immigrants mai 2014

 Le 6 décembre 2011, après 541 jours d’atermoiements politiques, le gouvernement Di Rupo voyait enfin le jour avec une surprise de taille : la nomination de Maggie De Block comme Secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration. En quelques mois, cette parfaite inconnue parviendra à se hisser en tête des sondages de popularité en Flandre. Pourtant, l’envers du décor de la politique migratoire menée par ce gouvernement fédéral, et par Maggie De Block en particulier, n’est guère reluisant. Explications.



Rétrospectivement, la politique migratoire et d’asile menée par le gouvernement d’Elio Di Rupo n’a rien de très surprenant. En fait, la Déclaration de politique gouvernementale du 1er décembre 2011 annonçait déjà haut et fort la couleur de la politique à venir dans ces deux domaines : l’accent y est constamment mis sur la lutte contre les abus (fraudes dans les cas de regroupement familial, etc.). Par contre, nulle mention des droits des migrants consacrés par de nombreux textes juridiques que la Belgique a ratifiés de longue date (la Convention de Genève, par exemple). Sous l’impulsion du gouvernement fédéral, Maggie De Block (Open VLD) va faire preuve d’un zèle considérable pour mettre en œuvre le volet migratoire de l’accord. Mais au contraire de ce qu’elle se plaît à affirmer, sa politique n’est ni humaine ni respectueuse. Pire même : à certains égards, elle flirte allégrement avec l’illégalité.

Marche arrière toute

Tout a commencé alors que le gouvernement était encore en affaires courantes avec l’adoption d’une réforme drastique du « regroupement familial » qui instaurera notamment de lourdes conditions de revenu (120 % du revenu d’intégration sociale) pour pouvoir y avoir accès. Il faut se rappeler que le regroupement familial représente la principale porte d’entrée légale en Belgique 1. En adoptant cette réforme, la volonté du législateur belge est donc manifeste : fermer le « robinet ». Quitte à introduire une véritable discrimination entre les Belges et leurs homologues européens. Car, en effet, une directive européenne 2 impose des règles pour le regroupement familial pour les Européens, mais un État membre peut, s’il le veut, imposer des conditions plus strictes à ses propres ressortissants sur son territoire. Ce que le législateur belge n’a donc pas manqué de faire. Au passage, le droit de vivre en famille (garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme) s’en trouve sérieusement écorné.
Sans que la liste ne soit exhaustive, trois autres mesures du même acabit ont été adoptées par le gouvernement. Celui-ci a d’abord adopté une liste de pays dits « sûrs » 3 : pour les ressortissants de certains pays (l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l’ARYM (Macédoine), le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et l’Inde), la procédure d’asile est accélérée, la charge de la preuve rendue plus ardue encore 4 et leur droit de recours sévèrement raboté 5. Pour le dire autrement, nos autorités politiques estiment que les pays qui font partie de la liste respectent les droits de l’Homme. Or, la présomption d’innocence octroyée à ces pays est contredite par les faits : en 2012, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides a octroyé le statut de réfugié à 123 Albanais et à 55 Kosovars 6. Dans certains des pays « sûrs », les persécutions sont constantes à l’égard de certaines minorités ethniques (les Roms, entre autres). Pourquoi dès lors s’entêter à refuser la réalité des faits ? À moins qu’il ne s’agisse d’une décision purement politique ? Il semble en effet que ce soit uniquement des considérations de cet ordre qui aient présidé à l’élaboration d’une telle liste : à l’époque où la crise d’accueil battait son plein (2011), quatre des sept pays repris parmi les pays dits « sûrs » figuraient dans le top 10 des demandes d’asile introduites 7. CQFD. L’hypothèse se confirme au regard des listes de pays sûrs qui sont adoptées dans divers pays européens : aucune d’entre elles ne coïncide. Le choix se fait donc en fonction de réalités politiques nationales sans tenir compte du respect des droits humains qu’offrent (ou non) les pays qui s’y retrouvent.
Le gouvernement a ensuite réformé la régularisation pour raisons médicales (dite 9ter). En 2012, le législateur a ainsi introduit une phase de recevabilité (un « filtre médical ») pour éviter l’introduction de demandes abusives. Deux ans après l’introduction de la mesure, l’effet recherché par le gouvernement est au rendez-vous : en 2011 déjà, seuls 5,65 % des dossiers ont reçu une réponse positive. En 2012, le chiffre tombait à 2,27 % et s’effondrerait davantage encore en 2013 8. Comme l’a montré une récente affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme, notre pays laisse dorénavant des étrangers mourir, faute de soins 9. « Et comme si cela ne suffisait pas, on impose maintenant aux malades de prouver un risque vital en cas de retour à défaut de quoi, l’autorisation de séjour n’est pas accordée » 10. Or, ce n’est pas parce que la possibilité de se soigner existe dans un pays donné que le ressortissant y a forcément accès, ne fût-ce que pour des raisons géographiques ou financières 11.
Last but not least, le cas des Afghans. Depuis plus de 30 ans, ce pays est en guerre et l’instabilité y est permanente. De nombreux rapports d’ONG et d’organisations internationales l’attestent : des hommes et des enfants y sont enrôlés de force ; certains groupes sont persécutés sur base de leur origine ethnique et/ou de leur religion, etc. Mais ce contexte généralisé de violence n’empêche pas Maggie De Block et son administration de fermer les yeux et de recommencer à expulser des ressortissants afghans au péril de leur vie. Ceux qui ne sont pas reconnus réfugiés, mais que l’administration ne renvoie pas dans leur pays d’origine, ne pourront pas obtenir de permis de travail, faute de titre de séjour. Et sans permis de travail, impossible de sortir des situations socio-économiques dramatiques dans lesquelles ils se trouvent. Depuis des mois, ces Afghans ont donc entamé un bras de fer avec Maggie De Block et son administration. Mais devant l’intransigeance outrageante de ces derniers, on voit mal les premiers en sortir vainqueurs.

Des faux-semblants

Dans toute une série de domaines, des décisions ont donc été prises à l’encontre des droits des migrants. Elles permettent chacune de cerner de près la logique répressive dans lequel le gouvernement a explicitement souhaité s’inscrire. De manière générale, les cours et tribunaux ne disent pas autre chose. Les droits humains fondamentaux (droit à la vie, interdiction de traitements inhumains et dégradants, etc.) sont consacrés dans la Convention européenne des droits de l’Homme dont le respect est assuré par la Cour européenne des droits de l’Homme, basée à Strasbourg. Effective depuis 1959, elle a largement épargné la Belgique en matière de droit des étrangers. Et ce, jusqu’en 2011. Mais depuis, les condamnations se multiplient. Ce qui est très interpellant dans un État de droit, comme le nôtre. Certes, certaines situations (crises à répétition de l’accueil des demandeurs d’asile) demandaient des réponses urgentes, mais celles qui ont été apportées ont veillé à fermer peu à peu toutes les portes d’entrée légale en Belgique, quitte à nier les droits humains les plus fondamentaux.
En fait, ce gouvernement a constamment voulu donner l’impression qu’il était en mesure de combattre une immigration, présentée comme massive et dès lors ressentie comme telle. À cet égard, certaines informations parlent d’elles-mêmes : les Wallons estimeraient à 26 % la proportion d’étrangers présents en Wallonie, soit le double du chiffre exact 12 et les Européens à 24 % alors qu’elle n’est que de 10 % 13. La classe politique cherche donc à répondre coûte que coûte à ces perceptions, fussent-elles inexactes. C’est ainsi que depuis quelques mois, l’administration de Maggie De Block s’est mise en tête de chasser les ressortissants européens qui représentent, soi-disant, une charge déraisonnable pour notre système de sécurité sociale. En 2013, pas moins de 2.712 ressortissants européens en ont fait les frais. La législation européenne le permet, mais la Secrétaire d’État pousse aujourd’hui le vice jusqu’à expulser des travailleurs salariés, notamment des travailleurs employés dans le cadre d’un article 60 au motif que le travailleur en question « n’a aucune chance réelle d’être engagé dans le cadre d’un contrat de travail correspondant à une activité économique réelle, de sorte qu’il ne peut conserver son séjour sur cette base » 14. Avouons que c’est faire un usage très extensif de la notion de « charge déraisonnable » 15. Pourtant, qu’importe son contrat, le travailleur paie des impôts, finance la sécurité sociale, etc. Mais de tout cela, Maggie De Block n’en a cure puisque, obsédée par les chiffres, cela lui permet de présenter un bilan « positif ».
Depuis plusieurs des années, nos sociétés occidentales ne sont pas tendres avec l’ « étranger » et la crise de 2008 a considérablement aggravé les perceptions négatives et les ressentiments. Dans le contexte d’austérité des finances publiques, la charge déraisonnable qu’incarneraient les migrants est inacceptable, a fortiori pour des partis qui rêvent de briser toute solidarité (N-VA...). Pourtant, une analyse à froid des données économiques permet de démonter des clichés qui ont la vie dure : les effets des migrations sur l’emploi et sur le niveau des salaires sont faibles, voire même plutôt positifs. Et de manière globale, les études montrent qu’il n’y a aucune raison économique de réduire les migrations, loin s’en faut 16. Or, c’est l’impression inverse qui prédomine. Et cela laisse au gouvernement les coudées franches pour mettre fin à un « péril » qui, à la lumière des faits, n’en a que les habits.

Complicités insidieuses

Le rétablissement de la vérité des faits prendra du temps parce que depuis son entrée en fonction, Maggie De Block a su s’attirer les faveurs des médias. Dès le début, elle a affirmé vouloir mener une politique « ferme, mais humaine ». De la fermeté, il y en a (eu) à foison, mais l’humanité semble s’être perdue en route. Qu’à cela ne tienne : hormis quelques exceptions notables, les rédactions des principaux médias ont rarement pointé l’envers de ce discours. De manière générale, ils semblent en effet avoir pris fait et cause pour les politiques migratoires restrictives qui sont menées 17. Fleurissent donc fréquemment des articles ou des reportages vantant, par exemple, les mérites d’un gouvernement qui est parvenu à diminuer drastiquement le nombre de demandeurs d’asile. Rendez-vous compte : en 2012, 76.497 ordres de quitter le territoire ont été délivrés à des personnes de nationalité étrangère, soit une augmentation de 44 % par rapport à 2011 18 ! Dans ce domaine comme dans d’autres, les médias semblent avoir perdu leur regard critique. Par essence, l’immigration est un phénomène complexe aux causes multiples que les rédactions ne cherchent plus à analyser et à décoder. Ce faisant, ils cautionnent la politique menée. Et puisque les médias en font écho sans la remettre en cause, le lecteur se dit que cela doit être la seule (bonne) voie à suivre.
Cela étant dit, ce serait trop facile de pointer uniquement les médias comme seule caution morale (plus ou moins directe) d’une telle politique. Les partis politiques progressistes du nord et du sud du pays ont également leur part de responsabilité, davantage encore ceux qui ont signé la déclaration de politique générale et qui ont (donc) soutenu très explicitement les mesures qui sont appliquées par la Secrétaire d’État.

D’indispensables solidarités

Les mobilisations citoyennes importantes qui ont émergé autour du mouvement des Afghans ont démontré toute la vivacité de certaines solidarités avec les revendications légitimes d’une population qui se voit refuser des droits fondamentaux. Il n’empêche qu’au sein d’une majorité de la population, les migrants n’ont pas bonne presse. Les mouvements d’éducation permanente doivent donc prendre leurs responsabilités et replacer ces enjeux au cœur de leurs actions pour déconstruire les clichés et rétablir la vérité des faits. Ce sera inéluctablement un travail de longue haleine, car la complexité de la réalité ne peut être vulgarisée aussi sommairement que les petites phrases assassines de Maggie De Block.
Au-delà de cet essentiel travail d’éducation permanente, il en va également de la responsabilité des syndicats de façonner la solidarité entre tous les travailleurs, avec ou sans papiers. Si le cas des Afghans a fait naître une solidarité que l’on pourrait qualifiée de « contextuelle », il y a urgence à (re) créer une solidarité basée sur des conditions de vie commune : celle liée au statut de « travailleur ». Dans cette optique, le mouvement syndical doit monter au front pour combattre les politiques sécuritaires et répressives qui s’abattent sur les migrants et les demandeurs d’asile. Car l’objectif d’une fermeture totale des frontières poursuivie par les politiques actuelles est illusoire : aussi longtemps que notre monde sera marqué par de tels déséquilibres (ressources, droits...), les hommes auront des raisons de se déplacer 19. À politiques inchangées, une main d’œuvre totalement illégale alimentera donc de plus en plus notre marché du travail. Les conséquences sont et seront perverses pour l’ensemble des travailleurs : ceux qui sont sans-papiers sont littéralement exploités et n’ont aucun droit à faire valoir, tandis que les « autres » sont confrontés à cette concurrence déloyale.
Avec la crise, le chômage a explosé. Et, au bout du compte, c’est souvent l’étranger qui est pointé du doigt et non le système économique dont il subit, au même titre que les nationaux, les pervers effets. Contrairement aux discours dominants, « le migrant n’est pas la cause du dumping social, mais il est le premier à en subir les conséquences » 20. Il est donc urgent de s’attaquer aux causes réelles des inégalités et de la précarisation des travailleurs, de pointer les vraies responsabilités et, surtout, de ne pas se tromper d’adversaire. #

1. En 2011, 18,2 % des titres de séjour étaient délivrés dans ce cadre.
2. Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.
3. Une réponse leur sera fournie dans les 15 jours après l’introduction de l’entrée de leur demande. Précisons que la procédure accélérée « pays sûrs » avait déjà été adoptée fin 2010 et introduite dans la loi, à l’initiative du gouvernement précédent. À l’époque, c’était Melchior Wathelet (cdH) qui était Secrétaire d’État à la politique d’asile et de migration.
4. Dans tous les cas de figure, il revient aux demandeurs d’asile d’apporter les éléments qui démontrent les persécutions dont ils font l’objet, ce qui est un vrai parcours du combattant pour des personnes qui sont souvent en grande détresse (morale, notamment). Mais dans le cadre des « pays sûrs », les instances collaborent beaucoup moins : elles sont moins proactives dans la recherche des faits, etc.
5. Suite à un recours introduit par plusieurs associations, la Cour constitutionnelle a infligé, sur cet aspect, un terrible camouflet au gouvernement en lui demandant de revoir sa copie et de permettre aux ressortissants des pays « sûrs » d’avoir accès à un recours effectif, qui suspendra leur ordre de quitter le territoire jusqu’à ce qu’un juge se prononce sur le fond de la demande.  
6. Marie Charles, « Liste des « pays d’origine sûrs » : une sureté bien relative », La Revue nouvelle, Février 2014, p.33.
7.  Idem.
8.  À ce jour, les statistiques concernant spécifiquement les régularisations pour raisons médicales ne sont pas encore connues.
9. Affaire H.S contre Belgique, 4 juin 2013.
10.  Céline Verbrouck, « Étrangers : protéger ou s’en protéger ? », La Revue nouvelle, Février 2014, p.29.
11.  Malheureusement, en la matière, la Cour européenne des droits de l’Homme semble, via sa jurisprudence très restrictive sur le sujet, cautionner de telles pratiques : « Le fait qu’en cas d’expulsion de l’État partie, l’étranger connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, ne suffit pas pour emporter violation de l’article 3 » ! (Affaire Joseph contre Belgique, 27 février 2014).
12. Stéphane Tassin, « Les immigrés ? Une charge pour la sécurité sociale disent les Wallons », La Libre Belgique, 12 décembre 2013.
13. Isabelle de Laminne, « Immigration : les chiffres qui démontent les clichés », La Libre Belgique, 18 mars 2014.
14. http://www.rtbf.be/info/regions/detail_salaries-europeens-expulses-insertion-vs-immigration?id=8222725
15. D’autant que cette notion est déjà plus que condamnable en tant que telle puisqu’elle brise ipso facto toute solidarité intra-européenne.
16. Idem.
17. Voir, à titre d’exemple, un édito de Béatrice Delvaux : « Sage et nécessaire réforme de la politique d’asile », Le Soir, 31 juillet 2013.
18. http://www.lalibre.be/actu/belgique/les-ordres-de-quitter-le-territoire-ont-augmente-de-44-en-un-an-51dfab9b35707f483cad3bd3
19. http://www.cire.be/presse/communiques-de-presse/817-ils-sont-quand-meme-bien-pratiques-ces-migrants
20.  Les propos sont ceux d’Eva Jimenez Lamas, permanente interprofessionnelle à la CSC de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Citée par Grégory Mauzé, « Asile et immigration en Belgique (II) : ‘Changer la figure du migrant’ » (http://www.acjj.be/publications/nos-analyses/).

 Crédit photo : ggia

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