L’INAMI a publié en 2012 une étude montrant la variation des dépenses de l’assurance soins de santé par région et arrondissement. Une telle étude doit permettre de mieux comprendre les enjeux régionaux et locaux en matière de santé publique, mais également les défis d’organisation et de structuration de l’offre de soins. Quels sont ses résultats ? Et quelles sont les leçons que l’on peut en tirer pour notre système de santé ?

Globalement, pour tous les secteurs, l’étude de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) 1 montre que les écarts en termes de dépenses de santé sont très faibles. Cela permet dès lors de relativiser et de remettre en question les discours pointant du doigt certaines régions et arrondissements quant à leurs dépenses prétendues trop élevées. Toutefois, de nombreuses et importantes variations régionales entre secteurs de soins peuvent être observées. Objectiver et étudier la structure de consommation des soins dans les différentes régions et arrondissements doit dès lors inciter tous les acteurs concernés par la santé à mener une réflexion approfondie quant aux pratiques médicales, à la façon d’organiser notre système de soins et de mener une politique de santé.

Première ligne en Flandre, soins spécialisés ailleurs

La Flandre développe davantage les soins primaires, et la Wallonie et ( surtout) Bruxelles les soins spécialisés

Dans son étude, l’INAMI recourt à des indicateurs de consommation standardisés 2 afin de prendre en compte le fait que la population ne présente pas des profils de risques (structure d’âge, de sexe, etc.) identiques d’une région à l’autre, d’un arrondissement à l’autre.
Il faut être prudent dans l’interprétation de ces résultats. En effet, les paramètres inclus pour la standardisation ne sont pas exhaustifs. D’autres paramètres sociaux ou épidémiologiques (la prévalence de pathologies, le niveau de revenus, d’études...) influencent aussi la consommation de soins de santé. L’offre de soins est également un paramètre à prendre en compte pour expliquer les différences de consommation.
En tenant compte du profil de risques, on observe une surconsommation relativement du même ordre en Flandre et en Wallonie. La sous-consommation à Bruxelles est confirmée, et s’est accrue depuis 2006. Les indices standardisés 3 montrent cependant que les différences entre les trois régions sont globalement très faibles. Toutefois, en analysant les dépenses de santé secteur par secteur, des divergences peuvent être épinglées. Les tendances sont les suivantes :
– La Flandre développe davantage les soins de première ligne : davantage de « dossier médical global (DMG) » et, dans une moindre mesure, plus de dépenses pour les avis, consultations et visites des médecins généralistes. Les patients y font moins appel aux soins spécialisés et la Flandre a une consommation plus importante en matière de soins infirmiers, de revalidation et maladies chroniques. Ceci peut indiquer une offre plus importante en matière de soins à domicile, qui peut avoir un impact sur le nombre d’admissions à l’hôpital. Enfin, elle développe davantage les soins psychiatriques résidentiels.
– La Wallonie a une consommation plus importante en matière de médicaments ambulatoires (délivrés via les officines publiques). Ceci peut signifier, pour les médicaments contre les maladies cardio-vasculaires, que les Wallons sont davantage touchés par ce type de pathologie, et concernant les médicaments pour le système nerveux central (les antidépresseurs, par exemple), qu’il y a une demande et un nombre de prescriptions plus important (ce qui n’est pas forcément significatif de davantage de problèmes de type psychique en Wallonie). En outre, la Wallonie a une forte sous-consommation en matière de DMG.
– Enfin, Bruxelles a une très forte consommation en matière de consultations et visites des médecins spécialistes, et une très forte sous-consommation en matière de soins de première ligne (avis, consultations et visites des médecins généralistes et DMG). Ceci est en partie lié à l’offre très importante en matière d’hôpitaux et de soins spécialisés à Bruxelles, ce qui induit dès lors une demande. On observe également une très forte sous-consommation en matière de soins à domicile (soins infirmiers, revalidation et maladies chroniques).
Au vu de ces données, il apparaît clairement que la Flandre développe davantage les soins primaires, et la Wallonie et (surtout) Bruxelles les soins spécialisés.

Analyser les volumes plutôt que les dépenses ?

La méthode de standardisation peut s’appliquer sur des indicateurs de volume plutôt que sur des dépenses, ce qui a l’avantage de mettre en valeur certains effets de prix. La consommation est ainsi éclairée sous un angle différent, mais complémentaire de l’approche par les dépenses. Par exemple, l’analyse des données de la Mutualité chrétienne (MC) pour les séjours à l’hôpital général en 2011 montre que la surconsommation bruxelloise est de 32 % en termes de dépense, mais se trouve nettement réduite à 18 % en termes de volume (mesuré par le nombre de journées). Ceci s’explique par des prix de journée, en moyenne, plus élevés dans les hôpitaux bruxellois, vu la présence substantielle d’hôpitaux universitaires.
Pour les médicaments ambulatoires délivrés en officine publique, l’étude de l’INAMI aborde aussi bien les variations de volumes (mesurés en doses journalières standards - DDD 4) que de dépenses. Il est possible d’aller plus loin en analysant, sur base des données MC de 2011, la consommation de médicaments (en DDD) selon qu’il s’agisse d’un médicament de marque pour lequel il n’y a pas d’alternative générique, d’un médicament appartenant au système de référence 5, mais avec un surcoût pour le patient, d’un médicament générique ou d’un médicament moins cher appartenant au système de référence (sans surcoût pour le patient). Deux conclusions en découlent :
• à Bruxelles, les génériques sont fort touchés par la sous-consommation (-13 %). Dans la mesure où il s’agit de médicaments bon marché, il y a un gros effort à faire par rapport à la sensibilisation des prestataires et des patients bruxellois ;
• en Wallonie, il y a une forte surconsommation de médicaments moins chers (+19%). S’il est plutôt positif de voir que la politique des médicaments moins chers a fait son effet en Wallonie, il faut également se poser la question si, dans ce cas-ci, l’effet prix n’a pas induit une surprescription de certains médicaments.

L’influence des facteurs socio économiques

la santé suit un gradient social : à position socio-économique décroissante, la santé individuelle tend à se détériorer.

Un autre élément explicatif des différences interrégionales est lié aux facteurs socio-économiques, qui ne sont qu’en partie neutralisés par la méthode de standardisation. De nombreuses études nationales et internationales montrent que la santé suit un gradient social : à position socio-économique décroissante, la santé individuelle tend à se détériorer et l’espérance de vie à diminuer.
En 2008, l’étude de la MC 6 sur les inégalités sociales de santé mettait en évidence que les personnes socio-économiquement moins favorisées ont un risque plus important de mortalité et de morbidité et sont moins sensibles aux soins et dispositifs de prévention. Des enquêtes de santé 7 ont montré que ces inégalités peuvent en partie être expliquées par des comportements moins sains, en termes de tabagisme, de nutrition, etc. Ceci se répercute dans la consommation de soins. Ainsi, les personnes moins favorisées ont un risque plus important d’admission en hôpital général et en hôpital psychiatrique ou en service (neuro)psychiatrique d’un hôpital général.
Ceci peut en partie expliquer que certaines régions, le Hainaut par exemple, qui ont des indicateurs socio-économiques (comme le taux de chômage) plus défavorables, ont un niveau de consommation de soins plus important. Vu sous l’angle des facteurs sociaux, que peut nous apporter une analyse régionale ? Elle a le mérite, pour certains indicateurs, d’identifier les zones géographiques moins favorisées, et de relever dès lors les terrains prioritaires dans la lutte contre les inégalités de santé.

L’organisation du système et le comportement des acteurs

Un troisième élément explicatif a trait aux pratiques des prestataires de soins, aux comportements des patients et à l’offre médicale. En effet, les variations observées de consommation ne renvoient pas toujours significativement à des variations en termes d’affection d’une pathologie. L’exemple des antidépresseurs est révélateur : on observe que les arrondissements wallons ont une consommation nettement plus importante d’antidépresseurs, et que cette surconsommation suit très précisément la frontière linguistique. On peut penser, dans ce cas, qu’il y un différentiel culturel en termes de comportement du patient et du prestataire. Le patient ne se sent pas bien et attend un comportement prescripteur de son médecin en conséquence.
Un autre exemple concerne le différentiel de dépenses observé concernant le passeport du diabète. L’objectif du passeport du diabète est d’aider les personnes diabétiques à gérer leur diabète de la manière la plus pertinente possible pour éviter problèmes et complications. Les données MC mettent en évidence de très fortes différences régionales : la Flandre est en surconsommation et la Wallonie et Bruxelles en sous-consommation. Cela voudrait-il dire que la Flandre est davantage touchée par le diabète que la Wallonie et Bruxelles ? Des données 8 montrent que ce n’est pas le cas : globalement, la Flandre, la Wallonie et Bruxelles sont touchés de la même manière par le diabète. Les éléments explicatifs des écarts de consommation en termes de « passeport du diabète » sont dès lors davantage à chercher du côté de la promotion de l’offre qui en est faite, du comportement des patients, de leur compréhension de ce dispositif, etc. Ce deuxième exemple confirme bien l’importance d’être très prudent dans l’analyse des écarts en termes de consommation.

Certains soins sont révélateurs de maladies chroniques

D’autres indicateurs sont cependant davantage représentatifs de variations en termes de morbidité. Il s’agit par exemple des médicaments issus de la classe C (Système cardio-vasculaire). Contrairement aux antipsychotiques, les médicaments contre les maladies cardio-vasculaires sont davantage révélateurs de « maladies silencieuses ». Dans ce cas, la consommation du médicament n’est pas stimulée par le patient dans la mesure où celui-ci ne ressent pas de douleur physique particulière. Ainsi, contrairement au cas des antidépresseurs, on peut penser que Bruxelles et la Wallonie sont plus significativement affectés par des pathologies de type cardio-vasculaires que la Flandre.
Dans les faits 9, le nombre de décès dus à une maladie vasculaire cérébrale est significativement très élevé dans les arrondissements de Bruxelles, en Wallonie le long de la frontière française (Tournai, Soignies, Mons, Charleroi et Thuin) et dans l’arrondissement de Sint-Niklaas, en Flandre.

Conclusion

La « cartographie » des dépenses de santé permet de mieux comprendre comment le système de soins est utilisé dans chaque région (ou sous-région). Ce type d’analyse est donc un outil utile dans le pilotage et les réformes à apporter à la structure de l’offre de soins, à la sensibilisation des prestataires et des patients. Qu’en retenir ?
Au niveau des dépenses globales, on observe une légère surconsommation en Flandre et en Wallonie, et une légère sous-consommation à Bruxelles. Cependant, les indices standardisés montrent que les écarts entre les trois régions sont très faibles. L’analyse par secteur de soins a permis de mettre en évidence des différences plus significatives : la Flandre développe davantage les soins de première ligne tandis que la Wallonie et Bruxelles développent plus les soins spécialisés.
À l’origine de ces disparités, de nombreux facteurs peuvent jouer : l’organisation du système de santé, les variations dans la pratique des prestataires, les facteurs sociaux au niveau des patients, etc. De plus, au sein d’une même région, on doit tenir compte d’effets de prix et de substitution pour certains secteurs de soins. Bref, une mise en évidence purement descriptive de différences régionales ne peut être qu’un premier pas. Des analyses plus approfondies quant à ces disparités sont nécessaires afin de pouvoir discuter des pratiques, des méthodes et des difficultés rencontrées sur le terrain.
L’enjeu est bien sûr de pouvoir identifier les besoins propres à chaque région, arrondissement, et que les soins prodigués pour y répondre soient justifiés, tout en s’assurant que ces soins restent accessibles à tous, tant financièrement que culturellement. Concernant ce dernier point, les problématiques des inégalités de santé et des inégalités en matière de style de vie sain sont des points centraux qui doivent être intégrés à la réflexion autour de l’organisation de notre système de santé.


1. « Géographie de la consommation médicale - Variations de dépenses de l’assurance soins de santé en Belgique – Données 2009 », 2012, INAMI.http://www.inami.fgov.be/information/fr/studies/study58/pdf/RA_Geo_2012.pdf
2. La valeur de l’indice pour la population de référence est de 100. Interprétation : par exemple, l’indice pour la Flandre est de 101,5. Cela signifie que la Flandre présente un risque de consommation de 1,5 % supérieur à la population de référence (qui est la population belge).
3. Ces indicateurs sont l’âge, le sexe, le statut de bénéficiaire de l’intervention majorée (BIM) et l’appartenance ou non au régime des indépendants.
4. Une DDD est l’équivalent d’une dose journalière standard pour un adulte dans la principale indication du principe actif, telle que fixée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
5. Dans le système de remboursement de référence, la base de remboursement d’une spécialité originale pour laquelle il existe une spécialité moins onéreuse (souvent un médicament générique ou une «copie») est diminuée.
6. Avalosse H., Gillis O., Cornelis K., Mertens R., « Inégalités sociales de santé : observations à l’aide de données mutualistes », MC-Informations, 2008b, 233 : 3-15.
7. Vancorenland S., « Enquête de santé 2008 – Les inégalités de santé en guise de fil conducteur de l’enquête de santé », MC-Informations, 2008, 242 : 17-26.
8. Cf. Les données 2009 issues du Résumé Hospitalier minimum (SPF santé publique).
9. Idem.

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