Photo Allocation familialesEn vigueur au plus tard en 2020, la communautarisation des allocations familiales complexifiera forcément le système. Quatre régimes différents devraient donc cohabiter dans notre pays. Si la Flandre a pris une longueur d'avance dans le timing, Bruxelles et la Wallonie planchent activement sur le nouveau modèle à mettre en place. Non sans difficulté. Quel montant ? Celui-ci doit-il être indifférencié ? Faut-il privilégier certaines familles ? Jusqu'à quel âge en bénéficier ? Autant de questions délicates dans un cadre budgétaire étriqué. Autant de débats qui interrogent l'essence même de nos politiques familiales. Explications.


Les allocations familiales ont donc été communautarisées. Les Communautés sont théoriquement compétentes depuis juillet 2014. Elles sont financièrement responsables depuis le 1er janvier 2015. Mais l'administration fédérale reste en charge jusqu'à ce que les Communautés décident de reprendre effectivement la gestion, ce qu'elles sont censées faire pour le 1er janvier 2020 au plus tard. Les Communautés ont convenu entre elles que la reprise se ferait de concert. La Communauté flamande a manifesté son intention d'avancer l'opération au 1er janvier 2019, sans l'avoir notifié officiellement. Tant que le transfert n'est pas effectif, la législation des allocations familiales est gelée, sauf modifications acceptées par toutes les entités. On en est là pour l'instant.

Une « communautarisation »

Rappelons d'abord que la « communautarisation » des allocations familiales se fera sur une base un peu inhabituelle, qui ressemble plutôt à une régionalisation à quatre. Des trois Communautés, seule finalement la Communauté germanophone exercera normalement sa compétence. De son côté, la Communauté française a délégué sa compétence à la Région wallonne. C'est dans la logique de la vision francophone des matières « personnalisables ». C'est dans la logique aussi de la 6e réforme de l'État, car les Communautés française et flamande sont amputées de leurs compétences à Bruxelles au profit de la Commission communautaire commune de la Région de Bruxelles-Capitale (Cocom).

La Communauté flamande a publié en juin 2016 une « note de concept » qui expose, dans les grandes lignes, la structure administrative et financière de son futur régime, ainsi que les réformes des allocations proprement dites, qui s'appliqueront aux enfants nés à partir du 1er janvier 2019. Dans la ligne de cette note, un décret voté en juillet 2016 fait de « Kind en Gezin » (l'équivalent de l'ONE 1) le « régisseur » des allocations familiales. Le paiement proprement dit doit incomber à un organisme public à créer et à des caisses privées. Cette structure correspond à ce qui semble être devenu l'idéologie politique dominante en Flandre, qui est d'essence jacobine. Fini donc la cogestion avec les partenaires sociaux, ceux-ci étant réduits à un rôle purement consultatif.

De son côté, la Région wallonne a voté, en décembre 2015, un décret portant création d'une Agence wallonne pour la santé, la protection sociale, le handicap et la famille, qui sera connue sous le nom de « AVIQ » (Agence pour une vie de qualité). Outre les allocations familiales, cet organisme s'occupera des matières de santé et de personnes handicapées. Il intégrera notamment les matières de l'intégration sociale et de l'hébergement des personnes handicapées, dont s'occupait l'Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées (AWIPH), laquelle formera d'ailleurs la base du nouvel organisme.

La Communauté germanophone poursuit quant à elle son bonhomme de chemin. Vu le nombre limité d'enfants concernés, les allocations seront payées par l'administration. Il n'y a pas formellement de cogestion par les interlocuteurs sociaux, mais les pratiques de concertation mises en place semblent satisfaire les acteurs locaux.

Et Bruxelles ? Dans le courant du mois de novembre 2016, un avant-projet d'ordonnance a été présenté aux interlocuteurs sociaux, portant création d'un organisme appelé « Iriscare ». Comme son pendant wallon, cet organisme devrait posséder à la fois une branche « allocations familiales » et une branche « santé ». On attend avec impatience le vote et la promulgation de cette ordonnance... Lorsque cela sera fait, Bruxelles pourra s'enorgueillir d'avoir le mieux respecté les traditions belges de concertation sociale : les organes de gestion d'Iriscare sont, dans l'esprit sinon dans les détails, le reflet des structures de l'ONAFTS 2 et de l'INAMI 3. Mais il faudra ensuite, en moins de deux ans, créer pratiquement de toutes pièces un organisme en état de marche ! Un fameux défi !

Un financement sans logique

La base du financement du système est une dotation fédérale, fixée à partir des dépenses actuelles du régime, et indexée en fonction de l'évolution du PIB et en fonction du nombre d'enfants jusqu'à 18 ans. C'est également le nombre d'enfants jusqu'à 18 ans qui détermine la répartition de cette dotation entre les entités fédérées. La dotation reçue par chaque entité ne correspondra donc pas nécessairement au coût réel des allocations selon le système actuel, et encore moins, bien entendu, selon le système que chaque entité voudra mettre en place.

La dotation tient compte de tous les enfants domiciliés dans l'entité, même s'ils n'ouvrent pas un droit à des allocations familiales. Ce critère avantage considérablement la Communauté germanophone, qui comporte une proportion appréciable d'enfants de travailleurs frontaliers, recevant leurs allocations familiales d'Allemagne ou du Luxembourg. La Communauté germanophone a ainsi pu annoncer des améliorations substantielles sans devoir diminuer aucun avantage existant. Bruxelles devrait également tirer profit de ce critère, en raison de la présence de travailleurs bénéficiant d'un statut d'extraterritorialité (diplomates, fonctionnaires internationaux...). Mais l'ampleur de cet avantage reste inconnue. Nul ne semble avoir une idée très claire des possibilités de refuser les allocations belges à des personnes qui résident en Belgique sans y payer leurs impôts ou des cotisations ; nul ne semble savoir dans quelle mesure un droit belge pourrait être ouvert par une autre personne (par exemple son conjoint) que le travailleur bénéficiant de l'extraterritorialité.

Si les enfants de plus de 18 ans entrent dans la base de calcul de la dotation globale, ils n'interviennent pas dans son indexation future ni dans sa répartition. Ce critère, actuellement, favorise Bruxelles dont les enfants, en moyenne, étudient moins longtemps. Ce qui ne veut évidemment pas dire que cette « infrascolarisation » soit en soi une bonne chose !



Bruxelles et la Wallonie seront rapidement amenés à envisager des priorités budgétaires.



Enfin, le système ne tient pas compte des suppléments d'allocations familiales, accordés en fonction du handicap de l'enfant, du nombre d'enfants dans la famille, et, surtout, de la situation sociale du ménage où vit l'enfant. En ce qui concerne le handicap de l'enfant, il y aurait une sous-représentation de Bruxelles par rapport à la Flandre et à la Wallonie, qui ne s'explique manifestement pas par une heureuse donnée de santé publique, mais par un moindre appel aux droits existants. Cette sous-utilisation s'explique probablement par le fait que pour bénéficier de ces suppléments, il y a de gros dossiers à rassembler, ce qui n'est pas à la portée de familles peu lettrées, surtout dans un contexte de grande ville où les relais sociaux susceptibles de les aider dans leurs démarches sont inexistants ou débordés. Pour ce qui concerne les deux autres critères, ils défavorisent clairement la Wallonie et Bruxelles.

La Wallonie est dès à présent en déficit par rapport à sa dotation normale. Il en va de même pour Bruxelles, sinon quant aux dépenses pour prestations, en tout cas si on considère l'ensemble des dépenses, y compris d'administration. L'équilibre financier de ces deux entités est provisoirement assuré par un mécanisme de transition qui fonctionnera jusqu'en 2025 pour ensuite s'éteindre progressivement jusqu'en 2034. La Wallonie est donc rapidement amenée à envisager des priorités budgétaires. On dira qu'elle a au moins la liberté théorique d'arbitrer les dépenses pour allocations familiales avec d'autres dépenses régionales. À terme, Bruxelles sera confrontée aux mêmes types de difficultés. Dans son cas s'ajoute le fait que les masses financières gérées par la Cocom se limitent aux allocations familiales et à certains secteurs de la santé, et se prêtent donc difficilement à des arbitrages. Par ailleurs, la capacité de la Cocom à prélever des impôts ou des cotisations est encore controversée.

Le financement de la protection sociale en Wallonie et à Bruxelles sera donc bien un enjeu majeur des années qui viennent !

Page blanche ou continuité ?

Pour ce qui est des allocations, la question tourne finalement autour du bilan que l'on veut faire du système actuel. Au cours des dernières décennies, le système des allocations familiales a peu fait parler de lui, et un silence est difficile à interpréter. On peut dire que le système rencontrait une certaine satisfaction de la part de ses usagers. Ce qui suscite d'ailleurs la question de savoir pourquoi il fallait le communautariser. Disons ici que la réponse à cette question ne doit pas être cherchée dans les milieux que fréquente l'auteur de cet article. Mais il est vrai aussi que le secteur des allocations familiales a servi de variable d'ajustement pour l'équilibre financier de la sécurité sociale ; on était content d'avoir un secteur dont les dépenses augmentent moins vite que le PIB, pour pourvoir à celles qui croissent beaucoup plus vite (celles du chômage entre 1975 et 1985, des soins de santé depuis au moins les années 1990 et des indemnités de maladie depuis 2004). Sans nier l'importance de ce dernier facteur, on ose tout de même risquer l'hypothèse qu'il n'a pas été jusqu'à étouffer complètement les revendications des familles. On dira donc que les deux explications sont complémentaires plutôt que contradictoires.



Il faut partir du système tel qu'il existe, et voir en quoi il peut être amélioré au profit des familles.



À partir de là, il est légitime de défendre l'idée – qui est la position prise par le MOC dans les débats – que la communautarisation n'est pas une raison, ni même une occasion, de partir d'une page blanche, en faisant mine d'ignorer l'histoire du régime. Il faut au contraire partir du système tel qu'il existe, et voir en quoi il peut être amélioré au profit des familles, en fonction des évolutions sociétales.

Un régime universel

Une évolution qui était en l'air depuis plusieurs années, était de rendre l'allocation familiale indépendante de l'attributaire, c'est-à-dire du parent (le plus souvent le père) dont le statut social ouvre le droit. En même temps que la communautarisation, on a fait disparaître le dernier facteur de différenciation existant sur cette base en alignant l'allocation du premier enfant des travailleurs indépendants sur celle des autres régimes. Techniquement, l'attributaire détermine également l'octroi de certains suppléments sociaux (aux invalides, aux chômeurs de longue durée, aux bénéficiaires du RIS, etc.), mais on peut se passer de cette technique en considérant soit l'allocataire (la personne qui touche effectivement les allocations familiales, généralement la mère) soit globalement le ménage où se trouve l'enfant.

À partir du moment où le système est financé par une dotation déterminée par le domicile de l'enfant, il est logique de considérer que le domicile de l'enfant détermine également la région compétente, et que l'attributaire ne joue plus aucun rôle dans l'application des réglementations régionales. Cette évolution permet une simplification considérable de l'administration du système. Selon la réglementation actuelle, les allocations sont payées par une caisse choisie par l'employeur, ou déterminée en fonction du statut social de l'attributaire, et qui peut donc changer en cas de changement d'emploi ou de statut social. Dans un contexte de précarité de l'emploi, cela peut entraîner des ruptures dans le paiement de l'allocation. Pour éviter ce risque, on a mis en place dans les années 1990 un système complexe d'avances et de récupérations entre caisses. Si on raisonne sans devoir se préoccuper d'un attributaire, on peut introduire le principe que l'organisme de paiement est choisi par l'allocataire, ce qui rend toutes ces complications sans objet.

Ceci dit, on ne pourra pas se passer complètement de la notion d'attributaire, qui reste le facteur qui détermine internationalement la compétence du système belge. Cela aura de l'importance pour les enfants élevés à l'étranger, et aussi, comme on l'a déjà souligné, pour les enfants résidant en Belgique à charge de parents relevant d'un système de sécurité sociale étranger ou bénéficiant d'un statut d'extraterritorialité. Par ailleurs, la scission du système entraîne son propre lot de complications, notamment en cas de transfert du domicile de l'enfant d'une région à l'autre. On doit d'ailleurs espérer que les différences entre systèmes restent aussi limitées que possible, pour pouvoir se limiter au principe que l'enfant bénéficie des allocations de la région où il se trouve ; s'il devait se créer de profondes différences entre régions, émergera sans doute la revendication de systèmes compliqués d' « exportation » d'allocations d'une région à l'autre.

Un montant indifférencié ?

Une autre évolution en l'air depuis plusieurs années était de supprimer la différenciation de l'allocation selon le « rang » de l'enfant, on veut dire son rang de primogéniture. Techniquement, cette notion de rang pose beaucoup de difficultés dans les familles recomposées. Faut-il aller plus loin, et supprimer toute différenciation selon le nombre d'enfants dans le ménage ?

Telle n'est en tout cas pas la position du MOC. Il est vrai que plus personne n'invoque les raisons natalistes, ou la cohérence avec des préceptes religieux, qui semblent être à l'origine historique d'avantages sociaux aux familles nombreuses. Mais le système ne va pas jusqu'à fournir aux familles nombreuses un vrai bénéfice économique. Malgré ces suppléments, l'allocation familiale reste inférieure au coût d'éducation d'un enfant, et ne couvre pas le manque à gagner qui peut résulter des sacrifices de carrière que s'imposeraient les parents. Supprimer complètement ces suppléments poserait des problèmes sociaux graves dans les familles nombreuses à revenus modestes.

D'une façon générale, les débats menés au cours des derniers mois ont fortement calmé les ardeurs de ceux, inspirés ou non par les divagations sur « l'allocation universelle », qui voulaient simplifier radicalement le système.

Non, un enfant n'est pas l'autre. Il est légitime et nécessaire de tenir compte de différences objectives dans le coût d'éducation d'un enfant, en fonction en tout cas de son âge et de son état de santé. Il est légitime et nécessaire de tenir compte du ménage dans lequel il vit. Si les revenus de ce ménage sont constitués d'allocations sociales ou de revenus d'un montant analogue, ou si un seul parent doit subvenir seul aux besoins du ménage, il est justifié de majorer les allocations familiales, d'autant qu'eu égard au montant ou à la nature de leurs revenus, les parents concernés ne bénéficient pas de réductions fiscales pour enfants à charge.

Si on accepte l'hypothèse de la continuité, les débats peuvent être regroupés en trois chapitres.

Jusqu'à quel âge ?

Jusqu'à quel âge les allocations familiales doivent-elles être payées ? La réponse actuelle est « jusqu'à 18 ans, à moins que l'enfant suive une formation » ; le régime assure par ailleurs la transition pendant le « stage d'insertion » entre la fin des études et l'admissibilité au bénéfice des allocations d'insertion à charge du chômage. Deux questions se posent à ce sujet.

D'une part, ne faut-il pas assurer une cohérence entre les allocations familiales et les bourses d'études ? C'est le choix qui a été annoncé par la Communauté flamande, qui veut par ailleurs remplacer les suppléments d'âge par des suppléments liés à la fréquentation scolaire. À noter cependant que cette cohérence ne jouera que sur le territoire de la Région flamande. Les enfants bruxellois scolarisés dans le système scolaire flamand bénéficieront de la dimension « bourse d'études » du système, mais pas des allocations familiales, qui seront celles de la Cocom. La Cocom n'étant pas compétente en matière de bourses d'études, elle ne pourra pas suivre le choix de la Communauté flamande. La Région wallonne non plus, sauf à régionaliser les bourses d'études francophones sous les auspices d'un saint encore à choisir dans le calendrier.

Une autre question est amenée par les évolutions récentes dans le régime du chômage. Les restrictions dans l'accès, les conditions d'octroi et la durée d'indemnisation des allocations d'insertion ferment aux nouvelles générations une voie d'accès à une certaine indépendance financière à l'égard des parents et à un statut social propre (par exemple une couverture en matière de pension). Faut-il, dans des limites à déterminer (par exemple pour les jeunes qui suivent un parcours d'insertion) reprendre par les allocations familiales le risque social ainsi créé ?

Les suppléments sociaux

Deuxième chapitre, comment couvrir correctement le handicap de l'enfant ? On y a déjà fait allusion, le système actuel se caractérise, surtout à Bruxelles, par une sous-utilisation des droits prévus, manifestement liée aux difficultés administratives de preuve. Cette situation devra être corrigée.

Troisièmement, il y a un consensus de principe pour que les suppléments en fonction de la situation sociale du ménage de l'enfant soient liés au montant des revenus, et non au type de revenus. Autrement dit, ces suppléments ne devraient pas être réservés aux allocataires sociaux, mais être ouverts aussi aux travailleurs dont les revenus sont d'un montant analogue. Ce principe n'est pas simple à concrétiser, vu que les données fiscales, reflet théoriquement correct des revenus d'un ménage, ne sont pas nécessairement, en pratique, totalement fiables... Dans le même ordre d'idée, personne ne met en cause les suppléments accordés aux familles monoparentales, mais cette notion de famille monoparentale est si délicate à définir (et à vérifier sur le terrain...) qu'on peut se demander s'il ne faut pas passer par un autre biais pour octroyer l'avantage.

Une limite de revenus ?

Certains vont plus loin, et veulent limiter voire supprimer les allocations familiales au-dessus d'un certain niveau de revenu. Pas mal de leaders d'opinion aux revenus confortables interviennent dans le débat pour dire qu'eux, par exemple, pourraient très bien se passer d'allocations familiales. Cela pose une question de fond sur la nature de la sécurité sociale. Celle-ci est un puissant instrument de redistribution des richesses et de lutte contre la pauvreté. Mais il s'agit là d'un effet induit, non d'une logique d'octroi. La sécurité sociale ne procède pas d'une compassion des riches vis-à-vis des pauvres. Elle procède d'une solidarité vis-à-vis de certains « risques sociaux » (pour parler en termes d'assurance). Le « risque social » couvert par les allocations familiales est le fait d'assumer des charges supplémentaires du fait de l'éducation d'un enfant, non la pauvreté de l'enfant. Les parents riches qui assument l'éducation d'un enfant ne doivent pas être comparés aux familles pauvres, mais aux familles riches sans enfant. Pour le MOC, abandonner cette logique placerait la sécurité sociale sur une pente glissante.



Le gouvernement flamand a pris le parti de favoriser le groupe social qui a porté au pouvoir le parti qui le domine.



Ceci dit, des voix et des forces diverses, même à gauche, plaident pour reconsidérer la logique de fonctionnement de la protection sociale, et se concentrer sur la lutte contre la pauvreté. L'option de ne plus considérer l'attributaire obligeait de se positionner sur la question. En effet, dans le système actuel, les personnes qui n'ouvrent pas le droit aux allocations familiales sur une autre base peuvent prétendre à des allocations familiales garanties. Il s'agit d'un régime administré par la sécurité sociale, mais juridiquement et financièrement distinct. L'octroi des allocations familiales y est subordonné à une enquête sur les ressources. En intégrant les allocations garanties dans un régime universel, allait-on supprimer cette enquête sur les ressources... ou la généraliser à toutes les allocations ? Dans toutes les entités, c'est la première option qui a été retenue.

Dans le cas du gouvernement flamand, ce choix a surpris certains observateurs, qui s'attendaient à ce qu'on privilégie la lutte contre la pauvreté, quitte à instaurer un plafond de revenu ou une prise en compte, à un niveau à déterminer, d'un état de besoin – des penseurs influents s'étaient prononcés en ce sens.

Une allocation à 160 euros ?

En fait, le gouvernement flamand a pris l'option de favoriser le groupe social qui a porté au pouvoir le parti qui le domine : la classe moyenne (blanche), qui n'élève qu'un nombre limité d'enfants. La mesure phare de la réforme annoncée pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2019 est l'allocation de base à 160 euros.

Cela représente une augmentation considérable pour les familles avec un ou deux enfants. Pour les familles plus nombreuses, cela entraîne une diminution, d'autant plus considérable que le nombre d'enfants est élevé. Cet effet est partiellement compensé par la réforme des suppléments sociaux, qui sont liés à une limite de revenus qui varie selon le nombre d'enfants.

Dans les faits, la réforme flamande doit entraîner une augmentation des dépenses, d'autant que la réforme est assortie du maintien des situations acquises pour les enfants nés avant 2019. Cette augmentation est permise en partie par le fait que la dotation que la Flandre recevra du fédéral est supérieure aux besoins selon la réglementation actuelle, en partie aussi par le fait que la Flandre a décidé un saut d'index dans les allocations familiales. L'avantage substantiel accordé aux familles à un ou deux enfants sans suppléments sociaux est donc financé en partie par une mesure linéaire qui frappe proportionnellement plus les ménages les plus nécessiteux ! Le montant de 160 euros retenu par le gouvernement flamand est assez proche de celui qui résulte d'enquêtes de Vie féminine sur les besoins des familles, qui parlaient de 167 euros.

Peut-on s'attendre à ce que des montants du même ordre soient établis en Wallonie et à Bruxelles ? La Wallonie a officiellement réceptionné en septembre 2016 une étude d'un bureau de consultants. De façon assez prévisible, le montant de base qui résulte de ces études est inférieur à ce qui est annoncé en Flandre. Dans ses déclarations publiques, le ministre wallon compétent a souligné que la « structure sociologique » de la Wallonie diffère de celle de la Flandre. En fait, pour parler clair, ce qui différencie la Flandre et la Wallonie, ce sont les moyens financiers. La dotation allouée à la Wallonie (francophone) ne permet pas de financer les allocations familiales selon la réglementation actuelle, sans parler de les améliorer autrement qu'à la marge.

À Bruxelles, une étude universitaire devrait sortir dans le courant du deuxième trimestre 2017. Il est peu probable que la Cocom sera en mesure d'accorder sans condition un montant de cet ordre, sans transférer aux CPAS la charge financière des familles modestes. Mais elle sera confrontée à un grave dilemme politique. Faudra-t-il se concentrer sur les besoins de la partie pauvre de la population bruxelloise ? Ou voudra-t-on garantir à la fameuse « classe moyenne » que tout le monde voudrait bien maintenir ou ramener en région bruxelloise, les montants qu'elle trouverait dans la banlieue de la ville...

Dans l'espèce d'unanimisme qui semble dominer actuellement le débat politique régional flamand, les réserves vis-à-vis de la politique annoncée, émanant du milieu associatif, de certains spécialistes universitaires, voire de partis de gauche, se font à peine entendre. Mais qui sait. La réforme flamande annoncée n'est pour l'instant qu'une note d'intention. Ce n'est pas un décret, ni même un projet de décret. Le débat pourrait-il rebondir sur de nouvelles bases ? #

Paul Palsterman: Secrétaire régional bruxellois de la CSC

Crédit photo: © Stephan Hochhaus



1. L'Office de la naissance et de l'enfance.

2. L'Office national d'allocations familiales pour travailleurs salariés

3. Institut national d'assurance maladie-invalidité

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