé à d’autres phénomènes (désindustrialisation et flambée du chômage) a considérablement affaibli le mouvement syndical : le taux de syndicalisation n’a cessé de baisser dans les années 1980 passant de 56,9 % en 1979 à 39 % en 1989. Depuis 2017, par contre, les effectifs syndicaux ont augmenté de plus de 200.000 personnes. Une augmentation stimulée par une hausse de l’adhésion syndicale chez les femmes (+ 170.000), principalement dans les services publics. Jamais depuis 1995, autant de femmes n’avaient porté une carte syndicale. Selon le TUC, la pandémie explique cette augmentation, principalement des travailleur·ses en première ligne. Presque 40 ans plus tard, le traumatisme de l’échec de grève historique des mineurs de 1984-1985 semble être passé et le vent syndical se lever au Royaume-Uni. Mais plusieurs défis attendent les syndicats : recruter dans le secteur privé, et toucher les plus jeunes générations.

 1. Taux de remplacement :
le rapport entre le montant de l’allocation et le salaire perdu
(de référence). Par exemple, celui du dernier mois ou la moyenne de la dernière année civile.
2. Licenciement et réembauche.
3. Révocation et réforme du droit de l’UE préservé en droit interne.
4. L. IMPENS, « Quand l’extrême droite s’immisce sur les lieux de travail », Démocratie, décembre 2022.
5. Slogan utilisé par les partisan·es du Brexit pour projeter l’avenir de la Grande-Bretagne sur le modèle de la cité-État de Singapour, qui s’est hissée parmi les nations les plus riches par habitant·e.


Karin Debroey, CSC international

© lisdarehickson / flickr

 

 

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