photo interviewComment changer l’économie ? Des milliers de jeunes, d’étudiant·es, de personnes engagées et d’expert·es en ont débattu fin novembre depuis Assise et en ligne dans le monde entier. Sarah Prenger a activement participé à cette conférence sur l’Économie de François 1 qui s’est déroulée sur trois jours. Elle témoigne du processus mis en œuvre et des échanges d’idées entre jeunes pour convertir le système économique. « L’économie de demain doit prendre soin de toutes et tous, mais aussi tout autrement de la terre. Et François – le poverello d’Assise 2 – peut nous aider à trouver le chemin, pour sortir de cette situation moyenâgeuse et pour aller vers un nouveau printemps ». Retour d’expérience.

 

 

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Comment as-tu vécu la conférence sur l’Économie de François ?

C’était comme un festival. Un marathon d’échanges d’idées pendant 24 heures, avec des présentations successives d’initiatives par fuseau horaire, a rendu les échanges vraiment très intenses. Il y avait évidemment les désavantages de la communication en ligne, mais tant de jeunes, tant d’initiatives, tant d’échanges ont donné vie à cette communauté ! La conférence avait initialement été prévue en mars 2020 à Assise, avec 2.000 jeunes du monde entier. Mais en raison de la pandémie, elle a eu lieu huit mois plus tard et en ligne, ce qui a finalement permis à des milliers, voire des millions d’autres personnes de par le monde de suivre également cette rencontre. Cela a aussi donné l’occasion d’approfondir le processus d’élaboration de la conférence grâce à de nombreux webinaires et conférences préparatoires.
Ces trois jours de conférence et d’échanges internationaux n’ont pas été uniquement centrés sur le thème de l’économie. Il y avait aussi des moments dédiés à l’art, à la musique et au recueillement. Mais bien entendu, la priorité était mise sur les débats thématiques sur l’économie d’aujourd’hui et de demain. Ceux-ci étaient organisés dans des villages virtuels au sein desquels des initiatives nationales et locales étaient présentées. « Finance et humanité », « Femmes et économie » ou « Travail et soins » en sont quelques exemples. Ces thèmes mettent tous en évidence un axe spécifique de l’économie et pourtant ils sont tous liés entre eux, bien sûr. Par conséquent, il était parfois difficile de définir clairement les limites de chaque village.

Puis il y avait les conférences-débats générales avec des économistes et intellectuel·les – comme Vandana Shiva, Kate Raworth, Muhamed Yunus, Leonardo Boff, Jeffrey Sachs, Gaël Giraud et bien d’autres. Le Pape François – qui avait lancé l’idée de la conférence il y a quelque temps – a adressé un message en ligne aux participant·es présent·es en clôture de la dernière journée. Une déclaration finale de la conférence avec un engagement 3 et avec un appel a été également publiée à la suite de cet évènement. Car celui-ci n’a pas été conçu comme une fin, mais comme le point de départ d’une réflexion sur le sujet.

Qu’est-ce que la conférence a mis en mouvement ?

Elle a surtout mis en lien des jeunes ayant des origines, des expériences et des compétences différentes. Un réseau mondial est en train de se former avec l’objectif de participer à (re)construire un système économique socialement juste et en même temps écologique pour remplacer le système économique actuel. Parmi les exemples d’idées et d’initiatives lancées, on peut citer le développement d’un système de cartographie inclusif comme alternative au PIB, ou la catégorisation de tous les pays en tant que pays en développement, sur base de leurs limites écologiques et de leurs besoins sociaux, avec l’aide des concepts de la théorie du Donut de l’économiste Kate Raworth. Actuellement ce qui est clair, c’est qu’aucun pays ne peut prétendre répondre aux besoins sociaux de ses habitant·es et être écologiquement durable. Mais cela doit être leur objectif.

Sur la thématique « Travail et soins », quels ont été les points de discussion ?

Dans le village « Travail et soins 4 » auquel j’ai participé, les discussions ont notamment porté sur les politiques économiques et sociales de protection de base. Le revenu universel y a fait débat comme toujours. Nous avons principalement discuté de la nécessité d’une réduction collective du temps de travail, ce qui fait davantage consensus. Une économie qui donne sens au travail et qui ne nous rabaisse pas au rang d’outils a été le cadre global de la réflexion. Dans la perspective de plusieurs acteurs présents ces trois jours au sein de ce village, un travail de réflexion et de proposition en cours depuis quelques années a aussi été indirectement intégré dans la discussion. Il s’agit du projet de réflexion sur « l’avenir du travail après Laudato Si » auquel la JOCI 5 a activement participé. Le rapport sera bientôt publié. C’est une coopération entre des organisations d’inspiration catholique, des organisations de la société civile, des syndicats, des universités et des centres de recherche, en lien avec le Vatican et l’Organisation internationale du Travail. Il s’agit d’une initiative ouverte : d’autres représentants religieux comme le pope orthodoxe ou des chercheurs d’autres religions et d’universités du Proche-Orient par exemple y participent aussi. Ce qui réunit les acteurs du projet « l’avenir du travail après Laudato Si » , c’est le travail et le soin, mais le point de départ c’est la perspective de l’écologie intégrale de l’Encyclique. La dimension de sens, de spiritualité aussi doit être présente, non pas pour occulter, mais au contraire pour nous aider dans notre action la plus concrète possible.

Un réseau mondial est en train de se former avec l’objectif de participer à (re)construire un système économique socialement juste mais aussi écologique.

Jeunesse. Économie. François. Quels sont les liens ?

C’est une question très complexe, car il y a des réalités immenses derrière chacun de ces termes. Je ne peux donc pas donner une réponse absolue. Voici tout de même quelques liens que l’on peut relever. Les jeunes sont des acteurs et vivent dans cette économie comme tout le monde, mais ils s’en différencient aussi de trois grandes façons : les jeunes sont sous-représentés là où les décisions sont prises. Ensuite, ils·elles sont défavorisé·es dans cette économie en raison de leur jeunesse. Globalement, le taux de chômage des jeunes est plus élevé que le taux de chômage global, le pourcentage de jeunes ayant un travail précaire et informel est plus élevé que dans l’ensemble de la population. Et bien sûr, les jeunes et les enfants sont encore plus touché·es par les conséquences écologiques de cette économie et les subiront encore plus longtemps.
Pour le Pape François, l’inhumanité du système actuel est centrale. L’encyclique Laudato Si lie la crise écologique et sociale et nous invite à les comprendre comme une seule et même chose. Dans une déclaration concise, il a affirmé que « cette économie tue » (Evangeli Gaudium). Dans l’ensemble, il s’agit clairement d’une coalition de personnes pour lesquelles la dignité humaine est centrale. L’accent mis sur la « solidarité » est également lu par beaucoup comme le message principal de sa dernière encyclique Fratelli Tutti. Il y a une ouverture interreligieuse, de la coopération...

J’insiste sur le fait que l’approche n’est pas confessionnelle, il faut la voir plutôt comme la démarche de Cardijn : la question n’est pas si et combien de fois vous allez à l’église, mais comment allez-vous ? Il faudrait ajouter, connaissant les théologies et le contexte actuel, que faites-vous pour changer ? Cet appel s’adresse, dans la perspective de François, à toutes « les personnes de bonne volonté ». C’est peut-être aussi la seule chose qui puisse fonctionner, du moins parmi les jeunes en Europe qui, comme nous le savons, ne s’identifient pas nécessairement à cette Église catholique. Personnellement, même si je suis enthousiaste à 100 % par l’initiative, je ne dirais pas que je n’ai pas de points de critique. Par exemple, au démarrage du processus, les associations de jeunes catholiques (pas seulement nous, mais aussi la JECI, le MIJARC, la CIJOC, etc.) n’étaient pas impliquées en tant qu’institution. Mais ce qui compte in fine, c’est que nous sommes tou·tes invité·es et appelé·es à construire cette « maison commune » pour le bien de tou·tes. C’est une revendication folle et en même temps une raison d’espérer, surtout pour nous, les jeunes ! Égalité des droits, dignité humaine, durabilité écologique – tout cela est possible si nous travaillons tou·tes ensemble !

Quelle est la place des mouvements syndicaux dans le processus ?

L’économie ne peut être pensée sans travail, il n’est donc pas étonnant que de nombreuses discussions aient automatiquement porté sur le travail. Par exemple : travail et soins (évaluation du travail, les femmes dans l’économie), écart de rémunération entre les sexes, discriminations, réduction collective du temps de travail, etc. Davantage de liens et d’alliances au sein de la société civile, en partant des propositions du mouvement ouvrier, sont sans doute nécessaires au vu de l’importance de tels enjeux pour nos vies, même s’il existe évidemment des lieux d’échanges et d’alliances thématiques nationales, européennes ou internationales avec des syndicats et d’autres acteurs 6. Avec les organisations syndicales et ouvrières nous veillons à ce que les expériences, les besoins et les demandes des jeunes travailleur·ses sur le terrain soient aussi au cœur de ces processus.
Les possibilités de participation à la dynamique future relative à l’Économie de François sont nombreuses. Tous les échanges qui se sont déroulés au cours de ces trois jours sont accessibles en ligne, sur le site de l’évènement. Des discussions en ligne ont également été lancées par la suite. Là aussi, il y a des possibilités de participer que ce soit individuellement ou collectivement. Tout le monde parle déjà par ailleurs de l’édition de l’année prochaine. Les jeunes impliqué·es sont engagé·es dans la recherche ou comme acteur social ou économique. S’y impliquer donc, pour voir, juger, agir ! 

1. L’Économie de François fait écho à l’esprit de François d’Assise œuvrant pour une économie juste, du-rable et inclusive ne laissant personne à la traîne.
2. Le Petit pauvre d’Assise.
3. https://francescoeconomy.org/final-statement-and-common-commitment-fr/
4. Le terme anglais pour soins, care, peut avoir une signification plus large et davantage inclure des activi-tés interpersonnelles salariées comme non-salariées, comme par exemple toutes les activités liées à la petite enfance. Nous utilisons le terme soin ici comme synonyme de care.
5. http://joci.org/fr/
6. Voir: http://europeansundayalliance.eu/

Propos recueillis par Thomas MIESSEN

Encadré : "L’Économie de François"

L’Économie de François fait écho à l’esprit de François d’Assise. Fils de riches marchands de draps de cette ville du centre de l’Italie, le jeune François vit au début du XIIIe siècle pendant une période de l’histoire très tourmentée. Jeune très festif, il participe aussi à des aventures et conflits guerriers guidés par l’idéal chevaleresque de l’époque et est finalement emprisonné. Il commence à remettre en question les valeurs dominantes de son époque qui étaient aussi les siennes. Débute une vie de transformations et conversions les plus intenses : il laisse derrière lui la richesse familiale, embrasse des lépreux, vit avec les pauvres de sa région, entreprend des voyages jusqu’en Égypte pour rencontrer le sultan, en pleine période de croisades, et participe à construire des formes nouvelles de vie communautaire. Le lien avec la nature lui est central aussi. « Considérant que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore plus grande et il appelait les créatures, aussi petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur ». (…) « En lui, on voit jusqu’à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure » peut-on lire dans Laudato Si. « Si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. La pauvreté et l’austérité de saint François n’étaient pas un ascétisme purement extérieur, mais quelque chose de plus radical : un renoncement à transformer la réalité en pur objet d’usage et de domination. » et Laudato Si poursuit « Cependant, il ne suffit pas que chacun s’amende pour dénouer une situation aussi complexe que celle qu’affronte le monde actuel. Les individus isolés peuvent perdre leur capacité, ainsi que leur liberté pour surmonter la logique de la raison instrumentale, et finir par être à la merci d’un consumérisme sans éthique et sans dimension sociale ni environnementale. On répond aux problèmes sociaux par des réseaux communautaires, non par la simple somme de biens individuels : les exigences de cette œuvre seront si immenses que les possibilités de l’initiative individuelle et la coopération d’hommes formés selon les principes individualistes ne pourront y répondre. Seule une autre attitude provoquera l’union des forces et l’unité de réalisation nécessaires. (...) La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi conversion communautaire. » 1

1. https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Ecologie/Texte-integral-de-l-encyclique-Laudato-Si

 

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