SantPhoto1  Direct ReliefÀ l’initiative d’une de ses circonscriptions locales, la Fédération Saint-Michel des Mutualités chrétiennes a organisé, dans le courant de l’année 2017-2018, quatre soirées de réflexion sur l’organisation des soins de première ligne en Région bruxelloise. Les participants, membres de la mutualité, ont pu débattre avec des représentants des secteurs concernés, ainsi qu’avec l’Observatoire bruxellois de la santé. Cet article résume les principales conclusions de ces rencontres. Sur certains points, il les met en regard du « plan santé bruxellois » en voie de finalisation au gouvernement de la Commission communautaire commune (Cocom).

 

On appelle communément « soins de première ligne » les services auxquels les patients s’adressent directement pour un premier traitement de leur problème, soit en leur donnant les soins primaires dont ils ont besoin, soit en les renvoyant à des services spécialisés « de deuxième ligne ». Un premier thème abordé lors des soirées de réflexion concernait la médecine générale. On parle beaucoup d’échelonnement des soins, basé sur la figure du médecin généraliste (« huisarts »). Cette notion, apparemment bien adaptée au tissu social flamand, composé en grande partie de gros villages et de communes moyennes, convient-elle aussi aux grandes villes comme Bruxelles (ou, par ailleurs, aux zones rurales peu peuplées) ? Les familles bruxelloises recourent moins au « dossier médical global », dispositif de base de cet échelonnement. Elles recourent par contre davantage aux services d’urgence des hôpitaux, ou directement à des spécialistes. Plusieurs quartiers de Bruxelles sont quasi dépourvus de médecins généralistes 1. Lorsqu’elle est exercée en solitaire, et dans un contexte de ville, la pratique de médecin généraliste a beaucoup de contraintes, notamment en termes d’horaires. Elle peut être frustrante, car beaucoup de problèmes médicaux ne sont que la somatisation de problèmes sociaux, ou comportent une dimension psychiatrique face à laquelle un médecin généraliste est vite désarmé. Les initiatives de pratique de groupe peuvent être une réponse, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’une offre en dehors des soins médicaux au sens strict : par exemple des soins infirmiers ou paramédicaux, une aide sociale et juridique, un soutien psychologique, etc. Ces initiatives existent, mais restent géographiquement inégalement réparties. Le croissant nord-ouest, en particulier, semble manquer de locaux adaptés à une pratique médicale... et abordables financièrement. Cela devrait être intégré dans la définition des contrats de quartier. L’accessibilité financière peut être un autre aspect. Tous les publics ne se retrouvent pas dans la pratique bourgeoise de la médecine, où on paie la consultation de sa poche avant d’en être remboursé. En fait, les intervenants aux soirées ont défendu l’idée que la médecine générale devrait être gratuite pour le patient. Les maisons médicales au forfait peuvent être une réponse à ce problème. Mais l’appellation « maison médicale » n’est pas protégée, et peut être utilisée par des initiatives qui relèvent d’un simple partage de locaux, ou de la notion de polyclinique. Plus troublant, la pratique du forfait ne garantit pas une pratique médicale répondant aux besoins que l’on cherche à rencontrer. La réglementation fédérale 2 n’impose guère d’obligations aux praticiens qui recourent à cette formule. Or, la pratique du forfait contient son propre effet pervers : la tentation de réserver sa patientèle à des « bons risques », voire de limiter ses prestations au strict minimum. Les « maisons médicales » dignes de ce nom sont nées d’initiatives marquées par une éthique forte, une volonté de proposer une pratique médicale adaptée aux besoins des milieux populaires. Mais la formule est de plus en plus pratiquée par des initiatives qui n’ont nullement cette éthique. Il conviendrait que l’Inami ou, à défaut, les autorités régionales 3, interviennent à ce niveau.

La première ligne spécialisée

Une deuxième soirée a été consacrée à des soins spécialisés – au sens où ils concernent un besoin spécifique et éventuellement une spécialité médicale – mais qui restent « de première ligne », car on doit pouvoir y accéder facilement, sans nécessairement y être renvoyés par un médecin ou une structure de soins généralistes. Il s’agit principalement des plannings familiaux, des consultations de nourrissons de l’ONE et des formules de soins psychiatriques hors hôpital. S’agissant des consultations ONE, la mutualité Saint-Michel a récemment repris le réseau bruxellois antérieurement géré par Vie féminine. Les débats ont essentiellement tourné autour du rôle des bénévoles dans ces consultations... et de la nécessité de rajeunir leur cadre. Les plannings familiaux sont spécialisés dans tout ce qui touche à la famille et à la sexualité, y compris le suivi de grossesse, la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, mais aussi les difficultés et les violences conjugales, etc. Nos interlocuteurs ont plaidé pour la poursuite de l’approche francophone (à Bruxelles, celle de la Cocof) qui propose un accès décentralisé et intégré aux services concernés. Pour l’IVG, par exemple, sauf contre-indication médicale supposant une prise en charge par un hôpital ou une structure spécialisée, l’acte technique est proposé dans le même cadre que l’accompagnement psychosocial prévu par la loi. S’agissant de la psychiatrie, le secteur est très éclaté, et plusieurs questions le traversent. Quelle est l’articulation entre les soins ambulatoires et l’hôpital ? Faut-il regrouper des initiatives de soins psychiatriques dans des centres de santé pluridisciplinaires ou faut-il laisser à chaque initiative son projet thérapeutique et son environnement propre ? Dans cette dernière hypothèse, comment faire se rencontrer l’offre et les besoins, notamment dans les situations d’urgence ?

Les intervenants aux soirées ont défendu l’idée que la médecine générale devrait être gratuite pour le patient.

Ni les soirées ni le « plan santé » prévu par la Cocom n’ont de réponses définitives à ces questions. On se limitera à dire, tout d’abord, que l’offre actuelle est insuffisante eu égard aux besoins. Depuis la VIe réforme de l’État, la Région bruxelloise a reçu des compétences nouvelles. Le « plan santé » affiche l’ambition de les utiliser pour améliorer les choses. Dossier à suivre !

Les soins et services à domicile

Un troisième chapitre concerne les soins à domicile, alternative au placement en maison de repos. Il s’agit entre autres des soins infirmiers à domicile, qui restent une rubrique de l’assurance maladie fédérale. La Région bruxelloise se caractérise par une moindre utilisation de ce dispositif, sans qu’on sache exactement à quoi ce phénomène est dû. S’agit-il du fait que la population bruxelloise est en moyenne plus jeune ? De ce que, démentant l’intuition qu’on peut avoir d’un tissu social urbain, les soins par les proches sont plus développés à Bruxelles que dans les autres régions ? Que les hôpitaux bruxellois accueillent des besoins pris en charge ailleurs par d’autres structures ?

Le « plan santé » bruxellois identifie une « ligne 0,5 » qui vise notamment à accorder les tout premiers soins et à orienter les gens.

Il y a aussi les services d’aides familiales qui, outre l’aide-ménagère, offrent certaines prestations habituellement rangées dans les « soins aux personnes ». On aurait pu parler des titres-services, qui répondent en partie aux mêmes besoins, et sont d’ailleurs très soutenus par les subventions publiques... La coordination des différents services dont peut avoir besoin une personne est un travail titanesque, qui dépasse généralement les capacités d’une personne dépendante et de sa famille. Des services existent, mais le moins que l’on puisse dire est qu’ils doivent être développés. Ici aussi, le « plan santé bruxellois » devrait mieux identifier les besoins des Bruxellois, pour répondre à des évolutions à d’autres niveaux de pouvoir. Par exemple, le gouvernement fédéral a limité la durée d’hospitalisation liée à un accouchement. Mais cette politique n’a pas supprimé les besoins de suivi médical de la mère et de l’enfant, naguère presté en hôpital ! Intuitivement, on a l’impression que la Région bruxelloise est en retard pour offrir des alternatives à l’hôpital. À tout le moins, les Bruxellois ont besoin que des gens bien au fait du tissu social puissent leur indiquer à quelle porte frapper pour tel besoin.

Une ligne de soins 0,5

Ce dernier besoin ne concerne d’ailleurs pas seulement les soins à domicile. La structure des soins n’est pas aisée à schématiser en Belgique, et à Bruxelles encore moins qu’ailleurs. La partie de la politique de la santé qui est communautarisée peut relever, à Bruxelles, de cinq institutions différentes : la Communauté française ou flamande proprement dites (par exemple l’ONE et Kind en Gezin), la Commission communautaire commune (par exemple la grande majorité des maisons de repos et du secteur de la rééducation fonctionnelle), la Commission communautaire française (par exemple les plannings familiaux, certaines maisons médicales) ou la Commission communautaire flamande. Sans oublier l’État fédéral, lui-même éclaté entre l’assurance maladie et le ministère de la Santé publique, ni le rôle important des CPAS. Le « plan santé » bruxellois identifie, à côté de la « première ligne », une « ligne 0,5 », qui vise à accorder les tout premiers soins, à orienter les gens sans l’offre de soins, et le cas échéant à les mettre en ordre administrativement pour bénéficier de l’assurance maladie. Il y a assurément un rôle pour les mutualités dans une telle offre. Encore faut-il qu’elles se profilent pour assumer ce rôle, qui dépasse largement ce que l’on peut attendre d’un simple organisme assureur. #

PAUL PALSTERMAN : Secrétaire régional bruxellois de la CSC et membre du Conseil d’administration de la Mutualité Saint-Michel


 

 

1. Voir Cartographie de la médecine générale à Bruxelles, Observatoire bruxellois de la santé, 2018.
2. Voir principalement l’article 52 des lois coordonnées du 14 juillet 1994 (loi sur l’assurance maladie).
3. La Cocof subventionne les maisons médicales pour l’offre de certains services complémentaires et, dans ce cadre, impose certaines exigences (voir décret du 5 mars 2009). Mais seule une minorité de maisons médicales sont agréées par la Cocof, tout en bénéficiant des forfaits de l’Inami.

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