PhotoInterviewEn République démocratique du Congo (RDC), la crainte grandissante de voir le président Joseph Kabila s’accrocher au pouvoir suscite de vives tensions. D’autant qu’il tait ses intentions. Et que le dialogue politique est au point mort. Entretien avec Donatella Rostagno, directrice d’EurAc 1, de retour d’une mission à Kinshasa.

 

Où en est le processus électoral en RDC ?

En 2015, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié un calendrier électoral qui prévoyait des élections présidentielle et législative en novembre 2016. Ce calendrier respectait la Constitution puisque celle-ci indique l’impossibilité d’un troisième mandat présidentiel. Or le deuxième mandat du président Kabila s’achève en novembre prochain. Mais l’opposition a toutes les raisons de croire que Kabila compte se maintenir au pouvoir... Un arrêt de la Cour constitutionnelle, rendu le 11 mai dernier, semble d’ailleurs confirmer ses craintes.

Que dit cet arrêt ?

Avant de l’aborder, il faut savoir que l’Union européenne et l’Organisation pour la francophonie ont organisé des missions de suivi et d’analyse de l’état du processus électoral et du fichier électoral. Dans les deux cas, l’état de ce fichier a été mis en cause. Entre huit et dix millions d’électeurs n’y sont pas inscrits ! Ce sont ceux qu’on appelle les « nouveaux majeurs », à savoir les jeunes qui n’étaient pas en âge de voter aux précédentes élections présidentielles. Par ailleurs, les citoyens décédés depuis 2011 apparaissent encore dans le fichier. Enfin, des problèmes subsistent pour permettre à la diaspora congolaise de prendre part aux élections. La communauté internationale exige donc un nouveau fichier. Mais la CENI estime que celui-ci ne pourra pas être réalisé avant juin 2017, ce qui repousse les prochaines élections à cette date, soit quelques mois après celle prévue par la Constitution. Dans cette situation, tout le monde est pris en otage : soit les élections ont lieu dans les temps, mais en excluant dix millions de jeunes électeurs, soit elles sont reportées dans un cadre juridique flou et incertain. Avec cette question majeure : qui assurera le pouvoir durant la période de transition ? C’est à cette question que la Cour constitutionnelle a répondu. Elle devait trancher entre différentes interprétations de l’article 70 de la Constitution : est-ce au président du Sénat ou au président du pays qu’il revient de gérer la transition ? La Cour a tranché en faveur du maintien au pouvoir de Kabila, ce qui a été perçu par l’opposition comme une volonté de la part de celui-ci de rester au pouvoir indéfiniment.

Où en est le dialogue politique autour de ces questions ?

Ce dialogue aurait évidemment dû avoir lieu bien plus tôt afin de permettre la tenue d’élections dans le respect des délais prévus par la Constitution. Aujourd’hui, certaines voix de l’opposition disent pouvoir accepter un « glissement » des élections à condition que la transition soit assurée par une personnalité qui ne serait pas candidate aux prochains scrutins. Mais le dialogue n’a pas lieu. Pour l’enclencher, l’Union africaine a nommé le Togolais Edem Kodjo comme médiateur. Il tente, en ce moment, de mettre sur pied un « Comité préparatoire du dialogue politique ». Celui-ci devrait être composé de douze membres de représentants de la majorité présidentielle, douze de l’opposition et six de la société civile. Mais l’opposition est morcelée et n’arrive pas à se mettre d’accord 2 tandis que la société civile est divisée entre une frange indépendante et une frange proche du pouvoir. Bref, le dialogue politique patine totalement.

Comment se positionne le président Kabila ?

C’est le nœud du problème. Il ne s’exprime pas. Ni pour annoncer qu’il souhaite rester au pouvoir ni pour indiquer qu’il va le quitter. Toute la confusion vient de là. Très peu de personnes ont accès à Kabila, donc il est difficile de savoir ce qu’il a en tête. Aujourd’hui, il suffirait qu’il prononce une phrase pour que les tensions diminuent : « Je ne suis plus candidat ». L’opposition pourrait alors accepter la tenue des élections en 2017. Si Kabila ne s’exprime pas, c’est probablement parce que cela reporte le processus électoral et conforte donc son maintien au pouvoir.

Quelles sont les forces politiques en présence ?

Outre la majorité présidentielle (le PPRD), il y a l’UDPS, le parti d’opposition historique d’un Étienne Tshisekedi vieillissant. Mais il y a aussi le G7, une plateforme d’opposition composée de partis ayant décidé de quitter la majorité présidentielle et qui soutient Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, récemment accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Celui-ci fait également partie du Front citoyen 3, aux côtés d’un autre personnage clé : Vital Kamerhe, président de l’UNC et potentiel candidat à la présidence. Enfin, une autre plateforme, Alternance pour la république, regroupe seize petits partis d’opposition. C’est donc une opposition très morcelée qui se trouve en face du camp Kabila.


« Kabila craint d’être un jour inquiété par la Cour internationale de La Haye. »


Comment se situe le peuple congolais par rapport à ces alternatives ?

Les sondages n’existent pas au Congo, donc il est très difficile de se prononcer même si l’on sait que Moïse Katumbi jouit d’une grande popularité, notamment parce qu’il est le président du club de football le Tout Puissant Mazembe. Mais je voudrais insister sur le fait que, lorsque l’on parle d’alternance, une piste pourrait aussi être la désignation d’un autre candidat dans le clan de la majorité présidentielle. Ce n’est pas à nous, représentants des ONG ou de la communauté internationale, de dire qui doit remplacer Kabila à la tête de la RDC. Pour le bien du pays, il est par contre essentiel que celui-ci se retire. Je rappelle qu’il est encore jeune et qu’il pourrait donc rester à la tête du pays encore de nombreuses années. Ce serait une catastrophe pour les Congolais, pour les jeunes et pour la démocratie.

Quelle est la position de la communauté internationale par rapport à Kabila?

Barack Obama et John Kerry sont parmi les seuls à avoir eu accès à Kabila. Les États-Unis sont très clairs : ils ont déclaré être totalement opposés au troisième mandat. L’Union européenne, comme souvent, peine à prendre une position forte et unique en ce sens, même si, entre les lignes, le positionnement est le même. Au niveau bilatéral, la Belgique s’est également prononcée contre le troisième mandat. En ce qui concerne l’Union africaine, c’est plus compliqué. Elle a certes envoyé un médiateur, mais elle a du mal à tenir un discours ferme du fait que bon nombre de ses pays membres sont soit dirigés par des dictateurs soit par des présidents qui flirtent avec les limites de leur Constitution pour se maintenir au pouvoir.

Pourquoi Kabila s’accroche-t-il au pouvoir ?

Ce n’est pas un saint. Il pourrait un jour être inquiété par la Cour internationale de La Haye. Par ailleurs, il fait partie de cette classe politique sans diplôme, qui était un chef de bande avant de se retrouver au plus haut sommet de l’État. Dans la vraie vie, il n’a ni métier ni expertise. C’est l’archétype de l’homme politique qui se retrouve sans autre perspective que celle de rester au pouvoir.

Doit-on craindre une révolte si Kabila reste président ?

C’est très difficile à dire. Certains opposants pensent que son entêtement à rester pourrait mener à une véritable révolution, suivie d’une répression sanglante. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un ras-le-bol généralisé, principalement à Kinshasa, mais aussi une situation catastrophique au Nord-Kivu où certains massacres ont eu lieu récemment. Tous les opposants personnalisent ce ras-le-bol en rendant Kabila responsable de tous les maux. Aujourd’hui, les signaux sont au rouge. D’autant qu’en termes démocratiques, les pressions sont de plus en plus fortes vers les mouvements d’opposition.

Où en est la liberté d’expression aujourd’hui ?

Elle est menacée. Bien sûr, la société civile et les médias ont encore le droit de s’exprimer. Si l’on doit comparer à d’autres pays voisins, la situation n’est pas totalement cadenassée. Mais les prémisses de dangereux dérapages sont bien présentes. Des membres de mouvements de jeunesse comme Filimbi ou la Lucha ont récemment été condamnés à un an ferme pour « incitation à la désobéissance civile et propagation de fausses nouvelles ». D’autres sont en prison et attendent leur procès depuis plus d’un an. Il ne fait aucun doute que ce sont des condamnations politiques, totalement disproportionnées. Le pire est à craindre pour la suite... #


Propos recueillis par Nicolas ROELENS


1. EurAc regroupe 46 organisations non gouvernementales actives en Afrique centrale dans le domaine de la coopération au développement ou de l’aide humanitaire.
2. Un des principaux partis de l’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), réclame ainsi les douze sièges pour lui tout seul.
3. Le Front citoyen est une coalition d’opposants politiques issus de différents partis ainsi que de membres
de la société civile.

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