DsJames boweDepuis 2016, la fédération du Brabant wallon de la CSC a introduit le tirage au sort pour renouveler une partie de ses instances. Objectif ? Redynamiser la démocratie au sein du Conseil fédéral. S'il reste des écueils, l'expérience montre quelques signes très encourageants. Un des enjeux majeurs est d'arriver à faire évoluer, sans heurts, le rôle du permanent.

La question de la démocratie est sur toutes les lèvres. Malade, dépassée... ou simplement toujours en croissance, perpétuellement à préserver et développer ? Cette question se pose à tous les étages de la société, et donc aussi dans les organisations syndicales.
Avant de nous demander comment améliorer la démocratie dans les syndicats, interrogeons-nous d'abord sur le pourquoi. Les syndicats, à l'instar des partis politiques, placent les valeurs démocratiques au centre de leurs combats et préoccupations. Pour autant, en interne, il arrive que certaines pratiques s'en détournent, impliquant parfois une dérive de type oligarchique. Roberto Michels en avait fait la démonstration il y a 100 ans 1 et l'a formalisée dans sa « loi d'airain » qui avance que partis politiques et syndicats ont une tendance « naturelle » à la concentration du pouvoir aux mains de quelques-uns.
Or, permettre au plus grand nombre d'acteurs au sein du monde syndical de participer à la prise de décision est, nous semble-t-il, un enjeu majeur. Pourquoi dès lors ne pas tenter de redynamiser le fonctionnement de certaines de nos instances ? Cette approche pourrait lui apporter un regain de vigueur et de légitimité.



La démocratie interne à la CSC BW


Jusqu'en 2016, la CSC du Brabant wallon ne se distingue pas des autres fédérations de la CSC. Son Conseil fédéral – grosso modo son parlement – se compose de 70 membres, issus pour moitié du pilier interprofessionnel, et pour l'autre moitié du pilier professionnel : les centrales. Ces deux groupes de 35 se subdivisent encore, du côté inter en plusieurs secteurs géographiques et groupes spécifiques ; du côté professionnel, en 7 centrales. Chacun de cette quinzaine de sous-groupes dispose d'un nombre de mandats proportionnel à son importance : le nombre d'affiliés pour les centrales, le nombre d'habitants de la région pour les secteurs géographiques et une répartition d'ordre plus subjective pour les groupes spécifiques. Cela va de deux mandataires pour le plus petit secteur à quinze pour la plus grosse centrale.
Chaque sous-groupe détermine librement sa manière d'attribuer les mandats, de consulter sa « base », de délibérer et de mandater ceux et celles qui iront porter leur voix au niveau immédiatement « supérieur » : le Conseil fédéral.
Quand ce dernier doit prendre position sur, par exemple, l'accord interprofessionnel (AIP), il réunit les 70 mandataires, qui sont tous censés porter un mandat qui leur a été confié par leurs mandants respectifs après une consultation que les « sous-groupes » ont organisée à leur guise. Le Conseil fédéral organise alors un débat entre ces mandataires, débat au cours duquel ceux-ci répètent la position qu'on leur a demandé de défendre ; enfin il procède à un vote pour déterminer sa propre position. Que le vote ait lieu en début ou en fin de réunion, le résultat est le même car, dans la grande majorité des cas, le mandat donné2. J. Godbout, La participation contre la démocratie, Les Éditions Albert Saint-Martin, Montréal, 1993. est un mandat fermé.



Une réforme des statuts en 2017

 

Si l'aspect le plus touchy du changement de statuts est l'introduction du tirage au sort d'une partie des membres du Conseil fédéral, celui-ci ne constitue qu'un élément d'un dispositif beaucoup plus large de développement de la démocratie interne. Celui-ci se compose de trois volets complémentaires qui visent, respectivement, une meilleure représentation, une meilleure participation et une meilleure délibération.
Pour améliorer la représentation au Conseil, une partie des représentants de l'inter – 15 sur les 35 – est désormais tirée au sort parmi tous les affiliés qui se sont déclarés candidats. D'autre part, les 35 inter ne forment plus qu'un seul groupe dont la représentativité est encore renforcée en appliquant des quotas en fonction du genre, de l'âge et de la région d'origine.
Pour renforcer la participation, un effort particulier de formation des membres préalablement à chaque débat a aussi été formalisé dans les statuts pour amener tous les membres du Conseil fédéral à un niveau de maîtrise des sujets abordés suffisant pour intervenir en connaissance de cause dans le débat. De plus, pour que chacun se sente à l'aise d'intervenir dans le débat, les techniques propres à l'intelligence collective sont désormais régulièrement utilisées pour animer les réunions du Conseil. Ces mêmes techniques stimulent également la délibération au sein du Conseil, laquelle a été aussi libérée par le « décloisonnement » du groupe inter.
Mais reprenons dans l'ordre les trois ingrédients de la démocratie : représentation, participation, délibération.
Un Conseil fédéral plus représentatif
L'innovation introduite ne concerne certes que 15 des 70 mandats. Les 35 mandats des centrales n'ont pas changé de mode d'attribution et les 20 mandats inter « non tirés au sort » sont attribués, d'une part, comme auparavant, aux 5 permanents interprofessionnels ; d'autre part, à 15 « anciens » du Conseil fédéral, choisis par les permanents inter pour leur... représentativité. En outre, le tirage au sort n'est effectué que parmi les membres qui se sont portés candidats. Impossible en effet d'obliger un affilié tiré au sort à siéger au Conseil fédéral, ni même souvent de lui en fournir juste les facilités ! Un large appel à volontaires, via les adresses mail et la presse syndicale a cependant permis d'atteindre un très large éventail d'affiliés et les séances d'information organisées par la suite ont vu la participation d'une centaine de personnes, dont finalement 70 se sont déclarées intéressées.
En veillant au respect des quotas de genre, d'âge et de domicile, le tirage au sort a élu 15 membres effectifs. Surprise de la modification des statuts : une amélioration apparemment mineure – la possibilité de désigner un suppléant pour chaque effectif (au lieu d'un par sous-groupe auparavant) – a débouché sur le tirage au sort de 35 volontaires supplémentaires comme suppléants des effectifs du groupe inter. Comme les nouveaux statuts accordent aussi le droit aux suppléants de participer au Conseil fédéral mais sans droit de vote (autre innovation), ce sont donc 50 tirés au sort qui ont fait leur entrée au Conseil ! Sur un maximum de 140 (effectifs et suppléants), cela fait un paquet de nouveaux visages.



Un Conseil fédéral plus participatif


Pour impliquer plus intensément les participants d'une assemblée dans le fonctionnement de celle-ci, il est important qu'ils sachent ce qu'on y fait et comment on le fait. Il est aussi important qu'ils comprennent de quoi on parle. Par le passé, nous n'étions pas insensibles à ce postulat mais nous n'accordions pas suffisamment d'attention à sa réalisation pratique. Quand un sujet était mis à l'ordre du jour, au cours de la même réunion, on diffusait l'information, souvent de manière ex cathedra ; on organisait le débat, hélas limité aux interventions « juxtaposées » de ceux qui connaissaient ou pensaient connaître le sujet... et qui se sentaient suffisamment à l'aise pour intervenir devant un groupe large sur un thème qu'ils découvraient. Restait ensuite à l'« animateur principal » (souvent le secrétaire fédéral voire le président) à résumer et conclure, la plupart du temps sans contradiction.

Ce sont 50 tirés au sort qui ont fait leur entrée au Conseil. Sur un maximum de 140, cela fait un paquet de nouveaux visages.

Dans sa nouvelle « formule », le Conseil fédéral distingue clairement les phases de formation et les phases de délibération, de préférence en laissant un délai de maturation entre les deux (un mois, par exemple) tout en encourageant les membres à se documenter par eux-mêmes dans l'intervalle. Un groupe ad hoc, composé de volontaires (majoritairement issus des tirés au sort) a aussi été mis sur pied pour « prémâcher le travail » et faciliter l'assimilation des enjeux des débats par l'entièreté des membres.


Un Conseil fédéral plus délibératif


Enfin, une attention particulière est apportée à la qualité de la délibération. Délibérer ne signifie pas seulement avoir le droit de donner son avis mais aussi celui de contester l'avis d'un autre ; de convaincre et de se laisser convaincre pour parvenir au final à l'opinion la mieux partagée entre les membres de l'assemblée. Il ne s'agit donc pas d'un simple décompte mathématique des pour et des contre. Pour ce faire, l'ensemble du Conseil fédéral a reçu une initiation aux méthodes d'intelligence collective. De plus, les « facilitateurs » du Conseil – désormais toute l'équipe inter ainsi que les président et vice-président – s'y sont formés de façon plus approfondie et veillent à y avoir recours le plus souvent possible dans l'animation des réunions.


Premières impressions


Après un an et demi de fonctionnement dans ce nouveau modèle, quels sont les premiers enseignements ?

La démocratie, une démarche énergivore et chronophage
Avant de se lancer dans une telle démarche, il est important d'être conscient que ce nouveau paradigme de fonctionnement requiert beaucoup plus de préparation, d'animation et de suivi.
Comme pour toute formation qui se veut un tant soit peu participative, il faut consacrer au moins le triple du temps de formation à sa préparation. Il s'agit en effet de maîtriser les contenus mais, encore plus, de soigner les méthodes d'animation. Celle-ci requiert plus de forces vives que précédemment. Comme le travail en groupes plus petits est privilégié pour permettre à tous d'intervenir, le nombre de « facilitateurs » nécessaires augmente aussi.

Un autre type de représentation
Par ailleurs, il est clair que le tirage au sort a drainé un public nouveau vers le Conseil fédéral : souvent des personnes déjà impliquées syndicalement mais pas « suffisamment » pour que leur centrale pense à eux pour faire partie des instances, mais aussi des affiliés lambda, simples adhérents désireux de faire entendre leur voix, les uns et les autres attirés par la démarche d'ouverture proposée.
Cependant, la coexistence de deux manières de fonctionner ne va pas sans heurts. Les centrales, restées dans l'ancien schéma (aucun changement dans les statuts pour ce qui les concerne), sont attachées au modèle de l'élection et du mandat. Les délégués des centrales ont parfois du mal à concevoir que les 35 membres du groupe inter n'ont pas à rendre compte d'un éventuel mandat à qui que ce soit « en amont ». Le fait qu'à 35, grâce au tirage au sort et au respect de quelques pondérations, qu'ils puissent constituer une « extraction représentative » de l'ensemble des 35.000 affiliés passe difficilement.

Le rôle du permanent
Le chamboulement des habitudes de délibération syndicales constitue aussi un frein au passage au nouveau paradigme de fonctionnement. Certains regrettent l'ancien modèle. Parmi eux, notamment des permanents qui peuvent parfois se sentir dépossédés d'un certain pouvoir. L'une des explications à cela est à trouver dans la position particulière que ces derniers occupent au sein de l'organisation syndicale. En effet, comme Jacques Godbout le met en lumière dans une étude réalisée dans un syndicat canadien 2, les permanents concentrent entre leurs mains une très grande expertise des dossiers et des procédures. Ils se trouvent aussi aux carrefours qui ouvrent la voie des instances aux militants. De ce fait, ils en sont venus à disposer d'un pouvoir informel très large et dont ils peuvent user pour stimuler ou au contraire freiner les processus démocratiques en interne.

De leader à facilitateur
L'enjeu est donc qu'ils puissent mettre leur expertise au service de la nouvelle organisation via un rôle d'animateur et de facilitateur à la prise de décision, sans intervention sur le fond des dossiers.
Il est dès lors logique qu'il leur soit difficile d'accepter de ne pas avoir une voix délibérative dans une instance où se débattent des questions qu'ils maîtrisent sur le bout des doigts et sur lesquelles ils ont souvent un avis tranché et bien argumenté. Cette mutation, qui ne va pas de soi, nous semble toutefois fondamentale pour réussir la transition démocratique telle que nous l'envisageons.
Dans une première version des nouveaux statuts, il était proposé que les 5 permanents inter, qui faisaient alors partie de plein droit des 35 représentants inter de l'ancienne mouture, abandonnent leur voix délibérative au profit de 5 affiliés lambda. Cette proposition fut rejetée par les permanents inter. Pour les raisons développées ci-dessus, ils ne pouvaient imaginer abandonner le pouvoir formel dont ils disposaient au risque de voir aussi leur pouvoir informel leur échapper ensuite.
De notre point de vue, cette opposition de principe n'est pourtant pas infranchissable car la méfiance initiale, au fil des réunions organisées selon les nouveaux principes, s'est lentement mais sûrement muée en enthousiasme pour le nouveau modèle qui apporte aux permanents une satisfaction professionnelle bien plus grande que le pouvoir informel qu'en contrepartie ils doivent abandonner.
Le principal enseignement à ce stade se situe donc là : pour qu'une démocratie plus participative en interne se développe, il faut que, petit à petit, les permanents de la CSC du Brabant wallon changent de rôle. De leaders d'opinion, ils doivent devenir générateurs de consensus, facilitateurs de l'émergence de l'opinion la plus consensuelle parmi les militants. Un sacré pari et un fameux défi ! #


 

1. R. MICHELS, Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Flammarion, Paris, 1914.

2. J. Godbout, La participation contre la démocratie, Les Éditions Albert Saint-Martin, Montréal, 1993.

Jean-Marc SENGIER : Secrétaire fédéral CSC Brabant wallon

 

© James Bowe

 

 

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