Le 22 juin dernier, le FOREM communiquait sa liste annuelle « des fonctions critiques et des métiers en pénurie ». Au fil des ans, cette liste est devenue un véritable marronnier et pourtant l’engouement médiatique à son égard ne tarit pas. La thématique des métiers dits « en pénurie » a visiblement le vent en poupe, bien davantage encore depuis la crise du Covid-19 et les inondations qui ont impacté lourdement la Wallonie en 2021.
Avant de passer au crible les impacts de ces deux événements majeurs qui ont marqué notre histoire récente, rappelons que la problématique n’est pas neuve. Le FOREM publie en effet pareille liste depuis 1999 pour répondre à plusieurs obligations légales anciennes ou plus récentes (celles qui ont été transférées aux Régions et Communautés dans le cadre de la 6e réforme de l’État) telles que l’établissement de la liste des études qui permettent d’être dispensé·es de la recherche d’emploi. Au sein de cette liste, le FOREM différencie les fonctions « critiques », c’est-à-dire les fonctions pour lesquelles les employeurs 1 attendent plus longtemps que la moyenne pour trouver un·e candidat·e, des fonctions « en pénurie de main-d’œuvre » qui sont des fonctions pour lesquelles il y a trop peu de candidat·es pour une fonction critique 2. Aux yeux du FOREM, les fonctions « en pénurie de main-d’œuvre » constituent donc un sous-ensemble des fonctions « critiques ». En 2022, cette liste compte 141 métiers 3. Parmi ceux-ci, on dénombre 52 fonctions « critiques » et 89 fonctions « en pénurie ».
Une rhétorique bien huilée
À en croire de nombreux patrons, la problématique des métiers «en pénurie » est avant tout et surtout un problème de formation. En toute logique, il suffirait donc, selon ce raisonnement, de (bien) former les demandeur·ses d’emploi pour combler aisément et rapidement les métiers « en pénurie ». Le monde politique (dans une quasi-unanimité) partage cette vision et adopte des mesures en conséquence.
Heureusement, jusqu’à aujourd’hui, c’est la « politique de la carotte » qui prédomine. En effet, sans prétendre à l’exhaustivité, depuis quelques années maintenant, la Région wallonne a instauré toute une série de mesures visant à favoriser l’orientation et la formation dans ces métiers « en pénurie ». Depuis 2019, le gouvernement wallon a ainsi mis en place un incitant financier de 350 euros pour les demandeur·ses d’emploi qui terminent une formation leur permettant d’accéder à ces métiers. En 2022, le gouvernement wallon a adopté de nouvelles mesures pour booster les formations en alternance dans les métiers « en pénurie » dans les domaines de la construction, du bois et de l’électricité pour répondre aux besoins criants de ces secteurs suite aux inondations de 2021. Dorénavant, une prime « plan de reconstruction » de 2.000 euros net est octroyée à chaque demandeur·se d’emploi ou apprenant·e IFAPME qui s’engage dans le secteur de la construction.
Pourtant, malgré ces incitants financiers, la problématique semble faire preuve d’une acuité sans précédent. La rhétorique du monde patronal ne serait-elle qu’un leurre ?
L’envers du décor
Certes, les problèmes de formation d’une partie des demandeur·ses d’emploi existent et peuvent en partie expliquer l’ampleur du phénomène qui sévit actuellement. Mais en partie seulement.
Pour (s’en) convaincre, il suffit d’examiner les taux d’insertion des demandeur·ses d’emploi qui ont suivi avec succès une formation dans un métier dit « en pénurie » ou une fonction critique. En mai dernier, le service « Veille, analyse et prospective du marché du travail » du FOREM publiait une enquête interne sur l’insertion des stagiaires qui ont terminé de telles formations. Si l’échantillon de l’enquête est relativement réduit 4, celle-ci fournit malgré tout quelques données intéressantes. Elle indique, par exemple, que près de 21,1 % des répondant·es ne présentaient aucune insertion à l’emploi 5. Par ailleurs, seul·es « 64,5 % des stagiaires ayant connu une insertion à l’emploi après leur formation ont déclaré avoir été formé·es au métier exercé » 6.
Quoi qu’en disent de nombreux acteurs, cette enquête montre en filigrane que la problématique ne se limite pas qu’à un souci de formation. La recette patronale et politique du « il n’y a qu’à former les demandeur·ses d’emploi pour résoudre la question » laisse donc un gout amer tant elle semble manquer sa cible. Les facettes de la problématique sont indéniablement multiples et ce n’est qu’en acceptant d’ouvrir le débat sur ces angles morts du discours patronal que l’enjeu des métiers dits en « pénurie » pourra (enfin) connaitre une issue positive.
La focalisation du débat sur l’aspect de la formation des demandeur·ses d’emploi est un véritable coup de maitre de la part du monde patronal.
Tentons donc de lever ce coin du voile. En 2018, la CSC wallonne avait réalisé une analyse dans le cadre d’une note interne au sein de laquelle elle passait au crible toute une série d’offres d’emploi concernant des métiers dits « en pénurie ». Les constats posés alors sont malheureusement toujours valables et toujours aussi édifiants 7 : « dans une toute grande majorité de cas, une expérience professionnelle supérieure à deux, trois voire, parfois cinq ans est exigée. Pour les jeunes ou les travailleur·ses en reconversion professionnelle qui ont terminé avec fruit leur formation, poser de telles conditions est incompréhensible. Sans même parler du type de contrat qui est proposé : alors qu’on exige de l’expérience professionnelle, ce sont majoritairement des contrats précaires (intérim voire CDD) qui sont proposés ». L’enquête du FOREM sur l’insertion des stagiaires confirme ces analyses syndicales : « 43 % des stagiaires inséré·es ont principalement été occupé·es via des CDD et 42 % via l’intérim durant les six mois de suivi. Quelque 15 % des stagiaires sortant·es ont principalement été occupé·es en CDI » 8. Dans certains secteurs, ce sont les conditions de travail (horaires « coupés », pénibilité, salaires) qui sont mises en avant et qui ne peuvent pas (toujours) être appréhendées lors des formations suivies par les demandeur·ses d’emploi.
On le voit : lorsqu’on prend la peine d’observer l’autre bout du spectre des métiers en « pénurie », la situation n’est guère réjouissante pour les demandeur·ses d’emploi/travailleur·ses de ces métiers. Force est dès lors de constater que la focalisation du débat sur l’aspect de la formation des demandeur·ses d’emploi est un véritable coup de maitre de la part du monde patronal, et ce, pour de multiples raisons. Premièrement, cela lui permet de masquer les responsabilités qui sont les siennes et que nous avons épinglées précédemment (type de contrat de travail proposé, expérience professionnelle requise, etc.). Deuxièmement, le monde patronal parvient, ce faisant, à s’exonérer de toute responsabilité concernant la formation de ses futur·es travailleur·ses. Pire : non seulement il s’en exonère, mais il parvient même à faire payer la lourde facture aux pouvoirs publics (et donc aux contribuables wallon·nes) 9. D’ailleurs, au vu des montants publics investis, l’absence de données chiffrées précises sur le nombre de postes « en pénurie » est pour le moins interpellante...
Que faire 10 ?
Avec 214.646 demandeur·ses d’emploi inoccupé·es 11, l’enjeu de la mise à l’emploi est majeur en Région wallonne. Pour éviter un débat stérile et de se cantonner à des critiques négatives, la CSC wallonne met sur la table toute une série de pistes à discuter et à explorer pour tenter de trouver des solutions collectives à cet épineux problème que sont les métiers « en pénurie ».
Avant de les développer, il ne vous aura pas échappé que jusqu’ici, le mot « pénurie » a été placé entre guillemets. Selon nous, il véhicule une vision trop partielle et partiale de l’enjeu. La CSC wallonne a donc décidé de le remplacer par le terme « métiers en difficulté de recrutement ». Loin d’être anecdotique, cette nouvelle dénomination permet, selon nous, d’instaurer une vision alternative de la problématique et d’inscrire nos pistes de réflexion dans ce nouveau cadre.
À ce sujet, nos propositions se situent à différents niveaux.
Au niveau des travailleur·ses
Aujourd’hui, force est de constater que de nombreux·ses travailleur·ses quittent des secteurs où il y a pourtant des difficultés de recrutement. Dans de nombreux cas, cela s’explique par les conditions de travail (horaires coupés, etc.), mais aussi par la pénibilité du travail, trop souvent sous-estimée. Dès lors, si l’aménagement des fins de carrière est crucial (voir ci-dessous), assurer le maintien dans l’emploi et dans le secteur en aménageant la carrière, via des mesures de réduction de la pénibilité (comme la réduction collective du temps du travail), l’est tout autant. Fort logiquement, les fins de carrière doivent aussi être refaçonnées pour diminuer la pénibilité de certains métiers, que ce soit par le recours à des crédits-temps ou par la mise en place de plans du type « Tandem » (un·e travailleur·se plus ancien·ne encadre un·e jeune travailleur·se), etc.
Au niveau des employeurs
Comme on l’a démontré précédemment, il est grand temps que les employeurs cessent de s’exonérer de leurs responsabilités. L’amélioration des conditions de travail (type de contrat [CDI], temps de travail proposé [temps-plein], bien-être au travail, salaires, etc.) est donc primordiale. Si « pénurie » il y a vraiment, l’employeur doit se montrer « attractif ». C’est tout l’enjeu et la pertinence des négociations sectorielles qui peuvent permettre, si les employeurs jouent le jeu, d’aboutir à de meilleures conditions de travail pour (attirer) les travailleur·ses concerné·es.
Les difficultés de recrutement ne seront résolues que si les exigences d’une partie du monde patronal sont réalistes. Or, à de nombreux égards, les difficultés de recrutement semblent entretenues par des employeurs qui exigent des conditions (expérience professionnelle de plusieurs années, etc.) qui ne sont pas du tout en phase avec celles d’un poste dit « en pénurie ». Pour y remédier, la CSC wallonne propose notamment des embauches avec une partie formative 12 (une période de formation sous contrat de travail 13). Pour permettre une meilleure adéquation entre les attentes de l’employeur et celles des travailleur·ses, une méthode d’intermédiation active entre le demandeur·se d’emploi et l’entreprise devrait, en complément des méthodologies et outils habituels, être également appliquée 14. En effet, la pratique démontre qu’une telle méthode produit des résultats positifs pour les deux parties. Aujourd’hui, certaines missions régionales pour l’emploi (MIRE) 15 en font déjà usage à des degrés variables. Pour nous, il est fondamental que cette méthode soit appliquée à plus grande échelle. Enfin, il revient également aux employeurs de mieux anticiper les difficultés de recrutement auxquelles leur secteur a ou aura à faire face. Ce travail peut notamment se réaliser au sein des Instances Bassin Enseignement-Formation-Emploi (IBEFE, voir ci-dessous).
Par ailleurs, la problématique des métiers en difficulté de recrutement ne pourra être solutionnée qu’au prix d’un travail sur l’image de certains métiers. Cela passe, entre autres, par la valorisation de l’enseignement technique et professionnel pour que ce dernier ne soit plus perçu et/ou vécu comme un enseignement de relégation. Le secteur de la construction, par exemple, mène des campagnes médiatiques (« Je construis mon avenir ») pour tenter de tordre le cou à certains clichés véhiculés au sujet des filières de formation (la formation en alternance) et/ou des métiers concernés (en déconstruisant, notamment, les stéréotypes de genre les concernant).
Enfin, certaines entreprises doivent revoir leur(s) mode(s) de management, notamment celles qui ne parviennent pas à conserver leurs travailleur·ses. À cet égard, la CSC wallonne propose la mise sur pied d’un plan d’accompagnement des TPE/PME afin que celles-ci puissent mettre en œuvre des processus (politique du personnel appropriée, etc.) qui leur permettent de fidéliser les travailleur·ses sur le long terme.
Au niveau des IBEFE
Présentes sur l’ensemble du territoire wallon et à Bruxelles 16, ces instances ont notamment pour mission de mettre en relation, au niveau de ces territoires, les acteurs de l’enseignement, de la formation, du monde de l’entreprise et des syndicats. Dès lors, la plus-value et l’importance des IBEFE pour aborder objectivement la problématique des difficultés de recrutement vont de soi.
Comme les difficultés de recrutement se vivent souvent différemment en fonction des territoires, la problématique doit être mesurée, de manière chiffrée, IBEFE par IBEFE.
En outre, la liste qui est dressée par le FOREM pour déterminer les fonctions « critiques » et « en pénurie » est une vision partielle et figée du marché du travail, car elle est élaborée à un « instant T ». Pour contrecarrer cette vision « photographique », la CSC wallonne demande, d’une part, que la liste soit élaborée au sein de chaque IBEFE pour tenir compte au mieux des spécificités de chaque bassin. La liste serait ensuite agrégée au niveau du FOREM. D’autre part, pour éviter que des personnes ne s’engagent dans des formations qui sont censées résorber les « pénuries » dans certains secteurs, mais qu’in fine, ces personnes ne trouvent pas d’emploi, faute de débouchés, les syndicats et les employeurs devraient obligatoirement être associés à l’élaboration de cette liste. Les employeurs devraient, par ailleurs, mentionner les profils dont ils auront besoin dans les cinq ans à venir et dans quelle proportion (« autant de demandeur·ses d’emploi dans tel secteur ») afin d’avoir la vision la plus prospective possible.
Enfin, au vu de leurs connaissances des réalités régionales concernant les difficultés de recrutement, les acteurs associatifs locaux devraient pouvoir, en partenariat avec les IBEFE, agir en toute autonomie pour appliquer des méthodologies (prospection d’entreprises...) qui permettraient d’apporter d’autres réponses aux difficultés de recrutement.
Au niveau du FOREM
À l’heure actuelle, il faut savoir que le FOREM établit, sur base de la liste des métiers pour lesquels il existe une « pénurie » significative de main-d’œuvre, une liste des études de plein exercice qui y préparent en se basant sur l’offre d’enseignement de plein exercice de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La CSC wallonne revendique que les études qui préparent à un métier dit « critique » soient également prises en compte dans l’octroi des dispenses de recherche d’emploi.
Par ailleurs, les employeurs qui refusent des demandeur·ses d’emploi pour des métiers dits « critiques » ou « en pénurie » devraient obligatoirement communiquer les raisons de ce refus au FOREM. Cela permettrait d’identifier beaucoup plus finement « ce qui pose réellement problème ». À cet égard, on peut épingler un premier pas dans la bonne direction au niveau du gouvernement fédéral. Dans son deal pour l’emploi 17, ce dernier prévoit de travailler étroitement avec les commissions et sous-commissions paritaires pour identifier les métiers « en pénurie » ainsi que leurs causes et développer des recommandations pour tenter d’y remédier.
Concernant les métiers étiquetés « en pénurie » ou pour les fonctions « critiques », la CSC wallonne revendique également la mise en place par le FOREM d’une méthode d’intermédiation active entre le·la demandeur·se d’emploi et l’entreprise. Avec plus de dix ans d’expérience évaluée positivement, la région Hauts-de-France de Pôle Emploi a démontré que l’application à grande échelle d’une telle méthode était non seulement possible, mais surtout efficace.
Au niveau « politique »
La CSC wallonne souhaiterait tout d’abord rappeler l’importance de l’enseignement et, a fortiori, du Pacte d’excellence qui, espérons-le, devrait aboutir à davantage d’orientations « positives » (donc « non contraintes ») vers l’enseignement qualifiant et donc à mieux pourvoir certains des métiers en difficulté de recrutement.
Cela dit, cela ne résoudra pas tout. Étant donné que les difficultés de recrutement sont fortement générées par de nombreuses conditions posées par les employeurs, la CSC wallonne estime que les demandeur·ses d’emploi doivent avoir une liberté de choix du métier (et donc des formations) dans lequel il·elles souhaitent évoluer. Les demandeur·ses d’emploi ne peuvent être contraint·es à suivre une formation dans un secteur dit « critique » ou « en pénurie ».
Dans la lignée de ce qui précède, la CSC wallonne souhaite rappeler que la poursuite d’une formation et/ou la recherche d’emploi et/ou l’accès à l’emploi doivent s’accompagner de services collectifs qualitatifs, quantitatifs et accessibles financièrement (transports en commun, crèches, etc.) qui permettront de faire face véritablement aux difficultés de recrutement.
Fondamentalement, de nombreux leviers de résolution de la problématique des métiers en difficulté de recrutement résident dans les mains des employeurs. Il ne faut toutefois pas exclure que, moyennant une analyse objective du marché du travail et d’un déficit avéré du côté de la demande de travail, le monde politique puisse mettre en œuvre différentes actions susceptibles d’agir sur cette « demande de travail ». Selon nous, les mesures suivantes devraient être adoptées à court et moyen termes. D’abord, une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers (notamment en diminuant les couts de procédure, en simplifiant les démarches à effectuer auprès de l’administration, en réduisant le nombre de documents requis pour faire reconnaitre son diplôme, etc.) devrait être mise en place. Des projets pilotes doivent être consacrés aux métiers en « difficultés de recrutement » pour faciliter l’accès aux professions. Ensuite, les travailleur·ses sans-papiers devraient pouvoir s’inscrire aux formations du FOREM en vue de préparer une demande de permis unique ou de renforcer une demande de régularisation de séjour (9bis). Enfin, la liste des métiers « en pénurie » du permis unique 18 doit être élargie en y intégrant des métiers moyennement qualifiés et en reprenant des fonctions dites essentielles et plus féminisées. À défaut de mettre en place l’extension de cette voie légale, le risque de dumping social (des travailleur·ses sans papiers qui acceptent des conditions de travail [salaires...] indignes) va perdurer au détriment de toutes et tous.
Conclusion
À l’heure des réseaux sociaux et de la recherche du buzz à tout prix, la binarité dans le débat est devenue la norme. Tout est devenu soit « blanc », soit « noir ». L’idée, ici, est d’apporter des nuances de gris et de sortir des « il n’y a qu’à... ». Dans cette optique, il est urgent de montrer les faces (souvent) cachées de la thématique des métiers en difficulté de recrutement et de battre en brèche la rhétorique épinglant la formation des demandeur·ses d’emploi comme le seul problème et l’unique solution. À défaut d’une remise en cause de cette vision unilatérale, les effets pourraient être (potentiellement) désastreux. Jusqu’à présent, c’est en effet la politique de la carotte (incitants financiers, etc.) qui prédomine, mais jusqu’à quand ? Le bâton (fin des allocations de chômage, etc.) n’est, à en croire certaines sorties médiatiques récentes 19, plus très loin. Pour éviter d’en arriver là, des pistes de solution sont sur la table. Il revient maintenant à celles et ceux qui préfèrent la nuance et qui conspuent les (fausses) recettes simplistes de pleinement s’en saisir. #
L’ineptie de la contrainte
Ces dernières semaines, c’est un des sujets médiatiques à la mode : la « grande démission ». Le concept – « Big quit », dans son appellation originelle – est originaire des États-Unis. Des chercheur·ses en sciences humaines ont essayé de théoriser des événements nouveaux : depuis la crise du Covid-19, le pays de l’Oncle Sam connait en effet une vague sans précédent de démissions de salarié·es. Les médias de nombreux autres pays occidentaux s’interrogent donc pour savoir si cela les concerne également. Et la Belgique ne fait pas exception. Si on peut comprendre l’engouement médiatique face à ce phénomène inédit (dans son ampleur, à tout le moins), le traitement médiatique aussi partiel de la question a de quoi interpeller. Explications : suite à la crise du Covid-19 et aux confinements forcés, de nombreux·ses travailleur·ses ont remis la question du sens de leur travail à l’avant-plan. Et certain·es ont pris la décision de quitter un travail qui ne leur apportait pas (ou plus) le sens recherché (ou qui ne leur permettait pas [ou plus] de concilier vie professionnelle et vie privée, par exemple). Cette question de la recherche de sens est transversale. Elle concerne donc également les individus qui cherchent un travail, celles et ceux qu’on nomme les « demandeur·ses d’emploi ». Les concernant, cette dimension est (très souvent) évacuée du débat. Pourtant, une récente enquête du FOREM 1 démontre à nouveau que les valeurs humaines de l’entreprise jouent un rôle fondamental dans le choix opéré par les jeunes. La question du sens au travail se pose donc tant en amont qu’en aval. Dans cette perspective, les cris d’orfraie poussés par certaines personnalités politiques (de droite) visant à contraindre des demandeur·ses d’emploi à se former dans un métier en difficulté de recrutement sous peine de sanctions (fin des allocations de chômage, etc.) 2 ne sont que pur dogmatisme stérile. Qui aurait à gagner à contraindre un demandeur·se d’emploi à se former dans un métier qui ne fait pas sens pour lui·elle, hormis ces quelques personnalités politiques pour qui l’enjeu électoraliste supplante tout et permet de telles inepties ? Certainement pas les demandeur·ses d’emploi et encore moins les futurs employeurs…
1.« Les attentes des jeunes par rapport à un employeur », Le FOREM – Service Veille, analyse et prospective du marché de l’emploi (AMEF), août 2022.
2. Georges-Louis Bouchez lors d’une récente sortie dans la presse : « Exclure les chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie », Le Soir, 4 septembre 2021.
Nicolas, Vandenhemel, Conseiller au service d’études de la CSC
1. NDLR. Le terme « employeur » étant utilisé majoritairement comme personne morale dans ce texte, nous ne pratiquons pas l’écriture inclusive, au contraire de travailleur·se qui renvoie quant à lui à une personne physique.
2. Le FOREM estime qu’une fonction est « en pénurie de main-d’œuvre » lorsque le ratio entre les demandeur·ses d’emploi et les offres d’emploi est inférieur à 1,5, ce qui signifie que moins de 15 demandeur·ses d’emploi sont « disponibles » pour 10 opportunités d’emploi connues du FOREM.
3. Contre 126 métiers en 2021.
4. 3.486 stagiaires ont été contacté·es et 1.395 réponses ont été collectées.
5. Pendant la période de suivi de l’enquête, à tout le moins.
6. « Enquête sur l’insertion des stagiaires », Le FOREM – Service Veille, analyse et prospective du marché de l’emploi (AMEF), mai 2022. Notons qu’à l’heure d’écrire ces lignes, l’enquête en question n’est étrangement pas encore disponible publiquement.
7. Constats qui sont d’ailleurs confirmés par une enquête annuelle menée par la FGTB sur ce sujet. Dans la dernière version éditée en décembre 2021, des offres d’emploi concernant le métier de maçon·ne (pourtant en forte demande suite aux inondations de juillet 2021) étaient passées au crible. Verdicts de l’étude ? « 59 % des employeurs demandent de l’expérience, de 5 à 10 ans dans 18 % des cas » (page 81) et « Seulement 12 % des offres proposent un CDI » (page 83). Cf. https://fgtb-wallonne.be/wp-content/uploads/2022/07/2021-12_-_etude_clcd_-_metiers_en_penurie_ok_0.pdf
8. « Enquête sur l’insertion des stagiaires », op‧cit.
9. Dans le même ordre d’idées, la formation continue des travailleur·ses (la formation aux évolutions d’un métier et/ou d’un secteur) est aussi une des responsabilités des entreprises, ce que nombreuses d’entre elles tendent aussi rapidement et trop souvent à oublier.
10. C’est peu de dire que la thématique des métiers en « difficulté de recrutement » occupe le devant de l’actualité et des débats. La CSC wallonne ne fait pas exception dans la matière. L’auteur tient donc à remercier vivement les membres du Groupe de travail « Emploi-Formation » de la CSC wallonne qui ont participé à l’élaboration de ces pistes de réflexion.
11. Il s’agit là du nombre de demandeur·ses d’emploi inoccupé·es recensé·es en septembre 2022. Cf. https://stat.nbb.be/Index.aspx?DataSetCode=UNEMPLOY&lang=fr
12. D’autres pistes peuvent être envisagées, comme le recours au dispositif Plan Formation-Insertion (PFI) (Cf. https://www.leforem.be/entreprises/aides-financieres-plan-formation-insertion.html)
13. Comme c’est le cas, par exemple, dans la commission paritaire 330 où il est possible de suivre une formation rémunérée tout en étant déjà embauché·e chez un employeur du secteur de la santé (Cf. https://www.fe-bi.org/fr/secteurs/Fonds/33666/finss-fonds-intersectoriel-des-services-de-sante-devenir-infirmieriere-aide-soignante-choisislessoins).
14. NDLR. Comme la méthode d’intervention sur les offres et les demandes (méthode IOD), qui propose des stratégies de médiation et de soutien, orientées à la fois vers le·la demandeur·se d’emploi, mais aussi l’entreprise. Lire à ce sujet: T. Dock, « Pour un abandon du principe d’inemployabilité », Démocratie, Novembre 2020, pp. 5-9.
15. Cf. http://www.missionsregionales-emploi.be/
16. Il existe neuf IBEFE en Wallonie (Wallonie picarde, Brabant wallon, Huy-Waremme, Verviers, etc.) et un à Bruxelles. Cf. http://bassinefe.be/
17. Ce « deal pour l’emploi » a été approuvé par la Chambre des représentants le 29 septembre 2022.
18. Attention : il s’agit d’une liste différente de la liste annuelle du FOREM mentionnée en début d’article. La liste en question concerne des métiers éligibles pour la délivrance du permis unique. Constituée de 7 métiers il y a 3 ans (sic.), elle est composée, depuis peu, de 75 métiers.
19. Cf. entre autres : Georges-Louis Bouchez: « Exclure les chômeurs de longue durée qui refusent un métier en pénurie », Le Soir,
4 septembre 2021.
© Noel Coston Photography