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Les centres culturels s’apprêtent à connaître un bouleversement assez considérable avec l’apparition d’un nouveau décret. Cette nécessaire réforme devrait notamment leur permettre de se focaliser davantage sur la qualité et la pertinence de leurs projets culturels plutôt que de mener une course effrénée aux subventions. Mais ces évolutions ne sont pas sans dommages pour le secteur de l’éducation permanente qui pourrait en payer les pots cassés. Retour sur les enjeux de ce nouveau décret.



Le tout nouveau décret relatif aux centres culturels 1 n’est évidemment pas tombé du ciel. Il est en préparation depuis 2009 en étroite concertation avec les acteurs de terrain, et était annoncé dans l’accord de gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce faisant, le législateur entend opérer un redéploiement en profondeur du secteur. Concrètement, cette importante réforme se structure autour de trois axes fondamentaux. D’abord, l’inscription de l’action des centres culturels sera inscrite dans une dynamique de « développement territorial culturel » 2 impliquant « un renouvellement des formes de coopération avec les Régions et les pouvoirs locaux ». Ensuite, dans le cadre d’une politique de démocratisation culturelle renforcée, les « métiers de base » des centres culturels seront redéfinis. Enfin, la réforme souhaite placer les centres culturels au cœur de politiques croisées et de partenariats avec tous les acteurs associatifs locaux et régionaux.

De nécessaires changements

Cette réforme a été motivée par une série de considérations et d’évolutions (institutionnelles, sociales ou économiques) au regard desquelles le décret actuellement en vigueur 3 semblait obsolète. Quatre évolutions majeures sont à épingler.
On peut constater, premièrement, une relative disparition d’un référentiel commun. Les diverses notions constitutives des missions des centres culturels (démocratie culturelle, éducation permanente, développement socioculturel d’un territoire, attention particulière aux personnes les plus défavorisées) étaient manifestement insuffisamment définies. Faute de clarification, certains centres ont progressivement spécialisé leur programme d’actions au détriment des missions qui leur étaient légalement confiées. Quel est le métier de base des centres culturels ? Il est aujourd’hui manifestement difficile de répondre à cette question tant les pratiques se sont diversifiées et/ou spécialisées.
Deuxièmement, le caractère très (trop) formaliste des procédures de reconnaissance des centres culturels. On constate en effet que les procédures de reconnaissance des centres culturels s’opèrent principalement au départ de critères de nature institutionnelle, juridique et financière au détriment d’une prise en compte du projet culturel en tant que tel et de ses modalités de mise en œuvre. Or, ce sont ces dimensions-là qui, avant toutes autres considérations, devraient constituer le premier critère de reconnaissance et de subventionnement de centres culturels.
Troisièmement, à défaut d’une réelle prise en compte prioritaire de critères liés au projet culturel, le type de reconnaissance et de subventionnement des centres est presque uniquement déterminé par un classement en catégories 4. Ce classement qui détermine le niveau de reconnaissance et de subventionnement des centres génère une course à la catégorie supérieure comme seul et unique moyen de revalorisation des subventions, au détriment, parfois, de la qualité et de la pertinence des projets culturels menés. Cette course effrénée au meilleur classement peut, en outre, générer une mise en concurrence entre centres culturels ou avec d’autres opérateurs culturels.
Enfin, l’absence de cartographie de l’offre culturelle et le moratoire en cours sur les nouvelles reconnaissances de centres posent des questions d’équité et d’efficacité qui ne pouvaient rester sans réponse adéquate.

Lien ténu avec les droits culturels

Sur la base de ces constats, et sans entrer dans le détail, le nouveau décret entend définir un référentiel de reconnaissance de base pour tous les centres culturels. Ce nouveau référentiel s’inscrit assez explicitement dans une logique d’éducation permanente et est centré sur l’effectivité de l’exercice des droits culturels. Ainsi, les centres culturels devront à l’avenir contribuer avant tout au développement culturel territorial défini comme la mise en œuvre de l’exercice effectif des droits culturels par les populations d’un territoire. L’actuelle catégorisation des centres culturels est dès lors appelée à disparaître au profit d’une redéfinition du ou des « métiers » ou des « actions culturelles » des centres ; redéfinition qui s’accompagnera de nouvelles modalités de subventionnement. En résumé et assez logiquement, ce ne sera plus l’entité « centre culturel » qui sera reconnue et subventionnée comme telle, mais l’action culturelle qu’elle propose et qu’elle déploie.
Plus concrètement, tous les centres culturels devraient être à l’avenir invités à développer une « action culturelle générale » qui constituera leur « métier de base » et qui servira de référentiel de reconnaissance commun à tous les centres culturels.
Cette « action culturelle générale » visera le développement culturel d’un territoire, dans une démarche d’éducation permanente et une perspective de démocratisation culturelle et de médiation culturelle et devra se traduire dans un « projet d’action culturelle ». Dans les faits, ce projet d’action culturelle devra obligatoirement s’élaborer sur base d’une « analyse territoriale partagée » qui mobilisera les différentes composantes d’un territoire de référence afin de faire émerger des « enjeux de société » 5. Et ce sont précisément les résultats de ce diagnostic collectivement élaboré qui devront baliser les objectifs de la politique de développement culturel territorial porté par un centre culturel.
Au-delà de ce nouveau « métier de base », trois autres types de projets d’actions culturelles pourront être déployés par les centres correspondant pour chacun d’entre eux à un niveau de reconnaissance (et donc de subventionnement) complémentaire : des « actions culturelles intensifiées », des « actions culturelles spécialisées » et des « actions culturelles spécialisées des arts de la scène ».
Bref, cette réforme entend renforcer assez considérablement les missions des centres culturels. Les dimensions de démocratie culturelle et de développement territorial communautaire constitueront le cœur du « métier de base » des centres culturels de demain et c’est indéniablement l’un des éléments positifs de ce décret.

Être vigilant

Restent évidemment quelques questions qui appellent à la circonspection.
La première est budgétaire. Le décret vise clairement un objectif de renforcement des synergies, des collaborations et des décloisonnements, notamment entre opérateurs culturels. Cet objectif concerne également l’aspect financier. Ainsi, l’exposé des motifs précise « qu’un centre culturel qui dispose d’une reconnaissance pour une action culturelle spécialisée peut introduire une demande de soutien récurrent, pluriannuel, auprès des secteurs fonctionnels. Dans ce cas, après avis de la Commission des centres culturels, la demande sera dirigée, pour avis, auprès de l’instance d’avis en charge du secteur en question ». En clair, cette disposition ouvre la possibilité pour un centre culturel de faire subventionner une partie de ses activités par un autre secteur des politiques culturelles, comme celui de l’éducation permanente, par exemple. Si toute logique « corporatiste » (ce qui n’a pas de sens en la matière) doit être évitée, il faut toutefois veiller à ce que cette disposition, si elle devait être activée, n’aggrave plus encore la situation budgétaire du secteur de l’éducation permanente déjà structurellement sous-financé.
Le deuxième questionnement relève de l’évolution de la conduite des politiques culturelles. L’actuelle réforme des centres culturels a été menée parallèlement au processus des Assises du développement territorial. Pour rappel, l’enjeu de ce processus consistait à « initier une démarche participative pour penser avec les opérateurs culturels, les autorités locales, régionales et communautaires, une véritable politique de développement culturel local et régional, complémentaire à celle menée par les secteurs (...) » 6. Sur base d’une cartographie de l’offre culturelle dans chaque arrondissement de Wallonie et de la Région de Bruxelles-Capitale, l’enjeu pour les pouvoirs publics était de réguler davantage l’évolution du secteur culturel dans chaque territoire concerné, de renforcer la coopération entre les opérateurs et les secteurs culturels et les autres politiques publiques telles que l’enseignement, le tourisme, l’emploi, l’économie, l’insertion sociale ou l’aménagement du territoire.
Les visées qui sous-tendent le décret sur les centres culturels (développement culturel territorial, synergies et coopérations entre les opérateurs, politiques inter ou transsectorielles) et les objectifs des Assises du développement culturel territorial se recoupent donc assez largement. On peut donc légitimement se poser la question de savoir si ces différents processus préfigurent une réorientation plus ou moins fondamentale des politiques culturelles (désectorialisées et davantage organisées sur base sous-régionale) et partant, s’ils préfigurent une réorientation de l’affectation des enveloppes budgétaires sur base également territoriale plutôt que sectorielle.
Le troisième point d’attention concerne l’évolution de la « gouvernance démocratique » en matière de politique culturelle territoriale. Le décret entend donner un rôle de premier plan aux centres culturels en matière de pilotage des politiques culturelles territoriales. Comme le précise l’article 4 du décret, « un centre culturel est un lieu de réflexion, de mobilisation et d’action culturelle, pour et avec les populations, les acteurs institutionnels et les acteurs associatifs d’un territoire ». En ce sens, et même si le terme n’est pas comme tel utilisé, les centres culturels pourraient jouer demain un rôle « d’ensemblier » des différents acteurs associatifs/culturels notamment dans la conception et la conduite de leur projet d’action culturelle respectif. Par ailleurs, le nouveau texte réaffirme également le principe du cofinancement paritaire (entre communes, provinces, COCOF et la Fédération Wallonie-Bruxelles).
En l’absence d’une Charte associative à portée réellement normative au niveau local, il va être nécessaire de veiller à ce que la fonction des centres culturels au niveau sous-régional ne renforce ici et là des logiques « d’instrumentalisations politiques » de la part des pouvoirs locaux par rapport au secteur associatif et dans l’élaboration des actions culturelles des centres culturels.
En outre, la conception du sens du travail d’éducation permanente tel qu’il peut être compris au niveau des pouvoirs publics locaux peut parfois (souvent ?) s’écarter très significativement du sens historique qui lui est donné par les associations reconnues en éducation permanente.

Co-écrit par François Reman


1. Ce secteur concerne actuellement 115 centres culturels pour des crédits budgétaires s’élevant, en 2012, à 24.223.000 d’euros.
2. Les passages entre guillemets proviennent du décret relatif aux centres culturels voté par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 20 novembre 2013.
3. Voté le 28 juillet 1992, il fixe les conditions de reconnaissance et de subvention des centres culturels.
4. Il existe 8 catégories différentes qui déterminent le montant des subventions. Ces dernières varient de 26.111 euros à 208.752 euros.
5. Le décret insiste également sur l’attention particulière qui devra être portée aux groupes défavorisés dans cette démarche commune.

6. Extrait des Assises du développement culturel territorial en communauté française qui se sont déroulées en février 2011.


Crédit photo : http://www.culture1030.be

 

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