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En mai 2014, Démocratie interviewait Dave Sinardet pour faire le bilan du gouvernement flamand à l’issue de la législature. Un an plus tard, nous l’avons soumis au même exercice pour mieux comprendre les actualités politiques de première importance au nord du pays et les rapports de force qui existent entre les partenaires de la majorité gouvernementale1. Entretien.


Il y a quelques semaines, l’actuel gouvernement flamand a mis fin à l’équivalent flamand du Plan Marshall en Wallonie. Pourquoi ?
En fait, depuis quelques années déjà, beaucoup estimaient que le plan «Vlaanderen in actie» n’était pas un grand succès. En réalité, c’était surtout un projet de marketing. Malgré les grosses sommes investies dans des campagnes de communication pendant des années, la sauce n’a pas pris : fin 2011, à peine un tiers des Flamands savait à quoi le nom référait. Dans les faits, ce projet a largement été porté par Kris Peeters. C’était une manière pour lui de montrer l’image d’une Flandre dynamique, portée vers le futur. C’était donc aussi du marketing personnel, ce qui explique que les autres partis de la coalition étaient moins enthousiastes. Il y a aussi d’autres raisons : le plan n’a quasiment atteint aucun de ses objectifs et se composait essentiellement de projets individuels non priorisés. Or quand on se lance dans une vision d’avenir, il faut se donner des priorités, comme le fait d’ailleurs le Plan Marshall. Ici, cela n’a pas été le cas. Du coup, tout restait très vague. Et avec le départ de Kris Peeters vers le gouvernement fédéral, il n’est pas surprenant que ce plan ait rapidement été abandonné.

On a beaucoup parlé de la nouvelle campagne de communication de la N-VA et des propos de Bart De Wever dénonçant clairement la collaboration. Le parti est-il en train de se repositionner politiquement ?
Il faut se rappeler que, jusqu’aux élections de 2014, la N-VA s’est fortement profilée comme un parti «anti-establishment», comme l’alternative aux partis traditionnels, même si elle faisait partie du gouvernement flamand depuis dix ans déjà. Elle est parvenue à garder cette image d’opposition parce que le focus restait sur le gouvernement fédéral. Or, vu qu’aujourd’hui la N-VA est présente à cet échelon-là et qu’elle dirige le gouvernement flamand, elle n’est plus en mesure de jouer ce double jeu.
Elle a donc vraisemblablement choisi d’effectuer un tournant pour se positionner comme un parti de «gouvernance». Quand j’ai vu le film qui accompagnait le lancement de la campagne de la N-VA, j’ai eu l’impression de voir une campagne issue du CD&V. Et il est probable que la N-VA veuille prendre la place du CD&V et devenir le grand parti populaire flamand qui se place au «centre». Les récents propos de Bart De Wever condamnant clairement la collaboration confortent cette idée puisqu’un tel repositionnement de la N-VA implique de laisser tomber les déclarations polarisantes. Toutefois, le président de la N-VA a toujours été très fort pour concilier divers électorats et différents messages.

Comment jugez-vous l’action du gouvernement flamand, un an après les élections ?
Au niveau flamand, les négociations qui ont suivi les élections du 25 mai 2014 ont donné lieu à une situation assez originale?: un des trois partis (l’Open VLD) n’a pas vraiment négocié l’accord de gouvernement. Il a mis sa signature sur un document largement négocié par ses deux partenaires (la N-VA et le CD&V). Petit rappel : l’Open VLD conditionnait sa participation au gouvernement fédéral à sa présence au sein du gouvernement flamand. La composition du gouvernement flamand est donc la conséquence de la formation du gouvernement fédéral actuel. En fait, on peut dire que c’est Benoît Lutgen qui a décidé de la composition du gouvernement flamand?: s’il n’avait pas dit ‘non’ au fédéral, l’Open VLD n’aurait été nécessaire ni au fédéral ni (donc) au niveau flamand.
Dans cet attelage un peu atypique, l’Open VLD n’a que deux ministres. Le CD&V, par contre, a assez bien négocié, probablement mieux qu’au fédéral. Cela dit, c’est surtout lui qui ne voulait pas que l’Open VLD intègre la coalition flamande parce que du coup, cette coalition s’orientait encore plus à droite. Il n’en reste pas moins que le CD&V a obtenu les portefeuilles de l’Enseignement et du Bien-être qui sont deux compétences très importantes, très visibles et cruciales pour le «pilier» chrétien. Mais le problème est le même qu’au niveau fédéral?: c’est la N-VA qui domine ce gouvernement et qui donne le ton.

Malgré les différentes réformes de l'Etat, notre pays reste davantage une particratie qu'une fédération.


C’est donc sans surprise que les tensions qui existent au niveau fédéral entre le CD&V et la N-VA sont également présentes au niveau flamand. Mais elles sont un peu moins visibles pour différentes raisons. Primo, même si le gouvernement flamand doit faire des économies, les problèmes budgétaires sont moins graves qu’au niveau fédéral. Ainsi, lors des négociations pour le gouvernement, le CD&V est parvenu à obtenir 500 millions d’euros de plus pour le bien-être. Secundo, bien que beaucoup de compétences aient été transférées vers les entités fédérées, celles qui suscitent les discussions idéologiques «gauche-droite»2 les plus fortes restent du ressort du fédéral (les allocations de chômage, les pensions, etc.). Tertio, les médias restent fortement focalisés sur le niveau fédéral.

Quels sont les dossiers «chauds» qu’aura à gérer ce gouvernement flamand ?
C’est sans conteste le dossier de l’Oosterweel3, qui est très peu évoqué par les médias francophones. Or c’est un sujet très intéressant, qui dépasse des enjeux flamands parce qu’il concerne aussi le renouvellement démocratique et de nouvelles formes de participation politique. Autour de ce dossier s’est en effet constitué un groupement de citoyens et de personnes expertes de la mobilité (le «Ringland») qui a soumis une proposition alternative (recouvrir le périphérique d’Anvers) à celle du gouvernement flamand. Ce groupement rencontre un véritable engouement à Anvers, contrairement au projet du gouvernement (fermer le ring) qui date de 10-15 ans et qui est le résultat d’une procédure très peu consultative et très technocratique. Pendant longtemps, les gouvernements flamands qui se sont succédé ont considéré que ces groupements étaient un «ennemi» qu’il fallait combattre. Aujourd’hui, le gouvernement semble avoir changé son fusil d’épaule et il discute avec Ringland.
Je m’interroge toutefois sur le processus. Si l’initiative de ce groupement de citoyens et d’experts est à saluer, je pense que de telles propositions auraient dû émaner des partis politiques et a fortiori de leurs services d’études qui, rappelons-le, reçoivent des fonds publics pour jouer ce rôle. Ici, c’est l’initiative citoyenne qui a elle-même développé le projet, en s’inspirant de solutions qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Et qui, à travers du crowdfunding, a financé elle-même les études qui devaient en analyser la faisabilité.

Comment le gouvernement flamand a-t-il réagi à l’annonce du gouvernement fédéral de recettes moindres dans le cadre de la loi de financement ?
Malgré les différentes réformes de l’État, notre pays reste encore davantage une particratie qu’une fédération. En Belgique, puisque nous n’avons que des partis organisés régionalement, c’est davantage la dynamique de «parti» qui joue qu’une dynamique autonome, liée au niveau de pouvoir. Dès lors, si les mêmes partis se retrouvent au niveau fédéral et au niveau régional, il est peu probable qu’il y ait des tensions fondamentales entre les deux. Dans ce cadre, les confrontations entre les gouvernements wallon et fédéral sont logiques, vu que, pour la première fois, il n’y a aucun parti qui fait le lien. Je pense donc qu’il ne faut pas analyser ces conflits comme le symbole d’une nouvelle dynamique provenant du fédéralisme belge.
Cela dit, il y a quand même eu certaines crispations puisque pour l’arrière-ban nationaliste de la N-VA, la (douloureuse) facture envoyée par le gouvernement fédéral à la Flandre passe plutôt mal. Or la N-VA est un peu coincée parce que le ministre-président de la Communauté flamande, Geert Bourgeois, ne peut pas trop critiquer le pouvoir fédéral puisque son parti y est fortement représenté. En outre, c’est Johan Van Overtveldt, ministre (N-VA) des Finances, qui a envoyé la note salée aux entités fédérées. Face à ces difficultés, la N-VA a trouvé la parade : elle a mis la responsabilité de cette situation sur le dos de la 6e réforme de l’État, qu’elle n’a ni négociée ni signée. La dernière réforme de l’État est le donc bouc émissaire idéal pour la N-VA. Cela permet au parti de se dédouaner et, dans le même temps, de militer pour une prochaine réforme.


La participation de la N-VA au gouvernement fédéral est-elle conciliable avec son projet régionaliste ?
C’est vrai que les ministres N-VA du gouvernement fédéral réclament plus de moyens pour leurs compétences. Dans cette optique, la facture envoyée aux Régions et le surplus budgétaire qui en résulte pour le fédéral sont une bonne nouvelle pour eux. Or, idéologiquement, ils devraient plutôt plaider pour moins de moyens au gouvernement fédéral et plus pour la Flandre. En plus, ils ont des compétences (la Défense, la Police...) qui sont importantes pour l’électorat de la N-VA, mais qui sont aussi des symboles belges et des symboles forts d’une nation. On se trouve là dans une situation paradoxale pour le parti, à la limite de la schizophrénie.

Quel crédit faut-il donner à la perte de popularité de Bart De Wever dans les sondages?
Je ne prête pas beaucoup d’attention aux sondages. J’ai pour avis qu’ils créent une réalité politique plus qu’ils ne la reflètent. Cela étant, il est effectivement difficile pour la N-VA de se réinventer, car le parti doit assurer la transition d’un parti du «changement» vers un parti de la «gouvernance».
Il est intéressant de constater que la N-VA, qui était historiquement un parti nationaliste classique et se profilait sur le communautaire, a graduellement évolué, sous Bart De Wever, vers un parti beaucoup plus focalisé sur le socioéconomique. L’autonomie flamande a d’abord été habilement présentée non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen pour mener une politique pour laquelle les Flamands ont voté (plus à droite sur le plan socioéconomique, plus stricte sur l’immigration, etc.) au lieu d’une politique fédérale présentée comme dominée par le PS.
Aujourd’hui, un pas de plus a été fait?: si le but est une politique plus à droite, pourquoi ne pas la mener –au moins temporairement– en participant à un gouvernement fédéral sans le PS? La N-VA a donc abandonné pour l’instant le volet «communautaire». Un problème plus important pourrait se poser au niveau socioéconomique, car le grand changement promis de longue date par le parti n’est pas advenu. Peut-on en effet considérer que l’actuel gouvernement fédéral mène une politique radicalement différente de celle de son prédécesseur? Personnellement, je ne crois pas. Bien sûr, il y a un bon nombre de mesures qui seraient passées difficilement avec les socialistes. Néanmoins, on assiste quand même plus à de la continuité qu’à la révolution. Une partie des électeurs de la N-VA risque donc d’être déçue. Mais la chance du parti, c’est qu’il n’y a pas d’alternatives puisque le Vlaams Belang est en grande difficulté. Du coup, la N-VA peut se permettre de se profiler plus «au centre».

Johan Van Overtveldt copyright EU Council Eurozone

 

La note saléé que le ministre des finances, Johan Van Overtveldt, a envoyée aux Régions passe mal auprès de l'arrière-ban de la N-VA.

 

  Ces dernières semaines a germé l’idée chez certains mandataires sp.a de constituer un «front de gauche» avec Groen. Est-ce réalisable ?

L’idée d’un cartel sp.a-Groen, c’est une sorte de monstre du Loch Ness qui revient régulièrement. Il y a une bonne dizaine d’années, le sujet était déjà à l’ordre du jour. À l’époque, le sp.a de Steve Stevaert enregistrait des résultats très bons et il voulait intégrer les «Verts». Mais ceux-ci voyaient plutôt cela comme une O.P.A que comme une coopération à niveau égal. Aujourd’hui, le rapport de force s’est partiellement inversé. C’est toujours le sp.a qui est demandeur, mais il est dans une situation beaucoup moins confortable. Pour autant, Groen reste toujours assez réticent à l’idée d’un cartel.
Quoi qu’il en soit, il est fort probable qu’au niveau local, notamment à Anvers, un cartel entre ces deux forces politiques soit nécessaire. Au niveau flamand ou fédéral, c’est plus problématique. Une étude post-électorale récente montre en effet que leurs électorats actuels sont assez différents, autant du point de vue des valeurs qui les motivent qu’en termes de profil sociologique. Deux issues sont dès lors possibles : soit les électeurs de l’un ou de l’autre parti ne se reconnaîtront plus dans la nouvelle force politique mise sur pied, soit cela fonctionne à merveille, vu la complémentarité entre ces électorats. Mais alors il faudra focaliser la campagne commune sur les quelques valeurs qui unissent les électorats. Et c’est évidemment un risque à courir.


Propos recueillis par Nicolas VANDENHEMEL.

Interview de Dave Sinardet (Professeur de sciences politiques à la VUB et à l'Université Saint-Louis de Bruxelles.

Crédit photo 1 : Zomer 2012 / Crédit photo 2 : Johan Van Overtveldt



1. L’actuel gouvernement flamand se compose de la N-VA, du CD&V et de l’Open VLD (NDLR).
2. Vu les coalitions en place au niveau flamand et au niveau fédéral, le CD&V a décidé de se placer plus à gauche de l’échiquier politique.
3. Il s’agit d’un projet qui vise à boucler le ring périphérique d’Anvers (NDLR).

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