Jeunesse copyright Franco Folini Parmi les catégories les plus fragilisées par les mesures successives des gouvernements Di Rupo et Michel, les jeunes pointent en bonne position. Plus que jamais, les 18-25 ans sont considérés comme un coût plutôt que comme un investissement. Petit tour d’horizon des mesures prises à leur encontre et des difficultés qui les attendent dans les années à venir.

Rien n’est trop difficile pour la jeunesse ». S’il avait su que cette réflexion de Socrate pouvait justifier la surenchère de mesures anti-jeunes des gouvernements belges successifs au 21e siècle, Platon aurait peut-être laissé son maître dans sa caverne. Car, au lieu de l’accès à la connaissance, c’est plutôt un fossé qui attend les jeunes à la sortie de la caverne (des études).
Depuis plusieurs années en effet, les mesures prises contre eux se multiplient. Pourtant, leur situation est loin d’être idyllique. Ainsi, en 2014, le chômage des jeunes de moins de 25 ans culminait à 23,4 % 1. Dans certaines régions comme le Hainaut, Liège ou Bruxelles, celui-ci dépasse même les 30 %. Ces chiffres sont le reflet d’une douloureuse réalité : les horizons professionnels de la jeunesse sont bouchés.
Deux phénomènes accompagnent ce terrible constat : la généralisation des contrats précaires et le retardement de l’entrée dans la « case » sécurité sociale. Ces phénomènes se renforcent mutuellement et forment la pierre angulaire sournoise des mesures gouvernementales : plus il y a de contrats précaires, plus les travailleurs concernés ont besoin de la sécurité sociale. Plus on complexifie l’accès à la sécurité sociale et son taux de couverture, plus les travailleurs devront accepter n’importe quel contrat précaire.
Il faut rappeler ici que les travailleurs (avec ou sans emploi) ont recours à la sécurité sociale de manière différenciée : tandis que les aînés bénéficient davantage de soins de santé et d’allocations liées aux pensions, les jeunes ont davantage recours aux allocations de chômage. Parmi celles-ci, ce sont essentiellement les allocations d’insertion acquises sur base des études qui les concernent.
Or, en appliquant des mesures d’austérité à la sécurité sociale, le gouvernement d’Elio Di Rupo, puis celui de Charles Michel ont pris des mesures qui ont plus particulièrement affecté les jeunes. En effet, quand on complexifie et retarde l’accès à la sécurité sociale, on retarde l’entrée de ceux qui ne sont pas encore prestataires de la sécurité sociale, à savoir, dans l’écrasante majorité, les jeunes sortis depuis peu des études.
Panorama des différentes mesures prises par ces deux gouvernements.

Des détricotages successifs

En 2012, le gouvernement Di Rupo, via sa ministre Monica De Coninck (SP.A), limitait à 36 mois le bénéfice des allocations d’insertion pour les jeunes sortant des études. Les premières victimes de cette décision ont donc été toutes celles et tous ceux qui, depuis des années, n’avaient pas été en mesure de basculer sur le régime des allocations sur base du travail. Pour bénéficier de ces allocations, il faut en effet travailler 312 jours en 21 mois, c’est-à-dire l’équivalent d’un temps partiel de minimum 23 heures par semaine, et ce, de manière ininterrompue. Quand on sait que 44 % des femmes sont en temps partiel, les principales victimes de la mesure sautent aux yeux. S’en suivra, pour elles, l’incapacité d’ouvrir leur droit à une protection sociale complète. Dans le même ordre d’idées, rappelons que 10 % seulement des temps partiels sont choisis et que 57,2 % d’entre eux sont même contraints. Cette mesure condamnait donc des travailleurs et surtout des travailleuses, déjà précarisés 2.
Malheureusement, cette importante réforme n’était que la première d’une longue série. Épinglons également la « mise en disponibilité » des jeunes sortant des études et rentrant dans le nouveau stage d’insertion (ancien stage d’attente), passé de 9 à 12 mois. Dans les faits, l’ONEM contrôle maintenant la recherche d’emploi au septième et au onzième mois. Il est indispensable d’obtenir deux évaluations positives pour valider l’accès aux allocations. Le jeune est donc un être à part dans la sécurité sociale : il est contrôlé avant même de percevoir des allocations. Il doit prouver qu’il « mérite » la protection sociale.
En réalité, cette façon de voir n’a rien de bien surprenant. Elle cadre parfaitement avec la transformation des allocations d’attente (à vie, par manque d’opportunités d’emploi) en des allocations au mérite (susceptibles d’être retirées par la sanction et limitées dans le temps).

Sous l’ « ère Michel »

En janvier 2015, la coalition « suédoise » a inauguré une nouvelle salve d’attaques anti-jeunes en restreignant l’accès aux allocations « d’insertion » aux personnes de moins de 25 ans. Concrètement, cela signifie qu’il faut avoir fini ses études et entamé son stage d’insertion avant ses 24 ans, vu la (nouvelle) durée du stage d’insertion (12 mois). Tout échec est donc proscrit pour le jeune qui ambitionne d’avoir un diplôme de niveau universitaire (un « master ») tout en se préservant l’opportunité de toucher des allocations d’insertion si la conjoncture économique ne lui permet pas de trouver du travail.
Prenons quelques exemples parmi des dizaines de milliers pour bien comprendre les conséquences de cette mesure :
Rabab a fait quatre ans en Arts de diffusion pour décrocher son diplôme avant de faire un master en mise en scène. Elle n’a jamais raté, mais sort trop tard (24 ans accomplis) des études pour demander des allocations pour les mois où elle ne trouvera pas de travail.
Deslie a fait une année à l’étranger en sortant des secondaires. Quel que soit son parcours ultérieur, elle n’a plus que quatre ans pour clôturer ses études et ensuite accéder à la protection sociale.
Vincent a raté une fois en secondaire. Après un bachelier en technicien audiovisuel et une année passerelle pour accéder au master en réalisation, il n’aura pas droit aux allocations.
Alexis a raté sa première année en sciences politiques, il finira donc ses études après ses 24 ans. Même sanction que les précédents.

On voit donc que, quelle que soit la filière d’étude, tout écueil et/ou toute déviation dans un parcours scolaire suffisent pour entraver l’accès à la protection sociale. Plus de cinq années d’études supérieures, un échec en secondaire, des difficultés durant l’enseignement supérieur (échec lors de la première année de bachelier, une année « libre » entre la sortie du secondaire et l’entrée dans le supérieur 3) : autant de situations qui sortent les jeunes du parcours « normal » accepté par ce gouvernement.
Par le biais de cette mesure, le gouvernement Michel considère donc que les jeunes n’ont plus aucun droit à l’échec s’ils veulent poursuivre un cursus universitaire. Si tel est malheureusement le cas, ils n’ont alors d’autre choix que de se diriger vers des études courtes ou de spéculer sur l’obtention d’un emploi dès la sortie des études. Pourtant, un haut niveau de qualification protège contre le chômage. En 2014, les taux de chômage respectifs des bas, moyens et hauts niveaux d’éducation étaient en Belgique de 16,4 %, 8,8 % et 4,7 % 4.
En 2014, 42 % (seulement) des élèves de sixième secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles étaient « à l’heure » dans leur parcours scolaire, alors que 27 % des élèves avaient un an de retard et 31 % en avaient deux ou plus 5. Et pour ceux qui poursuivent des études supérieures, le taux de réussite en première année tourne autour des 40 %. Au vu de ces pourcentages, un constat s’impose : la majorité des jeunes est concernée par cette mesure. C’est donc un choix cornélien qui se présentera à l’avenir aux jeunes de 18 à 20 ans. Selon leur parcours scolaire, il leur faudra décider de sacrifier les envies d’un bon diplôme ou le besoin d’une protection sociale. Tant qu’ils n’auront pas un contrat à durée indéterminée, les jeunes pourront de plus en plus difficilement accéder à l’indépendance financière, s’établir, construire leurs projets. Ceux qui ne pourront pas compter sur la solidarité familiale seront contraints d’accepter n’importe quel contrat précaire pour s’en sortir, au prix de l’abandon d’un projet professionnel émancipateur.
Pourtant, aujourd’hui déjà, selon Eurostat, 19 % des travailleurs ont un emploi pour lequel ils sont surqualifiés 6. Sans sécurité sociale permettant d’attendre un peu avant de trouver un emploi motivant, cette surqualification risque de se renforcer. Avec, comme conséquences, des milliers de talents gâchés et une vision négative du travail dès le début de la vie « active » avec des jobs sous-payés, précaires et pour lesquels on n’utilise pas ses compétences complètes.
Il y a quelques semaines, le gouvernement de Charles Michel a également décidé de restreindre l’accès aux allocations d’insertion aux jeunes ne disposant pas d’un diplôme ou d’une certification de l’enseignement secondaire. Partant du constat avéré que le diplôme est une protection contre le chômage, le gouvernement attaque frontalement une frange de la jeunesse déjà précarisée et en proie aux contrats les plus fragiles. Or les jeunes en décrochage scolaire ne trouveront pas plus facilement un emploi et ne resteront pas plus longtemps sur les bancs de l’école si on leur suspend le droit aux allocations avant leurs 21 ans. Au contraire : ils deviendront les cibles évidentes des contrats précaires si tant est qu’on leur en propose un et qu’ils ne se retrouvent pas cantonnés dans du « travail au noir ».

Des économies de bouts de chandelles

À y regarder de plus près, les mesures d’économies sur les allocations d’insertion rapportent peu
(74 millions d’euros par an pour les mesures du gouvernement Michel). Il ne s’agit donc là que de mesures « idéologiques ». En effet, dans le chef du gouvernement, la perte de revenu doit mener à un changement de comportement et à l’acceptation de n’importe quelles conditions de travail.
Dans ce contexte, on peut légitimement craindre une nouvelle explosion du nombre de contrats partiels et des attaques récurrentes sur le salaire minimum. Ce dernier fait d’ailleurs déjà l’objet de différents coups de semonce de la part du gouvernement fédéral qui voudrait réintroduire des salaires minimums plus bas pour les jeunes entre 18 et 21 ans. Cette discrimination a pourtant disparu depuis 2013 sous la pression des syndicats. Il est donc urgent que l’amélioration du salaire minimum, en particulier dans les secteurs où les temps partiels se généralisent, devienne une des pierres angulaires des revendications progressistes.
Mais la partie est loin d’être gagnée, car on constate qu’ici aussi, le gouvernement cède aux sirènes d’une partie du patronat. Celle-ci milite notamment en faveur d’une baisse des cotisations sociales en prétextant la faible productivité d’un jeune au début de son parcours professionnel. Certains patrons souhaiteraient donc rémunérer le jeune en fonction de sa productivité et (donc) de son âge. Il est évident que l’objectif est de détricoter les salaires minimaux par secteur. Or, le débat est complètement biaisé : la productivité ne dépend pas uniquement de l’âge. Un jeune de 19 ans qui travaille chez Quick ou chez Carrefour sera rapidement aussi productif qu’un autre travailleur installé dans l’entreprise. Et pour les secteurs où les temps d’apprentissage sont plus longs, il ne faut pas perdre de vue que les entreprises ont déjà énormément de possibilités d’obtenir des aides à l’emploi. Par contre, quand la productivité des travailleurs est bonne, la sécurité sociale ne récupère jamais les aides à l’emploi ou les baisses de cotisations qui ont été octroyées. Ce n’est ni à la sécurité sociale collective des travailleurs ni aux jeunes travailleurs (par un abaissement du salaire en fonction de l’âge) de pâtir du manque d’investissements des entreprises dans la formation de leurs travailleurs.

De profondes inepties

Les attaques contre les conditions d’existence des jeunes ne sont pas isolées. Toute la population subit les mesures antisociales du gouvernement Michel : retraite à 67 ans, saut d’index, tax shift... Mais ces mesures toucheront aussi de plein fouet les jeunes, et, en particulier, les jeunes femmes (victimes de parcours plus « hachés »). La retraite à 67 ans, par exemple, a deux conséquences néfastes sur les jeunes. D’une part, comment trouver un boulot, déjà difficile à décrocher, quand les aînés doivent rester en fonction deux ans de plus, au minimum ? Et, d’autre part, en retardant de cette manière l’entrée dans la vie active, comment avoir 42 ans de carrière à 67 ans ? On peut donc craindre que beaucoup de jeunes arrivent en fin de carrière avec une carrière non complète et une allocation de pension très basse, souvent sous le seuil de pauvreté.
À politiques inchangées, on fonce droit dans le mur. Pour éviter cette impasse, il faut faire de l’accès à l’autonomie des jeunes une priorité politique. Cette autonomie doit permettre un accès universel à l’enseignement supérieur, un accès à la sécurité sociale, aux allocations d’insertion et à l’indépendance dans l’accès aux soins de santé. Dans un contexte où trouver un emploi devient de plus en plus compliqué, il s’agit de renforcer la protection sociale des travailleurs pour permettre à chacun de vivre une vie décente et émancipatrice. #


(*)Ludovic Voet : Responsable national des Jeunes CSC



1. Voir les statistiques d’Eurostat : http://ec.europa.eu/eurostat/web/lfs/data/database
2. Voir l’étude de la FTU : « Temps partiel choisi, contraint ou de compromis ». Disponible sur : http://www.ftu.be/documents/ep/2014_02_Temps_partiel.pdf
3. C’est le cas pour 10 % des élèves sortant du général. L’année « libre » en question peut faire référence à une année de travail, une année à l’étranger pour parfaire une langue étrangère, une année pour faire du volontariat ou simplement une année sabbatique...
4. Voir : http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/emploi/relatifs/
5. Voir les Indicateurs de l’Enseignement 2014 : http://www.enseignement.be/index.php?page=26998
6. Voir : http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/5029539/3-08122011-AP-FR.PDF/ccaf03db-e885-4f05-bc34-3e2d42bdc353?version=1.0

credit photo :  Franco Folini

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