Les élections législatives allemandes se tiendront le 22 septembre. Vu ses conséquences potentielles pour l’UE, ce scrutin a une saveur particulière. Dans les sondages, l’Union démocrate-chrétienne (CDU), le parti d’Angela Merkel, devance largement les sociaux-démocrates (SPD). Stefan Gran, responsable de la Confédération des syndicats allemands (DGB) à Bruxelles, décortique les politiques d’austérité menées par « le bon élève de l’Union européenne », dénonce les abus du modèle économique allemand et présente les principales revendications de son organisation pour le prochain scrutin.


Dans quel contexte auront lieu les prochaines élections fédérales en Allemagne?
Cinq formations politiques seront presque certainement représentées dans le futur parlement. Il s’agit des démocrates-chrétiens de la CDU-CSU, des socio-démocrates du SPD, des libéraux de la FDP, des Verts (« Die Grünen ») et de La Gauche (« Die Linke »). Seuls les libéraux de la FDP sont, dans certains sondages, en dessous du seuil des 5 % nécessaires pour la représentation parlementaire en Allemagne. Ceci constitue une chute vertigineuse pour ce parti qui avait encore un résultat à 2 chiffres lors des dernières élections (2009). Le parti des Pirates, né du débat sur la régulation de l’internet, se situe, selon les sondages, à environ 3 % au niveau fédéral allemand. Le parti anti-Europe de droite conservatrice, Alternative pour l’Allemagne (« Alternative für Deutschland »), obtiendrait à peine 2 % des suffrages. Toujours selon ces sondages, la CDU-CSU est créditée d’environ 40 %, le SPD de 22 % à 28 %, les Verts de 14 % et la Gauche de 7 %.
Une continuation de la coalition CDU-CSU et FDP est donc possible. À l’issue des dernières élections, celle-ci s’est imposée naturellement. Aujourd’hui, il y a des points d’interrogation. Si elle n’a pas lieu, il y aura soit une coalition SPD–Les Verts, soit une grande coalition CDU–CSU–SPD. Toutefois, ce scénario risquerait de créer des conflits déchirants à l’intérieur du SPD. En effet, ce parti a connu son plus mauvais résultat lors des dernières élections en 2009 à la suite d’une grande coalition avec le CDU-CSU d’Angela Merkel. Pour qu’une si large coalition soit mise sur pied, des concessions majeures de la CDU-CSU seront nécessaires, comme l’instauration d’un salaire minimum généralisé. Certes, des coalitions SPD-Les Verts-La Gauche existent bien dans certains Länder 1, mais pour le moment, aucun accord n’existe entre les partis pour la reproduire au niveau fédéral.  

Comment le DGB se positionne-t-il par rapport aux partis politiques ?
Le DGB 2 n’est lié à aucun parti politique, mais il n’est pas apolitique. Ses principaux responsables sont membres du SPD, de la fraction des travailleurs de la CDU-CSU appelée CDA, ou des Verts. Dans le contexte des prochaines élections législatives, le DGB prend position sur des thèmes et non pour des partis politiques. Un catalogue de revendications a donc été développé. Il s’articule autour de quatre revendications centrales : un travail de qualité pour tous, des pensions sécurisées et garanties, une Europe sociale et un État capable d´agir 3.

Quelle évaluation le DGB fait-il de la dernière législature (2009-2013) ?
Durant cette période, peu de choses ont bougé pour les travailleurs. Il n’y a toujours pas de salaire minimum généralisé en Allemagne. Seuls existent des salaires minimums pour certains secteurs, comme celui de la coiffure. Le DGB souhaite un salaire minimum généralisé et mène campagne pour que, partout en Allemagne, il n’y ait plus de salaire en deçà de 8,50 euros de l’heure. Le maintien de l’extension des conventions collectives de travail (CCT) conclues entre partenaires sociaux à l’ensemble des travailleurs est également un enjeu important sur lequel le gouvernement sortant n’a pas agi. Cette extension est menacée à cause d’un quorum de 50 % : la moitié des travailleurs d’une entreprise ou d’un secteur doit être syndiquée pour que l’extension d’une CCT puisse entrer en vigueur. Ce n’est pas le cas partout, surtout dans les différents secteurs de services 4. Nos revendications pour des conditions de travail plus justes, face notamment aux dramatiques conditions de travail dans le secteur des bas salaires, n’ont pas abouti pendant cette dernière législature. Le gouvernement allemand a pris par contre quelques timides mesures à l’encontre d’entreprises qui sous-traitaient l’entièreté de leur personnel.  

Quel est le bilan du gouvernement allemand sortant au niveau européen ?
Tout d’abord, il convient de préciser que le DGB a des revendications totalement différentes de celles du gouvernement allemand sortant, que ce soit par rapport au diktat d’austérité, la gestion des dettes publiques ou celle de l’investissement public dans l’économie réelle européenne. Ces divergences de vues sont devenues encore plus manifestes lors de la récente initiative d’un sommet européen contre le chômage des jeunes, organisé par la chancelière Angela Merkel, début juillet, à Berlin. En effet, seuls 6 milliards d’euros sont engagés dans le futur budget européen 2014–2020 pour lutter contre le chômage des jeunes, alors que l’OIT estime que 21 milliards d’euros seraient nécessaires. De plus, seuls 3 milliards d’euros sont véritablement des moyens nouveaux, car les 3 milliards restant proviennent de mesures programmées précédemment et qui ne pourront dès lors plus avoir lieu. Il est vrai que l’effort consenti peut paraître colossal, mais ces 6 milliards d’euros correspondent concrètement à seulement 500 euros par jeune sans emploi en Europe. C’est très (trop) peu pour mettre en pratique la « garantie jeunes » qui devrait permettre à chaque jeune européen d’avoir accès à un emploi, une formation ou un stage après 4 mois de chômage. Pour ces différentes raisons, le DGB a organisé un contre-sommet lors de l’initiative organisée par l’actuelle chancelière.

Quel regard portez-vous sur le modèle économique allemand ?
Globalement, on constate que le nombre d´employés qui cotisent aujourd’hui à la sécurité sociale a augmenté et que le chômage a diminué ces dernières années en Allemagne. Et les indicateurs comme le PIB sont au beau fixe. Mais cette évolution positive s´est faite au détriment d´une précarisation énorme du marché du travail allemand. Un quart des travailleurs allemands vit avec des bas salaires et des conditions de travail précaires. L´Allemagne possède ainsi le plus grand secteur à bas salaires d´Europe. La sous-traitance, les minijobs, l’extension de formes de contrats de prestation de services 5 sont autant de mauvaises formes de travail. Nous sommes scandalisés par tous ces travailleurs allemands qui ne savent pas vivre dignement de leur travail.

Quelles sont vos propositions pour sortir de ces impasses ?
Comme nous l’avons dit précédemment, nos revendications portent sur le travail de qualité, des pensions sécurisées et garanties, une Europe sociale et un État capable d´agir. Le DGB revendique que le marché du travail allemand soit basé sur un modèle de négociation collective et une participation des travailleurs forte. Pour façonner un nouveau marché du travail, l’établissement d´un salaire horaire minimum légal de 8,50 euros est un enjeu majeur. Son introduction serait, selon une des dernières études menées sur le sujet, non seulement souhaitable socialement – 9 millions de travailleurs seraient directement concernés – mais aussi économiquement – 19,16 milliards d’euros seraient ainsi introduits dans l’économie allemande 6.
Quant aux pensions, le DGB a également développé un concept pour sécuriser les pensions légales depuis que le gouvernement sortant d’Angela Merkel a promis de baisser les cotisations de sécurité sociale les concernant. Le DGB pense que cette promesse, faite à la veille des élections et dans un contexte de bonne conjoncture, manque de vision à long terme. Au contraire, il faut privilégier une augmentation des cotisations pour l’assurance légale des pensions, sensiblement et par étapes, afin de constituer une réserve pour les défis démographiques à venir. C’est ainsi que le niveau actuel des pensions pourra être maintenu et sécurisé pour les générations futures 7. Au niveau européen, le DGB propose de lancer un plan de développement, d’investissement et de relance économique pour l’Europe, appelé « Plan Marshall pour l’Europe ». Ce plan d’investissement à hauteur de 2 % du PIB européen vise la modernisation de nos économies nationales européennes
Le DGB formule-t-il d’autres revendications pour l’ échelon européen ?
Le « Protocole de progrès social » 8 qui vise à contrer le dumping social est, pour nous, crucial. Les centrales du DGB mènent actuellement des campagnes importantes sur le sujet. En ce qui nous concerne, la question de la démocratie est également clé au niveau européen 9. Nous sommes également très critiques par rapport à la soi-disant méthode unitaire promue par Merkel, qui n’est finalement rien d’autre que la méthode intergouvernementale. Nous pensons qu’au contraire, il faut renforcer la méthode communautaire au niveau européen.

Quid du tournant énergétique et du plan de sortie du nucléaire du gouvernement ?
Le DGB soutient entièrement ce tournant, tout comme la sortie du nucléaire. Il y a un potentiel d’emplois très important dans le secteur des énergies renouvelables, notamment pour l’emploi industriel. Davantage de coordination du gouvernement, notamment pour mettre en place la base infrastructurelle de ce tournant, est nécessaire. Il s’agit certainement de l’une des décisions-phares de la dernière législature, mais il faut à présent travailler résolument à son opérationnalisation. La sortie du nucléaire (décidée après la catastrophe de Fukushima) est définitive. Il y a un consensus parmi les acteurs politiques clés à ce sujet. Comme l’ont montré les derniers programmes de démantèlement de centrales à l’est de l’UE, les risques et coûts sont immenses, une attitude de responsabilité s’impose donc.

Plus de 20 ans après la réunification, est-ce qu’il y a  toujours des différences entre l’ouest et l’est de l’Allemagne?
De plus en plus, les disparités s’estompent, mais au niveau du droit social, certaines persistent, notamment en matière d’assurance-pension et de contrats de travail. Le DGB milite pour que ces différences disparaissent. D’ici 2019, il y aura encore un système de transferts de l’ouest vers l’est appelé « Solidaritätszuschlag », financé en large partie par l’ impôt sur le travail. Mais la chancelière Merkel a déjà déclaré qu’elle souhaite étendre ce système pour soutenir des investissements dans toute la République. Notre expérience d’unification nous enseigne que la convergence nécessite beaucoup de moyens pour que le plus grand nombre puisse en profiter. C’est aussi une des intuitions à la base de notre proposition d’un Plan Marshall pour l’Europe. 

 

 Le Plan Marshall du DGB

Cette proposition « est née d’une prise de conscience : le développement à court terme de la conjoncture est étroitement corrélé au potentiel de croissance à long terme. Une stratégie politique intégrant ces deux aspects est donc requise.
Le Plan Marshall pour l’Europe du DGB s’entend comme un programme de développement et d’investissement courant sur 10 ans (soit de 2013 à 2022) qui englobe les 27 États de l’Union européenne. (...) Il vise à instaurer une économie sobre en énergie et ménageant les ressources disponibles afin de nous rendre indépendants à longue échéance des importations. (...)
Si une telle offensive de modernisation doit concerner tous les pays de l’UE, des investissements massifs sont nécessaires, à savoir – en moyenne – 110 milliards d’euros par an. Au total, il en résulte un besoin annuel en financement de 260 milliards d’euros (environ 2 % du PIB européen) ».
Vu l’état des finances publiques de certains États, le DGB propose de mutualiser les efforts et prônait, en 2011 déjà, la création d’un « Fonds d’avenir européen » qui serait financé à l’échelon européen pour pouvoir assurer les investissements nécessaires : « en Europe de l’Ouest, 27 000 milliards d’euros cherchent des possibilités de placement sûres et rentables qui se font de plus en plus rares ». (...) Ce capital pourrait être orienté de manière à financer les investissements requis pour l’avenir du continent. À cette fin, le « Fonds d’avenir européen » émettrait des emprunts rémunérés que nous dénommons « emprunts New Deal ».
De la sorte, les prêteurs disposeraient de possibilités de placement sécurisées, et l’UE assurerait le financement de cette offensive de modernisation ».

Thomas Miessen

Source : http://www.dgb.de/themen/++co++9db3442a-f1d9-11e1-9478-00188b4dc422

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